Même au moment de rassembler ses quelques effets personnels, Jean se demandait encore si il avait fait le bon choix concernant son chemin à suivre dans l'armée.
Choisir d'aller dans les bataillons d'exploration au lieu d'être confortablement en ville en intégrant la police militaire. Son rêve idéal de départ avait été quelques peu chamboulé et changé, c'est le moins qu'on puisse dire.
Aujourd'hui encore il s'étonnait, lui qui avait tant rêvé et vanté sa vie future. Se vantant plus qu'il ne fallait sur ses capacités et surtout s'entrainant corps et âme pour espérer être classé dans les premiers. C'en était devenu son but premier, alliant avec tous les efforts possibles.
Pour rien au monde il aurait laissé lui filer sous le nez la moindre occasion d'avoir une place dans cette unité. C'était sa voie et sa future fierté qu'il imaginait et étalait.
Cependant, certains événements plus que marquants pouvaient faire changer d'avis et même changer une personne. La faire changer radicalement. Bien que le terme évoluer convenait mieux dans le cas présent.
La mort d'une personne chère laissait des marques. Pire que toutes les cicatrices qu'ils avaient eu suite aux entrainements acharnés, le genre de blessure morale qui blesse doublement plus. Et qui peut également chambouler au point de faire changer radicalement d'avis.
Cela n'avait d'ailleurs pas manqué d'étonner certains.
Enfin, à l'heure actuelle c'était fait et décidé ainsi, le soldat ne voulait plus reculer et il était temps d'assumer ses choix. C'était le plus important à présent. Et important surtout d'honorer la mémoire de Marco. Intégrer la police militaire avait été leur rêve commun, maintenant que son compagnon n'était plus ces plans devenaient quelque peu changés mais restaient à l'image de leur relation.
Jean considérait qu'il ne trahissait pas Marco avec ce choix. Néanmoins il savait aussi qu'il pourrait regretter et s'en mordre les doigts tellement il avait critiqué Eren quand ce dernier disait vouloir intégrer les bataillons d'exploration...
Dans sa précipitation Jean fit tomber une sorte de dossier cartonné d'une de ses boites d'objets variés. Si cela avait été une simple babiole sans importance, le jeune homme l'aurait laissé à terre et vite terminé son rangement qui commençait en plus à l'agacer.
Mais il n'en était pas question car ce n'était pas n'importe quoi qui était tombé. Vu la manière avec laquelle Jean avait arrêté tout son ouvrage et s'était lentement baissé vers ce fameux objet, sans le reprendre mais le regarder avec une certaine affection empreinte de nostalgie.
Son carnet de dessin. Son vieux carnet de dessin qu'il avait déjà entamé quand il habitait encore chez ses parents. Un cadeau de ces derniers qui avait fait mouche comme Jean n'avait cessé de griffonner pages sur pages, avec hargne et application.
Et c'était bien la première fois qu'il prenait autant de goût et de volonté dans une activité, le dessin était devenu pour lui une véritable passion. Observant tout ce qui l'entourait pour le représenter ensuite aidé de son crayon. Soignant chaque détails, y prenant vite du goût et du plaisir à user de traits abstraits puis de plus en plus précis pour représenter ce que ce dessinateur en herbe décidait ou ce qui lui passait à l'esprit.
Tous les jours il passait du temps à nourrir cette passion créative et à dessiner au moins une heure, ne se lassant pas et n'étant en manque de sujets. Des sujets plus ou moins sérieux. Allant de dessins de meubles constituant la maison, jusqu'aux esquisses censées représenter la fille de ses rêves. Et oui, l'art créatif lui avait aussi permis de combler certaines envies et fantasmes.
Et puis était venu le temps de son entrée à l'armée.
Il s'en était passé des choses depuis, pas toutes dessinées et couchées sur papier malgré qu'il s'était promis qu'il dessinerai chaque événements et détails importants de sa nouvelle vie à l'armée...
Rempli soudainement de sentiments du passé et de curiosité, Jean commençait à feuilleter son précieux carnet. Avec à nouveau la joie de la découverte, comme ouvrir une certaine porte de son passé.
Mais en s'intéressant surtout à ses travaux les plus récents. Des croquis de paysages qu'il avait fait en chemin, des arbres, des maisons,... Son cœur commençait à battre plus vite en arrivant à un certain dessin. Pas une vulgaire esquisse pour satisfaire ses fantasmes ou des dessins plus travaillés des meubles du dortoir. Un portrait qu'il avait fait de mémoire et qu'il avait passé des heures à perfectionner. Le premier dessin qui lui avait demandé tant d'efforts, et son premier coup de foudre également.
Un visage aux traits fins et réguliers, de longs cheveux d'ébène mis en valeur par le fusain et un petit sourire incertain. Sur le papier elle avait presque un air doux et innocent, une vision rêvée par le dessinateur sûrement. Et c'est ainsi que Jean avait représenté Mikasa dans son unique représentation dessiné de celle ci.
Il s'y était appliqué à ce dessin, s'y acharnant même pour la réussir du mieux possible et que cette copie dessinée soit aussi fidèle et agréable à regarder que la vraie.
Suant sang et eau pour arriver à une esquisse presque parfaite, crée en secret pendant ses heures de libre où il s'isolait dans le dortoir comme durant un grand rituel
Croyant sûrement avec une crédulité amoureuse et candide que ça lui serait d'un grand réconfort à défaut d'avoir les faveurs de la jeune fille. À cette époque Jean aurait sans aucun doute donné n'importe quoi pour avoir un peu d'intérêt de la part de Mikasa, qui s'intéressait elle surtout à Eren.
Cette copie dessinée était comme un moyen de combler ce manque affectif et idéalement amoureux. À se satisfaire d'au moins pouvoir observer à loisir ce dessin de la fille qu'il aimait ardemment.
Maintenant il n'en restait qu'un morceau de papier froissé et abimé, les traits légèrement effacés par endroits. Dans le même état que ses sentiments pour Mikasa en fait.
Jean avait gardé de l'admiration pour la jeune asiatique, mais plus comme avant, il s'était réveillé de cette torpeur transie et romantique, chose qu'il jugeait louable.
Sinon le jeune homme n'aurait pas pu aimer cette personne qui comptait encore plus que son premier amour... Cette personne qu'il voulait à nouveau revoir, vu qu'elle avait elle aussi été représentée en dessin.
Avec beaucoup plus d'empressement, Jean passa les autres œuvres sans importance. Il en cherchait une précisément, et là son cœur rata un battement en se retrouvant face à ce fameux dessin.
Dans tout le lot de ses créations diverses et variées, son dessin le plus précieux était selon lui celui qui était à présent devant ses yeux.
Un portrait, sûrement celui qu'il avait dessiné avec le plus de soin et d'émotions sincères. Y mettant toute son application possible, et ayant au préalable passé des jours à cogiter pour trouver des idées et parfaire ce portrait. Tout qui le rendait à l'image de la légende du dernier dessin qui surpassait à lui tout seul tous les autres.
Et le seul vrai portrait que Jean avait fait et offert ensuite comme cadeau. Un cadeau très particulier et qui avait su toucher le destinataire.
L'heureux élu n'était pas n'importe qui non plus, il était tout de même son compagnon d'arme, son ami puis meilleur ami. Qui s'était avéré être bien plus que cela vu les sentiments amoureux qu'ils s'étaient décidés à accepter et ensuite avouer, mais à garder dans le secret. Par mesure de sécurité, pour préserver leur relation qu'ils savaient d'avance mal vue des autres.
Mais ce détail ne les avaient pas empêché de s'aimer. Jusqu'à la mort, et même au delà...
Jean le savait pourtant que revoir ce portrait qu'il avait dessiné de Marco allait faire exploser plein de souvenirs. Presque par habitude maintenant à chaque fois que ce sujet était abordé, le soldait sentait son cœur se serrer et les larmes menacer déjà au coin de ses yeux.
Par contre là le souvenir était moins amère. C'était presque comme si il retrouvait Marco en face de lui. Bien qu'étant seulement devant un être fait de papier, son imagination l'aidait à revoir son ami tel qu'il l'avait dessiné.
Un portrait des plus fidèles qui mettait surtout en avant le visage du modèle, représenté de dos mais qui tournait sa tête de manière à observer son sourire dans toute sa splendeur. À en illuminer le dessin en rajoutant à son coté percutant, même simplement dessiné sur une feuille, d'un trait presque incertain tellement Jean avait eu peur de le rater. En observant bien on pouvait deviner où sa main avait tremblé en dessinant certains endroits délicats à dessiner.
Et puis à cause de l'émotion aussi, dessiner Marco avait été une expérience forte. C'était comme si il l'avait touché, pas comme pendant les moments intimes qu'ils avaient partagé, mais d'une façon plus différente encore. Une façon de l'observer et de toucher chaque détails, de le représenter à la fois comment il le voyait et le ressentait.
Sûrement une des plus belle façon de déclarer ses sentiments, loin des grands discours romantiques que Jean savait moins manier que les paroles pour se mettre en avant ou vanter ses futurs mérites dans l'avenir.
Tant touché par l'effet que lui procurait encore ce dessin, ses doigts se posaient tout seuls sur la feuille. Passant doucement sur chaque traits au crayon qui formaient le visage du jeune homme pour s'arrêter un instant sur la ligne de son sourire.
Jean s'en souvenait encore qu'il y avait passé des heures pour réussir à représenter son sourire comme il fallait. Ce sourire si particulier que Marco lui réservait toujours. Pas juste un sourire poli ou heureux, le sourire qui lui reflétait tout ses sentiments et qui ne l'avait jamais laissé indifférent.
Et ce même sourire qu'il le lui avait donné quand justement ce dessin avait été offert. Jean en était toujours ému en repensant à la réaction si touchante qu'avait eu son compagnon.
Ce dernier qui savait si facilement utiliser les bons mots en toute circonstance, qui pouvait garder son calme et contrôler ses émotions s'était retrouvé dépourvu de tirade de remerciement appropriée au cadeau. Et sans réfléchir avait serré avec émotions son compagnon dans ses bras. Récoltant non pas les protestations de Jean, lui qui d'habitude était encore très peu demandeur de contacts trop rapprochés, et lui avait contre toute attente rendu son étreinte.
Un peu timidement mais sincèrement, et pas pour rien. Contre son épaule, là où Marco avait posé son visage, Jean avait sentit qu'il pleurait.
Comme à cet instant précis, où perdu dans ses chers souvenirs, Jean ne remarqua pas tout de suite les larmes qui coulaient toutes seules sur ses joue. Ce n'était pourtant pas la première fois que ça lui arrivait de pleurer sans s'en rendre compte, mais c'était toujours quand il pensait un peu trop souvent à Marco. Ses souvenirs appartenant actuellement fatalement au passé et ça faisait toujours mal d'y faire face.
Un peu plus vivement, Jean essuyait vite ses yeux du revers de la main. Il ne voulait pas plus longtemps s'apitoyer, surtout que tout ces souvenirs liés à ce dessin étaient précieux pour lui. Il s'en souvenait encore très précisément...
