Deux semaines, jour pour jour. Deux semaines qu'ils ne s'étaient plus approchés, qu'ils n'avaient pas passé la limite de la distance dite acceptable, qu'ils osaient à peine se regarder alors qu'ils se côtoyaient parfois pendant des heures d'affilée. Deux semaines qu'ils se manquaient l'un à l'autre, qu'ils pensaient l'un à l'autre, qu'ils regrettaient ces moments passés ensemble qu'ils avaient pourtant décidé d'arrêter. Deux semaines qu'ils taisaient cette nostalgie, qu'ils se retenaient, qu'ils ne faisaient rien, malgré ça. Deux semaines de tension sans action. Deux semaines de rêves lubriques sans aucune concrétisation. Deux semaines de manque.
Ils étaient en manque l'un de l'autre. En manque de contact, de proximité, de complicité, d'affection mutuelle. Depuis qu'ils avaient goûté ensemble aux plaisirs de la chair, depuis qu'ils s'étaient égarés sous les draps dans les méandres de leurs désirs, ils en étaient devenus accro et s'étaient retrouvés quasiment tous les soirs pour à nouveau s'étreindre, se regarder, s'embrasser, se toucher, s'enivrer l'un de l'autre. Ils ne savaient pas vraiment ce qui les avait menés jusque-là, mais cela ne les avait pas freinés dans leur initiative et ils en avaient fait une sorte d'habitude. Presque chaque nuit, ils se voyaient, s'installaient dans le même lit et s'abandonnaient l'un à l'autre, isolés du reste de la maisonnée, loin de leurs pensées professionnelles. Ils oubliaient tout le reste et se laissaient aller à leur union voluptueuse, s'offrant ainsi un peu d'amour. Et de plus en plus à chaque fois.
Et puis, un de ces soirs, ils n'avaient fait qu'en discuter, ils n'auraient d'ailleurs peut-être pas dû. Car amener de la réflexion là où agissent les sentiments mène souvent à une impasse et là, c'était leur cas. Ils avaient pris du recul et s'étaient rendu compte que tout cela ne rimait à rien, n'avait aucun sens, n'était pas très respectueux vis-à-vis de leur créateur et de leurs autres collègues. Bref, des pensées rationnelles et des questions d'éthique qui avaient fait qu'ils s'étaient arrêtés là. Cette fois-là, ils s'étaient séparés après leur discussion, chacun s'était retrouvé de son côté, à imaginer qu'il était le seul à pleurer et à peiner à dormir alors que l'autre vivait la même chose.
Et c'était pour ça qu'ils ne se parlaient plus vraiment. Ils n'osaient plus aborder le sujet, ni y réfléchir, ni même se côtoyer seuls trop longtemps. Ils en étaient arrivés à une impasse et aucun n'avait le courage de faire le premier pas pour débloquer cette pénible situation, croyant dur comme fer qu'il ferait fausse route. Ils étaient dans ce genre de contexte stupide où tout peut s'avérer assez simple mais où l'appréhension empêche de faire quoi que ce soit et condamne à la stagnation et au malaise.
Une nouvelle journée touchait à sa fin. A vrai dire, la nuit était tombée depuis longtemps, la plupart des résidents de l'habitat étaient déjà partis dormir ou en tout cas s'occuper chacun de leur côté. Seuls deux étaient encore dans le salon, dont l'un qui y restait assez souvent vu que ses délires psychédéliques ne l'aidaient pas à lever son séant du canapé dans lequel il passait le plus clair de son temps. L'autre, quant à lui, n'avait envie ni de dormir, ni de lire, ni de se mettre devant un jeu vidéo – car oui, il s'agissait du Geek. Il préférait tout de même un peu de compagnie, même si son acolyte n'était pas très bavard, à part pour sortir de temps en temps un mot aléatoire. Enfin, un peu moins cette fois-ci, visiblement. Curieux hasard...
- Gros, ça n'a pas l'air d'aller.
- Hein ? balbutia l'interpellé, sortant de sa torpeur, légèrement surpris que le Hippie lui adresse la parole. Pourquoi tu dis ça ?
- Parce que c'est vrai. Enfin je crois. T'as l'air aussi perdu qu'une licorne sans ailes, gros.
- Mais... Les licornes n'ont pas d'ailes, répliqua l'ado, étonné et amusé par cette comparaison.
- Dans mon monde, elles en ont ! Et elles volent haut, plus haut que les arcs-en-ciel !
- Je vois. Mais pourquoi tu me dis ça ?
L'utopiste resta muet pendant quelques instants, comme s'il cherchait ses mots. A cet instant, le gamer crut qu'il allait encore le quitter au profit son petit monde à la « flower power » et qu'il allait lui répondre complètement à côté de la plaque, avec une phrase du genre « les papillons sont nos amis » ou un mot aléatoire tel que « poney » ou « fromage ». Mais le camé se révéla beaucoup plus lucide que cela, ce qui étonna le jeune garçon, même s'il savait très bien que ce n'était pas rare que ses paroles soient constructives et intéressantes.
- Parce que je le vois. Dans ton regard. T'as l'air perdu, je te dis. Comme si on t'avait privé de ta console pendant deux semaines.
- C'est pas de ça que je suis privé...
Il eut un temps avant de comprendre le sens et la portée de ses propres paroles. Oui, il était perdu à cause de ça. Parce que deux semaines s'étaient écoulées, déjà. Il ne savait pas si c'était un pur hasard ou un signe narquois de la vie, mais cette notion de « deux semaines » lui avait fait un pincement au cœur, lui rappelant ce qu'il vivait. Et l'écologiste avait été très attentif à ses réactions.
- De quoi tu parles, gros ?
- Rien, laisse tomber.
- Et puis quoi encore ?
Le Geek fut très surpris de cette ténacité de la part de son ami, qui semblait réellement se préoccuper pour lui. Une partie de lui en était très touchée et encouragée à lui parler, mais une autre voulait garder cette histoire dans le domaine de l'intime et éviter d'étaler ses états d'âme. Le coup classique. Sauf que, là où beaucoup auraient laissé leur ego l'emporter et se seraient refermés comme des huîtres, il décida de se jeter à l'eau. Il faisait confiance au Hippie, il ne savait pas si c'était un effet des substances qu'il consommait ou si c'était intégrant à sa personnalité – probablement un peu les deux – mais lorsqu'un secret lui était confié, il restait muet comme une tombe et ne se moquait jamais.
- T'as gagné... C'est le Patron. Il me manque.
- Hein ? Mais tu le vois tous les jours, gros ! s'étonna le pacifiste, haussant les sourcils.
- Oui, mais le problème, c'est pas ça. Ça fait deux semaines qu'on ne se parle plus, qu'on ne passe pas de temps ensemble comme on le faisait pendant un moment.
- Pourquoi ça ? Vous vous faites la tête ? Pourtant ça n'a pas l'air orageux entre vous...
- C'est plus compliqué que ça... Je sais pas si je peux te raconter, je veux pas te choquer.
- Tu sais, je vois des nuages fluo et des animaux qui n'existent pas en vrai, gros. Je vois pas ce qui peut me choquer.
- Les choses interdites aux moins de dix-huit ans, peut-être.
Une fois encore, le Hippie resta silencieux pendant quelques secondes, le temps d'emmagasiner l'information et d'être bien sûr de l'avoir comprise. Puis, sa bouche s'ouvrit d'étonnement et, à travers ses verres fumés, il fixa le garçon à la casquette d'un air ahuri, un peu déboussolé, mais pas vraiment choqué.
- Mais gros... Tu veux dire que tu... Vous deux... ?
- Ouais. Et pas qu'une fois...
- Bah c'est cool !
- Hein ?
- Ben oui, si ça vous plaît, c'est bien. Et puis c'est peace and love donc je vois pas le problème, gros !
Ses répliques un peu follettes avaient le mérite de détendre l'atmosphère et de soutirer un rire à son camarade, qui était de plus en plus à l'aise face à l'idée de se confier à lui. Le fait que le Patron et lui aient fait des choses pas très catholiques ne semblait pas l'outrer, il trouvait même ça « cool » donc c'était un bon début ! Et de toute façon, il prônait la tolérance, donc il n'allait certainement pas le critiquer pour ça. Il était même encore plus optimiste que lui à ce sujet, d'ailleurs.
- Justement, on a arrêté parce que ça nous posait un cas de conscience. Vis-à-vis de lui, de moi, de vous, aussi. Et de Mathieu.
- Il a créé des gens bizarres, faut qu'il assume, gros.
- Oui mais là, quand même... Et puis de toute façon, on y a réfléchi et on a décidé que c'était mieux d'arrêter. Et voilà, depuis deux semaines, on ne se regarde plus tellement, on ne se parle plus beaucoup, on ne se voit pas seulement tous les deux, donc forcément, on ne se touche plus ni rien...
- Mais vous êtes cons, gros !
Ces mots si directs et si cinglants de la part de cet homme d'habitude si léger dans ses propos eurent l'effet d'une claque sur son acolyte, qui le regarda d'un air choqué. A ce point ?
- Euh... Pourquoi tant de violence ?
- Je suis pas violent, gros, je suis réaliste ! Vous vous êtes pourris tout seuls.
- Pardon ? Explique-toi, s'il te plaît.
- Je peux pas dire que je sois le mec le plus enchanté du monde à l'idée que vous... Bref, mais je vais pas vous le reprocher, personne ici ne vous chercherait des noises, surtout si ça reste entre vous. Vous faites ce que vous voulez, vous êtes libres.
- Tu crois... ?
- T'en doutais ? Bien sûr que oui ! Et vous, comme des andouilles, vous vous mettez des bâtons dans les roues et vous vous torturez l'esprit avec vos réflexions profondes sur des histoires de sentiments. Ça n'a pas de sens, gros !
Le Geek était scotché par ce discours, déjà parce que c'était rare de la part du drogué, mais surtout parce qu'il ne faisait que lui balancer la stricte vérité, une vérité que lui et le Patron avaient reniée durant ces quinze derniers jours.
- Pourquoi tu crois que je continue à me droguer, gros ? C'est parce que moi ça me fait du bien, je nuis à personne et je me force pas à faire ce que j'ai pas envie de faire. Tu devrais faire pareil, et lui aussi. Moi, je peux pas être clean. Vous, vous pouvez pas vous empêcher de vous voir tous les deux. Parfois, résister à la tentation, c'est pas la solution, gros.
L'ado resta quelques instants silencieux, réfléchissant à ces recommandations. C'était vrai, après tout, parfois, la solution n'était ni plus ni moins que céder à la tentation. Après tout, ils étaient bien quand ils se laissaient aller sans se poser de question. Et ils ne s'étaient pas sentis mieux en ayant arrêté. Bien au contraire. Cela ne suffisait pas de se donner bonne conscience en se disant qu'ils ne briseraient pas les règles d'éthique qui devaient être respectées entre tous. En tout cas, pas pour lui. Car, pour ce qui était de la sombre personnalité, il ne savait pas vraiment ce qu'il ressentait. Il voyait la gêne dans son attitude lorsqu'ils se côtoyaient d'un peu trop près pendant un peu trop longtemps, mais cela ne voulait pas forcément dire qu'il était dans le même état d'esprit. Et encore, lui-même avait eu besoin d'un bon coup de pied aux fesses de la part du Hippie pour se rendre compte à quel point tout cela était stupide.
- Gros... Va le voir.
- Quoi ? Mais...euh... Maintenant ? balbutia le garçon à la casquette, déstabilisé.
- Bah oui, maintenant. Fais pas le con, t'en meurs d'envie ! Et lui sera ravi.
- Mmh... Tu crois ? hésita-t-il, malgré tout toujours perplexe.
- Mais ouais, gros ! Allez, fonce !
Encouragé, le gamer détala aussitôt du salon, devant le regard amusé et attendri de l'homme aux lunettes rondes qui toutefois eut vite fait de retourner dans son monde utopique rempli d'amour, de paix et de couleurs. De son côté, le petit eut vite fait d'arriver devant la porte du Patron, sur laquelle il hésita très longuement à toquer. Surtout qu'il venait de réaliser qu'il ne savait absolument pas ce qu'il allait dire et qu'il craignait sa réaction. Et s'il lui refermait la porte au nez ? Et si un quelconque dialogue ne menait à rien ? Et si ça allait empirer la situation ?
Malgré les arguments tout à fait pertinents du Hippie, il commençait à se demander s'il n'était pas en train de faire une connerie. Ils avaient arrêté de se voir les nuits pour une raison qui n'était peut-être pas valable, c'était peut-être stupide et irréfléchi, ou au contraire trop réfléchi pour une histoire de pulsions, d'attirance et d'affection, c'était peut-être seulement un moyen de se donner bonne conscience car ce n'était tout de même pas anodin. Mais à ce moment-là, pourquoi étaient-ils finalement tombés d'accord pour ne plus continuer ? Autant ils avaient commencé sur un coup de tête, puis continué en se retrouvant ainsi presque tous les soirs, autant ils avaient aussi cessé de partager le même lit sur une décision peut-être trop hâtive. Mais ils l'avaient fait. Ce n'était sûrement pas pour rien, après tout.
Tout cela devenait un véritable casse-tête. Il ne pouvait pas se dégonfler, pas après avoir été autant conseillé et motivé par son camarade au chapeau beige, ce serait insensé et surtout très lâche. Et même s'il était un peu peureux, il n'avait pas besoin de ça en plus. Surtout que l'utopiste lui avait assuré qu'ils ne se prendraient aucune remarque, surtout s'ils restaient discrets, si ça restait entre eux. Mais il recommençait à se poser des questions sur l'intérêt d'aller lui parler. Sans compter que le fait d'aborder le sujet n'était pas le plus gros souci, peut-être que ça leur enlèverait le poids qu'ils semblaient traîner dès qu'ils étaient trop longtemps dans la même pièce. Non, le plus compliqué serait sans doute de lui avouer qu'il lui manquait. Que sa présence, ses câlins, ses baisers, son corps, sa chaleur, tout lui manquait. Il voulait que tout redevienne comme avant. Et il n'était pas sûr que ce soit le cas de son collègue.
Il fut tiré de sa réflexion lorsqu'il sentit qu'on lui tapotait l'épaule. Sursautant, il se retourna vivement et tomba nez-à-nez avec l'homme en noir, qui le fixait – car oui, il pouvait distinguer son regard malgré les lunettes – d'un air à la fois déterminé et embarrassé, un curieux mélange qu'il comprenait, cependant, puisque c'était exactement ce que lui ressentait. Il ouvrit la bouche pour parler, étant donné qu'il devrait bien lui dire ce qu'il faisait là, mais avant qu'il n'ait le temps de dire quoi que ce soit, son homologue s'approcha et le regarda longuement, ce qui eut pour effet de le déstabiliser plus qu'autre chose.
- Gamin, faut qu'on parle...
Ces quelques mots eurent l'effet d'une bombe sur ledit gamin, qui fut soudainement tiraillé entre divers sentiments. La surprise, l'appréhension, la gêne, et quelque part le soulagement. Lui qui ne savait pas comment aborder le sujet, la solution lui était donnée sur un plateau d'argent. Car oui, il était certain qu'ils avaient la même idée en tête, qu'ils voulaient discuter de la même chose. Sinon, pourquoi lui aurait-il dit ça de cette façon, si sérieux et en même temps troublé ?
Une fois que le Patron les eut fait entrer dans sa chambre, tout en ayant pris soin de fermer la porte, geste somme toute assez classique qui pourtant arracha un petit sourire le Geek, qui était ravi de voir que son ami leur permettait d'être à l'abri des regards. Et oui, ça l'arrangeait parce qu'il comptait bien faire augmenter l'intimité entre eux dans les instants à suivre. Et il assumait totalement cette pensée. Bien évidemment, il ne le forcerait pas à quoi que ce soit, mais quelque part, il gardait la conviction comme quoi il n'était pas le seul dans cet état d'esprit. Et leurs étreintes charnelles lui manquaient bien trop pour qu'il ne tente pas le coup. Alors, même s'il se doutait de ce dont il parlerait, il ne put s'empêcher de pousser le vice.
- Qu'on parle de quoi... ?
L'aîné esquissa un discret sourire à ces mots. Tout comme lui, il savait de quoi il s'agissait, car il pensait, tout comme lui, que si ce n'était pas pour cela, que serait-il venu faire juste devant sa chambre, seul, en fin de journée ? De toute façon, il le connaissait suffisamment pour distinguer ce très léger soupçon de provocation joueuse dans sa voix et dans son regard, ces quelques nuits en sa compagnie l'y ayant grandement aidé. Car s'ils s'étaient de cette manière découverts de plus en plus physiquement parlant – même si en théorie ils avaient le même corps – ils étaient aussi devenus plus proches sur un plan plus abstrait, plus psychologique, une complicité particulière les liait désormais. Ils se connaissaient vraiment, en tous sens du terme.
- Je pense que tu le sais déjà, gamin.
Malgré les lunettes opaques, le gamer put voir une lueur éclairer le regard de son homologue. Une lueur qui voulait tout dire, qui montrait tout. La gêne, l'hésitation, mais aussi les regrets et l'intarissable attirance qui les liait. Et là, il comprit que, non, ils n'auraient pas besoin de parler. Tout lui paraissait évident suite à sa discussion avec le Hippie. D'ailleurs, le fait que le Patron ait eu l'intention d'en discuter précisément ce soir était une étrange coïncidence, tellement étrange que ça n'en était peut-être pas une... Quoi qu'il en soit, il n'aurait pas été là si c'était pour lui dire que rien ne changerait. Le garçon à la casquette voyait très bien que son aîné ne savait absolument pas quoi dire, pas plus que lui. Pourtant, il savait ce qu'il voulait, ce qu'eux deux voulaient.
Sans plus de cérémonie, il se jeta dans ses bras et l'embrassa avec fougue, sans aucune retenue. D'abord surpris, son ami ne réagit pas, puis il se ressaisit brutalement et le repoussa gentiment. Il ouvrit la bouche pour tenter ne serait-ce que de bafouiller une excuse quelconque, mais l'autre lui sauta de nouveau aux lèvres, prenant son visage entre ses mains pour le retenir près de lui, comme s'il risquait de s'évaporer dans la seconde. Même si l'obligation ne lui était pas désagréable, il se laissa donc emporter dans le baiser fougueux et passionné que lui offrait le petit, qui ne se recula que lorsqu'il fut à bout de souffle. Ils se regardèrent longuement, sans mot dire, le temps de récupérer un peu d'oxygène. Puis, voyant que la sombre personnalité ne comprenait que moyennement une telle attitude de sa part, le garçon au T-shirt carmin se décida à prendre la parole, laissant sortir les premiers mots qui lui venaient.
- On n'a pas besoin de parler. Ça fait quinze jours qu'on s'évite, que ça nous fait du mal, et c'est stupide. Y a rien de plus à dire.
Sur ces mots, il captura à nouveau ses lèvres avec de plus en plus d'avidité. Ses mots résonnèrent dans l'esprit de l'homme en noir, qui se laissa faire, d'abord sans agir. Puis il eut une soudaine réalisation qu'il eut un peu de mal à assumer tant c'était caricatural. Finalement, oui, c'était un peu idiot, surtout que ce n'était pas simple pour eux de s'ignorer après tout ce temps qu'ils avaient passé ensemble presque chaque nuit. Oui, il n'y avait rien à dire, finalement. Toutefois, quelque chose le bloquait, le dérangeait encore. C'était peut-être un détail comparé à ce qu'ils ressentaient et à ce dont ils avaient envie, mais cela suffit à lui donner la force de stopper son cadet qui, tenace, essaya de rester proche de lui malgré ses mains qui le retenaient à une certaine distance.
- Parce que tu crois que ça m'amusait de t'éviter ? On n'avait pas arrêté pour rien ! T'as pas déjà oublié notre conversation ?
- Non, justement. Mais alors pourquoi tu es venu me parler, dans ce cas-là ? Si y a rien de nouveau, c'était pas la peine.
Cette réplique l'amena dans une impasse, il ne savait effectivement pas quoi dire de plus. Il était venu le voir sur un coup de tête, il voulait lui parler, passer du temps seul avec lui-même si ce n'était que pour ça. Au fond...
- J'avais besoin de te voir, murmura-t-il en baissant les yeux.
Le concerné resta interdit quelques instants, puis il laissa un sourire s'étirer sur son visage, attendri par cette confession. Il posa ses mains sur la taille de son vis-à-vis qui cette fois le laissa se rapprocher et le regarda avec insistance, essayant de trouver les mots pour lui faire comprendre à son tour qu'ils ne se faisaient que du mal en s'empêchant de faire ce qui les tentait inexorablement, en niant leurs désirs et en ne se parlant même plus par appréhension. Dans sa tête, c'était clair et net, mais pour le dire, c'était autre chose.
- On ne peut pas rester comme ça. Moi aussi, j'ai besoin de te voir. J'ai besoin de toi.
Bouleversé, l'homme aux Ray-Ban ne sut que répondre. Autant dire qu'il lui avait posé une colle. Même si, lui aussi, il savait pertinemment que ces quinze jours sans se parler seul à seul, sans se voir en toute intimité, sans câlins, sans baisers, sans caresses, tout cela était dur pour eux. Maintenant, il ne savait pas ce qui était le plus invraisemblable, entre ça et le fait qu'il s'en était fallu de si peu pour lui faire changer d'avis. Car oui, il avait changé d'avis. Ils avaient besoin l'un de l'autre, ils ne pouvaient pas continuer à faire semblant, ils ne pouvaient pas renier et balancer aux oubliettes toutes ces nuits passées ensemble, si proches.
Voyant que son camarade ne disait rien, le gamer le serra contre lui et vint poser timidement sa bouche au coin de ses lèvres. Soudainement emballé, le Patron profita de l'occasion pour happer les siennes et l'embrasser avec langueur et tendresse. Totalement emballé, le Geek ne se posa même plus de question et resserra encore son étreinte, répondant fougueusement à son baiser. Il le sentit sourire, ce qui acheva de le conforter dans l'idée que, non, il n'était décidément pas le seul à regretter ces nuits passionnelles entre eux, et à vouloir recommencer. Alors que, même pas un quart d'heure avant, ils se voilaient encore la face, désormais ils ne voulaient plus se mettre de barrière, l'un comme l'autre. Ils voulaient se laisser aller à leur passion commune, à leurs pulsions tant affectives que charnelles, sans se casser la tête.
Machinalement, un peu par habitude malgré la quinzaine de jours qui s'était déroulée entre deux, l'aîné prit la main du garçon à la casquette et l'entraîna vers son lit, sans rompre leur baiser. Il s'assit au bord pour qu'il s'installe à califourchon sur ses cuisses, profitant de cette posture plus confortable pour l'enlacer et le serrer contre lui. Il le laissa déposer une traînée de petits bisous le long de son cou, penchant la tête du côté opposé pour lui offrir plus d'espace, laissant quelques soupirs s'échapper. Il adorait quand il lui faisait ça, c'était un peu son point faible, une des choses qui le stimulaient le plus. En retour, il glissa ses mains sous le T-shirt Captain America de son amant et longea son dos de bas en haut, soulevant le vêtement jusqu'à le lui retirer, faisant tomber la casquette au passage.
Leurs regards se croisèrent alors à nouveau et ils échangèrent un sourire complice, puis, dans un geste simultané fébrile, ils se sautèrent aux lèvres, s'embrassant avec passion et avidité. Dans le même temps, le petit déboutonna la chemise de son partenaire et la lui ôta, entraînant la veste au passage. Il se colla contre lui comme s'il voulait s'incruster sur son corps et croisa ses bras derrière sa nuque, ainsi que ses jambes autour de sa taille. Leurs gestes étaient empressés, ils se blottissaient fervemment l'un contre l'autre, s'embrassaient fougueusement, comme pour rattraper ces deux semaines sans même s'approcher. Tout cela leur avait tellement manqué, au fond.
