[31décembre , 23h46, Centre ville]

Je posais sans grande délicatesse le plateau argenté que je tenais en main depuis une bonne heure maintenant sous le bar du restaurant avec le reste des ustensiles. Je frottais mon tablier couvert de saletés et de nourriture, puis commençais a nettoyer les tables du fond de la pièce, celles qui n'étaient pas encore bondées de monde. À la place, elles étaient couvertes de verres d'alcool vides, d'assiettes sales et de quelques pourboires qui se comptaient par centimes.

Les derniers clients riaient et chantaient, tous probablement saouls, en vue des dizaines de verres d'alcool qu'ils avaient bu chacun, et des cadavres de bouteilles qui étaient étalées sur la table, ou bien traînant au sol; celles que je n'avais pas encore eu le temps de ramasser. Je soupirais en continuant à nettoyer un peu partout, jetant des coups d'œil à ces clients qui ne semblaient même pas remarquer ma présence. Je les enviais un peu ces gens là, surtout pendant les périodes de fête. Ça doit être agréable de fêter le nouvel an avec des amis, sa famille ou ses collègues. Ou même son chat, un peu de compagnie est tout ce que je voudrais pour faire une petite soirée.
J'avais perdu tout contact avec ma famille depuis un moment, mes collègues sont tout simplement idiots et bornés, et mes amis... Et bien, je doute avoir vraiment besoin de citer ma vie sociale, semblable à celle d'un caillou. Quoi que, je pense qu'une de ces pierres à plus d'amis que je n'en ai eu dans toute ma vie. Autrement dit, mes soirées n'étaient jamais très excitantes, puisqu'elles se passaient la plupart du temps à mon travail.

Il faisait chaud dans la salle, et l'ambiance était monté d'un cran alors que l'horloge électronique, que nous avions accroché dans la pièce principale pour l'occasion, afficha 23h59 et 50 secondes précisément. Et c'est parti, le moment que je redoutais et qui me faisait plus déprimer que de voir les autres s'amuser. Ces dix secondes allaient être comme des heures entières pour moi. Les fêtards commencèrent le décompte pendant que je me concentrait sur mon torchon micro-fibre pour ne pas les entendre, frottant si fort les taches de nourriture que la table aurait pu se briser sous ma main, même avec ma force de nouveau né. Je fermais les yeux pour tenter d'ignorer l'agitation autour de moi, même si ça ne coupait pas le bruit insoutenable que je supportais depuis le début de la soirée.

10! Je déteste cette fête.
9! Après tout, un an c'est rien.
8! C'est juste 365 jours.
7! Qu'est ce qu'on fête précisément?
6! Qu'on soit encore en vie?
5! Non. Je ne comprends pas.
4! Pourtant j'aimais le Nouvel an avant.
3! Eux aussi d'ailleurs.
2! C'est peut-être ça qu'il me manque.
1! Eux.

Les cris de joie et les rires retentirent, résonnants entre les murs, formant un écho chaleureux et bruyant. Les gens se serraient dans leurs bras, se souhaitant une bonne année, listant leurs bonnes résolutions qu'ils ne tiendront pas, bien évidemment.

Je baissais la tête, ayant fini de frotter la dernière table, jetant le torchon dans l'évier de la cuisine, souriant à quelques personnes encore un minimum sobres qui me souhaitaient leurs vœux. Évidemment, je répondais à ces gens avec la gentillesse qu'il attendait d'une serveuse, passant quelques minutes à discuter avec des clients un peu plus sympathiques que les autres, avant de les laisser à nouveau, perdant mon sourire commercial. Alors seule dans le coin de la pièce, près du bar, je murmurais juste ces quelques mots, car moi aussi j'avais le droit à un peu de bonheur, quoique solitaire.

-Bonne année Rune... Bravo pour avoir tenu le coup encore une fois. Je me trouvais stupide de me dire ça à moi même, mais c'était devenu une habitude pour moi.

Quelqu'un me donnait une tape dans le dos, me faisant sursauter. Je me retournais en affichant mon sourire-clientèle habituel, celui que j'avais appris à parfaitement maîtriser, même s'il finissait par me faire atrocement mal à la mâchoire après plusieurs heures. C'était mon patron,
un jeune homme charmant, dragueur et très doué en cuisine, âgé de 25 années, donc trois de plus que moi. Le genre d'homme parfait pour lequel les filles venaient au restaurant, uniquement pour avoir la chance de se faire servir par le patron en personne. Il avait ouvert son restaurant il y a peu de temps mais il y avait toujours du monde, l'établissement était même devenu populaire dans la ville. Ça ne me fait pas spécialement plaisir de travailler dans un endroit si fréquenté mais j'avais désespérément besoin d'argent pour mon loyer, alors j'étais prête à tout. Vincent m'avait donné une chance de m'en sortir dans la vie alors je ne pouvais pas cracher dessus. Il me sourit en lançant son tablier sur son épaule, passant sa main dans ses cheveux en soupirant longuement, lui aussi exténué par ses allés-retours incessants dans la pièce unique du restaurant.

-Bonne année Rune! Me dit-il en me serrant la main, la gardant un peu dans la sienne jusqu'à ce que je fasse un petit mouvement sec pour qu'il la lâche, l'air de rien.

-Vous aussi Vincent. Je lui répondais en hochant la tête, d'une manière plus que formelle. J'avais toujours l'air un peu trop polie que je faisais ça, mais il restait mon patron tout de même. Me donnant une dernière tape réconfortante sur l'épaule, il retournait au bar, où les commandes fusaient de partout, n'ayant pas beaucoup de temps pour parler avec moi. La soirée était agitée et je n'avais envie que d'une chose: rentrer chez moi pour me reposer l'esprit et les tympans qui avaient souffert le martyre durant ces dernières heures.

Les heures passèrent rapidement, rythmées par les nombreux allés-retour des clients. Je ne cessais de courir partout et je sentais les crampes arrivées d'ici. Heureusement, la dernière personne présente dans le bar sorti dans la rue, fermant la porte qui fit sonner la petite cloche accrochée au dessus de l'ouverture. Vincent retournait alors la pancarte du côté FERMÉ et on s'écroulait sur les sièges vintages qui longeaient le bar en bois rouge vernis, avec un long soupire de fatigue. Mes jambes tremblaient et j'avais du mal à poser les pieds par terre pendant un cours insant, manquant de tomber si j'essayais.

-Quelle soirée... Soufflait-il en regardant la fiche de compte qui sortait de la machine électronique du bar. Il avait l'air fier de lui, le bénéfice était toujours important durant les fêtes.

-En effet, c'est rare d'avoir autant de monde en une soirée. Je disais en essuyant mon front dans une serviette en papier propre.

Il se levais, rangeant les quelques verres propres qui traînaient, laissant la salle silencieuse pendant ce court instant, pendant que je m'étirais sur le meuble. Puis il se plaçais devant moi, les coudes appuyés sur le comptoir, son visage devant le mien.

-Merci de ton aide Rune. Il me soufflait doucement en posant délicatement sa main sur mon épaule.

-Ne me remerciez pas, c'est mon boulot vous savez.

Il riait, trouvant sûrement ma réaction encore trop formelle. J'essayais de comprendre la connotation humoristique de ma phrase, en vain. Ce que j'avais dit n'était pas drôle puisque c'était la vérité. Oui, je ne suis pas vraiment douée en humour, et encore moins en relation sociales. Mais bon, je faisait semblant de comprendre quand les gens riaient à mes paroles, prenant aussi un air amusé. Eux ils me faisaient rire tous les jours. Ils étaient toujours là pour me remonter le moral ou m'aider quand je ne me sentais pas bien.
Mais maintenant c'est plus pareil, ils sont partis.

-Et maintenant, je murmure, vous êtes où? J'ai besoin de vous maintenant.

-Tu as dis quelque chose?

Je levais la tête, ouvrant les yeux en grand. J'avais malencontreusement pensé à voix haute, sous l'oreille plus qu'attentive de mon jeune patron. Ou plutôt, il écoutait beaucoup trop ce que je disais.
Il me jetait un regard interrogateur, haussant un sourcil. Je me mis à rire, en me forçant bien sûr, agitant la main de droite à gauche en balayant l'air.

-Mais non, je me remémorais juste cette soirée! Mais merci de vous inquiéter pour moi Vincent. Malgré toute la volonté du monde, on sentait dans ma voix que j'étais exténuée.

-Ne me remercie pas, c'est naturel. Bon, tu as sûrement envie de rentrer non? Il devinait en montrant la porte du doigts, restant penché face à moi.

-Oui, je vais y aller. Enfin la délivrance qui s'offrait à moi sur un plateau d'argent.

Je me levais, attrapant mes affaires et mon sac, enfilant mon maigre manteau. Je me dirigeais vers la sortie mais il m'interpellait une dernière fois.

-Euhm...Hésita-t-il, je sais qu'on ne mélange pas boulot et relation personnelles mais... comme c'est férié demain, tu veux venir boire un verre? Avec moi?

Je soufflais intérieurement. Il est trop gentil avec moi, c'est légèrement frustrant et encombrant. Surtout sa dernière phrase qui me dérangeait encore plus.

-Après... Si tu ne veux pas, c'est pas g-

-Demain. Le coupais-je dans sa lamentation. Je t'attendrais devant la fontaine...

Son visage s'illuminait. Un grand sourire satisfait se forma d'une oreille à l'autre. Je lui souris.

-À demain alors, 15h.

-Parfait, alors à bientôt Rune.

Je poussais la porte en verre et sorti dans le froid de cette soirée du nouvel an. L'air gelé s'engouffrait dans mes vêtements, me faisant lâcher un juron de surprise. Je n'ai qu'une hâte: rentrer pour parler avec lui! Et aussi retrouver mon compagnon de toujours, alias mon canapé. Je marchais rapidement dans la rue encore pleine de monde. Ça transpirait la joie et je n'aime pas vraiment ça. Je ne suis pas trop contact direct... Heureusement que mon appartement n'était pas très loin de mon lieu de travail.

Je tournais à droite dans la rue principale et m'enfonçais dans une petite ruelle sombre. Je marchais encore quelques secondes avant de m'arrêter devant ma vieille porte d'entrée. Je sortais ma clé et déverrouilla la serrure qui s'ouvrit avec un petit bruit de claquement, puis rentrais dans l'unique pièce à vivre de l'appartement, enlevant ma veste et mes chaussures, avant d'aller directement m'asseoir sur mon canapé, faisant rebondir les coussins. C'était un petit studio je l'admet. Une petite cuisine ouverte, un salon/salle-à-manger/chambre/bureau multifonctions et une salle de bain. Le strict nécessaire pour moi, puisque je n'invitais jamais personne ici, et aussi le seul que je pouvais louer avec mes maigres économies. Je jetais ma chemise de travail sur la table basse pour la remplacer par un épais sweat-shirt tout doux à l'intérieur. J'attrapais l'ordinateur portable qui était à côté de moi et le posa sur mes jambes croisées, me mettant en tailleur. L'écran bleu clair s'alluma, éclatant l'intégralité de la pièce plongée dans le noir.
Je souris.
En bas de l'écran, un petit icône de chat est en train de clignoter, affichant un "1" dans son coin. Ma souris glissais dessus et la page de discussion s'ouvre, prenant tour l'espace de la page.
Dans la fenêtre, une seule barre de dialogue.
Un seul nom.
Une seule "connaissance".
Une seule discussion.
Un...Un seul ami?

La petite bulle de message verte s'arrête de clignoter, comme je viens de lire son message.

Message reçu à 0h13:
Little-Cake: Salut Brok' !Bonne année !
[Lu à 2h24]

Cette personne, Little-Cake, je ne la connais pas... physiquement. Une amitié virtuelle en fait.
Pas de photo, pas de prénom. Je sais juste que c'est un garçon du même âge que moi, plus grand de quelques mois seulement. Et puis, les gens ont beau dire ce qu'ils veulent, toutes les personnes d'Internet ne sont pas des psychopathes fous à lier! La preuve, Cake est totalement normal, c'était la seule personne qui me paraissait normal dans ma vie en plus. Je l'avais rencontré par hasard en naviguant sur internet quelques mois auparavant, et il n'avait jamais arrêté de me parler depuis. Et ça ne me dérangeait pas, je m'étais même prise au jeu.

[Message envoyé à 2h25]
Moi: Salut Cake, merci.
Bonne année à toi aussi!
[Lu à 2h25]

Je m'étirais comme un chat.
Cette soirée m'a littéralement lessivé alors parler avec lui me détendait tellement.

[Message reçu à 2h26]
Little-Cake: Alors? Ta soirée?
[Lu à 2h26]

J'hésite entre: J'ai envie de mourir, ou c'était naze.

[Message envoyé à 2h27]
Moi: Je me suis ennuyé à mourir x) J'aurais préféré parler avec toi !
[Lu à 2h27]

[Message reçu à 2h27]
Little-Cake: Haha tu me flattes! Mais le boulot n'attendant pas ~w~
[Lu à 2h27]

[Message envoyé à 2h29]
Moi: Mouais...Tu devineras jamais... Mon patron m'invite à boire un verre cet après-midi...
[Lu à 2h29]

[Message envoyé à 2h34]
Little-Cake: Ah bon...? C'est cool nan? Ton patron à l'air sympa.
[Lu à 2h34]

[Message envoyé à 2h35]
Moi: Moyen...Dis? Tu penses qu'on se verra un jour? Je préférais aller au café avec toi *-*
[Lu à 2h35]

[Message reçu à 2h37]
Little-Cake: Je ne sais pas... Peut-être un jour...Peut-être pas... Bon, c'est pas tout ça mais je dois y aller.
Bye
[Lu à 2h38]

[Message envoyé à 2h39]
Moi: Ouais bisous !

Je quitta l'onglet de conversation en soupirant bruyamment.
Il trouve toujours un moyen d'esquiver cette question.

Peur être qu'il n'a simplement pas envie de me rencontrer?
Peut-être que...
Non, il m'apprécie je le sais!
Il a peut-être simplement honte de lui ou...il préfère que l'on reste un peu à distance. Je me mit en boule sur le canapé, un oreiller serré contre la poitrine, compressé par mes genoux. Je vais rester longtemps toute seule?
J'ai pas tellement envie d'avoir de relations avec les autres... J'en ai une de relation réelle, sans compter Vincent bien évidemment, mais ce n'est que de l'amitié, une grande amitié, ce qui était surprenant pour moi.

Je préférerais les retrouver pour réformer notre ancien groupe. Je tremblai.
Une larme coula le long de ma joue et imbiba le coussin en daim rose, faisant une tâche mouillée dessus.
Je me mit sous la couverture pour étouffer mes pleures.
Même si je sais que personne ne pourra les entendre. Que personne ne serra là pour me réconforter.

J'ai juste envie...
De faire marche arrière...
Et de revenir au bon vieux temps.

[1er janvier, 2h46, Lieu inconnu]

Un jeune homme posai son ordinateur sur la table de chevet. Il soupirai, passant la main dans ses cheveux bruns en bataille. Combien de fois devra-t-il encore éviter cette question piège? Ça devient dur pour lui de cacher la vérité à son amie virtuelle. Il penchai la tête en arrière et tomba sur le lit sur lequel il rebondit un peu. Le regard vissé sur le plafond, il ne fit même pas attention à celui de son ami, qui le fixait depuis deux bonnes minutes.

-Tu vas encore lui parler longtemps? Lui dit-il.

-Je pense, ça te pose un problème? Il répondit sans aucune méchanceté.

Le garçon assit au bureau soupira, secouant la tête de droite à gauche.

-Écoutes, je sais qu'elle te manque. Moi aussi tu sais. Mais c'est pas une raison pour dire que toute les filles sont potentiellement "elle".

-Olalala...Quel pessimiste! T'es pire que moi, tu veux des antidépresseurs?

-C'est toi qui dis ça?! Monsieur déprime H24?!

Le jeune homme couché pouffa. C'est vrai qu'il est souvent énervé, boudeur et déprimé. Mais c'est sa personnalité, et c'est tout. Rien ne le changera.

Son ami, lui, est plus discret et réservé, mais il arrive toujours à lui parler. Il sourit.
Sont ils vraiment heureux comme ça?
Ou se n'est qu'une façade pour cacher leur manque?
La deuxième solution est sûrement la bonne...
Tant qu'ils sont ensemble encore, tout va potentiellement bien.

Il se mit sur le côté, une main sous la tête. Ses yeux se fermèrent et sa respiration se ralenti.
Son ami ne tarda pas non plus à se coucher dans le lit voisin.
Avant qu'il s'endorme, le premier jeune homme l'appela.

-Hey... Le garçon dit avec un léger soupir discret, résonnant dans le silence de la pièce.

-Ouais...? L'autre répondait avec le même ton silencieux, à moitié étouffé par la fatigue.

-Tu sais...Si je lui parle...

-Mmmh?

-C'est parce que je t'ai promis de la retrouver. Alors je ferais tout pour y arriver.

-Moi aussi...Moi aussi ne t'inquiète pas. Mais ne te prend pas trop la tête avec ça... Peut-être qu'elle a pas envie de nous retrouver elle.

-Je sais pas...On verra bien...

Ils se sourirent.
Le brun se tourna sur le dos, respirant longuement avant de tomber une fois pour toute dans les bras de Morphée.
Quant à son ami, il ne pu fermer l'œil de la nuit, trop agité et boulversé par cette histoire.
Il ne sait pas...
Est-ce une perte de temps ou tous leurs efforts ont un réel but?
Trop de questions...
Pas assez de réponses.