Chapitre 1 : Drame en sourdine :
« L'amour est un verre de cristal qui se brise en silence » Serge Gainsbourg
221B Baker Street, à Londres.
Le temps pluvieux qui s'abattait sur Londres n'avait jamais aussi bien représenté l'humeur de Sherlock Holmes. Accoudé à la fenêtre, le plus brillant des détectives regardait les gouttes d'eau s'écraser sur les carreaux d'un air mélancolique. Au fond de lui, le détective se sentait mal : il avait l'impression d'être prisonnier de quelque chose qui le dépassait. Soudain, il entendit la poignée de la porte s'ouvrir et une voix lui dire « Je suis de retour ! »
Le détective ne se retourna même pas pour accueillir le nouvel arrivant qu'il avait déjà reconnu : John Watson, son complice… son conjoint. Enfin, si on pouvait dire les choses ainsi, car depuis quelques temps, le courant ne passait plus entre les deux hommes. Si les débuts ressemblaient à un rêve éveillé pour Sherlock et John, la routine avait tôt fait de venir distiller son poison et ses effets se sont très vite fait ressentir dans leur relation. Sherlock ne voyait même plus ce qui avait bien pu les rapprocher : leur passion commune pour les énigmes, l'adrénaline qui les liait à chaque enquête… Tout ça aujourd'hui ne voulait plus rien dire pour le détective qui se demandait bien ce qui le retenait auprès de John.
En parlant de l'intéressé, le médecin fit son entrée dans le salon, les bras chargés de quelques courses « C'est bon, j'ai acheté tout ce qu'il faut pour la semaine. Ah, et j'ai reçu un appel de Lestrade : on a un nouveau meurtre sur les bras ! »
« Très bien, j'arrive ! » répondit simplement le détective qui se leva de son siège et prit sa veste.
Sur le trajet, le silence régnait dans la voiture. Et c'était ainsi depuis plusieurs mois : alors que d'habitude, les deux hommes discutaient de l'affaire avec entrain, ils ne se parlaient presque plus à présent. Sûrement parce qu'ils ne trouvaient plus rien à se dire…
Le détective fut tiré de ses rêveries lorsque la voiture freina devant le lieu du crime : une belle maison cossue, dont l'entrée était entourée de bandelettes jaunes de la police. Avant de sortir, il se tourna vers Watson et lui adressa un petit sourire « On y va, John ? Le crime n'attend pas ! »
« Mouais ! » marmonna ce dernier qui quitta la voiture, peu enthousiaste.
Cette réponse froide effaça instantanément le sourire de Sherlock qui soupira : ce n'est pas faute d'avoir essayé de réchauffer l'atmosphère… Dépité, il sortit du véhicule et se dirigea vers l'inspecteur Lestrade.
« Bonjour, Lestrade. Qu'est-ce qu'on a ? »
« Et bien, on a un sacré problème ! Venez voir ! »
Le consultant talonna l'inspecteur et entra à l'intérieur. Là, dans la demeure, régnait une ambiance électrique. « On peut savoir à qui appartient cette maison ? »
« Elle appartient à Sir Reginald Murray, membre de la Chambre du Parlement ! »
« Sir Reginald ? Le même qui a fait polémique l'année dernière avec ses blagues douteuses sur la communauté LGBT ? »
« Exact. Et quand vous irez voir son cadavre, vous allez tout de suite comprendre pourquoi on est empêtrés dans une sale affaire ! » Intrigué, Holmes s'avança vers le salon, là où avait été découvert le corps.
À peine eut-il le temps d'entrer qu'il fit un bond en arrière. Sur le tapis gisait le parlementaire Sir Reginald Murray, et le moins qu'on pouvait dire était que le spectacle sortait de l'ordinaire : l'homme avait la chemise à moitié défaite, et le col était ouvert. Son pantalon, sans doute de costume, était baissé jusqu'aux chevilles, tout comme son caleçon, ne laissant qu'aux pans de sa chemise le devoir de cacher son intimité. Le visage du mort était violacé et des marques circulaires décoraient son cou.
« Je comprends mieux pourquoi vous disiez que cette affaire allait être problématique, Lestrade : tout laisse à penser qu'on va avoir droit à une affaire de mœurs ! »
« Le genre de choses dont je me passerais bien ! » grommela le policier
« Et moi donc ! » lança une voix que Sherlock reconnut sans difficulté
« Bonjour, Mycroft ! »
Effectivement, Mycroft Holmes, membre du gouvernement britannique – et également de ses services secrets – venait de faire son entrée, son sempiternel parapluie noir à la main.
« Bonjour, mon cher frère. Greg ! »
« Bonjour, . »
« Je vous en prie, appelez-moi Mycroft. Alors, messieurs, que pouvez-vous me dire ? »
« Au vu des premières constatations, la victime semblerait avoir succombé à une asphyxie auto-érotique qui a mal tourné... » commença Sherlock.
« Décidément, j'en aurais vue de toutes les couleurs au cours de ma carrière ! » soupira l'aîné des Holmes qui s'épongea le front avec un mouchoir.
« Puis-je terminer ? Merci ! Donc, je disais que la victime avait dû mourir lors d'un jeu érotique qui s'est mal passé. Alors dit comme ça, on penserait que ce n'était un accident domestique. Mais regardez bien la table : il y a une bouteille de whisky à moitié vide et deux verres sont posés à côté. Je peux affirmer sans trop de difficultés que Sir Murray attendait de la visite. Mais je peux aussi vous assurer qu'il ne s'agissait pas d'une présence féminine : sur sa chemise, on peut relever deux parfums différents. L'un est Chrome d'Azzaro, tandis que l'autre est… un déodorant Chocolate de la marque AXE pour Hommes. Et étant donné que ce produit est plutôt destiné à de jeunes acheteurs, j'en conclus que le mystérieux visiteur est un jeune homme ! »
« HEIN ? Vous êtes en train d'insinuer que Sir Murray avait un amant ? » glapit Philip Anderson, le médecin légiste et ennemi de Sherlock, qui n'avait rien trouvé de mieux à faire que de se mêler de la conversation.
« Ah vous, hors de ma vue ! Je n'ai pas besoin que votre QI d'huître vienne m'interrompre ! » se fâcha Holmes en lui montrant du doigt la sortie. Ronchonnant, le légiste quitta les lieux.
« Murray voyait un homme ? On en apprend tous les jours ! » murmura Lestrade.
« Et encore, ce n'est même pas sûr qu'il recevait un amant. Je pencherais plutôt pour une relation tarifée, si vous me suivez... »
« Oh Mon Dieu… Si jamais la presse venait à l'apprendre, ça va être le plus gros scandale d'État de ce siècle ! » blêmit Mycroft.
« On va rester discrets. Je vais briefer mes hommes pour ne rien laisser fuiter ! » assura Lestrade. Cette phrase rassura l'homme d'État qui lui adressa un sourire lumineux
« Je vous remercie, Greg. Je savais qu'on pouvait compter sur vous ! »
Tout à coup, John arriva auprès d'eux, une boîte à la main « Regardez ce qu'il y avait dans son placard ! Ces médicaments sont prescrits aux personnes ayant des difficultés cardiaques. Et je crois que sa petite partie de plaisir a été fatale pour son cœur… »
« Le tout mélangé à l'alcool ! Cet homme jouait avec le feu ! » conclut Holmes.
« Maintenant, reste à savoir ce qui a bien pu causer ces marques autour de son cou... »
« Une cravate ferait l'affaire ! » lança Sally Donovan, membre de Scotland Yard, qui tenait dans un sac plastifié une cravate bleu roi au bout de laquelle était brodée une couronne dorée.
« Excellente suggestion, Donovan ! Où l'avez-vous trouvé ? » demanda Mycroft.
« Dans la poubelle. Je crois que l'autre personne a voulu s'en débarrasser pour ne pas qu'on l'inculpe ! »
« Parfait, emmenez-ça au labo. Prenez tout ce que vous jugerez utile à l'enquête et amenez-le au bureau. On décolle dans cinq minutes ! » ordonna Lestrade.
Une fois les premières constatations faites, toute l'équipe repartit au QG de Scotland Yard afin de procéder aux analyses. Alors que Sherlock était dans son labo en train d'analyser les fibres en soie de la cravate afin d'y trouver un quelconque indice, il entendit la porte s'ouvrir « La politesse exige qu'on frappe avant d'entrer ! »
« Tu pourrais faire une exception pour ton frère ? »
Soupirant d'agacement, le détective se retourna vers son frère aîné qui s'avança vers lui
« Que me veux-tu encore,, Mycroft ? Au cas où ça ne se verrait pas, je suis occupé… »
« Je voulais savoir si tu avais parlé de moi à…. Tu sais qui… » demanda Mycroft, un peu gêné.
Levant les yeux au ciel, le détective sociopathe répondit « Non, je n'ai pas eu le temps. Et pourquoi tu ne le ferais pas toi-même ? »
« T'es fou ? Tu crois que c'est aussi facile ? Comment veux-tu que je dise à Greg ce que je ressens pour lui ? »
Le deuxième fils Holmes soupira de dépit : depuis que son frère avait jeté son dévolu sur Greg Lestrade, il le harcelait pour qu'il l'aide à déclarer sa flamme, mais le détective n'avait pas envie de s'y investir mais ça, Mycroft ne voulait pas le savoir.
« Je t'en supplie Sherlock ! Tu sais très bien que je bloque complètement devant lui ! Je ne te demande pas grand-chose, quand même ! »
« Écoute, Mycroft : tu savais très bien te débrouiller sans moi jusque là, alors continue comme ça ! Tu as tes problèmes sentimentaux, j'ai les miens : NE MÉLANGEONS PAS TOUT ! »
Face à la colère de son frère, Mycroft s'avoua vaincu « D'accord, d'accord ! Je te laisse travailler ! Mais si tu vois Lestrade, n'oublie pas ! »
« Oui, oui, je n'oublie pas : maintenant, ouste ! »
Le plus âgé des frères Holmes quitta la pièce, laissant Sherlock tranquille. Retournant à ses analyses, le détective fit une découverte intéressante « Tiens, voilà autre chose ! Il faut que je montre ça à John, il va peut-être en savoir plus que moi ! »
Notant le résultat de ses analyses, il emporta l'indice avec lui et se dirigea à grands pas vers le bureau de Watson. Tout en faisant le trajet, Sherlock réfléchissait à sa relation avec le docteur : comment faire pour redonner un souffle à leur couple ? Une question bien délicate à résoudre… Ah, quoique, il avait peut-être un élément de réponse : il fallait faire un effort. Et quoi de mieux qu'une sortie au restaurant pour un nouveau départ ? Tout content de sa trouvaille, il accéléra le pas jusqu'à ce qu'il arriva devant la porte du bureau de Watson. Mais au moment où il tendit sa main pour saisir la poignée, son ouïe sur développée le mit en garde de ne pas bouger : apparemment, John avait de la visite…
Poussant doucement la porte, Sherlock jeta un coup d'œil discret à l'intérieur. Et là, il sentit son cœur éclater en mille morceaux. John n'était pas seul en effet, il était même en charmante compagnie puisqu'il était en train d'embrasser une femme qui tournait le dos à la porte. Mais pas besoin de voir son visage pour la reconnaître : cette chevelure brune aux reflets de feu n'appartenait qu'à une seule personne. Et cette personne n'était autre que Molly Hooper, la légiste. Et dire qu'elle se disait être son amie.
Cette découverte laissa Sherlock pantois : comment John avait-il osé lui faire un truc pareil ? Sentant ses jambes flageoler, il recula discrètement, laissant le sac plastifié sur une étagère, et fit demi-tour à toute vitesse. Son cerveau n'arrivait plus à ordonner ses émotions : que devait-il éprouver ? De la haine ? De la colère ? De la tristesse ? De l'incompréhension ? Tout cela à la fois ?
Sortant de Scotland Yard à grands pas, il sentait ses yeux s'embuer : mais comment avait-il pu être aussi aveugle ? Il aurait dû se douter pourquoi Watson était devenu aussi distant…
Pris dans ses pensées, il n'avait pas remarqué que le taxi qui l'avait emmené était déjà arrivé devant son domicile. Une fois la course payée, il gravit les escaliers et arriva directement dans son salon. Là, il laissa parler sa rage et balaya d'un revers de main les affaires de Watson qui avaient le malheur de se trouver sur son passage. Ensuite, il plaqua violemment ses mains contre la table basse et serra ses poings si fort que ses jointures blanchirent instantanément.
« Comment cela a pu arriver ? Qu'ai-je fait pour mériter ça ? » fulminait le détective, humilié.
Petit à petit, sa colère disparut pour laisser place au chagrin, comme lui démontraient les larmes qui commençaient à dévaler le long de ses joues. Heureusement que Mrs Hudson était partie depuis quelques jours pour un tour du monde de plusieurs mois avec son club de bridge, il n'aurait pas aimé qu'elle le voit ainsi...
Se prenant le visage entre ses mains, il ne retenait pas ses pleurs alors qu'il revoyait passer le film de tous les moments passés avec John : leurs échanges verbaux pleins de piquants, leurs matinées passées dans le lit, les petits gestes tendres… Tout ça appartenait au passé, à présent.
Soudain, son portable se mit à vibrer. Sur l'écran était affiché une notification indiquant un message de John. Déverrouillant l'appareil, il cliqua sur le SMS « Salut, c'était pour te prévenir que je m'installe temporairement chez Molly car Scotland Yard risque d'avoir besoin de mes services à n'importe quelle heure. Affaire très délicate. À plus ! » Un sourire amer se dessina sur les lèvres de Holmes : si seulement le docteur savait… Il aurait pu avoir la délicatesse de lui dire la vérité.
Seul dans sa demeure, Holmes essayait de stabiliser son esprit, sans grand succès. Les événements de la journée l'avaient considérablement perturbé. Il fallait qu'il en parle à quelqu'un. Et il savait vers qui se tourner dans ces conditions…
Prenant rapidement sa veste, il sortit du 221B Baker Street. Vérifiant que la porte était bien fermée, il laissa son regard s'attarder sur le parterre de narcisses qui était planté au-dessous de la fenêtre du rez-de-chaussée. Il sourit tristement : ces fleurs étaient comme John. Belles, mais aussi égoïstes.
