Tout le crédit pour les personnages et l'univers revient à J. K. Rowling.
Quand l'arrivée du petit matin tirait du sommeil Albus, l'autre lit de la chambre était toujours vide. A cette heure, la brume couvrait encore Mould-on-the-Wold et on n'y voyait pas plus loin que son nez (c'est-à-dire relativement loin dans le cas d'Albus) mais, déjà, Ab était allé sortir les chèvres. Rien ne le rendait plus heureux que de piétiner la boue entre les bruyères à la tête du troupeau. Rien ne faisait plus soupirer Albus que de devoir lui courir après.
A contrecœur, il se tira de sous l'édredon, faisant craquer le plancher sous ses pieds, troqua sa chemise de nuit contre des frusques moldues et descendit précautionneusement l'escalier pour ne réveiller personne. Son père était rentré tard de Londres après une réunion à Obscurus Books et Ariana vivait son éveil à la magie ; elle projetait donc des étincelles dans son sillage la moitié du temps et dormait profondément durant l'autre moitié. Albus ne tenait pas particulièrement à alarmer les Moldus, particulièrement obtus, avec des prouesses pyrotechniques. Il fit coulisser en silence la barre de la porte et chaussa ses bottes dehors.
La porte de l'étable était béante. Partant de là, il suivit les crottes de chèvres fraîches qui le menaient sur un chemin familier ; ce serait donc la butte, aujourd'hui. Rien de particulièrement intéressant pour l'herbologie. Il aurait dû prendre son grimoire d'alchimie élémentaire avec lui. Certains mots étaient encore difficiles à saisir, mais son père lui avait promis de lui ramener le Dictionnaire du sorcier disparate. Si tout du moins il s'en rappelait encore.
Kendra surnommait Percival tête-en-l'air et Ariana tête-dans-les-étoiles dans ses bons jours. Dans les mauvais, elle troquait ces surnoms pour tête-percée et tête-de-mule. Ab était mon cabri quel que soit le jour. Albus était toujours Albus.
Quand il arriva au sommet de la butte, Ab était assis dans la boue, balayant le paysage du regard. Il grattait la tête d'une chèvre machinalement, et ne remarqua son frère que lorsqu'il arriva à sa hauteur.
« Al ! s'exclama-t-il, j'ai revu les phénix ! Tu vois l'arbre mort au milieu du marais ? »
Albus hocha la tête, sans rien distinguer. Aberforth avait une vue d'aigle, lui le contraire. Mais son cadet était trop enthousiaste pour s'en rappeler :
« Je suis sûr qu'ils nichent là ! Le mâle est apparu près du tronc il y a une demi-heure !
- Ab… soupira Albus avant de prendre un ton doctoral, tu sais très bien que les phénix nichent en haut des pics montagneux. C'est plus probable qu'un pitiponk soit en train de finir sa ronde plutôt qu'une seule plume de phénix ait atterri dans ce marais ! »
Peine perdue ! Quand les yeux d'Aberforth pétillaient ainsi, il aurait aussi bien pu être sourd… Albus se résigna à réciter les propriétés des quatre éléments naturels de base dans sa tête, puis celles des métaux purs, puis les lois de Golpalott… Quand Kendra arriva avec Ariana accrochée à une main et un panier dans l'autre, il fut heureux d'écourter sa litanie, et encore plus heureux quand sa mère tira du panier le déjeuner et son grimoire d'alchimie élémentaire.
En le prenant, il se rendit compte que les premières pages manquaient et que la couverture avait noirci. Il regarda Ari, l'air coupable sous ses mèches blondes, puis Kendra qui lui lança un regard sévère, et il renonça à s'énerver. Heureusement qu'il connaissait les propriétés des éléments de base !
L'après-midi fut presque plus longue que le matin, leur mère leur faisant classe sur la butte. Ab se faisait reprendre sèchement quand son attention se détournait vers les marais (souvent). Ari, blottie contre Ab, traçait ses premières lettres avec application ; quand elle se lassait, elle agitait la main et une étincelle faisait déguerpir une chèvre paniquée, ou bien un courant d'air ébouriffait la tignasse d'Albus. Elle éclatait de rire, et Kendra esquissait un mince sourire. Al s'ennuyait entre les calculs répétitifs et le langage qu'il maitrisait déjà. Par les caleçons de Merlin, était-il vraiment utile de conjuguer « Peter récure son chaudron » ou « Isadora attrape le vif d'or » à tous les temps ?
Avant que le soir tombe, ils guidaient (Ab guidait) les chèvres jusqu'à l'étable et pendant que son frère inspectait les bêtes pour trouver les tiques et autres petits bobos que Kendra faisait disparaître d'un coup de baguette, Albus et Ariana lavaient les légumes, les coupaient et les cuisaient, pétrissaient le pain et dressaient la table. Leur mère insistait pour garder un mode de vie le plus moldu possible, arguant que « ce qui avait été bon pour elle serait aussi bon pour eux ! ». Ab se décrottait ensuite ses pieds constamment nus sur le pas de la porte, et ils s'attablaient ensuite sans attendre leur père. Percival Dumbledore ne rentrait jamais tôt, et mangeait généralement quand ses enfants astiquaient la vaisselle. A cette période, Ari tombait de fatigue sitôt la corvée faite et s'endormait au coin du feu. Percival lisait à voix haute quelques extraits du journal : Al comme Ab adoraient suivre les efforts vains des Aurors pour attraper le terrible vampire Sir Herbert Varney, ou les immersions fascinantes de Marlowe Forfang au sein des meutes de loups-garous.
Mais le meilleur moment de la soirée avait lieu lorsqu'ils regagnaient leurs lits, après que Kendra ait couché Ari. Elle sortait alors le grimoire illustré des contes de Beedle le Barde et les laissait se chamailler pour en choisir un. La préférence d'Albus allait au Conte des trois frères, celle d'Aberforth à Grincheuse la chèvre pouilleuse.
Ce soir-là, Albus l'emporta, et la voix grave de Kendra entonna les mots mille fois entendus :
"There were once three brothers who were travelling along a lonely, winding road at twilight…"
