Tel est pris qui croyait prendre


Deux tombes. Deux petits corps ramassés, dans leur petit cercueil, tous deux carbonisés et, face à eux, deux hommes qui regardaient dans la même direction, mais qui ne trouvèrent rien de mieux à faire que de s'entretuer. Pour des morts qui le resteraient.


Titre en anglais (parce que ça sonne tellement mieux T_T) : The hunter gets captured by the game

Pairing : Sebastian x Ruvik

(Quoi d'autre ? xD C'est probablement mon couple favori à présent.)

Voilà ! Ce sera ma troisième et sûrement dernière fic sur le jeu The Evil Within. Toujours pas de porno barbelé, comme j'aime le dire, mais une relation davantage égalitaire et purement basée sur la rivalité et la manipulation, si je devais tenter de la définir. Les destins assez similaires de Laura et de Lily seront un peu la clef de voûte de cette fic-là.

Mon approche sera différente de celle du jeu, pas fondamentalement, mais plutôt dans la continuité temporelle. J'espère qu'elle ne déroutera personne. J'ai vu quelques fanarts de Ruvik et comment il serait en "personne normale", mais je préfère conserver son look habituel, avec ses brûlures etc. Je trouve que ça fait partie du mythe xD Comme toujours, je ne peux pas par contre conserver le cerveau à nu dans le monde réel (ça m'embête, mais je ne saurai pas le justifier en terme de survie sur le plan scientifique xS)


Prologue : Premier contact avec ses yeux

- Oh putain de merde !

Il se redressa brutalement. Ses mains palpèrent dans l'angoisse la plus absolue sa nuque trempée de sueur, à la recherche de quelque chose qui ne s'y trouvait pas. L'homme resta quand même un certain temps assis, dans son lit en désordre, le cerveau sens dessus dessous, cherchant à recoller les morceaux de son rêve délirant. Il était seul, dans sa chambre, dans son appartement, plongé dans le noir. Il tâtonna en direction de la table de chevet et attrapa son réveil, qui était bel et bien là et qui indiquait trois heures du matin. Il souffla. Quel soulagement. Il pouvait au moins être sûr que le cauchemar était terminé. Ses yeux révulsés se clorent doucement, au fur et à mesure qu'il s'apaisait et que son rythme cardiaque redescendait, pour redevenir normal.

Il se passa les mains sur le visage. Elles étaient moites, tremblantes. Il se secoua, un peu contrit. Il n'était pas un gamin, mais un détective approchant la quarantaine. Il en avait vu d'autres. Il n'avait plus l'âge de se mettre dans des états pareils pour un simple rêve. Mais en était-ce vraiment un ? Il essaya de se concentrer, mais tout ce qu'il parvint à se rappeler se résumait à une douleur dans le cou, la chaleur de flammes et un regard qui lui avait vrillé l'âme, l'avait scindé en deux plus aisément qu'une tronçonneuse. Sans même en comprendre la raison, en se figurant les lames ciselées de l'engin, il pressa son mollet une seconde. Il soupira à s'en fendre l'âme et se tourna dans ses draps, pour se rendormir. C'était son seul jour de congé. Il misait dessus pour rattraper ses heures de sommeil perdues durant la semaine. Pourtant, autant son corps pliait sous la fatigue, autant son esprit s'animait plus que jamais. Son cerveau fonctionnait à toute vitesse. Bientôt, il ne put plus se résigner à attendre dans son lit. Il se leva, alluma la lumière, ce qui lui procura une nouvelle vague honteuse de bien-être. Sa turpitude s'accentua quand il jeta involontairement des regards alentour. Comme si quelque créature imaginaire allait surgir.

- Mon pauvre vieux... maugréa-t-il. T'aurais vraiment pu te passer de ça...

Il buta dans des cadavres de bouteille. A tous les coups, ça venait de ça. Il avait encore trop bu et son imagination débridée, alimentée par toutes les horreurs qu'il voyait jour après jour, à l'occasion de son travail, s'était démenée pour créer cet horrible cauchemar. Il voulut de nouveau se le remémorer, mais sa tentative se solda par un nouvel échec. Il se traîna jusque dans sa cuisine, en caleçon. De toute façon, il vivait seul, alors pourquoi ferait-il des efforts de présentation ? Il sortit de son frigo un reste de la veille et le fourra dans le micro-ondes, sale jusqu'à sa fenêtre. Depuis combien de temps n'avait-il pas nettoyé cet endroit ? Trop longtemps. Il s'était laissé aller, depuis qu'elle était partie. ça avait même commencé bien avant. C'était vrai, mais, du moment qu'il sauvait les apparences pour le boulot, il se disait que ça n'était pas un vrai problème. Un jour, ça changera. Un jour, ça ira mieux. Tout seul. Comme par magie... Une douce illusion.

Normalement, il y parvenait aux environs de sept heures, mais cette fois-là, il atteignit le cimetière bien plus tôt. Par chance, ce lieu de recueillement restait toujours ouvert au public. Le vieux gardien n'en fermait jamais les grilles. Il descendit de sa voiture. Il avait quand même pris soin de se vêtir correctement, comme lorsqu'il se rendait à son travail. Même s'il se rendait sur sa tombe tous les week-ends, le moment gardait toujours ce côté solennel et difficile de première fois. De confrontation à sa mort. Il n'avait pas pu apporter de fleurs. A cette heure, le soleil n'était même pas levé et les fleuristes n'avaient pas ouvert leurs boutiques.

Il ferma sa voiture depuis les portiques et traversa les allées piquées de cyprès et de saules pleureurs de la nécropole. Vu le nombre de fois qu'il avait parcouru cet endroit, il connaissait le chemin par coeur. La route jusqu'à elle. Il aurait pu la faire les yeux fermés. Après quelques minutes, il arriva à destination. Sa tombe se trouvait au nord-est du cimetière, ordonnée parmi celles d'autres enfants et adolescents. Tous ceux qui n'auraient jamais dû périr, qui n'avaient aucune raison d'être là. Il remonta son col de trench coat ; il faisait plutôt frais. Le vent charriait des débris d'herbe et de feuilles sèches. Le brun s'apprêtait à s'agenouiller pour ôter quelques feuilles mortes de la sépulture, quand un détail retint son attention.

Laura Victoriano.

Laura... Le nom sonnait comme quelque chose de connu. De familier presque. Il rit tout bas. Evidemment qu'il connaissait ce nom, puisqu'il était inscrit sur la tombe voisine de celle de sa fille décédée. C'était d'ailleurs pour elle qu'il était venu. Il se tourna pour s'accroupir face à la stèle élégante, mais sobre, de marbre blanc tout veiné de noir. Il savait l'inscription par coeur, mais ses yeux la rencontraient toujours et il ne pouvait s'empêcher de la relire, à chaque fois.

Lily Castellanos. Née le 18 Juillet 2006 - Morte le 11 février 2012. A notre fille aimée, partie trop vite. Ton souvenir restera gravé à jamais dans nos coeurs.

La seule différence était que, d'ordinaire, après s'être recueilli un instant, il s'en retournait chez lui. Il ne restait jamais plus longtemps ; il ne s'en sentait pas capable. Il en éprouvait énormément de honte, vis-à-vis d'elle, mais se souvenir de Lily était parfois si douloureux qu'il eût préféré qu'elle n'ait jamais existé. C'était égoïste, mais beaucoup de parents devaient se trouver dans le même cas. Abandonnés face à leur peine. Brisés. Et seuls. Désespérement seuls.

Pourtant, ce jour-là, il rompit avec sa vieille et mauvaise habitude. Au lieu de partir sur-le-champ, il se pencha cette fois sur la tombe de la dénommée Laura. De vieux pétales racornis jaunissaient au pied du mausolée. Des pétales de tournesol apparemment, mais Sebastian ne s'y connaissait pas assez en fleurs pour l'affirmer, surtout au vu de leur état décrépit. Il les dispersa d'un geste de la main. Cette stèle était vraiment des plus curieuses. Elle ne portait pas la moindre inscription à l'adresse de la défunte. Seulement deux dates, dont Sebastian déduisit que la pauvre enfant était morte à à peine dix-sept ans.

Un bruissement quasi-imperceptible lui fit dresser l'oreille. Il peinait à y croire, mais il existait d'autres fêlés, n'ayant rien de mieux à faire de leur triste vie que de traîner dans un cimetière à bientôt six heures du matin. Des pauvres esseulés comme lui probablement. Il se hasarda à glisser un oeil dans l'allée derrière lui. Les pas s'entendaient à peine. Le visiteur ne pesait guère lourd. Cette impression lui fut confirmée, aussitôt que l'inconnu émergea de l'obscurité. Un homme encapuchonné, maigre, marchait droit devant lui, dans sa direction. Le sang de Sebastian se glaça dans ses veines. Une peur primitive, qui ne s'expliquait pas, le traversa. Alors qu'il ne l'avait jamais vu... A moins que... Il détailla l'inconnu, autant que cela lui était possible dans la pénombre.

Cette silhouette émaciée, quasi-évanescente, qui avançait la tête basse, le dos légèrement voûté... Le sentiment de déjà-vu, ressenti face à la sépulture de Laura, ressurgit, plus fort que jamais. Sebastian, peu à peu, commençait à comprendre ce qui se passait. Après tout, il se rendait si souvent ici. Il était plus que probable qu'il ait entrevu cette personne.

Il raisonna, autant qu'il en était capable en tout cas, malgré cette terreur inexplicable qui ne calmait pas et qui tordait ses entrailles. Il se secoua. C'était rien qu'un rêve stupide ! Un putain de rêve ! Qu'avait pu donc lui faire ce pauvre type pour qu'il lui associe une souffrance aussi infernale ? Son cerveau lui avait juste joué un très sale tour en mêlant nombre d'éléments de son quotidien à sa fantaisie morbide d'une nuit. Les gens qui cheminaient jusqu'ici, jusqu'à ce cimetière retiré, étaient rarement en quête de compagnie. Lui et l'inconnu avaient dû se croiser de multiples fois, sans vraiment se voir. Sebastian n'y avait pas prêté attention, mais son cerveau, lui, avait dû enregistrer l'information. Cela expliquait la présence de cet homme dont il ne savait strictement rien dans son rêve. Le mystère résolu, il songea à remonter dans sa voiture pour enfin rentrer chez lui. Mais quelque chose l'intriguait chez le jeune homme, voire l'alertait. Il rebroussa brusquement chemin. Il voulait voir où l'homme s'était arrêté, ce qu'il faisait. Il le retrouva face à la tombe de la fameuse Laura, ce qui corrobora son analyse.

De toute évidence, le visiteur ne voulait pas être abordé. Tout l'indiquait expressément, de sa posture repliée sur lui-même à son regard fixe qui ne quittait pas la tombe à ses pieds. Ses yeux ne s'en détachèrent pas, y compris lorsque Sebastian s'immobilisa à deux pas de lui, face à la tombe de Lily. Le brun s'éclaircit la gorge. Pas de réaction de la part de l'étrange visiteur, qui demeura prostré. Pas ne serait-ce qu'un regard de travers, réprobateur ou non. Sebastian en ressentit un certain malaise. Ils se tenaient à seulement une dizaine de centimètres d'écart, mais il n'avait jamais pris autant conscience de sa solitude. Il prit son courage à deux mains. ça procédait désormais aussi d'une question d'ego. Il n'allait pas se laisser intimider par quelqu'un, aussi singulier ce quelqu'un fût-il.

- Bonjour.

L'approche la plus pathétique du monde. Assurément. Mais même son caractère banal ne méritait pas pour accueil le regard qu'il lui lança. En une seconde, Sebasian se sut jugé, examiné sous toutes les coutures, comme jeté sous l'oeil d'un microscope et passé au crible. Le brun se sentit aussi instantanément de trop, à la seconde où il entrevit ses yeux. Il n'y avait pas de mot pour exprimer ça. Aussi fut-il extrêmement surpris que l'inconnu lui retourne finalement la politesse.

- Bonjour, répondit-il, d'une voix plus grave que son visage ne le laissait présumer.

Elle sonnait monotone, lasse, mais élégante. Cet homme avait reçu une certaine éducation, sévère ; ça se sentait tout de suite. Mais ce n'était pas ce qui plantait Sebastian là. C'étaient les yeux. Ses yeux. Ceux qui l'avaient poursuivi toute la nuit. C'était forcément eux ; ça devait être eux. Les coïncidences s'enchaînaient. Les éléments s'emboîtaient et Sebastian en venait à se demander comment il avait pu rencontrer ce regard et l'oublier, laisser glisser l'information dans son inconscient. Il s'enhardit à demeurer auprès de l'inconnu, qui lui avait résolument tourné le dos pour se concentrer de nouveau sur le tombeau.

Je ne veux pas de vous ici.

Heureusement, il en fallait plus pour désarçonner Sebastian. Celui-ci se pencha à peine. Il avait cru voir, dans l'ombre du capuchon rabattu, ce qui ressemblait à une cicatrice, mais il faisait encore sombre et il n'était sûr de rien. Il cherchait toujours à se rappeler son rêve, dont seules des bribes lui revenaient peu à peu, comme si cet inconnu détenait la clef de tout le mystère, sauf s'il l'était lui-même.

Il avait beau se montrer très discret, tout à coup, le plus jeune fit volte-face. Son regard n'eut même pas besoin de traquer celui de Sebastian. Il le trouva d'emblée. Sebastian se surprit lui-même à déglutir d'embarras. Il se rassura en songeant qu'il avait juste été pris sur le fait, alors qu'il se montrait un tantinet trop curieux.

Mais ces yeux. Tout résidait en ces yeux pâles, qui transmettaient une foule d'émotions, qui se révélaient bien plus éloquents et communicatifs que n'importe quelle bouche. Ils étaient à la fois si calmes, presque figés, et si violents qu'ils paraissaient avoir encaissé et balayé toute l'horreur de l'humanité. Sebastian connaissait trop bien ce regard de défiance. D'habitude, il se rencontrait surtout chez les enfants et les jeunes adultes, mais plus à cet âge. Il s'efforça de ne pas perdre pied. Ô combien c'était difficile... Il se râcla nerveusement la gorge et réussit par miracle à articuler :

- Vous venez toujours si tôt ?

Probablement que non, sinon tu ne l'aurais jamais vu. Sebastian ne visitait jamais aussi tôt. Mais sa réponse le laissa sans voix :

- Oui.

Toujours. A six heures précises, sans faute. Sebastian perdit ses certitudes. Ses explications ne faisaient plus le moindre sens. Il essaya de rattraper son raisonnement qui volait en éclats. Il devait être venu plus tôt, l'avoir croisé au moins une fois. Il ne s'en souvenait plus, voilà tout. Mais comment ? Comment passer à côté de quelqu'un de semblable ? Sebastian était tiraillé entre l'envie de satisfaire sa curiosité, pour ainsi dire maladive, et celle de quitter, le plus vite possible, cet asocial qui le mettait tout particulièrement mal à l'aise. Finalement, il s'attarda. Après tout, il n'était pas devenu détective pour rien. Il aimait dénicher une bizarrerie, essayer de la décoder, de révéler ce qu'elle cachait. Même si, au final, il le regretterait sans doute...

Les minutes s'écoulèrent, dans le silence le plus parfait et le plus troublant. Sebastian en souffrait ; il était gêné. Ses doigts enfoncés dans les poches de son manteau se tortillaient nerveusement. Mais pas l'homme. Le taciturne visiteur semblait à son aise dans ce calme mortel. Subitement, il se baissa et déposa sur la dalle de pierre un bouquet de tournesols. Sebastian s'était montré si captivé par lui qu'il n'en avait pas remarqué les fleurs. Ainsi, c'était bien des tournesols.

Il en revint à l'objet de sa fascination et, surtout, de ses multiples interrogations, qui naissaient les unes après les autres. Maintenant que le soleil se levait, les ombres se dissipaient et le visage de l'inconnu lui apparaissait plus nettement. Il possédait des traits fins, racés pourrait-on dire. Chose sure, il ne vivait pas dehors, comme le prouvaient d'ailleurs ses habits bien coupés. La seule ombre au tableau était cette large brûlure qui paraissait envahir tout le côté droit de son visage. Impossible pour l'inspecteur de ne pas s'interroger un bon millier de fois à la vue d'une telle balafre. Son esprit se perdait en quête d'explications. Il était piqué de curiosité. Plus que jamais. L'individu semblait unique sur tous les plans, dans sa façon de se comporter, d'observer, de parler, et même dans son apparence.

Le regard de Sebastian erra partout autour, tandis qu'il se creusait la tête à la recherche d'un sujet de conversation, pas trop personnel, mais qui lui permettrait d'en apprendre davantage sur le mystérieux individu. Il songea une seconde à s'enquérir de qui était Laura, mais il jugea une telle question malvenue, tout à fait inopportune. Après une demi-heure, réglé comme une horloge, l'inconnu se détourna du sépulcre et commença à s'éloigner, sans un mot, sans un regard, comme si Sebastian n'existait pas. Le brun n'avait plus vu le temps filer, passé un certain seuil. On s'accoutumait au silence.

Il suivit des yeux la silhouette fantomatique, jusqu'à ce qu'elle s'évanouisse, tel un spectre, au détour d'une allée. Il aurait pu lui courir après, mais il n'était pas fou et ne voulait pas être considéré comme tel. Aussi se contenta-t-il de l'observer, tout en le laissant partir. Mais il reviendrait. Il reviendrait pour savoir pourquoi le plus infime des échanges ressemblait à une joute, à un duel à mort, pour comprendre ce que cet être avait de si remarquable qui suscitait son intérêt. Tout simplement pour déterminer pourquoi lui, parmi les dizaines, les centaines de figures confuses qu'il croisait chaque jour et sur lesquelles il ne se retournait pas. Il se souvint des fleurs fanées, des pétales flétris. Dans une semaine, à six heures précises. Il serait là.


La petite entrée en matière, comme toujours x)

Merci aux lecteurs !

Beast Out