Note de l'auteur : Réécriture d'une histoire originale sur Fiction Press de RE-150-MN. Merci pour tes histoires fascinantes et perturbantes... Merci de m'inspirer (et je ne parle pas seulement des fanfictions... loin de là).
Cela dure depuis trois ans maintenant. C'est ridicule quand j'y pense. Ça fait trois ans que la guerre est terminée. La bataille finale aurait dû me libérer, pas me détruire davantage. Ma vie aurait dû bien aller après Poudlard. Plus de mage noir qui complote ma mort chaque année, plus cette pression de devoir sauver le monde entier, ne plus être obligé de voir sa face de fouine à chaque tournant de couloir. Il faut croire que ma malchance est éternelle. Mais tant pis, je l'entraînerai avec moi jusqu'en enfer, s'il le faut. C'est toujours de sa faute, quand ça va mal. Foutu Malefoy à la con.
Trois ans que nous nous rencontrons strictement dans le but de nous détester, de nous détruire. D'entretenir la haine qui nous anime. C'est une flamme sordide que nous nourrissons toutes les deux semaines, au point qu'elle a fini par faire partie de notre quotidien, de nous-mêmes. Il nous est impossible de la négliger ou de la laisser s'éteindre. Nous ne pourrions le tolérer. En trois ans, nous n'avons jamais raté l'une de ces précieuses soirées.
Je n'ai aucune idée des mensonges qu'il raconte pour justifier ses absences auprès des siens et, honnêtement, je n'en ai rien à foutre. Il n'y a pas de tendresse entre nous. Aucune compassion, aucun intérêt l'un envers l'autre. Uniquement une haine brûlante et poisseuse. Nous ne partageons pas les détails de notre vie, pas même les banalités que peuvent s'échanger froidement des étrangers. Par précaution, d'abord, parce que nous sommes et serons toujours des ennemis, mais aussi parce qu'il n'y a aucune raison de le faire. Ce serait inutile d'entamer une conversation ; nous ne nous adressons la parole que pour nous insulter, nous ridiculiser. Les choses sont ainsi depuis trois ans et c'est ainsi qu'elles doivent être.
Il s'appelle Drago, mais il n'a pas la prestance ou la majesté de l'animal mythique dont il tire son nom. Pour moi, il sera toujours La Fouine. Si je devais le comparer à un autre animal stupide, je dirais plutôt que ses yeux gris me rappellent ceux des reptiles, des vipères plus précisément : froids, hargneux, calculateurs. Il s'appelle Drago Malefoy, mais j'aime le surnommer Drakie ou Malfouine pour le faire sortir de ses gonds. Qui aurait cru que ça fonctionnerait chaque fois ?
Je ne me souviens plus exactement comment a débuté cet arrangement particulier entre lui et moi. Nos chemins se sont recroisés à Pré-au-Lard, alors que j'aidais à la reconstruction des bâtiments touchés par la bataille ; je lui ai fendu la lèvre et j'étais prêt à lui réduire le visage en bouillie — je l'aurais fait sans la moindre hésitation, mais les Aurors se sont pointés et j'ai dû laisser tomber. Je le regrette encore, parfois. Depuis leur procès — où tout le monde a appris que Narcissa Malefoy m'a « sauvé » la vie et que son précieux fils a refusé de nous dénoncer lorsque nous étions prisonniers dans leur manoir —, les Malefoy sont devenus des saints. Cela va sans dire que les généreux dons de Lucius à Ste-Mangouste et aux associations pour les orphelins de guerre doivent grandement influencer l'opinion publique. Bande de connards. C'est la preuve que tout peut s'acheter dans ce monde. Même une bonne conscience.
Mais moi, je sais la vérité. Les individus méprisables comme Drago Malefoy ne pourront jamais changer, c'est dans leur nature de serpent. Il fait partie de ces gens que l'on déteste au premier regard. Comme ça, sans raison. Instinctivement. Chacune de ses paroles ne m'inspire que le mépris, et la simple vue de son visage parvient à me dégoûter. Lorsque j'ai nettoyé ma main maculée de son sang, je me suis juré que je ne m'arrêterais pas là, que j'allais continuer jusqu'à le briser, le détruire.
Le plus merveilleux de tout cela est que je sais qu'il ressent exactement la même chose à mon sujet.
C'est ainsi qu'ont commencé nos rencontres. Une fois toutes les deux semaines, toujours le mardi soir. C'est la seule chose qui nous permet d'apaiser provisoirement cette haine corrosive qui gronde en nous. Si nous voulions nous entretuer, nous pourrions aisément le faire ; rien ne nous en empêcherait. Faire gicler le sang de l'autre sur les murs ou les draps, s'étrangler, se défoncer le crâne contre l'angle d'un meuble… Ce serait facile, même. Trop facile. De toute manière, le but que nous poursuivons n'est pas le meurtre. Cela réglerait le problème, certes ; je n'aurais plus à supporter ses yeux de vipère et ses sourires cruels, teintés de malveillance et de répulsion. Mais le soulagement ne durerait pas. Notre violence dure depuis trois ans et je ne suis toujours pas rassasié.
Nous nous retrouvons habituellement quelque part dans le Londres moldu vers vingt heures. Nous avons nos endroits de prédilection, mais nous veillons à alterner afin de ne pas éveiller les soupçons. Même s'il n'y a rien que je désire davantage que sa destruction absolue, je n'oserais pas dénoncer aux autres la véritable nature de notre relation, car les sanctions seraient terribles autant pour lui que pour moi ; jamais on ne nous permettrait de nous adonner à quelque chose d'aussi écœurant. Alors nous gardons le silence.
Nous avons pensé aux hôtels. Ce serait simple, ça aussi, mais trop impersonnel. Trop rapide, trop détaché. Ce que nous voulons, c'est nous immiscer chez l'autre, dans l'autre, le ronger de l'intérieur et le salir pour toujours. La maison est là où se trouve le cœur, dit-on. L'endroit parfait où viser.
Nous ne faisons pas l'amour. Nous ne baisons pas non plus. C'est du sexe, oui, mais ça s'arrête là. C'est la seule façon que nous avons trouvée pour humilier l'autre, le détruire et le meurtrir sans l'assassiner. Ce n'est rien d'autre qu'un jeu de pouvoir ; le plaisir que nous en retirons n'est qu'un supplément — mais un agréable supplément tout de même.
Avec les mois qui ont passé, j'ai mémorisé l'entièreté de la chambre de Malefoy. Pas les autres pièces. Ce serait inutile — et de toute manière impossible, puisque je n'y suis jamais entré. Je connais les rideaux sombres, la table de chevet en acajou, le lit bien assez spacieux pour nos luttes et nos hostilités. Chaque fois, les draps sont différents. Je reconnais environ une dizaine de motifs : rayures, carreaux, couleurs unies, arabesques quelconques… une fois tachés de sang et de sperme, ces tissus n'ont plus de valeur à mes yeux. Sans doute a-t-il, lui aussi, gravé dans sa mémoire les moindres détails de ma chambre. L'inverse me vexerait : comment oserait-il ne pas porter davantage attention à cette pièce dans laquelle je l'ai si souvent blessé, raillé, violé ?
Mais Malefoy se débrouille plutôt bien de son côté aussi. Tous les coups sont permis, après tout ; il n'y a pas de règles entre lui et moi, et c'est ce qui fait toute la beauté de notre relation. Si je ne voulais que du sexe, du plaisir facile, je me contenterais d'aller voir des prostituées. Et je le fais parfois. Je n'en ai pas honte. J'apprécie le côté anonyme et discret de leur service. Je n'ai jamais eu de problèmes avec elles ; une fois l'acte accompli, je paie et je reprends le fil de ma vie. C'est un peu la même chose avec Malefoy, d'une certaine manière : une fois satisfaits de nous-mêmes, nous repartons ou jetons l'autre dehors. Nous ne demeurons jamais ensemble toute la nuit. Ça m'amuse de penser que si cela venait à se produire, probablement serions-nous incapables de résister à l'envie de meurtre.
Alors nous profitons de ces quelques heures, jamais plus de deux ou trois, pour blesser l'autre le plus possible. Nous mordons, frappons, entaillons. Déchirons chair et vêtements. J'ignore combien de cicatrices m'a laissées Malefoy. Je n'ose les compter, car je suis certain que le nombre réveillerait en moi cette violence fiévreuse. Je sais qu'il y a toutes ces marques en forme de croissant sur mes hanches et mes cuisses — ses ongles. Il y a cette entaille sur mon torse qui a laissé derrière elle un zigzag d'une pâleur lunaire. Cette dent cassée, cette épaule disloquée à deux reprises. Et puis cette morsure dans mon cou qui a nécessité des points de suture parce que ce connard a manqué de justesse la carotide. Certaines cicatrices demeurent visibles longtemps. D'autres s'estompent comme si elles n'avaient été que des illusions. J'aime les voir comme les preuves de notre promesse, celle de ne jamais cesser tant que l'autre ne sera pas complètement brisé, détruit.
Nous passons bien souvent la majeure partie de nos rencontres à nous battre pour la dominance. Dès que nous entrons dans la chambre, nous sommes prêts à utiliser tout ce que nous pouvons trouver à notre avantage. Nous agrippons les membres de l'autre suffisamment fort pour laisser des hématomes ; nous roulons parmi les draps froissés jusqu'à parfois tomber du lit — et tant mieux si nous cassons au passage un bibelot ou une lampe de chevet — ; nous cherchons à tenir les mains de l'autre pour l'empêcher de riposter ; nous tentons de le garder dans une position dans laquelle il est vulnérable, exposé, fragile.
Malefoy est doué pour cela, il me faut l'admettre. Il est moins fort que moi, mais ses réflexes sont vifs et, même dans la noirceur, il parvient souvent à m'atteindre sous la mâchoire, entre les côtes ou en plein dans le plexus solaire. C'est pour cette raison que j'ai appris à ne pas crier victoire trop vite, même quand il est sous moi et que je serre vicieusement sa gorge. Il nous est impossible de baisser notre garde, ne serait-ce que pour quelques instants ; cela laisserait à l'autre l'occasion de prendre le contrôle et d'avoir tout le plaisir.
Car il n'y a pas de plaisir dans la soumission, bien qu'il nous arrive parfois de jouir durant la pénétration. Nous ne sommes pas tendres. Nous utilisions au départ des préservatifs, mais nous avons fini par laisser tomber, faute d'avoir le temps nécessaire pour les mettre ; quant au lubrifiant, il n'est pas rare qu'il demeure dans la table de chevet sans même que nous pensions à son existence. Jamais nous n'acceptons d'être soumis. Cela signifierait accepter la douleur, l'humiliation, la victoire de l'autre. Accepter les mains qui retiennent les nôtres ; les ongles qui se plantent cruellement dans notre chair ; les ricanements condescendants mêlés aux gémissements et aux soupirs enfiévrés ; le sexe qui s'enfonce en nous sans la moindre pitié, qui nous remplit de dégoût et de semence laiteuse.
Nous sommes égoïstes lorsque nous sommes en position de pouvoir. C'est pour nous-mêmes que nous faisons cela, jamais pour l'autre ; ce dernier n'est qu'un corps que nous utilisons à notre guise et que nous souillons de notre satisfaction. Dès que nous jouissons, la partie est terminée pour l'autre ; son plaisir n'est pas notre responsabilité. Rien ne nous empêche de tout arrêter, d'enfiler nos vêtements et de contempler l'autre qui attend toujours de jouir, les joues rouges de honte et de désir tandis que notre semence coule entre ses cuisses.
Avec Malefoy, je ne saurais dire ce que je préfère ; j'aime le voir tremblant sous moi, lorsque je m'apprête à éjaculer en lui et qu'il ne peut que subir — me subir —, son érection pressée contre son ventre sans toutefois pouvoir parvenir à l'orgasme. À ce moment, je perçois dans sa respiration inégale, sifflante, tout le besoin qui gronde en lui, ce besoin qui demeure hors de sa portée, et je suis meurtri par un terrible dilemme. Je peux le laisser ainsi, humilié et forcé de se caresser une fois seul pour apaiser ce feu qui le ravage, le consume.
Je peux également me servir du désespoir que j'entrevois dans ses yeux gris pour le salir davantage. Lorsque la nuit se fait longue et que je ne suis pas rassasié — je ne le suis jamais tout à fait —, il m'est difficile de ne pas profiter de sa vulnérabilité. Tout en lui tenant la gorge ou la nuque, je l'oblige à se branler ou encore à insérer deux ou trois doigts en lui jusqu'à ce qu'il jouisse de son propre toucher. Chaque fois, je ne manque pas de lui cracher au visage avant de le féliciter, de lui dire qu'il est un bon garçon. La fureur qui se réveille alors dans ses yeux est parfois suffisante pour que j'aie envie de le prendre à nouveau.
Mais il y a aussi les occasions où il jouit pendant que je le pénètre. Ça lui arrive plus fréquemment qu'à moi. Je me souviens que cela m'irritait, au départ : je voulais être le seul à prendre du plaisir, le seul à sortir comblé de notre rencontre nocturne. S'il éjaculait, c'était que mes gestes avaient su l'exciter et le stimuler adéquatement. Ma victoire avait alors un goût amer qui me poursuivait durant le reste de la soirée. À présent, c'est différent. Peut-être ma perspective a-t-elle changé, ou encore est-ce ma compréhension même de Malefoy ? Sa jouissance m'amuse ; je prends conscience qu'il trouve du plaisir dans le fait d'être à ma merci, raillé, sali, alors que son nez est parfois en sang, que des ecchymoses décorent l'intérieur de ses cuisses et que je le pénètre sans même le préparer. Je le force donc à avaler sa semence comme la pute qu'il est et j'ai déjà hâte d'être à notre prochaine rencontre.
Malefoy n'est pas aussi déterminé à m'humilier ; j'ignore si c'est parce qu'il n'en a pas envie ou s'il s'agit d'un manque de créativité. Lorsque je contemple le nombre de cicatrices sur mon corps, je songe qu'il a une nette préférence pour la douleur physique. Cela me frustre, d'une certaine manière. Avec toute l'énergie que je déploie dans sa destruction, sa nonchalance est une insulte. Il me faut une réaction de sa part, quelque chose pour alimenter le brasier de ma haine. Mes jeux de pouvoir ne m'ont jamais permis d'obtenir la rage qui m'est si nécessaire ; trop souvent, je n'ai que son silence hautain comme réponse. Alors je continue. Cela dure depuis trois ans et je ne suis toujours pas rassasié.
