Prologue.
Elle sortait de la forêt en galopant. Elle arrêta sa jument à quelques dizaines de mètres de là : se retournant, elle comprit qu'elle tournait là une page de son histoire. Son enfance. Pour la plupart, c'était la plus belle partie de leur vie : mais pour elle, non. La vie de femme n'était pas facile : on ne contrôlait pas ses faits et gestes. Elles n'étaient que bonnes à attendre les grands seigneurs qui revenaient glorieux de leurs batailles, racontant à leurs enfants des récits de combats fantastiques. Les femmes n'avaient jamais eu leur part là dedans. Elles ne faisaient qu'écouter et rêver que le respect qu'adressaient les jeunes garçons à leurs pères, dans leurs regards, seraient un jour pour elle. Elle n'en voulait pas.
C'était une jeune elfe. Elle n'avait rien à envier pourtant : la longévité, son père était loin d'être pauvre. Et elle était promise à un jeune elfe très sympathique. Finwë qu'il s'appelait. Lui était un soldat elfe très doué, autant à l'arc qu'à l'épée. Et il était fou amoureux d'elle, ayant pût sacrifier corps et âme pour elle. Il était beau, comme tout elfe qui se respectait. Ses longs cheveux noirs comme l'ébène étaient maintenus en arrière grâce à une pince. Son visage fin et ses yeux gris faisaient craquer bon nombre de femme elfe. Mais pas elle.
Elle détestait son père. Non pas qu'il était méchant, loin de là : mais il ne la laissait pas choisir. Comme tous les pères. Il s'appelait Galdor. Jamais elle n'avait perçu un élan de bonté de sa part pour elle ; tout comme elle n'avait jamais perçu un élan de méchanceté. Sa femme était morte peu de temps après avoir accouché de son unique fille : la naissance s'était mal passée et elle n'en n'avait pas survécu. Et il en avait toujours voulu à sa fille pour cela. Comme si c'était de sa faute. Car il l'avait aimé passionnément.
Elle toucha son arc du bout des doigts. Elle l'avait mis en bandoulière, avec son carquois. En l'enleva et le contempla. Elle l'avait volé à son père. L'un des meilleurs. Le seul qu'elle arrivait à tendre. Son bois, fait à partir d'un hêtre, était ornée de feuilles d'or que son père avait enroulées, sous les yeux curieux de sa fille. L'un des rares moments où il avait été gentil avec sa fille. Forgeron, il taillait aussi les arcs du roi et de son armée. Très doué. Elle rangea son arc et jeta un regard à l'épée et au poignard à sa hanche. Aussi volé. En vérité, elle avait tout volé. La légère armure qu'elle portait sur elle, la cape verte sur ses épaules. Et même la jument sur laquelle elle était perchée en ce moment même. Une belle jument de robe noire, la plus rapide du coin, la plus belle aussi. Très fine et pourtant, elle galopait sur de très longues distances. Elle s'appelait Varda, comme leur déesse, et ça allait être la compagne de l'elfe pendant un moment.
Elle était douée à l'arc mais ne savait pas manier l'épée. Contrairement l'équitation. En fait, elle avait appris à monter à cheval qu'après de longues heures de promenade et de nombreuses chutes… Ses fesses s'en souvenaient encore. Maintenant, elle savait monter à cheval sans brides, ni selles, et sa jument lui obéissait à la voix. Elle avait vécu à Fondcombe, d'où elle n'était jamais allée plus loin que ses alentours. Elle avait eu une bonne éducation là-bas : elle savait parler la langue commune et celle des elfes parfaitement. On lui avait raconté l'histoire de chaque peuple de cette terre et celui du Rohan l'avait tant intrigué : pays des seigneurs des chevaux… Elle avait toujours rêvé de s'y rendre.
Elle fit faire demi-tour à Varda et partit s'enfoncer dans les profondeurs d'une nuit sans lune. Après une bonne heure de galopade, elle fit faire halte à sa jument. Elles s'étaient arrêtées près d'un fleuve. Elle regarda son visage reflété dans le lac lorsqu'elle voulut boire une gorgée. Son visage…
Elle n'était pas vilaine. Loin de là. Son long visage fin, ses beaux yeux bleus, et ses longs cheveux blonds tenus en arrière par deux tresses, disposées telle une couronne. Elle avait l'apparence d'une jeune fille d'une vingtaine d'années, même si elle en avait 2994. Firiel. Tel était son nom. Des formes avantageuses. Elle resta là, à se contempler, jusqu'à ce que sa jument avança à ses côté et lui donna un coup de museau. La jeune elfe prit la tête dénudée de l'animal entre ses mains et la gratouilla derrière l'oreille. La jument ferma les yeux de bonheur et Firiel sourit. Elle allait entamer une nouvelle vie. Apprendre à manier son épée et à vivre avec la nature pour un bon moment. Mais d'abord, trouver un pays où résider tranquillement. Ca n'allait pas être dur : elle savait depuis toute petite où elle voulait résider. Depuis qu'on lui avait parlé de ce pays…
« Ca te dit ma belle, souffla-t-elle en elfique à l'oreille de sa jument, que nous vivions en Rohan, seules, dans la nature, toutes les deux ? »
Sa voix était douce et mélodieuse, remplie de sincérité. La jument hennit doucement puis secoua ses oreilles dans tous les sens. Firiel eut un sourire en coin et se releva, faisant face à sa jument. Elle plongea son regard dans le sien. Elle aimait l'expression de l'équidé : remplie de sincérité, de douceur, de fidélité. Elle se logea dans le creux de son épaule gauche et enfouit sa tête dans les crins de la jument qui n'émit aucune réaction.
« Je prendrais ça pour un oui ! »
Tapant du sabot droit au sol, la jument secoua sa tête en l'air, hennissant. L'elfe sourit et comprit que sa vie risquait d'être meilleure désormais. Ce fut sur cette idée qu'elle s'endormit, une heure plus tard, collée contre sa jument.
Elle mit vingt jours à atteindre la Trouée du Rohan. Elle avait longé les Monts Brumeux, discrètement. Elle se doutait bien que son père avait lancé des recherches pour retrouver sa fille. Tant pis. Il ne pouvait pas se douter où elle pouvait se rendre.
Debout, droite comme un i, elle fixait la plaine de Rohan. Elle se sentit chez elle d'un coup. Firiel s'allongea sur l'encolure de sa jument et lui murmura :
« C'est chez nous maintenant… Le Rohan, pays des seigneurs des chevaux… Tu te sentiras chez toi ici… »
La jument secoua la tête en l'air et l'elfe, surprise, tomba à terre, sur le dos. Elle avait l'air d'une débutante. La jument vint la renifler du bout de ses naseaux. L'elfe saisit ses naseaux et les secoua gentiment. L'animal paniqua et galopa sur quelques foulées, puis s'arrêta alors que Firiel se relevait. Et elle se mit à rire. D'un rire franc. Mélodieux. Puis elle se concentra sur la façon dont elle allait rattraper la jument. Evidemment, l'équidé était d'humeur à jouer, ce qui n'allait pas arranger l'elfe. Celle-ci trouva l'idée, d'un coup. Elle s'assit, tournant dos à la jument, et croisa les bras faisant mine de la bouder. Elle entendit les sabots de la jument se rapprocher et cette dernière lui donner des coups de tête, léger. Firiel se retourna d'un coup et attrapa ses crins.
« Coincée ! » fit-elle, sur le ton de l'ironie.
Avec la légèreté de sa race, l'elfe sauta sur le dos de Varda. Puis elle pressa les mollets et la jument se lança au galop dans la plaine du Rohan. Elle était tout sourire mais, pendant une dizaine de jours, elle tenta d'éviter les paysans du Rohan et les patrouilles de rohirrims pour pouvoir trouver la cachette parfaite : entre Edoras et le Gouffre de Helm, une grotte, isolée du reste du monde, non loin d'une fontaine et d'une forêt.
Elle y passa quatre ans de sa vie. Elle pouvait en passer plus, mais la Guerre de l'anneau éclata. Elle et Varda en eurent vent un matin d'un rude hiver. Un rohirrim qui passait, étonné de les voir. C'est tout. Que l'Isengard était devenu un ennemi à craindre, en Rohan. Que Saroumane le Sage était devenu Saroumane le Perfide. Que l'esprit du roi avait été envouté. Et il partit.
Firiel avait appris, en quatre ans, à manier l'épée. Elle s'était perfectionnée en temps qu'archère. Question discrétion, elle avait évolué. Elle comprenait chaque expression, chaque geste de sa jument. Et inversement. Elles étaient plus que complices. Elles étaient devenues des amies.
Ce matin-là, pourtant, Firiel eut envie de se promener plus loin que d'habitude. De s'en aller vers le nord. Vers les contrées moins connues. Vers l'aventure…
Cette histoire ne sera pas ma principale, mais j'espère qu'elle vous plaira !
