Maura entendit de loin comme un son, elle maugréa, elle reconnut parfaitement son téléphone portable. Il était en train de sonner et vibrer bruyamment contre sa table de chevet.

Elle soupira de fatigue, les yeux encore clos, elle se retourna dans son lit pour atteindre l'appareil en tâtonnant maladroitement. Ses bouts de doigts glissèrent sur la froideur du bois. Elle n'avait pas la notion de l'heure ainsi du moment qu'il était actuellement. Elle voulait taire une fois pour toutes cet appareil de communication inutile. Pourquoi ne l'avait-elle pas éteint comme à son habitude ? Pourtant, toujours à moitié endormie, et par réflexe automatique, elle répondit d'une voix rauque à l'intérieur du combiné :

« Oui… Madame Isles à l'appareil. »

« Docteur Isles ? C'est l'inspecteur Davis du district de New York. » La nommée s'évacua promptement de ses songes brouillés à l'erreur et elle se crispa à sa désignation.

« Je ne suis plus docteur. C'est seulement Madame Isles. Que me voulez-vous inspecteur ? Comment avez-vous eu mon numéro de téléphone ? » Signala avec le plus grand dédain la scientifique qui regrettait à présent d'avoir pris l'appel. Elle avait conscience qu'il n'y avait aucun intérêt à ajourner la conversation, qui commençait déjà très mal. Comment se faisait-il qu'un inspecteur de New York eût son numéro de téléphone personnel ? Peu l'avaient, et les exceptions étaient seulement à compter sur les doigts d'une main.

« Excusez-moi de l'erreur, Madame Isles. J'ai eu vos contacts par le commissariat de Boston. Nous voudrions vous parler de Jane Rizzoli. »

À ces paroles, la châtaine se crispa fortement. Elle se leva par la suite de sa position allongée, elle mit ses pieds en dehors de son lit alors que le froid caressait voluptueusement ses jambes et bras. Elle essaya de reprendre ses esprits, de respirer calmement, elle allait faire une syncope si elle ne reprenait pas le contrôle sur elle-même. Elle passa ses doigts sur son front qui s'était ridé avec le temps par de l'inquiétude et du chagrin. Son cœur martela fortement contre sa cage thoracique, elle ne voulait pas s'emporter, mais la colère était si forte qu'elle ne put résister à son appel.

« Qu'est-ce que vous lui voulez encore ? De nouveau l'autopsier et disséquer son histoire ? Parler de ce criminel qui a tué ma meilleure amie de la pire des façons et qui a brulé à l'acide son corps pour ne plus rien laisser d'elle, à part un corps mutilé qui n'est plus à ce jour ? Cela fait déjà six ans qu'elle est morte ! Laissez-nous tranquilles ! On ne mérite pas ce harcèlement quotidien ! Si vous appelez de nouveau, j'appellerai la police bien que vous prétendiez en faire partie, le divisionnaire ou votre chef direct, j'ai des relations ! Je détruirais votre médiocre carrière ainsi que vie ! » Hurla le génie en science en pleine agonie, elle voulait jeter son téléphone sur le sol afin d'arrêter son calvaire, elle allait raccrocher brutalement, mais quand elle entendit la suite, elle fut tout simplement pétrifiée.

« Non, ne faites pas ça. Elle est vivante Madame Isles. Jane Rizzoli est bien vivante. C'est pour cela que nous vous contactons. » Ces mots furent une douche froide pour Isles. Elle n'en crut pas en leur véracité, elle dut s'appuyer contre le mur pour qu'elle ne s'effondre pas sur ses genoux.

La protagoniste déglutit péniblement cet excès de salive qui ne cessait de revenir malgré elle. Elle ne voulait pas faire une crise de nerfs, pourtant, elle était aussi fragilisée qu'au début lorsqu'on évoquait le nom de sa meilleure amie. Ses mains ne cessèrent de convulsionner. Elle respira fortement alors qu'elle crut faire un malaise. Cette émotion n'était pas bonne pour son piteux moral.

« Quoi ? » Croassa sous le choc la légiste, non, c'était un rêve, ce fut impossible. Il y a six ans, Jane avait pourchassé un tueur en série… elle avait disparu du jour au lendemain, pendant un mois, il n'y eut aucun signe d'elle. Et pourtant ; tout l'escadron de la police de Boston avait ratissé toute la ville afin de retrouver l'Italienne, et… et… un corps d'une femme d'une trentaine d'années avait été retrouvé en décomposition dans un lac… la tête, avait été complètement rongé par l'acide… elle avait été entièrement démembré par un malade… il y avait l'A.D.N. de Jane, ses cheveux, de la salive et du sang… tout cela correspondait à la perfection au signalement du cadavre retrouvé. C'était le mode opératoire de Dickens, Jane était en tout point son type de femme… grande, brune, avec du pouvoir. Il avait été accusé du meurtre de Jane Rizzoli, cela avait fait les grands titres pendant de longs mois, on continuait de temps en temps d'évoquer cette tragique affaire criminelle. Une détective de Boston avait été l'ultime victime d'un psychopathe. L'homme a été condamné à mort, il avait un lourd passif et de nombreux cadavres qui se révélaient chaque jour. Et puis ce fut le déferlement, Maura ne préféra pas revenir dans cette période sombre de sa vie. Si c'était une plaisanterie, elle sévirait, elle avait des relations, elle pouvait anéantir sans le moindre remord ce pitoyable policier.

« Nous avons retrouvé le détective Rizzoli… elle était nue et gravement blessée… On l'a retrouvée à central parc, en réalité, ce sont des coureurs l'ont découverte inconsciente sur la pelouse à l'aube. » Le policier continua son rapport détaillé alors que son interlocutrice avait les larmes aux yeux. Elle tomba sur les fesses, ça y est… elle était entièrement submergée par les émotions.

« C'est impossible… ce n'est pas possible... ce n'est pas elle… vous vous méprenez. Vous mentez ! Je ne vous crois pas ! Ce jeu est cruel et stupide ! Je ne vais pas vous écouter plus longuement, c'est une perte de temps, fichez-moi la paix ! Je vous en supplie... vous pouvez m'appeler de nouveau, je ne vous répondrais plus ! » La scientifique avertie d'un ton ferme et résolu, elle n'en pouvait plus, c'était un véritable calvaire d'entendre tout cela, l'espoir était la pire des désillusions.

« Madame Isles, ce n'est pas une blague ou un jeu, je peux vous le promettre ou même vous le prouver si vous m'écoutez attentivement. Nous voulons que vous vérifiiez son identité, elle n'avait aucun papier d'identité sur elle… vu sa condition... elle ne faisait que marmonner. La ressemblance est frappante avec les affiches de disparition de la détective. Cette femme est son exact portrait malgré les sévices subis. Nous avons aussi contacté le commissaire de Boston, on nous a envoyé son A.D.N., l'hôpital a fait des tests et cela correspond à la détective. C'est le commissaire Korsak qui m'a demandé de vous contacter. Il m'a dit que vous étiez la personne la plus apte à savoir si c'est véritablement votre collègue. » Maura ne chercha pas un instant à réfléchir sur la situation actuelle, elle ne voulait pas perdre de temps. La protagoniste se leva du sol avec hâte et se dirigea vers ses placards dont elle ouvrit en grand les portes.

« C'était… c'est ma meilleure amie et non… seulement une simple collègue. Qu'importe. Vous êtes à quel hôpital ? »

« À l'hôpital de Bellevue Madame. »

« New York. Oui, j'ai compris. J'arrive au plus vite. » Isles déclara, elle raccrocha la ligne, elle réalisa qu'elle continuait de trembler férocement, elle serra les poings pour contrôler un minimum les mouvements, mais c'était pire. Elle souffla doucement alors que sa tête devenait folle, tant de pensées lui traversèrent l'esprit comme une vague subversive. Elle ne devait pas se laisser aller, elle se précipita vers une commode. Elle ne fit pas attention à sa garde-robe, un jean et un chemisier lui suffisaient amplement, elle mit des baskets… celle qu'avait laissée la brune avant... tout ceci. Elle n'avait jamais pu s'en débarrasser comme une grande partie de ses affaires. Ce t-shirt qu'elle utilisait pour dormir et avoir ce parfum familier qui disparaissait au fil du temps.

Ensuite, entièrement habillée, la scientifique appela l'aéroport pour acheter de billet d'avion à son nom, il lui faudrait plus de trois heures pour arriver à New York. Elle prit ses clés et son sac à main. Elle n'avait besoin de rien d'autre. Elle n'avait plus de temps à perdre.

« Jane… si ce n'est pas toi… je ne supporterai pas de nouveau cette déception… ce sera de trop pour moi… mais je ne peux m'empêcher de vouloir espérer… même si cela me brise à chaque fois… » Isles hoqueta alors qu'elle s'en alla de son domicile avec le cœur lourd.