C'est fou la tonne d'informations que l'on peut apprendre en faisant semblant d'écouter un T-Pod. Mikey était dans le séjour, balançant de façon rythmique la tête au gré d'une mélodie imaginaire, ses écouteurs inutiles aux oreilles, la tête plongée derrière une bande dessiné. Il trempait parfois ses lèvres dans ta tasse de lait chaud aux épices que venait de lui faire Léonardo. Cette boisson signifiait invariablement la même chose chaque année. Noel approchait et Léo entrait en mode : « Créons un univers de fantaisie autour de Michelangelo » afin de préserver son innocence de la laideur de ce monde.
Dès le 30 novembre de chaque année, frénétiquement Léo espérait prolonger encore une année la jeunesse de Mikey. Donc, à chaque année, dès le 30 novembre, Mikey recevait un lait chaud aux épices le soir et son calendrier de chocolat le lendemain. De plus, tous les 1er décembre, Léo lui demandait sa liste de cadeaux au Père Noel et tous les soirs jusqu'au 24 décembre, le lutin coquin joueur de tours venait faire d'innombrables bêtises. Mikey prit une gorgée de lait. Il avait horreur de ce breuvage depuis plusieurs années maintenant, mais ce n'est pas comme si volontairement il allait briser le cœur de Léo en lui disant. En fait, depuis deux ans, Mikey s'imaginait boire autre chose, et la mixture passait toute seule.
Donc, ce soir-là, mine de rien, ses écouteurs sur les oreilles en guise de couverture, Mikey écoutait ses frères se disputer à voix basse.
-Nah ! Léo ne compte pas sur moi pour t'aider ! Je ne comprends pas ton obstination ! Mikey a 18 ans, Bon Dieu ! Le même putain d'âge que moi !
-Qu'est-ce qu'il y a, Raph ? Tu veux un lait chaud aussi ?
-Tu sais ce que je veux dire ! Tu stresses chaque année à inventer de nouveaux tours pour ce foutu lutin ! A cacher les cadeaux où il ne les trouvera pas et à peaufiner tout un scénario le soir du réveillon ! Tu sais, Mikey ne mourra pas si tu lui dis la vérité ! Il est temps qu'il mûrisse ! Tu ne peux pas le garder sous une cloche, éternellement immature.
Mikey continua à balancer la tête, tournant, l'air nonchalant, les pages de sa bd. Il était parfaitement d'accord avec Raph. Après tout, cela devait faire trois ou quatre années qu'il avait découvert le pot aux roses. Que Léo ait pu le berner déjà aussi longtemps tenait du prodige. L'année suivante, il n'avait osé avouer la vérité à son grand frère. Léo TENAIT à ce qu'il il croit, alors il y croyait.
-Raphael. Je suis le chef de ce clan. Je sais ce qui est bon pour ma famille. Tu ne veux pas m'aider, parfait. Tu ne l'as pas fait depuis les cinq dernières années et de toute façon, c'est ma responsabilité et non la tienne.
Mikey n'écouta pas la réplique acerbe de son frère à l'aîné. Il ne put empêcher ses lèvres de former un rictus de déplaisir. Léo se sentait responsable d'entretenir un paradis artificiel autour de lui. Pourquoi ? Mikey n'était pas du genre à parader et à bomber le torse, en parlant fort et en faisant des démonstrations de virilité comme Raphael. Il n'avait pas le sérieux et la vieille âme philosophique de Donnie. Était-ce pour cela que Léo le traitait encore comme un enfant ? Mais il n'était plus un enfant et s'il souhaitait que quelqu'un s'en rend compte, c'était justement Léo. Mikey sursauta presque en attendant une porte claquer.
Donnie chuchota :
-Léo, Raph n'a pas tort. L'année dernière, tu t'es presque rendu fou avec ce lutin.
-Peu importe, Donnie. Ce n'est pas ma principale préoccupation cette année.
Leo baissa la voix et Mikey tendit l'oreille le plus qu'il pouvait.
-Donnie, notre situation financière ne nous permet pas de faire des folies cette année. Avec la maladie de Maitre Splinter…bref, nous n'avons pas assez d'argent pour acheter toute la liste de Mikey comme je m'efforce de faire à chaque année. Tu vas devoir fabriquer des présents à Raph et Mikey toi-même. J'ai de l'argent pour que tu commandes des pièces ou produits qui pourrait te manquer. Choisis-toi également quelque chose. J'ai calculé 30$ par tortue. Je suis désolé. Je ne peux faire mieux. Nous n'avons qu'un budget de 100$ cette année. J'ai acheté le calendrier de Mikey qui a coûté 5$ et j'ai un budget de 5$ pour son bas de Noel. Quelques bonbons peut-être. Je n'ai malheureusement pas les moyens d'une figurine. Il ne restait que 40 000$ à Maitre Splinter…et les tortues vivent longtemps. Nous allons devoir être frugaux.
Mikey ne connaissait pas la définition de ce mot. C'était le problème quand Léo parlait avec Donnie. Les standards linguistiques augmentaient. Mais il comprenait. Ils devaient économiser.
-Mais toi Léo, s'opposa doucement Donnie, tu t'oublies ? Est-ce à cause de cela que tu m'as demandé de rayer le thé vert de la liste d'épicerie ? J'ai remarqué que tu avais diminué ta consommation de plus de 85%. De même, j'ai vu que tes chandelles et ton encens n'avaient pas été renouvelées. Je t'ai trouvé méditant dans le noir.
-Je n'ai besoin de rien. Je ne veux seulement que mes frères passent un joyeux Noel, malgré la mort de notre père, murmura Léo en baissant la tête. Surtout Mikey. Je ne veux pas qu'il perçoive de différence trop marquante cette année et qu'il soit déçu. Il est trop sensible et il adore cette fête. Son sourire met de la joie dans cette maison. Je ne veux pas qu'il disparaisse. Son insouciance est un bonheur précieux pour nous. S'il est heureux, ainsi que vous, je peux l'être aussi. Pour le thé, simple question de santé. Cela me rendait nerveux, l'encens est cancérigène et les chandelles inutiles puisque j'ai les yeux fermés.
-Léo, ce sont des économies de fond de tiroir. Ton thé, tes chandelles et ton encens ne doivent pas coûter 50$ mensuellement.
-Donnie, je vais bien. Ce n'est que pour un mois. Pas un mot à Mikey surtout.
Mikey cacha les larmes qui montaient dans ses yeux bleus derrière les pages de sa bd. Léonardo avait sacrifié le peu de chose qu'il aimait pour leur bénéfice.
Soudain, il sursauta, son frère aîné venait de baisser sa bd et lui souriait, lui faisant signe d'enlever ses écouteurs.
Mikey le regarda, s'efforçant d'arborer une expression joyeuse.
-Mikey, c'est ton moment préféré de l'année. Tu vas faire ta liste au Père Noel.
Cela prit un délai de quelques secondes pour que les muscles faciaux de Mikey enregistrent l'ordre du cerveau d'avoir l'air extatique. Ce court moment fit froncer les sourcils de Léo.
-Qu'est-ce qui se passe, tu n'es pas content ?
-Juste, euh, tu sais…je ne suis pas certain d'avoir été assez sage cette année.
Léonardo ouvrit grands ses yeux et eut l'air un bref moment presque affolé
-Mais non Mikey, tu es trop dur envers toi-même. Le père Noel n'est pas si sévère. Il me fait confiance, il sait que mon jugement est fiable. Je dis que tu as suffisamment été sage pour avoir au moins un cadeau. Tu sais, il y a un haut taux de natalité en Chine et en Inde. Alors, le père Noel ne peut t'offrir autant de choses, mais je suis persuadé qu'il trouvera quelque chose à t'offrir dans ta longue liste. Qu'as-tu tant à te reprocher ? Des plaisanteries ?
Michelangelo eut un bref sourire. Léonardo n'avait vraiment AUCUNE idée de qui était vraiment son petit frère. Léonardo continua :
-Tu sais le Père Noel dans sa magie peut aussi t'offrir des choses non matérielles. Par exemple, il peut envoyer un lutin faire tes tâches à ta place pendant un mois. Ou t'accorder plus d'heures de télévision.
Mikey cligna des yeux. Léo, croulant sous les angoisses et les responsabilités était-il vraiment en train de proposer de faire ses tâches à sa place ? Car sous aucune circonstance, il ne pourrait convaincre Donnie et Raph de les faire. De même, il était plus que certain que Léo était prêt à sacrifier son heure quotidienne de bonheur télévisuelle à son profit.
Mikey tenta de se calmer. Il avait envie de milles choses en ce moment : secouer son frère, le gifler à la limite pour l'éveiller de son songe ou bien agressivement l'embrasser.
Car c'était ce que Mikey souhaitait le plus à Noel.
Démontrer concrètement à son leader qu'il était un mâle adulte avec des besoins et des désirs d'adulte. Il voulait bien du chocolat à Noel, à condition de le lécher sur le torse de Léo. Il sourit soudain de façon diabolique.
-Bien Léo, laisse-moi y penser. Je vais glisser ma liste sous ta porte d'ici demain.
Léonardo sourit, visiblement soulagé de l'entrain de son jeune frère.
-Parfait, ne te couche pas trop tard. Je vais dire à Raphael qu'il peut revenir pour te tenir compagnie. Je vais me coucher.
-Inutile, je vais dans ma chambre.
Arrivé dans sa chambre, Mikey prit alors une des feuilles de son cahier de dessin. Il n'en restait presque plus et cela aurait pu être une requête raisonnable de présent de Noel, mais Mikey ne voulait pas offrir à Léo une échappatoire avec une demande rationnelle. Il écrivit alors.
-Un Dildo bleu
-Une mise à l'épreuve de mes habiletés d'évasion menotté au lit de Léo
-un cours sur comment extraire du lait chaud de Léonardo
-Un bandana bleu pour me masturber
-Une photo grand format encadré du membre de Léonardo.
Mikey sourit, fier de lui. Léo comprendrait la nature de ce qu'il voulait vraiment. Il alla glisser sa liste sous la porte de la chambre de son frère et attendit. Il savait que Léo ne dormait pas. Il méditait dans le noir, afin de lui payer des sucreries. Désormais, tout serait clair et Léonardo comprendrait que Mikey avait autre chose en tête comme gâteries.
Il retourna à sa chambre le cœur battant et s'allongea sur son lit, attendant la réaction qui n'allait pas manquer de venir. Peut-être que Léo allait accourir dans sa chambre et…
Bang!
Mikey sursauta. Non à cause du bruit, mais à cause de sa provenance. Léo venait d'un coup de pied de défoncer la porte de la chambre voisine, abreuvant Raphael d'injures japonaises. Mikey retenait son souffle. Toute sa jeunesse, il avait fait semblant d'être nul en japonais parce qu'il raffolait de l'attention de Léo qui passait des heures à tenter de l'aider. Jusqu'à ce que Maître Splinter délègue à Raphael la tâche d'aider Mikey, puisque Léo avait trop de responsabilités. Le cours de Raphael n'avait duré que dix minutes, se terminant pas un cahier déchiré. En fait, Mikey était meilleur en japonais que Raph, mais Léo l'ignorait. Mikey souhaitant une toute autre forme d'attention de son frère désormais n'avait plus requis son aide. Donc, les cris dans cette langue étaient compréhensibles pour lui.
Il comprit rapidement.
Léo blâmait Raphael. Soit qu'il avait volontairement soufflé cette liste d'ordures à Mikey ou il l'avait inspiré indirectement, par ses commentaires ou par ce qu'il cachait sous son matelas. Sous les protestations indignées de Raphael, Léonardo le priva des quelques revues et films pornographiques qu'il possédait, proclamant faire un autodafé avec ce qu'il avait saisi à Raphael et ce qu'il confisquerait de Donatello. Ce dernier protesta aussi, traitant Léonardo de grand Inquisiteur, lui reprochant de les priver de tout alors que les consolations pour eux étaient rares. Le reste, Mikey ne l'entendit pas, ses trois frères étant enfermés dans le labo de Donnie.
Mikey pesta : ses frères, spoliés injustement de leurs maigres biens allaient être furieux légitimement à son endroit. Il n'osa sortir immédiatement. Il devait élaborer une stratégie. Faire comprendre qu'il était une tortue mature à Léo en douceur, sans être trop subtil. Léo était un Maître dans l'art d'éviter les perches qu'on lui tendait apparemment. Il devait faire quelque chose que Léo ne pouvait dénier et dont ses frères ne subiraient pas de dommages collatéraux. Il s'endormit, pensant que Léo, en lui parlant de sa liste, lui ouvrirait la porte nécessaire pour sa confession.
Le lendemain, un Léo dont l'expression enthousiaste n'atteignait pas ses yeux noyés de soucis, vint voir Mikey avec son calendrier de l'Avent en s'asseyant sur son lit. Mikey le remercia et machinalement pris le chocolat sous la porte du 1er décembre. Il pensait à comment il pouvait d'un seul mouvement renverser son frère et le maintenir sous lui, pouvant lui dérober le nombre de baisers et de soupirs qu'il voudrait. Léo avait maigri. Ce stress du temps des fêtes, juste trois mois après la mort de Maitre Splinter ne lui valait rien. Il prit son courage à deux mais :
-Tu sais, Léo pour ma liste…
-Mikey, j'ai oublié de te dire. Le lutin coquin a dû dérobé ta liste. Je ne l'ai pas reçue. Le Père Noel dit que cette année, il te fera une surprise à la place. N'est-ce pas génial ?
Mikey demeura saisi devant le regard désemparé de Léo. Son grand frère avait besoin qu'il gobe cette histoire comme il avalait son lait chaud. Les prunelles bleues jetaient des éclats angoissés, exprimant le plus profond désarroi. Merde.
-Ah, oui ? Tu as raison, Léo, c'est génial…je heu…je voulais ajouter un cahier à dessin, mais ce n'est pas grave.
Le sourire de Léo s'élargit :
-Un cahier à dessin ? Donnie peut surement lui envoyer un courriel.
Il se leva, soulagé que son frère ait formé un souhait tangible qu'il pourrait exaucer.
-Nous t'attendons dans le Dojo. Tes frères sont de mauvais poil. Ils ont très envie de s'entraîner aujourd'hui ! Ils ont besoin de se dépenser.
Mikey grincha des dents. Sûr que Donnie et Raphie voulaient lui botter les fesses ! Ils avaient été punis injustement. Il devait trouver une solution. Il ne pouvait avouer de but en blanc la vérité à Léo. Cela risquait de lui causer un choc. Il plissa les yeux, réfléchissant. La situation semblait déplaire tout autant à ses deux frères, surtout Raph. Leur aide pourrait être utile. Il grimaça. Il n'avait pas le temps de le faire avant l'entrainement. Il n'éviterait pas leur vengeance immédiate.
