Titre : Les Portes : « Les Orphelins de Poudlard »
Chapitre 1 : "La Petite princesse"
Disclaimer : L'univers de HP et ses personnages sont la propriété de JK Rowling, je ne touche aucun argent en publiant ce texte.
Continuité : Prequel (ou préquelle) de ma fanfiction Les Portes. Nous sommes en 1942, la guerre fait rage dans le monde moldu mais également dans le monde sorcier. A Poudlard, l'ambiance est lourde et les amitiés ont du mal à se nouer.
Personnages : Esther Devlin, Météra -sans nom-, Henry Potter, Pâris Black.
Avertissement : PG : quelques sujets sérieux seront abordés durant cette histoire.
Rappel : Il s'agit d'un prolongement de ma fanfiction Les Portes qui est déjà hors canon au-delà du tome 4. Vous pouvez donc vous attendre ici à quelques différences majeures donc avec ce que Rowling a développé à partir du tome 5. Ma famille Black, même si elle a quelques traits de ressemblance, est très différente. Oubliez Walburga, Orion, Lucretia ou Cygnus Black. C'est un autre monde.
Note 1 : Ce prolongement des Portes est rattaché à la fic-mère par le bonus 3.
Note 2 : Il y a quelques mois, j'ai réalisé que mon pseudo et mes deux premières fics (Le Secret de ma mère et Les Portes) avaient dix ans en 2012. J'ai donc cherché un moyen de fêter l'événement et j'ai eu l'idée de ce prequel (ou cette préquelle). Je voulais aussi trouver un moyen de vous remercier, vous lecteurs, qui m'avez soutenue, encouragée, reviewée... En espérant que ça vous plaira. Bonne lecture.
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Les Portes :
« Les Orphelins de Poudlard »
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Chapitre 1 : La Petite princesse
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Esther sursauta quand le premier coup de tonnerre retentit. Elle avait surveillé le ciel toute la journée et espéré que le vent tournerait, que les lourds nuages dévieraient. Ses prières n'avaient pas été écoutées et l'orage était maintenant là. Par la fenêtre, elle vit les branches des arbres nues se tordre dans les rafales de vent, éclairs et tonnerres bouleverser le ciel.
Sans perdre un instant, les mains un peu tremblantes, Esther rassembla ses affaires. Elle avait apprécié de pouvoir étudier dans la salle commune, au milieu de tous, sans qu'on ne fasse attention à elle. Suite à une inondation persistante, la bibliothèque avait été fermée et la grande salle annexée par les élèves pour étudier. Des hiboux volaient en rase-motte en tout sens pour apporter manuels, grimoires et livres nécessaires. Chaque fois qu'on relevait la tête, on frôlait la commotion cérébrale. Les plus Serdaigle des Serdaigle hurlaient qu'on sabotait leur avenir et les plus Serpentard des Serpentard avaient profité du débordement de la bibliothécaire pour détourner quelques manuels et monnayer leur utilisation. Les autres se débrouillaient avec l'humeur qui leur convenait. C'était un peu le bazar, mais c'était un bazar convivial, vivant, joyeux.
Esther courut aussi vite qu'elle put, serrant contre elle ses manuels et ses parchemins. Elle se faufilait entre les élèves, jouait un peu des coudes récoltant quelques exclamations énervées sur son passage. Cela ne la ralentit pas. Et alors qu'elle sortait précipitamment par une porte latérale, les premiers élèves qui revenaient de Pré-au-lard entraient dans la Grande Salle. Ils dégoulinaient d'eau, grelottaient de froid et pestaient comme des mégères arthritiques.
« Juste à temps ! » pensa-t-elle.
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Air concentré, grimoires serrés contre sa poitrine, Joan avançait d'un pas décidé. Ses talons frappaient les dalles du château, tandis que sa queue de cheval blonde se balançait furieusement au-dessus de ses épaules. Elle était en colère, une fois encore, pour une raison que Pâris essayait de saisir. Seulement les propos de Joan manquaient quelque peu de cohérence. Elle digressait, s'exclamait, maugréait, voire marmonnait et puis repartait dans des éclats de voix. Pâris avait compris qu'il était question de notes, de travail fait en commun et de résultats qui différaient, d'injustice et de trahison.
Au paroxysme de sa frustration, Joan donna un coup de pied dans une armure qui oscilla. Pâris réagit immédiatement : il tira sa baguette, le sort au bord des lèvres, prêt à empêcher l'antique objet et propriété de l'école de leur tomber dessus. C'était compter sans le cognard tout en jupe et boucles noires qui le percuta de plein fouet. Pâris tomba sur Joan qui tomba lourdement sur le sol. L'armure chut à son tour dans un tintamarre assourdissant.
Ils restèrent tous les trois, emmêlés et étourdis, quelques secondes à terre. Pâris se dégagea le premier et aida son assaillante à se mettre debout, ce qui permit à Joan de se lever.
L'écusson et les couleurs indiquaient que la jeune fille était une Gryffondor la taille, une première année. Elle avait une main appuyée contre le mur pour ne pas tomber et l'autre contre le front. Les yeux plissés, les dents serrées, elle essayait de remettre le monde à l'endroit. Ses jambes ployèrent brusquement. Pâris la rattrapa juste avant qu'elle ne tombe et la fit s'asseoir contre le mur. Il lui demanda si ça allait, elle ne répondit pas. Son regard était vague et elle était très pâle.
– Si ça t'intéresse de le savoir, intervint Joan. Moi, ça va. J'ai un joli bleu en formation sur le genou, ma jupe est déchirée et j'ai mal au poignet. Mais ça va !
– Je crois qu'elle va se sentir mal, s'alarma Pâris.
Joan pesta et poussa sans ménagement Pâris. « Laisse-moi voir ! » Joan posa la main sur le front de la première année, lui regarda les yeux, puis lui tâta le poignet. Pâris attendait, observait, essayait de comprendre, de déchiffrer, mais ne parvenait à rien. Joan attrapa son sac qui était tombé, en fouilla le contenu pour en sortir une barre chocolatée. Pâris voulut lui faire remarquer que ce n'était peut-être pas le moment, mais contre toute attente, Joan en mit un morceau dans la bouche de la jeune fille.
– Crise d'hypoglycémie, déclara-t-elle en lissant sa jupe. Elle observa la déchirure et d'une formule magique répara l'accroc. Pas de quoi fouetter un Kneazle, ajouta-t-elle.
– Faut peut-être l'emmener à l'infirmerie, suggéra Pâris.
Joan haussa les épaules. Son attention était maintenant tournée vers l'armure qu'elle tentait de rassembler. Avant que Pâris n'ait eu le temps de mettre en doute l'humanité et la générosité de sa compagne, Joan fit remarquer que la Gryffondor était déjà en train de se lever. Vraiment pas de quoi fouetter un Kneazle !
La première année avait effectivement retrouvé un peu ses couleurs et tenait plus ou moins sur ses jambes flageolantes. Elle assura cependant que ça allait, qu'elle était juste quitte pour une belle bosse et n'avait pas du tout besoin d'aide. Absolument pas. Elle se confondit en excuses, jura qu'elle ne l'avait pas fait exprès, promit de ne plus courir dans les couloirs. Elle ramassa ses affaires et disparut dans une envolée de tissu noir et rouge.
Dans un silence appuyé, Joan acheva de reconstituer l'armure. Pâris rassembla leurs affaires qui s'étaient éparpillées dans la chute. Joan remercia Pâris du bout des lèvres quand elle prit son sac et ses grimoires, un peu plus farouchement que nécessaire des mains. Pâris sourit, ce qui agaça encore plus Joan. Elle vérifia ses affaires, marmonnant que si jamais elles étaient abîmes, hypoglycémie ou pas, le bulldozer devrait la rembourser. Après un rapide inventaire pendant lequel le Gryffondor se garda bien de faire le moindre commentaire, Joan tendit un rouleau de parchemin à Pâris.
– Ce n'est pas à moi.
– Ce n'est pas à moi non plus.
Joan força néanmoins Pâris à prendre le parchemin.
– C'est probablement à ton char blindé, expliqua-t-elle.
– Pourquoi mon char blindé ? Et qu'est-ce que c'est qu'un char blindé ?
– C'est une Gryffondor.
Pâris soupira et rangea le parchemin dans sa besace tout en se demandant à quelle question la réponse de Joan s'appliquait. Joan dut lire sa confusion car elle souriait quand elle s'empara du bras de Pâris.
– Et tu devrais t'assurer qu'elle mange bien, ajouta-t-elle avant de reprendre sa diatribe exactement là où elle s'était arrêtée, comme si de rien n'était.
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Météra était assise en tailleur sur un large tabouret rembourré. Le siège aurait pu être confortable si un ressort ne perçait pas agressivement le velours, autrefois noir maintenant verdâtre, et obligeait Météra à se tenir sur le bord du siège.
Météra ramena ses jambes en tailleur, plissa les yeux et s'approcha davantage des partitions étalées sur le pupitre du piano. Des ronds noirs et blancs, des cannes et des points. Et des lignes, des tas de lignes ! Une noire sur la deuxième ligne en partant du bas : facile. Un sol. Même pas besoin de compter. Et entre la quatrième et la cinquième ligne ? Zut ! C'était quoi déjà ? Météra brassait ses souvenirs. Elle était capable de citer sans une hésitation et une respiration les vingt-trois primes-sortilèges. Le Futark ne l'effrayait pas, ni les membres du Grand Conseil. Mais la note coincée entre la quatrième et la cinquième ligne… Agacée, vaincue, Météra compta. C'était un mi. Bien sûr. Évidement. Météra reporta le nom de la note sur la partition.
Bientôt, la partition serait entièrement déchiffrée, les notes dûment identifiées et alors Météra pourrait passer à la partie qu'elle préférait : poser les doigts sur les touches blanches et noires. Dans les premiers temps, cela ne ressemblerait à rien. Les notes s'échapperaient maladroitement de la caisse, bousculées ou retenues. Les doigts riperaient, hésiteraient, se perdraient. Aucune harmonie. Et puis, à force de patience, de persévérance, les doigts trouveraient les bonnes touches où ils ne resteraient que le temps nécessaire.
La pièce avait été abandonnée avec tous ses trésors. Comme si les occupants étaient partis pour déjeuner et avaient oublié de revenir. Météra s'était renseignée : il y avait de cela encore un siècle, on enseignait en option une pratique magique de la musique. Et puis il y avait eu un incident et l'on avait fermé l'option et compté sur le château pour que la salle fût oubliée, mise hors d'atteinte de la curiosité des élèves.
Un dimanche après-midi très ensoleillé et très froid, Météra avait trouvé la salle de musique par hasard. Mais ne se trouvait-on pas tout par hasard à Poudlard ? Elle déambulait dans les couloirs déserts du château. Les étudiants étaient dehors à profiter du soleil et de la neige. Les professeurs étaient repliés dans leurs appartements. Météra les imaginait buvant du thé, un familier (1) à portée de caresses et un épais grimoire sous les yeux. Une plume enchantée corrigeait probablement les derniers devoirs. Un hibou, un memorandum dans le bec, attendait sûrement qu'on s'intéresse à lui. Météra n'avait pas d'amis avec qui discuter, jouer, partager un thé. Elle n'avait que les couloirs du château dans lesquels se réfugier et dissimuler sa solitude. Elle avait pris l'habitude de parler à voix haute durant ses pérégrinations. Elle saluait les portraits, se courbait devant les fantômes. Elle jouait à aller de dalle en dalle sans marcher sur les interstices. Aux croisements, elle demandait quel chemin prendre et s'appuyait sur un bruit, un jeu de lumière pour faire son choix. Elle laissait les escaliers l'amener où ils le voulaient, faisait confiance aux tapis qui la portaient. Elle suivait les fées, les chats et les oiseaux. Les habitants du château qui n'étaient pas sorciers la connurent bien vite sous le surnom de « la petite maraudeuse ». Et ça lui allait parfaitement.
C'est un chat aux yeux d'argent qui avait guidé Météra jusqu'à la salle de musique.
Le temps, la poussière et les émanations magiques non contrôlées avaient corrodé les cuivre, ravivé les bois, figé les cordes. Les violons avaient développé des branches. Des fleurs rouges s'épanouissaient entre les cordes et, certains soirs, accueillaient des fées-lampions. Les violoncelles s'étaient enracinés dans les interstices des dalles de pierre. Les cordes des harpes s'étaient cristallisées, les peaux des tambours étaient recouvertes de poils et tendaient à vouloir rejoindre le sol. Les flûtes, les cors, les trompettes et les clarinettes avaient abandonné leur rigidité rectiligne et imitaient leurs cousins, les cuivres, en s'arrondissant, se contorsionnant. Le piano, quant à lui, dernier instrument qui permettait encore qu'on l'utilise pour faire de la musique, était le terreau d'un tapis de verdure sur lequel paressaient des bonzaïs, des pois de senteur et du buis.
La musique avait naturellement un pouvoir sur les esprits. Le dicton moldu ne disait-il pas que la musique adoucissait les mœurs ? Les sorciers avaient poussé plus loin l'idée, chargé de magie les partitions, les instruments de façon à pouvoir influer sur les esprits, les humeurs, les envies. A l'orphelinat, il y avait des livres de contes. Un d'entre eux racontait l'histoire d'un musicien qui avait réussi à vider la ville de ses rats par sa simple musique. Mais les villageois avaient refusé de le payer, alors le musicien avait emmené les enfants (2). Météra avait longtemps redouté de voir un jour le joueur de Hamelin arriver à l'orphelinat pour chasser d'abord les rats qui pullulaient dans les caves, puis enlever les enfants quand l'affreuse directrice, Mrs Whatsit, aurait refusé de payer. Si seulement elle savait jouer, pensait-elle autrefois. De n'importe quoi. Il y avait bien un xylophone dans les jeux mis à disposition des enfants, mais il manquait deux barres de fer et Météra doutait que Au clair de la lune ou Ah ! vous dirai-je, maman avait le moindre pouvoir contre le flutiste. Si elle savait jouer, elle pourrait défendre tous les enfants. Et faire fuir les rats.
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Esther ralentit son pas quand elle entendit des notes de musique rebondir sur les murs du couloir.
Un peu désorientée par le coup qu'elle avait reçu à la tête et par la faim, elle avait pris le mauvais tournant. Les escaliers fous avaient achevé de la perdre dans les entrailles de pierres du château. Elle avançait au hasard des couloirs depuis une vingtaine de minutes espérant tomber sur une personne qui pourrait la renseigner. Et alors qu'elle était prête à s'asseoir par terre et pleurer toute la tristesse qui lui broyait le cœur, voilà que des notes écorchées, malmenées se faisaient entendre.
Tout à la fois curieuse et prudente, Esther avança le plus discrètement possible jusqu'à la source de cette mélodie boiteuse. Elle ignorait qui était le responsable de ce massacre musical et préférait éviter une mauvaise surprise. Elle arriva devant une lourde porte en bois grossièrement sculptée et entrebâillée. En espérant que les gonds ne grinceraient pas, Esther poussa précautionneusement le battant.
Assis en tailleur sur le tabouret du piano, un élève déchiffrait malhabilement une partition de piano. Esther se pencha davantage pour pouvoir apercevoir le visage du musicien mais les affaires qu'elle avait précipitamment ramassées lui échappèrent et tombèrent avec fracas par terre. La porte s'ouvrit tout à fait. L'élève se retourna avec la rapidité d'un chat. Esther avait songé à abandonner ses affaires sur le sol et déguerpir, mais le regard vert intense la cloua net sur place.
« Qu'est-ce que tu fais là ? »
Esther bredouilla quelque chose, ramassa ce qui lui avait échappé et décampa. De dos, avec ses cheveux courts, son corps trop long et trop maigre, Esther avait une fois encore pris Météra de seconde année pour un garçon. Mais quelle idiote ! Au moins, cette fois, elle n'avait rien dit.
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Esther était assise dans les gradins, elle profitait des dernières chaleurs de l'été, de l'automne qui tardait à venir. Elle avait apporté ses grimoires, ses plumes et avait tout étalé autour d'elle. En bas et au-dessus, les équipes de Quidditch des quatre maisons se partageaient le terrain, chacun dans un coin. Le capitaine debout, les joueurs assis par terre. Quelques supporters et enthousiastes venaient saluer, encourager. Des filles avaient pris possession des bancs les plus bas et criaient des prénoms. Esther les observait, intriguée. Il était très vite apparu à Esther que le Quidditch était le jeu collectif préféré des sorciers britanniques. Tout sorcier se devait d'avoir un avis sur les équipes, les matchs et l'arbitrage. Impossible de plaider l'ignorance. Tout ce qu'Esther savait du Quidditch, elle l'avait appris en lisant Le Quidditch à travers les âges, mais ce n'était pas suffisant pour comprendre, pour apprécier le jeu, pour saisir l'enthousiasme qu'il suscitait. Elle avait bien essayé de demander à ses camarades, mais on avait ri de son ignorance.
Esther abandonna peu à peu ses cahiers et ses livres pour regarder les essais. Elle ne comprenait pas toujours pourquoi certains candidats retenaient plus l'attention que d'autres. Pourquoi la fille à la queue de cheval avait été écartée et lui avait-on préféré le garçon aux cheveux roux ? Il avait pourtant semblé à Esther que la fille avait été bien plus habile et rapide pour attraper la petite balle d'or — le Vif d'or, se souvint-elle. Mais ce qui l'étonna le plus fut la démonstration d'un garçon aux cheveux noirs courts dans la nuque et longs dans les yeux, maigre comme une cravache et souple comme un roseau. Souafle à la main, il évita les cognards avec une aisance époustouflante. Tantôt, il fendait l'air, tantôt se laissait porter par les courants. A un moment, il monta haut, tellement haut qu'il ne fut plus qu'un point dans le ciel bleu. Esther se dit qu'il devait avoir bien froid. Et puis la tache, redevint une silhouette. Tel un épervier qui a repéré sa proie, le joueur fonçait à une allure vertigineuse vers le sol. Esther se leva, émerveillée. Les spectatrices s'étaient tues. Dans le stade, tous les yeux étaient braqués vers cet oiseau sombre. On retenait son souffle. Fasciné, ébloui. Le joueur continuait sa course effrénée, obstinée, vers le sol. Dans le stade, on se taisait. L'angoisse faisait place à l'admiration. Le sol était si proche maintenant. Les mains plaquées contre la bouche, le cœur battant à toute allure, le ventre broyé par la peur, Esther songea que le joueur allait s'écraser. Mais au dernier moment, il redressa le manche de son balai et reprit de l'altitude. Il y eut une clameur de soulagement dans l'assistance et même quelques applaudissements. Il avait évité tous les opposants, avait statufié le gardien par sa performance. Le garçon lança son souafle et, contre toute attente, après une démonstration de vol aussi magistral, manqua le cerceau. L'enchantement vola en éclats et il y eut même quelques sifflements.
Le garçon resta un instant en l'air, contemplant le la balle rouge qui roulait sur l'herbe verte. Il posa pied à terre et ramassa la balle. Le capitaine la lui prit des mains, plus violemment qu'il n'était nécessaire. Le garçon regarda le cerceau, les autres joueurs qui riaient et sortit du terrain.
– Pourquoi ne le garde-t-il pas ? Il faut lui donner la position d'attrapeur ! déclara Esther. Elle avait parlé à personne en particulier et à tous ceux qui pouvaient l'entendre.
On se tourna vers elle et on éclata de rire.
– Il ? répéta une des filles.
Et les rires partirent plus forts.
– Tout d'abord, ce n'est pas « il » mais « elle ». Et ensuite, c'est Météra la Sans-Nom.
– C'est vrai que de loin on peut la prendre pour un garçon, ricana une autre fille.
– Et même de près ! dit une troisième.
On rit davantage.
– Et bien sûr que le capitaine ne va pas lui donner une position, reprit la première.
– Je ne comprends même pas comment elle a pu avoir l'audace de se présenter ! s'exclama le seconde.
– Pourquoi ? s'étonna Esther.
– Tu n'as pas entendu ce que je t'ai dit ? C'est une Sans-Nom !
– Non, mais laisse, c'est une tu-sais-quoi.
– T'aurais pu me le dire plus tôt.
– Y en a de plus en plus de cette tourbe !
– Je croyais qu'ils étaient tous à Poufsouffle. C'est une honte que le Choixpeau en envoie à Gryffondor !
Esther avait rassemblé ses affaires et quitté les gradins du stade sous les regards hautains de ses camarades de Maison.
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Henry jeta un coup d'œil prudent dans les escaliers et fit un geste à Firmin : le chemin était dégagé. Ils saluèrent Edward et descendirent sur la pointe des pieds. A cette heure, à peine tardive, il y avait toujours des élèves qui traînaient dans la salle commune des Gryffondor.
Trop concentrés sur leurs partenaires préférés de la soirée ou leurs devoirs griffonnés au dernier moment, ils s'occupaient assez peu de ce qui se passait dans les alentours. Firmin affirmait qu'une famille complète de trolls défilerait, personne ne le remarquerait. Il fallait tout de même prendre des précautions, les Gryffondor étaient des braqués des règles et des fanatiques des frontières dressées haut entre les quatre Maisons.
Mais ce soir, coup de chance pour les frères Potter, la salle commune de Gryffondor avait été désertée…
Ou du moins le crurent-ils jusqu'à ce qu'ils entendent un cri de surprise étouffé et un froissement de tissu quand ils firent grincer une marche.
Pendant un instant, dans la pénombre de la salle, personne ne bougea, n'osa respirer. On guettait la présence de l'autre, on tentait de masquer la sienne. Cela aurait pu durer un certain temps, mais ce soir Firmin n'avait pas la patience de jouer au « Voleur d'ombres ». Il alluma sa baguette d'un Lumos et dans la lumière brusquement projetée, ils aperçurent une silhouette recroquevillée sous l'escalier qui menait aux chambres des filles. La silhouette s'écrasa davantage contre le mur.
Firmin leva plus haut sa baguette. « Esther ? »
La silhouette se détendit, dressa la tête.
– Firmin ? répondit une petite voix que des larmes contenues écorchaient.
La silhouette entra dans le halo de lumière et prit corps. Henry découvrit une fillette qui semblait avoir atteint les onze années requises pour l'inscription à Poudlard sur la pointe des pieds. Petite, fluette, Henry ne doutait pas un instant qu'un coup de vent aurait pu la faire décoller du sol. Elle avait de longs cheveux noirs qui tombaient en boucles lourdes et soyeuses sur ses épaules. Deux grands yeux gris, presque argents, mangeaient une partie de son petit visage délicat. Un petit nez fin et retroussé, une fossette au menton et au milieu de la joue un grain de beauté des plus charmants complétait un portrait qui fit une forte impression à Henry. « Une fée », songea-t-il. Dans le halo argenté du Lumos, on aurait dit une petite fée, gracile et adorable à regarder.
– Qu'est-ce que tu fais là ? demanda Firmin tandis qu'il terminait de descendre les escaliers. Henry suivait sans dire un mot.
– Je cherche mon médaillon, renifla la Gryffondor. Je l'ai perdu. Je l'avais retiré et mis dans mon sac parce qu'Elizabeth m'avait fait une remarque et maintenant je ne le trouve plus.
– C'est un médaillon qui fait de la lumière ? demanda Henry.
– Non, pourquoi ?
– Parce que sinon tu ne risques pas de le trouver dans le noir, remarqua-t-il.
Esther renifla et Firmin donna un coup de coude à son frère.
– Tu veux qu'on t'aide à le chercher ? proposa Firmin pour rattraper les paroles de son frère.
Avant que la Gryffondor n'ait pu répondre, son estomac se manifesta bruyamment. Elle pressa ses mains contre son ventre, gênée.
– Je suis désolée, je…
– Tu as faim ? s'inquiéta Firmin.
La Gryffondor hocha la tête.
– Un peu, murmura-t-elle.
– Mais on a mangé, il y a deux heures ! s'exclama Henry.
La remarque d'Henry avait été totalement ignorée. Firmin avait attrapé la main de la Gryffondor et l'avait entraînée dans ses pas. Elle s'était laissé faire, en toute confiance. La cuisine était sur leur chemin, ils demanderaient aux Elfes de préparer quelque chose. Ils adoraient faire plaisir. Firmin parlait d'une voix douce de sujets anodins et ordinaires et Esther séchait les larmes silencieuses qui coulaient le long de ses joues. Si le coup de coude ne l'avait pas mis sur la voie, l'attention que Firmin manifestait pour la Gryffondor était à elle seule le signe qu'il se passait quelque chose d'un peu plus sérieux que la perte d'un médaillon ou une fringale nocturne.
Henry ouvrait la marche dans les couloirs mal éclairés du château. Derrière lui, Esther et Firmin suivaient. Sans avoir parlé avec tous les élèves de Poudlard, Henry se vantait de quasiment tous les connaître. Néanmoins, il n'avait jamais entendu parler d'Esther. Il était même sûr de ne l'avoir jamais vue. Il ralentit le pas et, par-dessus son épaule, demanda : « Tu es en première année à Gryffondor ? »
Esther releva la tête et Henry lut de la peur dans le regard de la Gryffondor.
– Oui, répondit Firmin. Esther et moi avons Herboristerie et Histoire ensemble.
– Et c'est quoi ton nom de famille ? continua Henry.
– Devlin, murmura la Gryffondor.
– Devlin ? Ce n'est pas un nom de chez nous ça, remarqua Henry après avoir réfléchi un instant. T'es une fille de Moldus ?
Esther se mordit les lèvres et baissa le regard.
– Que faites-vous dans les couloirs à cette heure ?
Les trois enfants poussèrent un hurlement de surprise. Au détour du couloir, les mains dans les poches et l'air fermé, Pâris Black venait d'apparaître.
– Vous n'avez pas à être dans les couloirs à cette heure ! reprit le Gryffondor de quatrième année.
– Et toi ? répondit aussitôt Henry ! T'es un élève. Et même pas préfet !
Pâris fixa un instant Henry et renifla avec mépris.
– T'es le petit frère de Potter.
– Tout est relatif, répondit Henry, crânement. Je suis le petit frère de Potter, mais je suis aussi le grand frère de Potter.
Henry désigna son petit frère du pouce.
– Je suis également le fils de Potter, reprit-il. Et le petit fils. Je serai peut-être le père de Potter. Et son grand-père.
Black hocha la tête.
– Tu es surtout bien loin de ta salle commune. De même pour toi, Gryffondor !
Esther et Firmin, impressionnés par le regard de leur aîné se pressèrent l'un contre l'autre. Henry sentit toute son assurance s'évanouir.
Quand on demandait à quelqu'un comment était Pâris Black, ce quelqu'un ne pouvait jamais dire qu'une chose : il a les yeux noirs. Très noirs. A n'en pas distinguer la pupille de l'iris. Fait indubitable et qui recevait l'assentiment de tous. Fait indiscutable et pourtant totalement erroné. Pâris Black avait les yeux marron ordinaire (avec une pointe de vert quand la lumière le voulait bien). Seulement l'intensité de son regard les faisait paraître plus sombres qu'ils n'étaient. Quand le Gryffondor vous tenait dans son regard, vous n'alliez plus nulle part. Figé net sur place. Fasciné. Et le reste de son visage, de son corps même, disparaissaient totalement derrière ce regard de plomb. Les gens étaient souvent surpris de découvrir que Pâris Black n'avait pas le visage long et émacié, le nez aquilin, les lèvres pales et pincées. Pâris avait le nez légèrement tordu : un cognard qui ne l'avait pas raté et une soudure qui avait été un peu négligée par l'infirmière. Il avait gardé également de cet accident une discrète cicatrice à la lèvre que l'on n'avait pas jugée bon de camoufler.
Élève sérieux, il était celui sur lequel comptait plus que nécessaire les professeurs — au grand désarroi de l'aîné des frères Potter. Ce soir, Pâris Black était en mission pour le directeur de Poudlard si on en croyait les trois caisses intitulées « archives et plomberie ». Edward aimait à rappeler qu'il était facile d'avoir des responsabilités quand on était le neveu du directeur et le cousin du professeur de Zoomagie. Ce à quoi Henry répondait que leur oncle à eux était ministre-adjoint de la magie, que leur arrière-grand-mère avait été la précédente directrice de Poudlard et que leur grande cousine était professeur de Médicomagie. « Et je ne suis pas favorisé pour autant ! » rétorquait Edward. Henry ignorait si Edward était davantage furieux parce que Black bénéficiait des avantages du placement des membres de sa famille ou parce que la famille d'Edward ne faisait rien pour l'aider. « Peut-être que les profs trouvent juste Black plus digne de confiance », avait un jour proposé Firmin. Cela n'avait pas du tout plu à Edward.
Pâris ordonna aux frères Potter de retourner dans leurs Maisons respectives et, pour être sûr qu'aucun n'emprunterait de détours, il chargea deux fantômes qui traversaient justement un mur de raccompagner les deux promeneurs égarés. Il ajouta qu'il ferait un rapport et que cela ferait perdre des points aux maisons.
« Balance ! » marmonna Henry. « Lèche-botte ! » toussa Firmin. Pâris fit mine de n'avoir rien entendu.
– Et Esther ? demanda Henry.
– Je me charge de la raccompagner.
– Et tu vas faire un rapport et retirer des points à Gryffondor aussi ?
– Non.
– Ça m'aurait étonné, renifla Henry avant d'emboîter le pas à Firmin qui suivait déjà son accompagnateur ectoplasmique.
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Pâris observait la petite Gryffondor qui se tenait silencieusement devant lui. Elle regardait obstinément la pointe de ses bottines tandis qu'elle passait son poids d'un pied à l'autre, comme si elle était prise d'une envie pressante de soulager sa vessie. Pâris s'apprêtait à lui demander si elle avait besoin de passer aux toilettes quand il entendit l'estomac de la jeune fille gronder de désespoir. Elle écrasa aussitôt les mains sur son ventre et s'excusa, les joues roses de honte. « Les Potter t'emmenaient aux cuisines ? » demanda Pâris. Elle hocha la tête, les yeux toujours fixés sur ses bottines. Elle fit à Pâris l'effet d'un tout petit animal pelucheux face à un carnassier à longues dents.
« Suis-moi ! » ordonna-t-il. Elle hésita un instant, puis lui emboîta le pas. Du coin de l'œil, il la vit ouvrir la bouche mais elle ravala sa question.
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« Tu sais, il vaut mieux que Black ne dise rien pour Esther », dit Firmin. Cette déclaration coupa Henry dans sa diatribe contre le Gryffondor et son iniquité. Il fit alors remarquer à son cadet que ce serait mieux pour eux deux aussi si Black ne faisait pas de rapport. « Ce n'est pas pareil », répondit Firmin. Son air sérieux intrigua Henry.
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Il faisait chaud dans la cuisine. Ce fut la première impression qu'éprouva Esther. Le plafond était bas et voûté, les pierres apparentes et imprégnée des odeurs de cuisine, du caramel qui se colore, du bouillon qui réduit, du poulet qui grille et du soufflet qui monte. Esther regardait partout, respirait toute odeur qu'elle pouvait capturer. L'eau lui vint à la bouche et son ventre gronda encore plus fort.
D'une voix ferme, sans formule de politesse superflue, mais sans mépris non plus, enfin du ton de ceux qui ont l'habitude d'être immédiatement obéis, Pâris ordonna aux Elfes de réchauffer quelques plats pour la demoiselle. Aussitôt, les Elfes se levèrent, coururent en tout sens, ravivèrent les flammes, sortirent la vaisselle. L'agitation des Elfes tira brusquement la cuisine de sa somnolence.
Sur le même ton qu'il avait utilisé pour les Elfes, Pâris commanda à Esther de s'asseoir sur un banc. Elle s'exécuta sans discuter. Il prit place en face d'elle.
Mains sur les cuisses, chevilles croisées, le dos droit, Esther attendait la tête légèrement baissée en avant. Cependant, son regard remontait vers Pâris. Elle l'étudiait, cherchait à percer les pensées qui circulaient derrière son expression impavide. Il avait les coudes sur la table, les doigts croisés, le menton posé sur ce tissage digital et sans aucune gêne, il l'observait. Esther songea à deux chiens de faïence qui s'étudient sans un mot, sans un battement de paupières. Elle songea que sa situation était totalement surréaliste. Que faisait-elle dans cette cuisine, alors que tous ses camarades dormaient déjà, avec Pâris Black de trois ans son aîné qui plus est ? Que lui voulait-il ? Qu'attendait-il d'elle ? Que lui demanderait-il en échange de ce repas ?
Quand l'Elfe posa l'assiette fumante devant elle, Esther était résolue à ne pas y toucher. Elle poussa l'assiette loin d'elle. Son estomac protesta violemment, douloureusement, mais elle l'ignora.
– Ne me dis pas que tu n'as plus faim ? s'étonna Pâris. J'entends d'ici les grondements de ton estomac. Ils sont particulièrement effrayants. On dirait que tu abrites un monstre dans ton ventre.
– Je ne mange que ce dont je connais le prix, répondit-elle.
Pâris Black se redressa, fronça les sourcils. Son air de prince qui contrôle parfaitement son univers se fendilla.
– Tu crois que je vais te demander de l'argent ? s'étonna-t-il.
– Ou quelque chose d'autre, acquiesça Esther. Je suis en première année mais je ne suis pas stupide. Tout a un prix. Et je veux connaître le prix de ce plat. Je veux être sûre que je peux me le payer. Sinon, tant pis.
Pâris étudiait pensivement Esther, elle soutint le regard. Sous la table, elle avait les poings serrés. Sous sa poitrine, son cœur battait à toute allure. Pâris Black ne la connaissait peut-être pas, mais elle savait très bien qui il était. Elle savait qu'il appartenait à une grande famille, que les professeurs lui faisaient confiance, que ses camarades le respectaient. Bref, elle savait que sa parole ne vaudrait jamais rien contre celle de Pâris Black. Elle était sur son territoire.
– Je ne te demande rien, assura finalement Pâris.
– Mais je te dois quelque chose, continua Esther.
– Tu ne me dois rien.
Comme Esther ne semblait toujours pas décidée à manger, il continua :
– Tu as faim, au point probablement d'en avoir mal au ventre étant donné les gargouillements que j'entends. Déjà cet après-midi, tu as failli tomber dans les pommes parce que…
– Je m'étais cognée, coupa Esther.
– Il me semble que la chose la plus honorable à faire est de te permettre de te restaurer, acheva Pâris.
– Honorable ?
Esther étouffa un petit rire. Pâris sourit, un peu gêné.
– Je n'ai pas besoin d'être secourue, reprit Esther. Je me débrouille très bien toute seule.
Pâris hocha la tête : il n'en doutait pas. Esther rapprocha alors l'assiette d'elle.
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Henry nota que choisir des fantômes pour guides était une très mauvaise idée. Pourvus de corps immatériels, les fantômes avaient l'habitude de parcourir le château en traversant les murs et tout autre obstacle qui se dressaient devant eux. Ils avaient oublié quels chemins ils empruntaient du temps de leur vivant, quand leurs corps de chair les empêchaient de jouer les passe-murailles. De plus, les deux fantômes ne parvenaient pas à se mettre d'accord sur un itinéraire et s'insultaient à longueur de couloirs. Henry et Firmin avaient proposé leur aide, mais les fantômes avaient refusé : ils avaient reçu une mission, le rôle de chacun était clairement défini. Les immatériels guidaient, les chairs dégradables suivaient.
Henry avait proposé à son frère de fausser compagnie à leurs baby-sitters, mais Firmin avaient refusé : il n'avait pas envie que Poufsouffle perde davantage de points par sa faute. Henry avait soupiré, envisagé un instant d'agir seul, puis s'était rangé à la sagesse de son petit frère.
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Esther avait d'abord tenté de mesurer la vitesse de ses ingestions, mais la faim était tellement forte que le trajet de la bouche à l'assiette qu'effectuaient ses couverts accéléra rapidement. Quand elle eut fini la soupe, les légumes, le poisson et la salade. Une Elfe lui demanda si elle voulait un dessert (« Une part de cake à l'orange, miss. »). Esther se mordit la lèvre, hésita un instant, jeta un nouveau regard vers Pâris qui, pour patienter avait demandé une tasse de thé et accepta.
Quand Esther eut fini sa part de tarte, Pâris posa sur la table un rouleau de parchemin.
– Je crois que c'est à toi, dit-il. Tu l'as fait tomber cet après-midi.
Esther s'essuya les mains dans la serviette blanche au tissu épais. Elle se les essuya plus longuement que nécessaire. Elle prit le parchemin. Elle se mordit les lèvres, leva le regard vers Pâris. Il buvait une gorgée de thé mais ne lâchait pas Esther d'un battement de cils.
– Tu l'as lu ?
Il reposa la tasse sur la table.
– Oui, admit-il.
– Tu n'avais pas le droit, c'est privé ! s'emporta-t-elle.
– J'ai une autre question bien plus importante, dit-il sans se démonter, sans s'émouvoir. Comment se fait-il que tu aies faim à cette heure ?
– J'ai un petit estomac, dit-elle. Je le remplis vite mais il se vide vite également. Quatre repas ne sont pas suffisants.
Pâris balaya du regard les assiettes et bols vides.
– Un petit estomac ? répéta-t-il. Qu'est-ce que ça serait si tu avais un gros estomac ?
– Je suis en pleine croissance !
Pâris sourit.
– Si les repas sont si importants pour toi, comment se fait-il que je ne t'aie jamais vu à table ? reprit-il.
– Probablement parce que tu es trop occupé avec tes amis.
– Comment…
– Tu avais dit une question, coupa Esther.
– Comment se fait-il que personne ne t'aie vu manger à table depuis un mois ? Je me suis renseigné, ajouta-t-il pour empêcher Esther de répliquer.
Esther croisa les bras, pinça les lèvres et toisa Pâris.
– Tu avais dit que je ne te devais rien, dit-elle entre les dents.
– Tu ne me dois rien, concéda Pâris.
– Très bien. Alors je veux retourner dans la tour de Gryffondor.
Esther s'était levée pour donner plus de poids à ses paroles. Elle ne regardait plus le bout de ses bottines, elle ne rosissait plus de gêne elle regardait Pâris droit dans les yeux, les joues rougies par la chaleur du foyer et la colère contenue. Pâris hocha la tête et se leva.
– Allons-y alors. Mais avant il faut que je passe dans le bureau du Directeur, prévint-il.
Avant qu'Esther n'ait pu s'inquiéter de cette déclaration, le garçon désigna les caisses qui flottaient toujours à cinquante centimètres du sol : il n'avait pas fini sa livraison.
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Tandis que les deux fantômes se chamaillaient pour savoir à qui revenait le mérite d'être arrivé à bon port, Henry et Firmin se dirent au revoir devant la porte qui donnait accès aux quartiers de Poufsouffle. Un salut bref et fatigué, suivi de quelques plaintes. Il était tard et les deux garçons avaient marché bien plus que nécessaire. Firmin se demandait s'il n'aurait pas des courbatures le lendemain, Henry songeait que Black avait trouvé sans le savoir la meilleure punition. Mais était-ce vraiment sans le savoir ?
Henry s'éloigna de quelques pas, puis fit brusquement volte-face et rattrapa Firmin avant qu'il ne passe derrière le tableau qui masquait l'entrée de la Maison d'Helga Poufsouffle.
– Firmin ? Attends ! Comment se fait-il qu'Esther ait faim à cette heure ? Et comment se fait-il que je n'aie jamais entendu parler d'elle ?
Firmin soupira, tenta de dire qu'il était tard, qu'ils en parleraient demain, mais Henry lui attrapa la manche. Firmin hésita, ouvrit la bouche, la referma, tira sur son bras mais Henry raffermit sa prise. Firmin regarda son grand-frère.
– Pourquoi tu veux savoir ?
Henry fut décontenancé par la question de son cadet qui en profita alors pour s'échapper. Le tableau allait se refermer quand Henry trouva la réponse : « Pour l'aider ! » Le tableau se rouvrit et Firmin apparut dans l'entrebâillement.
– Je veux l'aider, répéta Henry.
– Vraiment ? demanda Firmin.
Henry hocha la tête.
– Tu as entendu parler d'elle ! dit alors Firmin.
– Non, assura Henry.
Derrière lui, le fantôme s'était enfin aperçu que Henry ne le suivait pas et l'enjoignait à le suivre. Henry l'ignorait.
– Si, insista Firmin. Sauf que tu la connais sous l'appellation de « la petite princesse ».
– La fille qui pleure tout le temps dans les toilettes et dont toutes les filles se moquent, c'est Esther ?
– Oui. Et elle ne mange plus dans la grande salle, parce que les filles de sa classe lui font vivre un véritable enfer.
– Et pourquoi personne ne fait rien ? s'indigna Henry.
Firmin haussa les épaules.
– Y a ceux qui ne voient pas, ceux qui s'en moquent, ceux que ça amuse et ceux que ça rassure. Tant que c'est elle, ce n'est pas eux. Je ne sais pas si tu as remarqué, mais ce n'est pas le bon moment d'être un peu différent des autres, dit tristement Firmin. Il salua une dernière fois son grand frère et referma le tableau, laissant Henry seul avec ses questions (et un fantôme vitupérant).
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Météra était allongée dans son lit, les draps et les couvertures remontés bien haut et les baldaquins de velours bien tirés. A la lumière d'un Lumos, elle observait un objet qu'elle avait ramassé à l'entrée de la salle de musique : un médaillon en or délicatement ciselé. A l'intérieur, il y avait deux photos moldues en noir et blanc, toutes petites et parfaitement immobiles. D'un côté, deux adultes se tenaient très droits, très guindés, très apprêtés, le regard fier. De l'autre, deux enfants, un garçonnet et une fillette, riaient dans leurs beaux vêtements que leurs jeux avaient tachés. Météra regardait ces deux photos, fascinée, admirative. Les ressemblances étaient manifestes, le bonheur évident. Météra imaginait la vie des personnes photographiées, les faisait discourir les uns avec les autres.
« – Très chère, vous penserez à mettre votre belle robe blanche pour le bal de ce soir. – Mais bien évidemment, mon aimé. Je parerai également mes cheveux d'une tiare de diamants qui brillera de mille feux sous les lumières. – Pourrons-nous aussi venir ? Nous avons été sages et fait tous nos devoirs, bien lavé nos mains et le derrière de nos oreilles. – Évidemment que vous venez ! Nous sommes une famille, nous allons tous ensemble aux mêmes endroits. »
– Météra, coupe le Lumos, cria une voix d'un lit voisin —Yedith ou Ellen, Météra ne savait pas.
Elle voulut ignorer sa camarade et reprendre son jeu mais la voix s'éleva à nouveau plus impérieuse et excédée. Elle fut rejointe par une seconde, puis une troisième. Météra soupira. Elle éteignit sa baguette.
– C'est pas trop tôt !
Météra referma précautionneusement le médaillon et passa la chaîne autour de son cou. Peut-être ce soir ferait-elle de beaux rêves.
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Cher Papa, Chère Maman,
Comment allez-vous ? J'essaie de me tenir au courant de ce qui se passe au-delà des murs de Poudlard, mais ce n'est pas très facile. Les journalistes sorciers s'intéressent très peu à la guerre qui ravage l'Europe. J'espère que vous êtes bien à l'abri et que vous parvenez à vous nourrir. Ici, les assiettes se remplissent toute seule et on est servi jusqu'à ce qu'on ne puisse plus avaler une bouchée. Cette injustice me serre le cœur. Si je pouvais vous envoyer quelques provisions !
Avez-vous des nouvelles de Drew ? J'aimerais lui écrire mais je ne connais pas son adresse. Pouvez-vous lui transmettre toute mon affection. J'adore être une sorcière, c'est un monde de merveilles et d'étonnements qui s'ouvre sans cesse à moi. Mais il m'arrive de souhaiter être une fille ordinaire (une moldue, disent les sorciers) et d'être ainsi auprès de vous tous. Je déteste que vous soyez à la merci des bombes quand le pire que j'ai à redouter est une potion qui explose.
Aujourd'hui, c'est dimanche. Le temps est couvert. Je suis dans la grande salle (celle avec le plafond comme la voûte céleste), tout près d'une grande flambée et je révise mes formules d'ensorcellement. J'apprends à faire léviter des objets. Mon sort n'est pas encore très stable, mais je m'améliore. J'espère vite faire des progrès car c'est ma matière préférée. Le cours d'EPOPHI (Elixirs, Potions et Philtres) est amusant. Beaucoup de filles poussent des cris quand il s'agit de découper les ingrédients, moi, je trouve ça assez drôle. Peut-être parce que j'ai toujours voulu faire pareil que Drew et le convaincre que ce n'était pas parce je portais des jupes que je ne pouvais pas participer à ses escapades campagnardes, mais les vers à crasse, les souris et les crapauds ne m'effraient pas. Ne le dites pas à Mlle Levasseur, elle serait très peinée de savoir que tous ses efforts pour faire de moi une lady, une demoiselle-bien-comme-il-faut, ont été réduits à néant.
Je vous embrasse très affectueusement,
Votre fille,
Esther.
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Fin du premier chapitre.
(1) Un familier est un animal avec lequel le sorcier a noué des liens particuliers.
(2) « Le Joueur de flûte de Hamelin » des frères Grimm.
