Bonjour à tous ! Alors que je pensais ne pas commencer d'autres fanfictions pour me laisser plus de temps pour les Enfants de la Raison et Digital Generation, j'ai eu l'idée d'une autre fanfiction, cette fois basée sur Matt et Mello, dans un univers alternatif. Je me suis toujours demandée qu'est-ce que donnerait Death Note si Matt et Mello ne s'étaient jamais connus auparavant, ne s'étaient jamais connus à la Wammy's House. J'avais envie d'écrire une version quelque peu différente du canon.
C'est une fanfiction sans prétention, qui se découpera en quelques parties. En espérant qu'elle vous plaise.
The Smithcatchers
I
I am a man of means (of slender means)
Matt se demanda quand tout avait commencé.
Pas le fait d'avoir commencé à ignorer toutes les culottes qu'il retrouvait au fond de son lit et qui s'entassaient sur le sol lorsqu'il les jetait, ou d'avoir pris l'habitude de fumer un peu d'herbe le réveil avant d'aller d'un pas raide mais machinal vomir tout ce qu'il avait bu la veille dans la cuvette des toilettes qu'il considérait presque comme une confidente.
Il se demanda, en se levant comme tous les matins, l'estomac désormais vide de son repas du soir précédent, une cigarette entre ses lèvres, quand sa vie était devenue aussi merdique.
Le mot était tellement approprié que Matt aurait pu y coller sa propre photo dans le dictionnaire.
- Wow, merdique, ça sonne bien, dit-il en souriant.
- Tu as dit quelque chose ? lui répondit une voix féminine éraillée par le sommeil et l'alcool venant tout droit de la salle de bains.
- T'occupe.
Il prit un cendrier bien rempli de mégots et alla s'installer devant son ordinateur portable en attendant que le café chauffe. Il entendait des bruits d'eau et d'éclaboussures qui lui rappelaient désagréablement ses propres vomissements et il s'efforça pendant un long moment de les ignorer. Il remit en place ses fichiers audio, rangea ses dossiers et mit en marche le logiciel de caméra à distance qu'il avait placé selon la commande de son client. Dès qu'il cliqua sur l'enregistrement, il sut que tout ce qui se passerait dans la chambre qu'on lui avait demandé de surveiller serait mis sur un DVD et près à être examiné.
ClockTower s'était connecté. Matt en profita pour le saluer et lui demander des nouvelles au sujet des différents coups du groupe.
ClockTower : pas de gros trucs, non. Et toi rien de fumeux ?
Kidd : toujours la même surveillance du type. Ça rapporte. J'attends des nouvelles de J.
ClockTower : sérieux, tu bosses toujours avec ce mec ?
Kidd : ça dépend en général ce qu'il me propose est cool
ClockTower : je te préviens si jamais on se fait un truc.
Kidd : compte sur moi et passe le salut aux autres je risque d'être pas là aujourd'hui.
Il se déconnecta au moment où la fille qu'il avait ramenée sortait de la salle de bains, déjà habillée. Elle avait un visage crispé par le manque de sommeil et sans le maquillage, Matt ne vit que des traits épaissis et fades, puis réalisa qu'il s'en fichait complètement. Après tout, ce n'était pas ce qui l'avait marqué le plus. Elle avait de beaux seins, c'était déjà ça.
- Ta douche est dégueu, lança-t-elle d'une voix plus assurée.
- Ta figure aussi, et pourtant je n'ai rien dit, moi, répliqua Matt sans lever les yeux des comptes en banque qu'il trafiquait depuis plusieurs semaines.
La fille eut un reniflement de dédain.
- Sympa. Tu dis ça à toutes celles que tu ramènes chez toi ?
- Les autres ne sont pas aussi malpolies envers ma salle de bains.
- T'as du café ?
- Ca chauffe. Par contre, j'ai rien à manger, fit Matt avant de mettre ses lunettes, ses yeux déjà fatigués par la lumière.
La fille eut un long soupir puis fit un mouvement de la main. Matt vit qu'elle se tenait sur la pointe des pieds, comme pour éviter d'être trop en contact avec son tapis sale et troué de part et d'autres de cendre de cigarettes.
- Laisse tomber, je vais y aller, annonça-t-elle avec un accent d'arrogance que Matt trouva parfaitement ridicule.
- La porte t'est grande ouverte, salut.
Elle le dévisagea un instant, mi-surprise, mi-furieuse. Matt sentit qu'elle voulait qu'il la retienne encore un peu mais après un nouveau coup d'œil à sa poitrine, puis son visage tristement bouffi et qui n'était pas mis en valeur par la lumière crue du matin, il fut convaincu qu'il ne ratait rien d'exceptionnel.
- Bonne journée, ajouta-t-il.
Aurait-il dit « casse-toi » que sa voix n'aurait pas eu une intonation différente. Saisissant le message, la fille lui fit un doigt d'honneur, l'insulta d'un poétique « petite bite » et s'en alla en laissant la porte ouverte. Matt alla la refermer puis retourna à ses logiciels qui n'allaient pas se faire cracker tout seuls.
Il eut un moment de réflexion pendant lequel il chercha le nom de la fille. Clary ? Tracy ?
Un moment de réflexion qui dura à peu près trois secondes.
Matt avait voulu deux choses toute sa vie : du sexe et des ordinateurs. Il avait obtenu la première à quinze ans, après avoir flirté de façon poussée avec la fille d'un voisin, une fille de dix-sept ans, menue, une sorte de poupée aux grands yeux noirs et aux cheveux blonds répondant au nom d'Elisabeth. Frustrée par la rupture avec son petit ami, elle avait voulu se venger en s'amusant un peu avec Matt. Il se rappelait toujours de sa façon de courir vers lui lorsqu'il revenait des cours. Elle sautillait, tentait de prendre une allure de séductrice mais à chaque fois Matt riait, car elle semblait presque trop enfantine. Elle portait à sa main gauche la bague que son ex-petit ami lui avait offerte, une bague de fiançailles en plastique qu'il avait acheté dans un distributeur, un anneau rouge avec un diamant cousu de perles noires. Cette bague était d'une laideur repoussante mais elle était chérie comme le plus précieux des trésors.
Ils se retrouvaient dans le garage du père d'Elisabeth, là où avaient été posés des matelas gonflables. Ils s'allongeaient, et passaient trois heures par jour à se peloter, riant à chaque fois que le matelas bougeait ou émettait des bruits. Matt se souvenait encore de l'Echelle de la Trique, ce tableau qu'elle avait dessinée pour en quelque sorte garder le contrôle sur lui et dominer ses désirs. Il y avait cinq niveaux : le contact sur vêtements et baiser sur le visage, contacts sur vêtements et baiser sur la bouche, contact sur seins avec vêtements, contacts sans vêtements, et enfin « contacts aboutis ».
Contacts aboutis. Matt en avait encore des crises de fou rire. Cette expression lui donnait l'impression qu'il tentait de poser le pied sur la Lune alors qu'il essayait juste de retirer une culotte. L'Echelle avait permis à Elisabeth de repousser le moment fatidique pendant plusieurs mois. Matt savait qu'elle voulait récupérer son petit ami en le rendant jaloux mais il n'était pas stupide.
Un soir, au mois de mai, elle lui prit la main et l'emmena non pas au garage mais dans sa chambre. Dans un tel univers mêlant enfance et féminité, Matt se sentit très gêné. Les peluches sur la commode le fixaient de leurs petits yeux de boutons, le mettant au défi de faire quelque chose d'indécent en ce lieu saint. Elisabeth le dévisagea un long moment puis d'un geste unique, sans arrêt, elle retira son T-shirt - jaune pâle avec marqué dessus « GIRLS ARE ! » d'un bleu turquoise- avant de passer ses bras dans son dos et dégrafer son soutien-gorge. Un soutien-gorge tout blanc, sans armatures, ni dentelles ridicules. Un soutien-gorge simple, très pur, quelque chose qu'aurait pu porter une préadolescente. Ce détail avait longtemps gêné Matt. Il revoyait encore Elisabeth qui se tenait droite devant lui, ses seins menus comme le reste de son corps, des seins qu'il avait déjà touchés avec ou sans vêtements et ce fut lorsqu'elle se pencha pour l'embrasser, en se cambrant de façon à la fois timide et érotique, qu'il comprit que c'était le moment.
Jamais il n'avait été aussi nerveux de sa vie, il avait l'impression d'être aux commandes d'une navette spatiale et de devoir la poser sur la Lune – contacts aboutis, contacts aboutis, toujours. Bien qu'il eut touché Elisabeth des dizaines de fois, su ce qu'elle aimait, quand elle faisait semblant pour lui faire plaisir, il se sentit complètement perdu jusqu'au bout. Les ongles d'Elisabeth le griffaient dans le dos, et il avait tellement chaud qu'il aurait pu perdre connaissance. Il détestait l'idée de faire mal, et pourtant, il lui faisait mal, malgré tous ses efforts. Il lui faisait mal, et c'était bon en elle, encore meilleur qu'il ne l'aurait cru et il lui faisait mal, c'était sa faute. Il caressait ses cheveux blonds, tentait de voir dans ses yeux noirs quelque chose qui se rapprochait de la tendresse, une affection véritable. Il n'y vit qu'un mélange confus d'émotions qu'il ne put jamais réellement définir. Ils se retrouvèrent pantelants, couverts de sueur. Elisabeth fixa ses jambes, puis Matt et le gifla avant de s'enfermer dans la salle de bains.
De retour dans sa famille d'accueil, Matt vomit. Il ne parla plus jamais à Elisabeth qui peu après cet évènement quitta la maison pour partir dans une école privée à des centaines de kilomètres de là. Matt s'en alla de sa famille d'accueil à seize ans.
Il avait connu d'autres filles, des plus grandes, des plus maigres, des plus vieilles ou des plus jeunes que lui. Il avait oublié des noms, des visages, et même certaines parties de leur corps. Il avait même flirté avec quelques garçons, avait couché plusieurs fois avec des hommes, par esprit d'aventure, ou par curiosité. Cependant, malgré le temps qui avait passé, il revoyait encore Elisabeth, cette toute jeune femme qui avait dégrafé son soutien-gorge blanc juste devant lui, pour punir son ex-petit ami et se punir elle-même.
Jay appela deux heures après le réveil de Matt. C'était toujours lui, toujours deux heures après. Matt avait l'habitude et savait dès la première sonnerie que c'était Jay qui l'appelait pour prendre des informations sur ses disponibilités.
- Ouais ? fit Matt, scrutant les différents angles de caméras installés dans la bijouterie qu'un groupe voulait braquer.
- Ca avance ou pas ton truc avec le député ? fit aussitôt Jay.
- Cool, mec, ça avance bien, j'ai de quoi le faire mourir deux fois de suite. Peut-être une troisième pour rigoler.
- Dès que c'est fini, envoie le DVD comme d'habitude et n'oublie pas, j'ai un truc à te proposer.
- Quand ?
- Samedi. Chez moi.
Matt se mordit la lèvre pour éviter de rire. Il n'émit qu'une vague exhalation qu'il fit passer pour une bouffée de cigarette qu'il tenait entre ses doigts. Cependant, Jay ne fut pas dupe, et cela fit plaisir à Matt en quelque sorte. Il ne respectait que les hommes qui utilisaient à peu près correctement leur cervelle, et Jay en faisait partie.
- Pas de ce genre, Matt.
- Si tu le dis, Jay. Mais si tu as toujours cette bouteille de vin chez toi, alors moi, je ne dis plus rien.
Jay eut un léger rire un peu froid. Matt avait couché avec trois hommes dans sa vie et Jay était le tout dernier. Ca s'était fait par hasard, après une soirée bien arrosée et depuis il était devenu occasionnel pour Matt de passer la nuit chez Jay. C'était agréable, et sans prise de tête, juste ce qu'il fallait à Matt. Cependant, depuis quelques semaines, Jay prenait de la distance et Matt sentait que leurs débats passionnants sur l'oreiller n'allaient pas tarder à disparaître de la liste de leurs activités communes.
- C'est quoi exactement ce truc ? demanda Matt sans grand espoir de réponse.
- T'attends pas à quelque chose d'énorme. En ce moment, vaut mieux rester tranquille.
Matt ricana.
- Quel connard ce Kira, hein ? Au moins, il a fait du vide, ça te permettra de te faufiler plus facilement en haut de la chaîne alimentaire.
- Déconne pas avec ça, Matt, répliqua durement Jay.
- Oh, mais, je ne déconne pas. Je dis juste que Kira, au lieu de nous plomber, nous lance là une belle occasion. Enfin, une belle occasion pour les opportunités.
- Arrête, tu sais bien que je déteste quand tu parles de Kira comme ça.
- Sérieux ? Et quoi, si jamais je dis son nom trois fois de suite il va apparaître et me faire « bouh ! » ? T'en fais pas pour ça, Jay, ajouta-t-il d'une voix plus douce. Je ne risque rien de ce côté-là. Et si tu as fait comme j'ai dit, toi non plus tu ne risques pas d'avoir de problèmes.
- D'accord, okay, comme tu veux, répondit Jay d'une voix brusque, même si Matt entendit dans sa voix une inflexion tendre et suave qui laissait penser qu'il pourrait bien encore passer une nuit dans le lit de Jay. N'oublie pas. Samedi.
- Pas de problème.
- Ah et les faux, ramène-les. J'en aurai besoin pour tout un groupe de Mexicains qui débarque dans moins d'une semaine. Ils sont prêts ?
- J'ai la totale, répondit Matt tout en feuilletant un dossier qu'il avait posé à ses pieds. Pour combien tu en veux ?
- Environ quatorze personnes. Dont deux enfants.
- Ca roule, sourit Matt. Je t'apporte ça.
Jay raccrocha. Matt se rapprocha de son écran d'ordinateur, tirant une grande bouffée de sa cigarette avant de l'écraser dans le cendrier. L'enregistrement du député se déroulait à merveille, et celui de la bijouterie également. Matt alla allumer un deuxième ordinateur et le posa juste à côté de l'autre avant d'aller voir des chatrooms. ClockTower n'était pas connecté mais Lixie et Deaddy étaient là.
Kidd : salut les gars.
Lixie : hey
Deaddy : salut
Kidd : juste une question, comment se porte la coke en ce moment ?
Lixie : à quel endroit ?
Kidd : surtout new york, chicago. C'est combien exactement ?
Deaddy : tu t'informes ?
Kidd : pas pour moi, mais on sait jamais, ça peut servir.
Lixie : c'est 10/3.
Kidd : pas mal du tout ok super. J'attends clock et on se retrouve tous, ok ?
Lixie : ok
Deaddy : pas de pb
Satisfait, Matt se déconnecta avant d'envoyer un message à Jay. Le chiffre donné par Lixie n'était qu'une indication mathématique mis en place par leur groupe pour éviter que quiconque piratant leur conversation puisse deviner le prix exact. Le prix avait augmenté à New York et à Chicago, mais était resté stable à Los Angeles. Las Vegas battait des records mais Matt n'y touchait pas. Trop voyant, trop dangereux. C'était comme se balader dans la rue avec une pancarte disant « JE VENDS DE LA DROGUE MONSIEURS LES POLICIERS VENEZ M'ARRETER ATTENTION A MA VESTE MERCI. »
Matt était capable d'effectuer de nombreuses opérations et faire plusieurs boulots en même temps. Sa prédilection était la recherche d'informations sur le marché de la drogue et vendre ses indices au plus offrant. Les grands trafiquants avaient besoin d'être au courant de chaque mouvement d'argent qui circulait sur tous les continents pour devancer les autres concurrents. C'était le plus rapide à deviner la tendance des flux qui parvenait à se faire le plus de fric. Et Matt touchait un pourcentage à chaque information. Tout cet argent avait été envoyé dans un compte secret en Thaïlande sous une fausse identité et Matt utilisait parfois le compte de quelqu'un d'autre pour s'acheter ce dont il avait besoin. Les transferts étaient parfaitement invisibles, notamment grâce au logiciel crée par Matt mais également grâce à ses relations sur Internet. L'un de ses contacts faisait partie du service informatique d'une grande banque aux Etats-Unis. En échange de quelques mots de passe, Matt avait transféré sur un autre compte de son partenaire une bonne moitié de l'argent qu'il avait volé, plus quelques informations sur le marché des amphétamines si jamais il voulait avoir sa part du gâteau. Matt était en général généreux avec ceux qui lui proposaient une aide efficace, et cette générosité se faisait connaître sur les réseaux.
Matt était engagé pour ses aptitudes à espionner. Il travaillait en général pour des femmes de politiciens trompées, ou de chefs d'entreprise qui désiraient prendre leur mari sur le fait avant de pouvoir les vampiriser, un divorce plus tard. Cependant, Matt n'hésitait pas à proposer ses services à d'autres groupes, notamment des mafieux qui désiraient avoir l'enregistrement de banques ou de bijouteries à braquer. Pour ces enregistrements, Matt était payé d'avance et touchait parfois une petite partie de l'argent. C'était en général un petit plus donné par les braqueurs en remerciement. Et enfin, Matt fabriquait des faux papiers pour le compte d'entreprises véreuses, ou pour les gangs qui avaient besoin de main d'œuvre.
La première sécurité de Matt était qu'il ne travaillait jamais avec la même personne. Il se diversifiait pour dissiper son emprise dans le milieu. Et surtout, il faisait un point d'honneur à ne pas faire de grands coups avec la Mafia. Il avait bien participé à plusieurs projets, mais toujours en membre mineur, donnant parfois une aide mais sans plus. Il était connu pour être très simple, et ne jamais tenter d'arnaquer ses clients. Grâce à ses relations et son profile, il ne fut jamais en ligne de mire de gars voulant sa part ou même de groupes dangereux. Il proposait, faisait son travail, était payé et on n'entendait pas parler de lui. Jay était un de ses partenaires pour plusieurs coups, notamment chantage, usage de faux et trafics de drogues. Jay était un petit bandit sans grande valeur mais qui avait un énorme carnet de contacts. Il connaissait plusieurs politiciens véreux, deux trois grands chefs de gangs qui en un coup de fil pouvaient le tirer de n'importe quelle situation compromettante, en échange de quoi Jay faisait n'importe quel boulot demandé, ou bien c'était Matt qui le faisait. Jay tenait un club à New York pour blanchir l'argent et échanger des informations avec d'autres contacts.
Matt avait commencé à travailler dans le milieu dès qu'il avait quitté sa famille d'accueil. Derrière un ordinateur, il avait formé un groupe de hackers pros qui détenaient toutes les informations du moment à la minute près. Ils avaient participé à de nombreux crash de données capitales, ou de vol d'informations privées pour le compte de d'autres sociétés. Ils étaient quatre : Matt sous le pseudonyme de Kidd, Lixie, ClockTower et Deaddy. Ils travaillaient parfois avec d'autres hackers mais pour des projets d'envergure. Lixie voulait hacker la Maison Blanche mais Matt n'était pas très motivé. Il cherchait quelque chose de plus grand, de beaucoup plus costaud.
Quelque chose qui rendrait sa vie beaucoup moins merdique, sur le coup.
Après avoir vérifié quelques mails sur le mouvement des gangs à New York, Matt alla se connecter sur la CNN. La présentatrice, vaguement bien roulée, présentait le récapitulatif des news.
- Encore le décès de 54 meurtriers hier, par Kira. Vingt d'entre eux étaient encore en liberté. Politique à présent…
Matt éteignit le son, fixant sans vraiment les voir les images d'un reportage sur un député qu'il ne connaissait que trop bien. Un type avec une tache de naissance sur la fesse gauche pouvait difficilement passer à ses yeux pour un grand politicien. Son esprit dériva et s'allumant une autre cigarette, il songea à Kira.
Kira, un type qui se prenait pour un dieu pour tuer des milliers de malfaiteurs. Et après ? Ca ne changeait rien, et Matt était bien placé pour le savoir. Les actions entreprises par la Mafia n'avaient pas réellement diminué, elles s'étaient faites plus sournoises, et surtout beaucoup plus organisées. En ayant trafiqué les données du FBI, Matt était remonté jusqu'à un rapport rédigé par le SPK, une nouvelle cellule d'enquête. Il avait découvert que la Mafia avait utilisé un missile pour déjouer Kira. Les informations étaient évasives mais Matt était resté étonné et admiratif.
Un type capable de berner le plus grand connard du monde à l'aide d'un missile méritait tout son respect.
Matt n'avait eu aucune information sur celui qui avait une telle idée de génie. Jay avait tenté pour lui de remonter à la tête de la Mafia mais tout était resté fermé. Top secret. Seuls les plus haut placés étaient au courant. Et Matt n'était que du menu fretin pour eux. Malgré tout déçu, Matt retourna à l'enregistrement du député Milligan. Il eut un faible sourire en voyant apparaître à l'écran la silhouette de la jeune strip-teaseuse que Milligan se tapait depuis plusieurs mois. Elle avait une démarche chaloupée qui n'aurait pas dénoté dans un porno. En y pensant, Matt alla sur un site et téléchargea plusieurs films du même acabit. Il voulait renouveler son stock.
Il mit en marche le son de la caméra. Il ne l'utilisait pas souvent, en partie pour garder un certain respect pour le client, mais surtout en partie pour les repasser plus tard alors qu'il travaillait sur un autre projet. Il lui arrivait parfois de pleurer de rire tellement le tout en était risible.
La scène était d'un romantisme hallucinant :
Est-ce que ce connard de journaliste t'a encore suivi, Kathy ?
Non, ce merdeux a filé vite fait quand il a vu les gorilles devant l'immeuble. Il avait vraiment pas de couilles.
Tant que moi…
Tant que toi, oh, mon cœur.
Matt pouffa de rire et faillit tousser lorsqu'il exhala une bouffée de cigarette. Il pensa à faire une copie de cet enregistrement et se le passer à chaque fois qu'il aurait le blues.
Je parie que ce type aime s'astiquer en pensant à toutes les choses que je ferai.
Oh, vraiment… Hum, j'ai hâte de voir ça.
C'était décidé, Matt ferait une copie de l'enregistrement. Il devait le faire.
Kathy et le député s'embrassèrent longtemps et goulûment. A y regarder de près, le film était vraiment un porno bas marché, la musique suave en moins. Peut-être Matt rajouterait une bande-son qui collerait bien avec l'ambiance, même s'il savait que la femme trompée n'apprécierait pas. Il pourrait toujours en faire un deuxième DVD et le passer à Jay pour qu'il rigole un peu.
Kathy, strip-teaseuse aussi connue sous le nom de Maggy Hottie-Hot. Classe. Elle était l'une des maîtresses de Milligan, qui en avait deux autres également strip-teaseuses. Très classe. Son épouse allait adorer apprendre que Hottie-Hot, Lady Lala et Miss Baby étaient de très proches amies de Milligan. Le reste de la séquence était très ennuyeux, malgré toute la grossièreté des propos tenus par les deux amants. Milligan se vantait beaucoup trop par rapport à la taille de son sexe, d'après ce que Matt voyait à l'écran. Il eut un nouveau sourire lorsqu'il revit, comme pour le saluer, la tache de naissance sur la fesse gauche du député. Il coupa le son pour une demi-heure, le temps de travailler sur plusieurs contacts pouvant lui donner des informations sur le marché de la marijuana en Europe.
Lorsqu'il revint à la scène, les amants avaient fini. Soulagé de ne plus avoir à subir un spectacle aussi fade, Matt remit le son en espérant retrouver la même finesse de dialogue qu'au début. Il ne fut pas déçu.
Tu me l'as mise tellement profonde, oh, chéri, il n'y a que toi qui me fait grimper comme ça, tu es spectaculaire au pieu !
Toi aussi, bébé, tu es la meilleure. Une vraie chienne en chaleur, qui en redemande encore et encore.
Oh oui, encore, donne-la-moi ta grosse…
- G-Grosse ? s'étouffa Matt, hilare. Même mon pouce est plus gros que son engin !
Riant toujours, il s'alluma cette fois-ci un joint pour accompagner ce splendide voyage dans le monde merveilleux de « Milligan et Kathy ou Mets ton aiguille dans la chaleur de Hottie-Hot ».
- Par pitié, pas une autre scène de copulation médiocre, je veux du concret, grommela Matt.
Tu as vu Gordon ? Qu'est-ce qu'il a dit ?
Qu'est-ce que ce vieux con pouvait dire ? Je l'ai eu facilement. Un sac rempli de fric, plus la garantie de trouver tous les jeunes minets qu'il veut en échange de sa place à la Chambre de Représentants. Il suffit d'attendre un peu, et l'affaire est dans le sac, si je peux le dire ainsi.
Oh mon cœur, c'est fantastique, tu es un génie.
Matt tressaillit et fou de joie brandit un poing victorieux au-dessus de sa tête. Il avait l'information. Une information valide qu'il pourrait vendre à prix d'or. Sur le champ, il coupa la conversation post-coït et la rangea dans un autre dossier. L'épouse n'allait pas être au courant et Matt allait garder cette précieuse information pour faire pression sur Milligan, ou bien la revendre le double, ou le triple de sa valeur. Il hésitait encore. Peut-être jouer sur deux tableaux ? Trop risqué, sauf s'il se prenait un complice. ClockTower semblait tout indiqué à la tâche, et rien ne le découragerait d'un bon paquet de dollars. Se frottant les mains, Matt laissa le son allumé puis contacta ClockTower.
Kidd : une tonne de fric de façon facile, ça te tente ?
ClockTower : comment quand dis tout
Kidd : le député j'ai une information sur lui ça va être une putain de bombe, je te propose d'avoir une part dans tout ce bordel
ClockTower : comment ?
Kidd : technique de double pression. J'vais vendre l'info à des rivaux de Milligan, toi, tu continues à le faire chanter jusqu'au moment où il sait que l'information est divulguée. Si on fait ça, l'argent va certainement doubler. On se partage le tout 50/50.
ClockTower : t'as toujours des bons plans toi j'accepte sans pb. On fait quand ?
Kidd : dès que j'ai envoyé l'enregistrement à l'épouse. Avec un peu de chance, Milligan va croire que c'est elle. J'ai coupé l'info du reste de l'enregistrement mais la femme le sait pas.
ClockTower : dis-moi quand t'as fini, et je m'occupe de ce mec.
Matt se déconnecta. Il bâilla bruyamment, réalisant qu'il était épuisé. Ayant peu dormi la veille, les yeux lui brûlant déjà même au travers de ses lunettes, il laissa ses ordinateurs allumés, coupa le son de l'enregistrement puis alla se vautrer dans son lit aux draps défaits. Son oreiller avait encore l'odeur doucereuse de la fille –Tracy ? Ou encore Cindy ?, et il y trouva en-dessous ses collants. Il les laissa tomber sur le sol, et s'emmitouflant dans les couvertures, n'ayant plus conscience de l'heure, il s'endormit profondément.
Matt n'avait aucun souvenir de ses premières années. Tout ce qui remontait au-delà de l'année 1994 était un gouffre sans fond, une trace de mégot qui aurait brûlé la pellicule de sa mémoire. Il ne se souvenait que des poignets de sa mère, très fins, fragiles, et l'odeur planante d'un cigarillo fumé soit par elle, ou alors un père dont il n'avait gardé aucune trace. Il avait toujours l'image de ces poignets qui passaient au-dessus de son front, comme pour le caresser, même s'il n'y avait pas de contact.
Son premier souvenir était le drap d'un lit très dur dans un orphelinat, un drap trempé par ses larmes et il hurlait à pleins poumons. Il ne comprenait pas, tout chancelant de sommeil, pourquoi le monde était ainsi, pourquoi le monde était un dortoir, des lits tout durs, des draps humides par les sanglots, et pourquoi tous les autres le regardaient. Dans son poing gauche, tout crispé, il y avait un bout de papier. Il l'ouvrit alors qu'il se retournait dans son lit, et du haut de ses trois ans et demi, lut.
Mail Jeevas.
Il n'avait jamais perçu le potentiel en lui. Il avait appris à lire à l'époque noire, la pellicule trouée de son enfance. Mais encore maintenant, il savait qu'il avait bien lu, et que ces deux petits mots composaient son identité. Et il fit alors, regardant le papier dans sa paume, la chose qui lui semblait à cet instant la plus logique au monde.
Il roula le papier, le fourra dans sa bouche et le mangea. Matt sentit ce goût de papier qui mouilla et devint une pâte sur sa langue. Il déglutit, pleurant toujours, mais cessa de crier. Il était Mail Jeevas, et c'était son grand secret. Par chance, les surveillants qui l'avaient retrouvé au pas de l'orphelinat n'avaient pas vu ce morceau de papier et par conséquent n'avaient rien su. Matt fut appelé Max, car cela fut décidé ainsi et qu'il était d'accord. Il resta trois mois à l'orphelinat avant qu'une famille d'accueil ne le prenne en charge. Il n'était pas vraiment « adopté », plutôt gardé au nom de l'Etat.
Il habita à Denver jusqu'à ses seize ans. Malgré les efforts de la famille Garrick, Matt ne parvint jamais à retrouver ses souvenirs. Il ne s'en portait pas plus mal, pourtant, tant que les mots Mail Jeevas restés ancrés dans sa bouche. La famille Garrick était agréable, d'une distance respectable. Madame était directrice d'une école maternelle, monsieur était professeur de sport dans l'un des lycées de la ville. Il tenta par tous les moyens de mettre Matt sur le terrain mais ce dernier refusa jusqu'au bout, préférant rester dans sa chambre, ou bien à jouer aux jeux vidéos dans le salon tout en sirotant sans s'arrêter un nombre incalculable de soda.
- Laisse-le, disait madame Garrick à son mari. Tu sais bien qu'il est comme ça.
Comme ça.
Matt était un putain de génie, voilà ce qu'il était.
C'étaient les mots qu'avait employé devant lui son maître à l'école primaire lorsque Matt avait décrété qu'apprendre à lire n'était plus nécessaire pour lui et qu'il pouvait tout aussi bien commencer à lire du Shakespeare qu'il avait trouvé dans la bibliothèque de Mme Garrick. Les enfants, choqués, avaient demandé ce que voulait dire « être un putain de génie » mais le maître, un dénommé Bingles –quel nom ridicule, se disait encore Matt lorsqu'il y repensait-, n'avait pas répondu.
Le lendemain, Matt n'était plus allé à l'école primaire et avait fait son inscription au collège. Dès la première année, il fut si ennuyé par la lenteur des autres élèves qu'il décida de prendre des cours par correspondance, sans que sa famille d'accueil ne l'apprenne. Là où ses camarades apprenaient ce qu'était une ampoule et ses composants, Matt entreprenait de rédiger des commentaires sur la physique quantique. Une chose en amenant à une autre, Matt finit par s'intéresser à l'informatique et y découvrit le monde merveilleux d'Internet. L'ordinateur n'était qu'une machine complexe, et d'une logique à toute épreuve. En l'espace de quelques mois, Matt connaissait sur le bout des doigts tout ce qu'un ordinateur pouvait faire, tout ce qu'il pouvait entreprendre lui-même et également les lois tout autour de cet outil merveilleux.
Il s'aperçut que voler des données était amusant, mais que revendre ces mêmes données à des sociétés privées pouvait lui valoir beaucoup. Ainsi, dès l'âge de quatorze ans, Matt se fit connaître sur Internet sous le nom de Kidd, celui qui pouvait vous trouver toutes les informations que vous désireriez à condition d'avoir un budget qui tenait la route. Il fit équipe plusieurs fois avec ClockTower, déjà très connu dans ce milieu, pour s'infiltrer dans la base de données du FBI et y retrouver le dossier de plusieurs agents. Jamais Matt ne se fit prendre, et il s'amusait beaucoup.
A seize ans, il créa une entreprise fictive, rédigea plusieurs courriers, et envoya le tout à sa famille d'accueil pour faire croire qu'il avait été sélectionné pour travailler sur un grand projet informatique à Sillicon Valley. Mme Garrick lut les recommandations, sembla soulagée pour lui. Mr Garrick se contenta de lui donner une petite somme d'argent pour le voyage et de lui promettre de faire attention. Ils se saluèrent de cette façon distante, respectable qui avait caractérisé leur relation et Matt quitta Denver pour s'installer à New York.
Il avait gagné suffisamment d'argent pour acheter son propre appartement mais décida, histoire de rire, de pirater un compte en banque d'un certain Staccardo, un entrepreneur assez fortuné, et de lui voler ses données personnelles. Staccardo était dix mois sur douze en Nouvelle Zélande, aussi Matt n'eut aucun mal à s'installer dans son appartement et de piocher dans son compte en banque tout ce dont il avait besoin. Il s'acheta des ordinateurs dernier-cri, deux à trois consoles de jeux vidéo et une dizaine d'objets de collection pour décorer le salon. La Gameboy en or massif trônant sur la table basse en verre était d'un chic absolu. Il y resta un temps puis déménagea, avant de prendre l'appartement de quelqu'un d'autre. L'expérience était intéressante et apportait un peu de piment à la vie de Matt qui en avait cruellement besoin. Il gagnait suffisamment bien sa vie, ou volait bien assez pour vivre de manière confortable. Il allait au restaurant, se faisait livrer, et parfois passait des soirées dans les différents clubs de la ville, histoire de trouver une ou deux filles pour la nuit.
Une vie merdique.
Il finit par poster sur Internet que quiconque lui offrant un défi qu'il jugerait intéressant n'aurait rien à payer. La bande des hackers qu'il côtoyait lui rit au nez mais Matt ne désespéra pas. Il eut de nombreuses demandes, de gros projets comme de pirater la NASA et d'entrer dans leurs données pour en voler des informations top-secrètes. On lui proposa d'espionner le Président pour le compte d'une cellule d'enquête inconnue. Les offres les plus farfelues furent ce que Matt appela « les conneries des adorateurs de Smith » ; on lui proposa cinq millions de dollars en échange d'information sur Kira, ou sur L, le grand détective, pour pouvoir le donner à Kira. Ou l'inverse, tout était bon pour eux. Matt lisait ses mails et riait un bon moment avant de passer à autre chose.
Il avait dix-huit ans et se sentait déjà très vieux. Vieux et profondément ennuyé par toutes les années qui lui restaient.
Le club s'appelait le « Hype15 », et Matt s'était toujours demandé pourquoi Jay avait choisi un nom aussi débile et qui était plus que révélateur d'un sérieux abus de sitcoms durant une jeunesse déboussolée. Un monde incroyable se pressait contre les portes gardées par deux videurs baraqués comme des anciens joueurs de football américain. Matt remarqua quelques jolies filles marchant souplement sur leurs talons hauts, nota celles qui avaient une belle poitrine et des cuisses bien musclées puis se dirigea vers les portes. Le logo du club, un verre à moitié-rempli, brillait de mille feux artificiels grâce à la magie des néons. Matt avait déjà mal aux yeux après avoir passé des jours entiers à chercher l'identité d'un homme pour le compte d'un client et cette image désastreuse du verre symbolisant l'excès et la fête lui donna envie de vomir.
L'un des videurs le toisa un instant. Matt savait pertinemment qu'il ne répondait pas au code vestimentaire, et savait aussi qu'il en avait rien à foutre. Habillé de son habituel manteau sans manches et d'un haut rayé, il répondait silencieusement au regard méprisant du videur tout en fumant sa cigarette.
- Jay m'envoie, dit-il simplement.
Le deuxième videur qui semblait un peu plus intelligent tendit une main qui devait faire deux fois celles de Matt pour ouvrir la porte. Matt lui fit un sourire dont il s'efforça de cacher l'ironie et entra dans le chaos nocturne qu'il connaissait par cœur.
Par flash et effets de lumière, Matt discerna la piste de danse pleine à craquer et de l'autre côté le bar où se tenaient d'autres personnes, buvant leur cocktail à 30 dollars. Il salua le barman puis suivit le couloir le menant à la salle VIP où Jay l'attendait. Un autre ancien joueur de football le regarda d'un œil menaçant. Matt se contenta de lui présenter sa carte et entra sans dire un mot. Assis dans un canapé en cuir, Jay l'attendait en sirotant un verre de bourbon, jambes croisées, se prélassant comme dans un bain. Une belle brune lui versait un nouveau verre lorsqu'elle aperçut Matt à l'entrée. Jay ne se leva pas, mais son profil en lame de couteau eut comme un sourire. Il avait des traits aigus, un visage d'angles. Si Matt avait toujours aimé des femmes à la physionomie douce et arrondie, il avait toujours eu une préférence pour les hommes qui avaient un visage très marqué.
Matt s'assit dans le fauteuil rouge face à Jay, cherchant déjà son paquet de cigarettes. A peine avait-il porté la cigarette à ses lèvres qu'une autre femme, très blonde, tendit un briquet vers lui. Cachant sa surprise, Matt alluma sa cigarette et exhala une bouffée. Jay le fixait en souriant. Il avait déjà des rides au coin des yeux alors qu'il n'avait que trente ans mais cela plaisait à Matt.
- Laissez-nous, dit Jay sans regarder les deux filles.
Lorsqu'ils furent seuls, Matt se leva pour se verser un verre. A travers les murs, il entendait le battement de la musique comme un cœur de géant.
- Quand tu m'avais dit chez toi, j'avais compris ton appartement, déclara Matt, ne se sentant pas si déçu que ça.
Jay eut un nouveau sourire.
- J'avais des choses à régler ici. Je pense ouvrir un autre club à Hollywood.
- Cool pour toi.
Matt prit une autre bouffée, regarda Jay. Il sentait plus que jamais que le lien qu'il y avait eu entre eux, si mince fut-il, s'était brisé d'un coup en un claquement sec. Il s'était fait une raison, et ce n'était pas si grave. Il ne s'était jamais réellement attaché aux autres, et Jay n'était pas une exception. Il avait aimé coucher avec lui, et cela lui manquerait un peu.
- Alors, c'est quoi ton plan ? demanda-t-il finalement.
- Une petite transaction. J'ai besoin que tu ailles à Los Angeles pour moi.
Le rire que réprima Matt se transforma en un petit reniflement. Tapotant sa cigarette pour faire tomber la cendre, il secoua la tête.
- Tu plaisantes ? Pourquoi moi ? Tu sais très bien que je gère beaucoup mieux derrière mon écran que sur le terrain.
- C'est vrai que j'ai d'autres hommes qui pourraient y aller à ta place, mais j'ai besoin que tu te rendes sur les lieux pour placer des caméras.
- Ca fait quand même un sacré voyage, rétorqua Matt, nullement motivé. Et c'est quoi cette transaction ?
- Une mallette, se contenta de répondre Jay en se reversant un verre de bourbon.
Matt n'insista pas. Il avait déjà participé à de nombreuses transactions sans jamais avoir su ce qu'il transportait. Du moment que l'argent était là, il ne s'occupait pas de ça. Il fixa son mégot de cigarette. Il ne se rappelait pas l'avoir fini aussi vite. Dans un même mouvement il écrasa le mégot dans le cendrier et attrapa une nouvelle cigarette dont il mordit le filtre le temps de trouver son briquet.
- Tu fumes beaucoup, fit inutilement remarquer Jay alors qu'il s'allumait à son tour une cigarette.
- J'attends le cancer avec impatience, répliqua Matt en souriant. Avec un peu de chance, je vais perdre trente ans. Génial.
Il entendit des rires de femme se mêler à la musique.
- Dis-moi en plus pour le voyage. J'y vais comment ?
- En voiture.
- Voiture ? répéta Matt, surpris. Mais ça va prendre des jours ! Pourquoi pas en avion, tu as largement de quoi payer, ou je peux très bien me payer le billet.
- Ce n'est pas la consigne de la transaction. Il a été décidé que l'homme choisi prendrait une voiture noire très précise, pour éviter tout problème.
- Ton plan m'a l'air dangereux.
- C'est une affaire qui peut très mal tournée effectivement, acquiesça Jay. Je ne peux pas t'en dire plus.
Il y avait dans l'intonation de sa voix quelque chose qui disait presque « tu trouveras bien tout seul ». Matt se promit d'interroger la bande des hackers pour en savoir plus sur Jay, même s'il connaissait déjà beaucoup de choses à son sujet. Jay se leva et alla chercher une de ses vestes. Matt le regarda se lever. Il était mince, d'une élégance plus discrète que d'autres chefs. Il lança une liasse de billets à Matt qui la rattrapa au vol.
- Mille dollars pour le voyage. La voiture est déjà prête. Après la transaction, tu la laisses à Los Angeles et avec le reste tu t'en achètes une autre avec cet argent. Si tu as encore, garde-le.
- Mille dollars pour trois à quatre jours ce voyage ? dit Matt d'un ton mi-narquois mi-furieux. Tu te serres la ceinture pour ton club à Hollywood ou bien tu es devenu le mec le plus radin du monde ?
- Surveille ton langage, répliqua Jay d'une voix glaciale. Si tout se passe bien, tu recevras le tripe, voire le quadruple. Une somme facilement gagnée pour un voyage tout frais payé, tu ne crois pas ?
Matt ne répondit pas, fourrant l'argent dans sa botte droite. Sa cigarette s'était déjà consumée et il la jeta dans le cendrier.
- Quand ?
- La transaction a lieu le 11. Fais le calcul, génie.
- Je vais aller préparer mes affaires, fit Matt en se relevant. Merci pour le verre.
- Et pour le député ? lança Jay d'une voix très ferme, comme s'il demandait les nouvelles d'un ami.
- Ca se passe. Sa tache de naissance est en forme de nuage.
- Classe, ricana Jay.
« Je pourrais dire la même chose pour toi, enfoiré », songea férocement Matt sans se retourner.
L'homme à la porte lui lança un coup d'œil soupçonneux mais ne fit plus attention à lui dès l'instant où il se dirigea vers le bar. Il aperçut non loin de lui une rousse faisant tourner son verre d'Appletini entre ses doigts manucurés. Allumant une cigarette, il appela le barman et fit offrir la même chose. La jeune femme, intriguée, leva la tête et croisa son regard. Elle le dévisagea un instant, de ses cheveux auburn en bataille à ses lunettes en passant par ses mains encore gantées puis sourit, ses dents blanches comme une invitation.
Elle avait le goût de la vodka quand Matt l'embrassa un quart d'heure après.
Matt n'aimait pas conduire, à part dans les simulations comme Grand Theft Auto. Il trouvait particulièrement ennuyeux de rester assis face à un volant sans aucune raison, même pas pour tuer des piétons et gagner plus de points. Jay lui avait donné les clés d'une Saab noire, un vieux modèle qui aurait peut-être plu à Mr Garrick, mais qui dégoûtait Matt. Les sièges empestaient la sueur d'anciens conducteurs et le sol était recouvert de miettes et de déchets. Matt n'aimait pas la saleté, ou plutôt la saleté qui n'était pas son œuvre. Patauger dans la merde des autres le révoltait.
Il partit le 7 Novembre et décida de prendre son temps pour aller de New York jusqu'à Los Angeles. L'interstate 90 lui donna l'impression de flotter sur un immense fleuve pendant deux jours. Il passa ensuite par d'autres routes pour gagner quelques heures, s'ennuya ferme dans les embouteillages. Il se connecta plusieurs fois aux chatrooms et discuta avec Deaddy er Lixie. Il les aimait bien. Au derniers tiers du voyage, Matt envoya le DVD à l'épouse de Milligan, l'extrait de l'information au député lui-même tandis que ClockTower donnait l'information à un autre député qui convoitait également la place du Président Gordon. Double pression, trois énormes bombes au-dessus de la tête de Milligan. Matt attendait le premier coup de téléphone de l'homme à la tache de naissance sur la fesse gauche, estimant la valeur du chantage. Avec le plan mis en œuvre, il pourrait très bien gagner à lui tout seul cinquante mille dollars. Pas mal.
Il débarqua à Los Angeles le 10 Novembre au soir. Il avait fait très vite, malgré son envie de prendre son temps. Ne désirant pas rester plus longtemps dans une ville aussi irrespirable, Matt appela le contact de Jay pour lui proposer d'avancer le rendez-vous le soir même, ou le plus tôt possible le lendemain. L'homme, surpris par sa rapidité, accepta de le voir le 11 dès huit heures du matin et lui proposa de lui payer l'hôtel. Matt passa trois heures à regarder des films porno sur les chaînes câblées, se servit dans le petit bar et finalement dormit d'un sommeil de plomb jusqu'à sept heures. Un voyage tranquille, comme il en avait l'habitude.
Le contact qui s'appelait Karl lui offrit le petit déjeuner à l'hôtel. Matt le trouva plutôt aimable pour un mafieux, et décida d'être aussi poli que lui pour le remercier. Tout en fumant une cigarette et buvant un café brûlant sans sucre, Matt l'écouta parler de ses affaires et de celles de Jay.
- En ce moment, les choses se corsent pour le boss, lança brusquement Karl en se versant une nouvelle tasse de café.
- J'ai appris pour le missile, j'ai fait quelques recherches, approuva Matt. Bien joué. Je n'en sais pas plus, mais c'est un coup de génie.
Il eut un petit sourire moqueur avant de faire deux ronds parfaits de fumée.
- Je ne savais pas Ross aussi intelligent.
Karl rit.
- Oh, mais ce n'est pas vraiment lui. Ross est futé mais sans plus. C'est quelqu'un d'autre qui a eu l'idée du missile. Mais je suis comme toi, je suis en bas de l'échelle, je ne sais pas pourquoi ils ont utilisé un missile pour déjouer Kira.
- Une belle façon de botter le cul de ce connard, lança Matt, mordant à pleines dents dans un croissant encore chaud. Mais on ne sait pas du tout qui a eu l'idée du plan ?
- Pas du tout. Ross garde jalousement le secret. Comme je te l'ai dit seuls ceux travaillant directement pour Ross sont au courant. Pas de doute, le mec qui s'est foutu de la gueule de Kira est balèze. Très, très balèze.
- Ouais. J'aimerais bien le rencontrer, ajouta Matt d'un air rêveur.
- D'après ce que m'a dit Jay, tu es un petit génie, toi aussi, non ?
Matt ricana, détendant ses jambes sous la table.
- Je me débrouille, avoua-t-il.
Karl sortit de la poche intérieure de sa veste une petite carte.
- Mes coordonnées si jamais ça t'intéresse de travailler pour moi. Jay est un type sympa, mais il n'exploite pas assez tes talents.
Matt lut le numéro de téléphone de Karl, puis le dévisagea. Bien foutu, assez aimable pour que Matt aime discuter avec lui, assez intelligent. Il mit la carte de visite dans la poche de son jean.
- Je travaille pour tout le monde, répondit-il doucement. En ce moment je cherche un truc démentiel.
- Démentiel ? répéta Karl en souriant.
Matt resta silencieux. Le soleil doux de Los Angeles réchauffait son visage et à travers le verre sombre de ses lunettes, il lança un regard amusé à son interlocuteur. Il faisait encore bon pour un mois de novembre.
- Un truc qui exploserait, conclut Matt, portant à ses lèvres une nouvelle cigarette. Qui partirait dans tous les sens.
Matt resta toute la journée à Los Angeles, en partie pour acheter une nouvelle voiture comme Jay l'avait convenu, et en partie pour faire plus ample connaissance avec Karl. Ils eurent une discussion particulièrement mouvementée dans la chambre de Matt pendant deux bonnes heures, juste après le petit-déjeuner, puis ils se séparèrent devant l'hôtel. Satisfait, Matt prit la carte de visite de Karl, la déchira en deux et la jeta par terre avant de se diriger vers les magasins. Il lui restait suffisamment d'argent pour s'acheter une nouvelle PSP édition limitée, quelques snacks pour la route et enfin deux cartouches de sa marque de cigarettes favorite. Il trouva chez un vendeur de voitures d'occasion une véritable poubelle ambulante, une vieille Ford sortant tout droit d'un film à petit budget des années 70 mais la paya quand même. Il ne l'utiliserait que pour un voyage et s'en débarrasserait juste après.
Il appela Jay pour lui dire que tout s'était bien passé et qu'il rentrerait dès qu'il le pourrait. Il ne put s'empêcher d'avoir un sourire lorsque Jay lui demanda comment était le contact devant faire la transaction. Avant de quitter Los Angeles, il refit le plein d'herbe pour sa consommation personnelle, et le plein d'essence pour la poubelle ambulante qu'il s'apprêtait à conduire.
Il quitta la ville à minuit, parfaitement réveillé.
Plutôt que de passer par la grande route, Matt décida de faire quelques détours. Il n'était plus si pressé que ça de rentrer. L'ordinateur sur le siège du mort, il tapotait de temps à autre pour envoyer des informations à ClockTower concernant le député Milligan. Ce trouillard avait mordu à l'hameçon de façon prodigieuse et proposait dix mille dollars contre le silence de Matt. Un prix bien inférieur à la récompense que lui avait offerte son épouse pour son travail. Matt laissa un nouveau message au député, lui demandant le double tandis que ClockTower négociait avec l'autre député. Tout se présentait bien pour l'instant. C'était une technique risquée, et qui ne pouvait durer que quelques jours. Dans moins d'une semaine, l'un des camps rendrait le tout public : soit l'épouse pour un divorce retentissant, soit le rival de Milligan et pourquoi pas Milligan lui-même pour cesser de payer. Matt s'en moquait bien dès l'instant où il recevait l'argent.
Une cigarette aux lèvres, Matt chantonnait. Il n'y avait personne sur la petite route qu'il avait choisi de prendre. Les autres conducteurs préféraient les embouteillages aux longs détours, tant pis pour eux. Dans trois heures, s'il suivait bien son plan, il retomberait directement sur l'Interstate 90 et arriverait à New York le 13. Parfait.
A la radio passait « Run, Run, Run » de The Who. Matt, exhalant la fumée par les narines, murmurait les paroles, tapant de ses doigts en rythme sur le volant.
Your horseshoe's rusty and your mirror's cracked
You walk under ladders then you walk right back
De la bonne musique.
- Run, run, run, reprit Matt, fixant la route éclairée de la lumière blafarde des phares.
Whenever you run, I'll be running too
Whenever you run, I'll be following you
Ce fut à ce moment qu'il le vit.
En une brève seconde, il vit un homme apparaître, se matérialisant devant ses yeux. Ce fut cet instant où les lois physiques se cassaient la figure et qu'il devenait parfaitement normal que des êtres humains apparaissent sur les routes en pleine nuit. Matt le vit en une fois, aveuglé par l'éclat des phares, en plein milieu de la route, comme s'il était là depuis toujours.
- Bordel de…, commença Matt, abasourdi.
Il ne put finir sa phrase car ce qu'il aperçut ensuite lui retourna l'estomac. L'homme, le dos voûté, releva la tête au bruit du moteur et la lumière dévoila son visage.
Son visage. Il n'avait plus de visage.
- Oh merde !
Horrifié, Matt n'eut le droit qu'à quelques secondes pour presser de toutes ses forces sur la pédale de frein, et prit un brusque virage pour éviter la collision. Dans un crissement de pneus la voiture se retrouva perpendiculaire à la route et Matt fut envoyé contre le volant malgré la ceinture de sécurité. Il entendit très clairement les os de son cou craquer et sous la douleur remercia le ciel de lui avoir laissé les poumons intacts et non pas broyés sur le tableau de bord. La respiration sifflante, les bras cramponnés au volant, il vérifia l'état de son ordinateur portable. Ca pouvait aller, il était tombé par terre mais ne s'était pas cassé. Au pire, l'écran avait pris un choc mais ce n'était pas grave.
- Tout va bien, tout va bien, haleta Matt.
Bordel, non ça n'allait pas. L'adrénaline passait dans son corps en flux successifs de chaud et de froid et il mourrait envie d'uriner. Se retenant de mouiller son pantalon, il sortit de la voiture, les jambes tremblant encore frénétiquement. Il n'avait pas l'habitude de passer aussi près de la mort. La radio passait maintenant les Isley Brothers mais Matt n'écoutait déjà plus. Son cou était encore douloureux et il grimaça lorsqu'il toucha son ventre. Il n'allait pas tarder à avoir un bleu.
La sueur se glaçait sur son front. Après un instant d'hésitation, il chercha dans la boîte à gants le calibre 38 que Jay lui avait donné au cas où les choses tourneraient mal. Il savait à peu près se servir d'une arme à feu mais il était très différent de tirer sur quelqu'un qui bougeait et une pancarte en bois. Ses genoux tressaillirent lorsqu'il s'avança jusqu'à l'homme qui sous le choc s'était écroulé sur la route.
Pendant un long moment, Matt resta interdit, n'osant ni s'avancer ni s'enfuir. La bouche très sèche, il s'approcha finalement du corps recroquevillé. Eclairé par les deux rayons crus des phares, Matt tapota du bout de sa botte le flanc de l'homme inconscient. Aucune réaction. Tenant toujours prudemment le revolver, il mit l'homme sur le dos.
Il éprouva un choc.
C'était un jeune homme, presque un adolescent, même s'il était difficile de le voir avec toutes les blessures qui lui recouvraient le corps. Une odeur de chair brûlée émanait de lui, ce qui soulagea Matt qui aurait eu peur de sentir celle d'un véritable cadavre. Il était habillé de cuir noir, ou plutôt de ce qui ressemblait à du cuir noir. Ses cheveux étaient blonds, lisses, mais sales et brûlés à certains endroits. Lorsque Matt avança une main pour regarder de plus près son visage, il éprouva un frisson mêlant pitié et dégoût. Toute la moitié du visage avait été brûlée, peut-être au deuxième degré, voire même au troisième, Matt n'en était pas sûr. La peau avait comme fondue, et pris une couleur rouge comme de la viande crue. Matt sentait encore de la chaleur en émaner. L'autre moitié ayant survécu au désastre avait des coupures superficielles mais rien de grave, si l'on relativisait. Le garçon avait des lèvres très fines, sèches par le manque d'eau, des joues saillantes, et un nez droit un peu long. Une partie de ses sourcils avait brûlé.
Abasourdi, Matt appuya doucement ses doigts le long du cou du garçon. La brûlure qui l'avait défiguré s'étendait comme une langue de feu jusqu'à son épaule gauche et avait dessiné des empreintes comme si la peau était devenue de la cire. Le garçon, au contact de Matt, émit un bruit à mi-chemin entre le cri et le gémissement mais ne bougea pas. Il était dans un état plus profond que l'inconscience, presque dans le coma.
- Oh putain de Dieu, souffla Matt, les yeux écarquillés.
Il retira ses lunettes, dévisageant le garçon évanoui. Il s'alluma une cigarette et d'un pas précipité retourna à sa voiture, ouvrit la portière. Sans hésiter, il prit son sac de vêtements et en disposa sur la banquette arrière pour en faire un lit de fortune. Ses affaires allaient puer la chair brûlée et les plaies mais il n'en avait plus rien à secouer. Une bouteille d'eau dans la main, il retourna voir le garçon qui n'avait pas bougé.
Matt le dévisagea encore un instant, aspirant une dernière bouffée de sa cigarette.
Il était vraiment dans une sacrée merde.
A suivre
