Commentaire: Un corps dans un état épouvantable est découvert dans un bois de Sunnydale. Buffy se lance sur une nouvelle piste alors qu'une main mystérieuse brouille les cartes de sa destinée.
Avertissement de l'auteur: J'avais envie d'explorer ce qui se passait dans la tête des deux protagonistes, donc mon histoire est racontée de deux points de vue différents.
...
Au commencement, il y a un monstre.
Il y a toujours un monstre.
Il est là, tapi dans l'ombre. Il dort sous les profondeurs de la terre en attendant qu'on le libère de ses chaînes. Il est bien plus terrible que tout ce qu'on peut imaginer. On ne sait pas quand il va frapper.
Il ne bouge pas, il attend son heure.
Peut-être le début du cauchemar?
...
Les pelouses de banlieues sont inondées de soleil. Tout a l'air si calme le jour. Sous la lumière, c'est incroyable comme les maisons alignées semblent paisibles. Ce quartier me ressemble: les façades sont souriantes et lisses.
Le pouvoir rend si solitaire. J'ai mis du temps à comprendre où était ma place. Je n'ai pas choisi d'être ce que je suis, une Tueuse, et pourtant je dois rester forte en toutes circonstances. Continuer d'être la justicière sage et blonde que je ne dois jamais cesser d'être.
Garder le contrôle envers et contre tout. C'est une question de survie. Le monde est si dur. Les autres comptent sur moi, Willow et Alex. Même Giles. Ils savent trop bien que je suis l'Elue. Ils s'imaginent tous que mes ressources sont inépuisables. Mais où trouver la force quand mes nuits sont peuplées de cauchemars?
Ne pas baisser ma garde, jamais. Pas le choix. Le rempart ultime contre les forces du mal, c'est moi. Régulièrement, il faut s'entraîner, parfaire ses techniques de combat, aiguiser ses réflexes. Exécuter, trucider, pieuter, finalement, c'est devenu mon travail, la routine. La vie des autres en dépend. Quant à la mienne... elle a maintenant si peu d'importance.
Alors que, dans le fond, en ce moment j'aimerais surtout... fuir mes responsabilités. Il y a eu tant de circonstances où j'ai dû me montrer inflexible avec les gens que j'aime. Le jour où j'ai tué Angel en le regardant droit dans les yeux. Comment ai-je pu être si indifférente au mal-être de Riley? Et si dure envers ma soeur quand Maman est partie. J'ai eu tellement peur qu'on nous sépare, comme si on m'arrachait une partie de moi-même. Maman a laissé un grand vide, elle s'occupait de tout.
Maman...
Savoir enfin qui je suis. Oser m'affranchir des lois et du regard des autres, des sarcasmes d'Alex, de l'inquiétude que je lis dans les yeux de Willow, ou la désapprobation de Giles, alors que ce qui m'importe le plus au monde, c'est préserver l'innocence de Dawn. A tout prix.
Le jour se retire. C'est l'heure entre chien et loup. Le crépuscule soulève la fraîcheur de la nuit. Il est temps que je parte. Je sillonne les rues de Revello Drive, le poing crispé sur un pieu au fond de ma poche. D'un pas sûr et décidé, je franchis la ligne. Je pars en chasse.
A fréquenter les créatures de la nuit on finit par leur ressembler. Je voudrais disparaître de l'autre côté du miroir et embrasser mon reflet en négatif, m'effacer dans l'oubli.
J'ai mis du temps à accepter ma part d'ombre.
Accepter que je puisse aimer m'évanouir dans l'obscurité pour aller hurler avec les loups, être ce que je suis vraiment quand je suis seule et que la nuit tombe.
Quand la bête aux yeux d'or me fixe dans l'ombre, et me fige en un long frisson étrange. M'attire pour que je me fonde en elle.
Quand la nuit m'enveloppe dans son grand manteau noir.
Son nom est... Son nom est...
...
...Spike, mon nom est Spike.
Autrefois, j'étais William le Sanglant. Pendant plusieurs siècles, j'ai mené une existence impitoyable. Je n'ai fait qu'écouter mon instinct de prédateur. Force et violence, voilà tout ce qui comptait à mes yeux...
Et le sang. Surtout le sang.
Pour en obtenir, j'ai assassiné, torturé, égorgé. Des hommes, parce qu'ils m'apportaient énergie et vigueur. Et des femmes aussi de préférence, parce que leurs cris de terreur étaient des moments de grâce. Et peu importe ce qu'elles étaient: jeunes ou vieilles, riches ou pauvres... quand la mort s'abat sur vous, elle se fiche des conventions, de la vie que vous menez ou de la maison dans laquelle vous vivez.
Être vampire m'a libéré des lois humaines. Je me fiche des carcans et de l'hypocrisie sociale.
Tous les hommes, sans exception, sont des proies potentielles et il n'y a qu'à tendre la main pour se servir. Le fil de la vie est si facile à trancher. Regardez un peu du côté des pavillons de Sunnydale, comme ils paraissent tranquilles, ou plutôt, comme ils ont l'air ennuyeux. Quand le destin frappe à votre porte, savez-vous vraiment qui vous invitez à entrer dans votre vie? Où n'êtes-vous pas plutôt tentés de vous laisser envahir par l'inconnu?
J'ai traversé le temps, terrorisé l'Europe, écumé le monde et les sept mers.
Un soir, par goût de conquêtes, je suis arrivé à Sunnydale. J'avais entendu des démons en tout genre parler d'elle, la Tueuse.
Je suis donc parti mettre un nouveau trophée sur mon tableau de chasse. J'ai su que j'allais la suivre dès la première fois où je l'ai vue danser au Bronze, au milieu de tous ces jeunes loups qui la reluquaient.
J'ai su que j'allais aimer la détester.
Depuis, sa présence m'obsède et l'éternité ne suffit pas.
Ainsi est-elle devenue mon plus merveilleux cauchemar.
Toutes les nuits je la retrouve en rêve, et ces nuits-là dans le secret de ma crypte, elle devient ma belle guerrière. Je lutte avec elle, encore et toujours, pour un corps à corps sans trêve où je refuse de laisser grandir l'animal en moi pour la plus délicieuse des punitions. A chaque fois, immanquablement, elle me colle une raclée, ou bien elle se trouve à deux doigts de me pieuter. Et à chaque fois, je fais exprès de lui laisser le dessus, et je prends un peu plus conscience qu'elle a dompté la bête en moi.
J'ai donc fini par me laisser enchaîner. Volontairement.
En attendant la fin du jour, je me consume. Tous les soirs, je brûle d'être avec elle pour ressentir encore cette douleur qui me fascine. Je guette le bruit de ses pas dans l'obscurité de nacre.
La lune se lève et elle apparait.
Elle ne fait pas que hanter mes rêves, elle habite mes nuits. Elle m'éveille au monde et je me nourris de sa lumière. Avec elle, je me sens vivant. Quand elle parcourt mon territoire de son allure souple, je me mets sur sa piste. Je sens la respiration accélérée de sa course vive. Je suis dans son sillage, je la rattrape enfin.
Tout l'art consiste à lui faire croire que je tombe sur elle par hasard.
« Ça alors, le Petit Chaperon Rouge! Tu t'es perdue? »
Je devine sa silhouette dans l'opacité de mon trouble. Un halo éclaire ses boucles blondes et souligne son profil décidé.
Le bras armé d'un pieu s'est levé en un geste instinctif, prêt à frapper.
« Tu aimes vivre dangereusement, on dirait? » A-t-elle fait remarquer en me reconnaissant.
« Pour ça, Tueuse, la mort ne suffit pas. »
Si au moins elle se laissait approcher, je chercherais seulement à poser ma tête sur son coeur. Je l'écouterais battre, juste pour me donner l'illusion que le mien bat encore.
Mais je sais déjà qu'elle va me jeter, comme chaque fois.
...
« Dawn, tu vas être en retard à l'école! »
Cette phrase j'ai l'impression de la répéter tous les matins. Elle est probablement encore à traîner dans la salle de bains, ou dans la chambre à hésiter sur le T-shirt qu'elle va mettre aujourd'hui, ou à préparer son sac de cours au dernier moment.
C'est de son âge.
Elle déboule dans l'escalier à toute vitesse, son sac sur l'épaule.
« Je sais, dit-elle en passant à ma hauteur, cette semaine, j'ai carrément abusé. Je t'en prie, Buffy, ne dis rien! »
Il serait temps qu'elle se prenne un peu en charge. Heureusement que Willow et Tara sont là le soir, sinon la cuisine ressemblerait à un champ de bataille.
Je soupire.
« Tu vas rater le bus. »
Elle passe devant moi en trombe. S'arrête pour attraper une pomme. Elle a tellement l'air d'être encore dans l'enfance. Je remets en place la mèche rebelle qui tombe sur son oeil candide.
« A ce soir, Dawn...
- A ce soir! » Lance-t-elle en claquant la porte.
Une odeur délicieuse éveille mon appétit et m'attire vers la cuisine. Emmitouflée dans un châle aux couleurs vives, Willow est assise sur un grand tabouret en train de prendre son petit déjeuner, la tête négligemment calée sur sa main, les doigts mêlés au cuivre de ses cheveux. Elle est absorbée par la lecture du journal ouvert à côté d'elle.
« Tu tombes bien, j'ai fait des pancakes. Beurre de cacahuète? » D'un air interrogateur, elle se redresse et me tend un pot dans lequel trempe une cuillère.
« Volontiers, je meurs de faim. J'ai patrouillé toute la nuit. » Je m'installe à côté d'elle en étouffant un bâillement.
« Pas de mauvaise rencontre?
- Si. Je suis tombée sur Spike. »
La petite sorcière rousse ébauche un sourire. A la voir si tranquille, on n'imagine pas la force qui dort en elle.
« Par mauvaise rencontre, je voulais dire... dangereuse pour toi.
- Parce que tu crois qu'il n'y a aucun risque à croiser Spike sur sa route?
- Pas pour un être humain normalement constitué, en tout cas. » Me répond-elle le nez dans le Sunnydale Press. « La castration électronique, ça a du bon. On n'arrête pas le progrès. »
Si elle savait... L'attraction que j'exerce sur le vampire se fait de plus en plus tangible chaque fois. C'est de pire en pire. Je ne pense pas que la puce implantée dans son cerveau par l'Initiative change quoi que ce soit. Je vais me servir un verre de lait dans le frigo.
« Tu as vu ça? »
Willow pointe du doigt le titre qui s'étale à la une du journal local qu'elle est en train de lire: Découverte morbide dans les bois du Northside. Elle parcourt l'article des yeux tout en me le résumant.
« Ils disent que l'affaire a été étouffée par la police et vient d'être révélée à la presse. Un homme, dont on a dissimulé l'identité, serait la victime d'un tueur en série. Les circonstances de la mort demeurent mystérieuses mais des sources proches de l'enquête, révèlent que la victime a eu les yeux... enlevés. C'est bizarre. Qu'est ce que tu en penses?
- Si près de la Bouche de l'Enfer, c'est toujours bizarre. C'est peut-être pas un tueur en série. »
Simple curiosité, mais je dois en avoir le coeur net. Ma journée commence par une horreur de plus. Je pourrais me tourner vers mon ancien observateur. Il a toujours du flair dans ce genre de situation. Il m'a tout appris. Mais finalement, non. Depuis l'année dernière, Giles sait que sa mission auprès de moi est terminée. Il prend peu à peu conscience que la bande d'adolescents que nous étions commence à voler de ses propres ailes.
« Inutile d'en parler à Giles tout de suite. Willow, tu peux te renseigner d'abord, s'il-te-plaît?
- C'est parti! Je vais à la fac ce matin, mais en rentrant je regarde sur internet. Je te tiens au courant dès que j'en sais davan... »
Encore une horreur de plus...
« Buffy ça va pas? »
En ce moment tout me paraît difficile, même vivre. Surtout vivre. Je ne me reconnais pas. Je n'y arrive plus.
Je souris bravement face à l'inquiétude de Willow, mais dans le fond, je résiste à l'envie de me prendre la tête à deux mains, j'aimerais tout envoyer balader.
« Si, si, ça va. Je... » N'importe quelle raison débile fera l'affaire. Il faut dissimuler le mal-être profond qui ronge mon âme depuis mon retour. La fuite... La solution se trouve dans la fuite, justement. « Une fuite d'eau! Je crois qu'il y a... une fuite d'eau... Dans la salle de bain. » Je devrais me montrer plus persuasive car Willow lit en moi comme dans un livre ouvert. « Je dois trouver l'adresse du plombier. Je n'aime pas fouiller dans les vieux papiers de Maman... »
La rouquine entoure mes épaules de son bras. Elle a un regard compréhensif, un poil moqueur.
« Résistons aux petits tracas de la vie quotidienne! Tu vas trouver une solution. » Me dit-elle en hochant la tête. Je vois à son air désolé qu'elle compatit pour moi mais pas pour les raisons qu'elle imagine. Elle me parle doucement. « Tu sais la vie... c'est... comme une aventure... avec plein de nouveaux défis à relever. »
Des défis? En ce moment, même l'idée de commencer une nouvelle journée m'épuise. Et je me fous complètement des questions de plomberie.
« C'est que... les soucis domestiques, c'est à moi de m'en occuper maintenant. Elle m'a passé le relais.
- La vie continue, Buffy. Les gens, les choses se transforment. Et toi aussi, tu passeras à autre chose. Ainsi va la vie... Tu reviens de loin. C'est normal que tu aies peur. Les passages font toujours peur. »
Willow me retourne face au miroir de l'entrée. J'ai l'air triste, mais au-dessus de mon épaule, son sourire rayonne.
« Tu ne dois jamais oublier qui tu es. Regarde comme tu es belle. Tu es jeune. Tu as la vie devant toi. »
Jamais je n'atteindrais l'âge de ma propre mère. Pourquoi me dire ça? Elle sait pourtant que l'espérance de vie d'une Tueuse ne dépasse pas vingt cinq ans et j'ai déjà tant de bleus à l'âme. J'ai l'impression d'avoir cent ans.
« Je vais être en retard. On se voit ce soir? »
Elle se lève et me serre maladroitement contre elle, dans une embrassade chaleureuse et réconfortante. Elle prend sa veste, attrape deux, trois bouquins, hésite avant de disparaître. La porte se referme derrière elle. Willow est si sérieuse. Elle ne raterait un cours pour rien au monde.
...
« Un...
Deux...
Trois...
Nous irons au bois »
Une voix féminine égraine les notes simples de la comptine. Il y a quelque chose de dissonant dans le ton trop appliqué de la voix.
Des mains blanches sont en train de brouiller les cartes. Elles volent comme des oiseaux de malheur sur les lames prophétiques jaunies par le temps.
« Quatre, cinq... »
Les tarots parlent et racontent des secrets. L'avenir se lit dans les arcanes majeurs. La première carte est retournée: Le diable, figure gothique, trône en majesté. A ses pieds, se traînent des créatures inhumaines et grimaçantes. La carte porte le XV en chiffre romain.
« Sixxxx... »
La mélodie se fait sifflante. Les mains palpitent au-dessus d'un sein froid sur lequel se tordent des cheveux noirs.
« Cueillir des cerises... »
XVIII – La lune.
« Sept, huit, neuf,
Dans un panier neuf »
Ses yeux morts brillent comme des écailles.
XII - Le pendu.
« Dix... »
Les mains aux ongles noirs s'accrochent sur la carte qui vient d'être retournée.
XX - Le jugement.
« Onze...
Douze... »
L'ultime carte, la treizième arcane, celle qui ne porte pas de nom, vient de tomber.
La voix féminine au timbre funeste récite sa mélodie entêtante aux accents terrifiants et glacés. La chanson enfantine se fait gutturale. Le corps pris d'un tremblement convulsif est gagné par une énergie fiévreuse.
« Elles sont... toutes... »
Sa tête roule en un mouvement lascif et doux. Les mots coulent de sa bouche aux lèvres de sang.
« ... rouges! »
...
Commentaire de fin: Pas trop déroutés? Alors vous êtes mûrs pour la suite.
