Les rumeurs allaient vite au cœur de Londres. Les Britanniques murmuraient et paniquaient en silence, leurs esprits s'agitant plus violemment que leurs mots. Car une rumeur était née des ténèbres, comme l'effluve morbide d'un rat coincé dans les recoins d'un égout : la décomposition est discrète, presque invisible, puis explose au grand jour et se révèle à la vue, mais surtout au nez de tous. Les adolescents parlaient de ce tueur comme d'un mythe invisible, reprenant toutes ces paroles propres aux faiseurs de légendes urbaines : "Mais si, c'est l'amie du cousin d'un copain qui me l'a raconté, c'est forcément vrai…" Mais Sherlock connaissait la vraie version des faits. Et sous son masque glacé d'indifférence se cachait une angoisse froide, glacée, qui réveillait en lui un sentiment inconnu : la peur.
Ce soir-là, il errait dans les rues adjacentes à celle de Baker Street. Une nuit d'été banale, identique à toutes celles de ce mois d'août. Un vent léger faisait danser ses boucles brunes, alors qu'il avançait à grandes enjambées, sans néanmoins avoir de but. Le brun avait passé la journée à dormir, exténué sans raison par une semaine d'enquêtes pourtant habituelle. Se retournant dans son lit, offert aux bras de Morphée, il rêvait d'une pièce sombre, seulement éclairée d'un candélabre dont la flamme vacillait, menacée par le souffle régulier d'un visiteur inconnu qui se cachait dans le noir, tel le croque-mitaine. Le brun plissait les yeux dans l'espoir de distinguer les traits de cet hôte silencieux, mais il n'y avait que cette bougie, fine comme un cierge, tâche blanche dans un fond infini de noirceur. Alors qu'il s'avançait, un plat de service se dessina doucement, posé juste devant la source de lumière. Une assiette en porcelaine. Sherlock hâte le pas, découvrant une assiette pleine d'un met inconnu. On aurait dit un morceau de viande de premier choix, cuit avec une chair encore saignante pour ne pas dire bleue, élégamment mais néanmoins simplement présentée dans sa jolie auge. La respiration s'accélère et se fait plus proche, presque rauque. Un frisson secoue les épaules du détective, alors qu'un regard havane se détache dans l'obscurité. Une paire d'œil vifs, perçants, pénétrants, que Sherlock connaît trop bien…Et alors qu'il murmure son prénom, le détective entends un rire résonner dans le silence. Trop près, bien trop près…
Le détective se réveilla en sursaut, jetant d'un geste brusque et las les draps qui collaient à sa peau trempée. Pourquoi fallait-il que son esprit, le cerveau le plus intelligent de Londres, se laisse-t-il emporter dans une histoire aussi sordide et pathétique que celle-ci? Ce n'était pas digne de son exceptionnelle perspicacité. Aussi, après avoir passé le plus clair de son samedi à somnoler, Sherlock avait décidé de prendre l'air, ignorant ce froid caractéristique des sorties nocturnes, faisant fi du danger qui courait les rues. John était absent ce week-end, mais le brun n'avait pas porté grande attention à la raison pour laquelle il s'était éclipsé. Quelque chose en rapport avec Harry, rien de bien affolant. Il lui avait répondu quelques mots, à la volée, envoyant vaguement balader son colocataire. Ce dernier ne rentrerait pas bien tard, peut être au cour de la soirée de dimanche, ce qui laisserait l'occasion au détective de se vider un peu la tête. Mais en réalité, il s'était ennuyé comme un rat mort, tournant dans l'appartement tel un poisson peu loquace.
Un grognement sourd sorti Sherlock de sa torpeur. Son estomac faisait la gueule, n'appréciant pas vraiment d'être délaissé de la sorte. Sans son docteur attitré pour lui rappeler les nécessités de son corps, le brun n'avait pas vraiment tendance à tendre l'oreille et à prêter attention aux lamentations de son système. Cela faisait bien deux jours qu'il n'avait pas pris le temps de s'arrêter pour manger. Trop préoccupé par le flux constant des pensées qui inondait son palais mental, il omettait souvent de se nourrir. Mais comme John le surveillait de près, il finissait toujours par avaler quelque chose. Un muffin beurré avec de la confiture, des œufs au plat, des crumpets… Le docteur était un inconditionnel du breakfast british, à tel point qu'il était entièrement envisageable et acceptable pour lui de se nourrir exclusivement de ces aliments propres au petit déjeuner. Probablement en raison de sa mère absente, qui préférait lui servir des céréales chocolatés plutôt qu'une assiette bien garnie dégoulinante de beans. Sa soeur ayant pitié de sa moue triste devant l'inexistence du brunch dominicale, elle lui préparait parfois un repas traditionnel, à l'ancienne, et l'odeur enivrante du pain grillé emplissait le coeur de John d'un bonheur incomparable. Aussi, dès ses premiers jours de vie adulte, il avait décidé de manger comme bon lui semblait, comme il avait toujours rêvé de le faire, et tant pis si cela revenait à faire grimper à la hausse le chiffre d'affaire de Heinz.
Sherlock n'avait pas la tête à arrêter ses errances nocturnes, mais les borborygmes étaient devenus trop menaçants pour le laisser réfléchir comme bon lui semblait. Un peu réticent, intimant silencieusement à son estomac l'ordre de se taire, il releva la tête dans l'espoir de trouver un quelconque endroit où il pourrait dîner, vite fait bien fait, pour retourner sans trop tarder au dehors. Par chance, les néons blafards d'un restaurant de quartier brillaient au bout de la rue, grésillant dans le quasi-silence de l'allée déserte. Sherlock accéléra le pas, et, sans même prendre la peine de jeter un oeil au menu, s'assit à une table sans piper mot. Le serveur a l'air d'un imbécile, à prendre un ridicule accent français comme si cela pourrai le rendre plus intéressant. Le fixant d'un air dédaigneux, le brun attends impatiemment qu'il finisse de lui vendre ses salades, et demanda, un peu au hasard, le plat du jour.
En attendant que le cuisiner fasse son œuvre dans les cuisines, le détective se mit à songer à une des raisons de son inquiétude actuelle: la dénommée Rose Wainwright, disparue jeudi en fin de journée. Envolée comme une fleur, échappant à la circulation si discrètement qu'aucun voisin n'avait remarqué son absence. Une jeune femme d'une vingtaine d'années, la fleur de l'âge, comme aimait le dire Mme Hudson. Profil banal, jolie sans être belle, cheveux blonds, 1m69, corpulence normale. Étudiante en art dans une bonne faculté de Londres. Dans le genre petites tresses, jupe droite, baskets et chaussettes blanches. Pas fille de bonne famille, mais pas non plus catin. La girl next door typique, qui s'était fondue dans la masse, et s'était effacée encore plus rapidement qu'elle n'était arrivée dans le quartier.
L'arrivée du pompeux serveur sortit Sherlock de ses pensées. Glissant un doigt machinalement entre ses boucles brunes, il jeta un coup d'oeil à l'assiette qui venait d'être déposée sur la table. Une belle pièce de viande, présentée dans un plat de couleur pâle, avec des pommes de terre en robe de champ ornées de quelques brins de ciboulettes. Des haricots verts en fagots, unis par une fine tranche de lard, trônaient fièrement aux côtés de la chair encore saignante, dont les sucs suaient doucement, colorant la vaisselle blanche. La salive monta aux lèvres du détective alors qu'il détaillait l'agencement des aliments. Cela faisait longtemps que son corps n'avait pas réagit de la sorte, et John serai ravi d'apprendre que son colocataire était capable de se nourrir tout seul, sans l'aide de personne… Alors qu'il dépliait d'une geste vif la serviette violette afin de la déposer sur ses cuisses, Sherlock sentit son téléphone vibrer dans sa poche, l'espace d'une seconde. Un sourire naquit sur ses fines lèvres: était-ce Lestrade qui se manifestait enfin, avec de nouvelles informations au sujet de la jeune disparue? Son index glissa sur l'écran pour le débloquer, affichant le contenu d'un message:
" La chair de vierge est-elle à ton goût, Sherlock? Je ne savais pas si tu la préférais bleue ou à point… JM"
...
Verdict pour le premier chapitre ?
Pour ceux qui aiment les bonus et connaître les petits détails cachés, sachez que le regard d'Hannibal Lecter a été décrit, dans les romans de Thomas Harris, comme étant de couleur havane… Petit clin d'œil à mon personnage de bouquins favoris !
J'attends vos reviews! :)
