-Chapitre 1- au cœur de la forêt
Le petit matin se levait sur la forêt. Les premiers rayons de soleil éclaircissaient les feuillages, les animaux nocturnes rentraient se réfugier après une nuit de chasse agitée, tandis que leurs voisins sortaient le bout de leur nez. Rompant cette quiétude, les claquements des sabots d'un cheval au galop perturbèrent les résidents de cette forêt habituellement si calme à cette heure. Lancé à toute vitesse, un cavalier traversait les fourrés, bien accroché à sa monture. Les mains fermement serrées sur les rênes, les yeux noirs en amandes fixés droits devant lui, le jeune homme avait la respiration saccadée, comme s'il donnait toute son énergie à son animal. Ils semblaient fuir quelque chose, et les bruit de galops derrière eux confirmaient qu'il s'agissait d'une course-poursuite. Les manches amples de sa chemise blanche voletaient librement, et on pouvait voir apparaître à sa ceinture le fourreau d'une longue épée. Il était habillé légèrement pour un cavalier armé : un simple pantalon brun, en tissu épais, avec des bottes de cuir qui montaient jusqu'à ses genoux. Par-dessus sa chemise, il portait un veston noir aux boutons d'or.
Trois cavaliers étaient à sa poursuite, tous portaient le même uniforme rouge et noir, de grosses épées dans leur dos. L'un d'eux avait même une arbalète. Ils paraissaient être des chasseurs courant derrière leur proie. Ils commençaient petit à petit à le rattraper, profitant d'un chemin plus facile quelques mètres à côté de lui. L'arbalétrier sortit son arme et pointa une flèche vers lui, sans même lui donner l'ordre de s'arrêter. Ces hommes ne se préoccupaient pas de l'attraper sain et sauf. Le fugitif se pencha sur sa monture qui accéléra. Il eut juste le temps d'entendre le sifflement de l'arbalète avant de ressentir une douleur fulgurante dans le bas du dos. La flèche s'était fichée dans sa hanche, la tige vibrant au rythme de la cavalcade et accentuant la douleur à chaque pas. Cela ne l'empêcha pas de continuer à presser son cheval, il aurait le temps de se plaindre de la douleur lorsqu'il serait hors de portée de ses assaillants. Il ne vit que trop tard le gouffre droit devant lui, qui séparait la forêt sur quelques mètres. C'était jouable, il avait confiance en son cheval, avec un tel élan il pouvait sauter et arriver de l'autre côté, qui était légèrement moins boisé. S'il se laissait rattraper par les soldats, il mourrait, alors autant tenter le tout pour le tout. Sa monture était aussi fière et impétueuse que lui: elle non plus ne voulait pas se laisser prendre. Jusqu'au dernier pan de terre, le cheval continua sa course avant de fléchir au maximum ses membres postérieurs. Il déplia ensuite ses pattes, comme un ressort et bondit, comme s'il volait. Son cavalier crut une seconde qu'ils allaient tomber dans le vide, mais il sentit à nouveau le sol sous les sabots de son cheval qui chancela un instant avant de reprendre sa course. Derrière, ses poursuiveurs étaient arrêtés net de l'autre côté du gouffre, pris par surprise par ce coup de chance. Mais le jeune homme était loin de se sentir en sécurité, alors il continua à galoper dans la forêt pour s'éloigner le plus possible de ceux qui veulent l'attraper.
xXx
Au cœur de la forêt, se trouvait un véritable petit village niché dans les arbres. Quelques cabanes étaient dressées à même le sol mais beaucoup d'autres avaient été construites en hauteur, reliées entre elles par des ponts de cordes et planches de bois. Une jeune femme s'éveillait en s'étirant, au son des chants des oiseaux et des coups de haches qui coupaient du bois quelques mètres plus bas. Jimin sortit de son lit de fortune et alla se laver le visage grâce à un seau rempli d'eau près de la porte grande ouverte de sa cabane de bois. Elle avait gardé ses vêtements de la veille, une tunique en cuir près du corps, qui permettaient de se mouvoir sans être gêné par quoique ce soit. Elle se recoiffa en passant les doigts dans ses cheveux bruns coupés au carré et prit son épée posée contre le mur avant de s'avancer sur la plateforme qui bordait sa modeste habitation, construite en équilibre entre deux arbres. La vie s'était animée dans sa petite communauté : on commençait à préparer le petit déjeuner avec les aliments fournis par la forêt et quelques miches de pain ramenées de la ville la plus proche. Il y avait énormément de femmes qui vivaient ici-bas, de tout âge. Les rares hommes n'étaient pas encore majeurs, seulement deux ou trois de plus de vingt ans résidaient au campement. Jimin soupira longuement, elle menait ce clan avec fierté et elle ne laisserait jamais personne briser leur petite vie, loin du gouvernement actuel, patriarcal et despotique. Elle se souvenait à peine des beaux jours insouciants passés avec ses parents, à la cour du Roi, avant qu'un coup d'état n'éclate et fasse basculer la monarchie, décimant presque toute la famille royale. Le chef de l'armée, qui fut pourtant le plus proche conseiller du Roi, prit le trône de force aidé de ses hommes, et mène depuis presque vingt ans une politique sévère sur tout le royaume. Comme beaucoup d'aristocrates fidèles au Roi, les parents de Jimin avaient été exécutés. D'autres avaient pu fuir vers les pays voisins, jusqu'à ce que plus aucun partisan de l'ancien régime ne puisse nuire au nouveau souverain.
Jimin continua de contempler avec bienveillance l'agitation en contrebas. Elle sourit lorsqu'elle vit une jeune femme aux cheveux blonds et courts, assise au milieu d'un cercle d'enfants, semblant leur raconter une histoire ou bien leur expliquer les bienfaits de la nature et ce qui pourrait leur être utile. Elle jeta un œil plus loin, vers la tour de garde, où une sentinelle guettait le moindre mouvement suspect. C'était une matinée comme les autres, jusqu'à ce qu'un cri d'alerte vint perturber la tranquillité du camp.
- Un cavalier ! cria la sentinelle.
Le sourire de Jimin s'évanouit et elle descendit de son arbre à toute vitesse alors que les femmes qui étaient en bas la regardèrent avec inquiétude. Elle courut jusqu'à la tour de garde pour rejoindre celles qui étaient déjà prêtes à accueillir l'intrus, les arcs bandés. Elle se mit à côté d'une jeune femme aux longs cheveux cuivrés qui pointait le bout du chemin avec sa flèche.
- Hyejung, chuchota Jimin. Que vois-tu ?
- Il est seul, répondit-elle. Son cheval a ralenti.
En effet, un cheval noir apparut en trottant, son cavalier avait l'air désorienté. Il ralentit encore le pas et les jeunes femmes virent avec surprise l'homme glisser de sa selle et retomber lourdement sur le sol, immobile. Hyejung détendit son arme, les yeux ronds, et décida d'elle-même d'aller voir ce qu'il se passait de plus près. Elle laissa son arc mais sortit son épée de son fourreau par précaution. Tandis que le cheval allait se repaître d'herbe fraîche, son cavalier restait inerte. Allongé sur le flanc gauche, on pouvait voir clairement la tige cassée d'une flèche plantée dans sa hanche. Hyejung s'avança encore avec prudence jusqu'à arriver à lui. Il respirait encore, il n'était même pas inconscient, car il tourna la tête vers la jeune femme, les traits tirés par la douleur. Mais il paraissait soulagé, même lorsqu'elle posa la pointe de sa lame contre sa gorge. Que voyait-il ? Le soleil illuminait la chevelure de Hyejung, donnant une aura dorée à sa silhouette. Ce fut à ce moment-là qu'il perdit connaissance. La jeune femme rangea son épée et fit un signe à Jimin pour lui indiquer qu'il n'y avait aucun danger. Très vite, on amena le cheval dans l'enceinte du camp pour lui donner de l'eau et lui permettre de se reposer après sa course éreintante. Quant au cavalier, on le mit sur une civière et on le conduisit dans une des plus grandes maisons en bois qui servait d'infirmerie. On l'allongea, posé délicatement sur le côté.
- Faites venir Choa, dit Jimin.
La jeune femme blonde entra avec un bac d'eau chaude et du linge propre, tandis que Hyejung se chargea de découvrir la plaie. Elle retira d'abord le veston avec minutie et déboutonna la chemise. Puis se fut au tour du pantalon d'être desserré, afin de permettre à Choa d'examiner la blessure. Celle-ci semblait soucieuse, penchée sur le dos de cet inconnu.
- Retirer cette flèche va être une opération délicate. Je ne sais pas à quoi ressemble la pointe, je risque de lui déchirer des organes si elle est trop charnue.
- Qu'est-ce qu'il faut faire alors ? demanda Jimin, les bras croisés.
- On ne peut pas la laisser comme ça ou la blessure va s'infecter.
- Il commence à avoir de la fièvre, ajouta Hyejung qui avait la main posée sur le front du jeune homme.
- Rectification, l'infection commence, soupira Choa.
Il commençait à s'éveiller et à gémir. La douleur était toujours aussi lancinante, et à présent qu'il n'était plus en train de fuir, son esprit et ses sens étaient exclusivement centrés dessus.
- Calme-toi, lui dit Hyejung. Ça fera encore plus mal si tu bouges. Quel est ton nom ?
- Minjun, répondit-il dans un souffle.
- Je n'ai pas d'autre choix que de la retirer d'un coup sec, affirma Choa.
- Très bien, soupira Jimin.
Minjun était de plus en plus agité, alors Jimin lui donna un violent coup dans la tempe avec la poignée de son épée, sous le regard médusé de ses amies.
- Il vaut mieux qu'il soit inconscient, non ? S'il bouge, cela aggravera sa blessure, et au moins comme ça, il ne la sentira pas sortir.
- En plus d'une plaie ouverte je vais devoir soigner une commotion, grommela Choa en nettoyant le contour de la plaie avec l'eau chaude.
Elle posa délicatement sa main gauche sur la hanche, autour de la flèche, tandis que la droite tenait fermement la tige. Elle tira d'un coup sec, sans hésitation, et elle couvrit instantanément la plaie avec un linge. Elle poussa un long soupir, rassurée, lorsqu'elle vit la pointe de la flèche, fine et noire, la marque de la garde impériale.
- C'est un ennemi du royaume alors ? comprit Jimin.
- Comme on dit, les ennemis de nos ennemis sont nos amis, sourit Choa.
- Si c'était si simple… répondit son amie amèrement. J'ai bien retenu la leçon au fil des années : ne donne pas ta confiance trop facilement.
- Maintenant je vais refermer l'entaille avec des points de suture. Il n'est pas encore tiré d'affaire s'il commence à avoir de la fièvre, il faudra le veiller pendant la nuit et lui faire baisser la température. Je vais lui préparer une infusion.
On la laissa finir ses soins. Elle enroula un bandage autour de la taille du blessé et arrangea le lit pour mieux l'allonger. Jimin considéra qu'il était plus prudent de lui attacher les poignets à la tête du lit, et Hyejung fut chargée de veiller sur lui. Durant toute la journée, il resta inconscient, mais sa fièvre grimpa rapidement, jusqu'à le faire transpirer de la tête aux pieds. De temps à autres, Hyejung lui essuyait le visage et le torse avec un linge humide. Dans son agitation, elle l'entendait grommeler des mots incompréhensibles, mais parfois elle discernait des « Père ! » ou « Grand-père ! Grand-mère ! », et elle comprenait qu'il devait se souvenir de moments terribles. Hyejung se posait plein de questions, et elle savait que Jimin se les posait aussi : qui était-il, et pourquoi les soldats du gouvernement l'avaient pris en chasse et tiré dessus ? Qu'avait-il fait ? Etait-il un hors-la-loi, ou une personne qui avait choisi de se défaire du pouvoir en place, comme toutes les personnes présentes dans ce camp ? Choa vint régulièrement rendre visite au blessé, et elle voyait bien que Hyejung s'ennuyait tout en étant intriguée par ce nouveau venu. Tout le monde était curieux et tentait de l'apercevoir. Malgré son sommeil agité, Minjun ne se réveilla pas. Il retrouva même son calme pendant la nuit, et Hyejung finit par s'endormir dans un coin de la pièce.
xXx
Le lendemain matin, Minjun arriva à ouvrir les yeux. La première chose qu'il ressentait fut un mal de tête lancinant et localisé, comme s'il avait pris un coup. Il voulut se palper le crâne mais ses mains étaient attachées aux barreaux en bois du lit, de part et d'autre de l'oreiller sur lequel il reposait. Il voulut se défaire de ses liens, mais en remuant il réveilla sa blessure à la hanche, alors il cessa de bouger en étouffant un cri de douleur. Son esprit s'apaisa peu à peu et il analysa l'endroit où il était : les murs étaient en bois, et le toit recouvert de chaumes. La chambre était sommaire, et on entendait bien le chant des oiseaux à l'extérieur. Il tourna la tête vers la fenêtre, et ce fut à ce moment qu'il remarqua qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce. Une jeune femme était assise à l'embrasure de la fenêtre, endormie, les bras croisés. Elle portait une tunique noire et près du corps, à l'opposé de ce que portaient les femmes habituellement. Ses longs cheveux aux reflets cuivrés étaient tressés avec négligence et reposaient sur son épaule. En tant qu'homme, il ne put s'empêcher de penser combien elle était jolie, le visage allongé, en forme de cœur, et illuminé par les rayons du soleil. Il avait déjà eu cette vision, mais il ne saurait se rappeler d'où. Il releva les yeux vers le plafond en poussant un long soupir, il remarqua lors qu'il était torse nu sous le drap qui le recouvrait, c'était une situation un peu gênante. Il était presque nu, attaché à un lit, blessé… mais au moins il n'était pas aux mains de l'armée impériale. Mais entre les mains de qui était-il, il l'ignorait complètement. La douleur commençait à s'intensifier au niveau de son flanc droit et il dut se concentrer pour ne rien laisser paraître. Il eut à peine le temps de cligner des yeux qu'un petit couteau vola à travers la pièce et se planta juste au-dessus de sa tête.
- Qu'est-ce que… ! s'écria-t-il sous le choc.
Le bruit soudain réveilla la jeune femme et Minjun aperçut une silhouette féminine au niveau de la porte.
- Jimin ! s'écria sa gardienne sur un ton de reproche.
- Bien réveillés tous les deux ? demanda Jimin avec un grand sourire.
- C'était obligé le coup du projectile ? fit Minjun d'une voix aigue. Ce n'est pas comme si je pouvais faire quoi que ce soit.
- J'ai trouvé ça drôle, répondit-elle en haussant les épaules. On se sent mieux ?
- C'est à vous que je le dois ?
- Non, mais je peux te présenter la personne qui t'a soigné. Hyejung t'a veillé durant tout le temps où tu étais inconscient, mais c'est Choa qui a retiré la flèche et pansé ta blessure. Quant à moi, je m'appelle Jimin, et je suis celle qui dirige ce refuge.
La jeune femme blonde entra dans la pièce en portant un sceau d'eau. Elle s'installa à côté du lit d'un air gêné et commença à relever le drap.
- Excusez-moi, je vais examiner la plaie, dit-elle d'une petite voix.
Minjun fit de son mieux pour s'allonger sur le côté, ce qui n'était pas simple avec sa main droite attachée, ce qui le força à se contorsionner un peu. Les doigts fins de Choa défirent le bandage pour découvrir l'entaille provoquée par la flèche.
- On devrait le détacher, non ? demanda Hyejung.
- Je suis d'accord avec cette idée, murmura-t-il, sentant un peu trop de tension sur son épaule.
- Nous savons peut-être son nom mais pas qui il est, répondit Jimin.
- Je me vois mal discuter tranquillement alors que mes fesses sont exposées à une femme, marmonna Minjun. Et comment ça, vous connaissez mon nom ?
- Tu me l'as dit en reprenant conscience avant qu'on retire la flèche, dit Hyejung, toujours assise dans son coin.
- Alors je suis enchanté de faire votre connaissance, reprit-il en souriant.
- Aucun jeu de séduction ne fonctionnera ici, coupa Jimin. Que faisaient des soldats à votre poursuite ?
- Je crois que je ne suis pas le bienvenu dans la grande ville, répondit-il.
- Pour quelle raison ?
- Pour quelle raison êtes-vous recluses dans un campement pareil ? fit-il du tac-au-tac.
- Nous ne voulons plus avoir affaire avec ce gouvernement qui nous opprime. Nous n'avons pas la force de lutter contre un despote qui a volé le trône royale et à qui le titre de « roi » ne suffisait pas. Je préfère mourir que de le considérer comme l'Empereur autoproclamé qu'il est. Les Partisans luttent contre lui, anciens aristocrates ou simple gens du peuple, mais leurs femmes, leurs familles, pour la plupart, ne savent pas tenir une épée, alors je les protège de ce qui peut leur causer du tort. Fais-tu partie des Partisans ?
Choa en avait fini de nettoyer la blessure, alors il se rallongea sur le dos.
- Je ne pense pas qu'on puisse me définir comme tel, je n'ai pas grandi dans ce pays. Ma mère a fui la répression. Mais si je peux m'allier à ceux qui luttent contre cet usurpateur, cela ne peut que m'aider dans le but que je me suis fixé. Je ne te demande pas de me faire confiance, et je ne compte pas te mentir.
Jimin s'avança pour récupérer son couteau et elle en profita pour couper les cordes qui attachaient Minjun à la tête du lit.
- Tu fais donc partie des familles qui ont été exilées.
- Il n'y a ni honte ni fierté à ça. Mon frère et moi sommes les seules personnes de notre famille que ma mère a pu sauver.
- Je te crois, dit simplement Jimin sur un ton plus doux. Tu es en sécurité ici, prends le temps qu'il te faut pour reprendre des forces avant de pouvoir remonter à cheval.
- Merci, à toutes les trois, sourit Minjun en regardant alternativement Choa, Hyejung et Jimin.
Choa lui sourit en retour et Jimin hocha la tête en signe de salutation. Elle savait qu'il cachait des choses, mais il devait avoir ses raisons, alors elle prit le risque de l'accepter temporairement dans son clan. Puis elles le laissèrent seul, à présent qu'il était hors de danger. Il ne tarda pas à se rendormir, même s'il allait être réveillé quelques instants plus tard quand Hyejung lui apporta quelque chose à manger. En même temps, elle apporta une infusion préparée par Choa afin d'atténuer la douleur. Il se disait qu'au fond, il n'était pas si mal dans un tel endroit, mais il n'en oubliait pas qu'on l'attendait ailleurs.
