Bonjour à toutes, je reviens avec une nouvelle fic ! 14 chapitres, dont ce prologue et un épilogue, sont prévus, bref une année en compagnie de 4 couples.
Quand j'ai cherché un titre à cette histoire, j'ai pensé à une de mes chansons préférées de Leonard Cohen, « Chelsea Hotel ». J'ai choisi l'année au hasard, j'aime sortir de la « timeline » habituelle des personnages, et cette année 1979 que j'ai choisi m'a finalement beaucoup inspirée. J'ai fait des recherches, trouvé des coïncidences, des anecdotes, j'ai choisi des faits qui peuvent souvent expliquer le parcours ou la personnalité d'un personnage.
Chaque chapitre sera divisé en quatre sections, pour chaque couple. Toute cette fic sera écrite en point de vue extérieur. Je me servirai beaucoup de ce que la télé et la radio diffuse, parfois en direct, pour tenter de vous immerger dans ce passé.
Le prologue sera sans doute le plus long des chapitres car je dois vous présenter les protagonistes, et certains plus longuement que d'autres. Il y aura des similitudes entre les personnages de la saga et ceux de cette histoire mais il y aura aussi des différences.
Cette histoire sera écrite au fur et à mesure, je ne peux pas garantir un rythme de publication, hélas.
J'espère avoir vos impressions très rapidement !
La chambre 218 du Chelsea Hotel
Prologue
Dimanche 31 décembre 1978 - Soirée
Times Square – New York
Bella & Edward
En rechignant un peu, toujours affectée par son avertissement reçu deux semaines plus tôt, Bella Swan suivit ses deux camarades de chambre jusqu'au quai n°3 de la gare de New Haven. Le prochain train pour New York partirait à 19h20, il était trop tard pour changer d'avis.
Bella adorait venir à New York. Elle y passait un weekend chaque mois pour rendre visite à la tante de sa mère et surtout explorer la ville. Et ce qu'elle aimait, c'était suivre son instinct et ses envies, elle n'avait aucune envie de se retrouver à Times Square pour le décompte final de l'année 1978. Pour autant, être seule le soir du réveillon aurait sûrement assombri davantage son humeur.
Elle avait troqué sa tenue habituelle, jean pattes d'éléphant et chemisier coloré, pour une jupe longue et un pull moulant. Elle avait râlé parce que peu importait sa tenue, elle était emmitouflée sous un long manteau, ses cheveux raidis cachés sous son bonnet.
Bella leva les yeux au ciel et mordit sa lèvre en repensant à ce que son professeur, M. Miller, lui avait dit après le cours, deux semaines auparavant. Il avait eu en main son essai sur les présidentielles de 1980. Les élèves avaient du choisir deux candidats dans ceux déjà déclarés ou suspectés de le devenir. Bella avait cru qu'elle recevrait discrètement des félicitations, elle qui n'aimait pas être le centre d'attention, avait apprécié la démarche de son professeur. Mais celui-ci, dédaigneux, lui avait fourré la copie avant de lui déclarer sèchement que son cours n'était pas pour les tricheurs.
La jeune étudiante avait juré ne pas avoir triché, elle l'avait supplié d'expliquer sa suspicion et s'attendant à cela, le professeur avait sorti une copie. Chaque paragraphe respectait le plan qu'elle avait elle-même écrit, les idées semblaient identiques, hélas elle n'avait pu lire tout le travail.
« De toute façon, je l'aurais deviné, vous n'êtes qu'en première année alors que cet essai est digne d'un étudiant de dernière année. Et personne, à part cet élève que vous avez honteusement plagié, n'a choisi de parler de Jerry Brown. »
« J'ai du laisser trainer mon brouillon, s'était-elle justifiée-t-elle, je l'ai peut-être oublié dans un livre de la bibliothèque, quelqu'un l'a trouvé. Demandez à celui ou celle qui a écrit cet essai-ci. »
« Je ne vais pas perdre mon temps, l'avait rabrouée M. Miller. Vous avez intérêt à ne pas tricher de nouveau, sinon je vous exclus de mon cours et vous ne serez pas diplômée. »
Désemparée, Bella avait subi ce blâme comme une réelle injustice. Si seulement elle possédait toujours son brouillon, elle aurait pu prouver sa bonne foi. Elle s'était consolée en pensant que le professeur avait donné une très bonne note à son essai, 97 sur 100. Si seulement elle avait pu découvrir qui lui avait volé son sujet et rétablir la vérité.
Angela lui prit le bras soudain, elle et Jessica se mirent à murmurer. Bella suivit leur regard, au bout du quai, un groupe de cinq jeunes hommes approchaient. Bruyants, peut-être déjà éméchés, ils chantaient « We will rock you » du groupe Queen et chahutaient sur le quai, faisant s'écarter les autres voyageurs.
Jessica, fit signe à l'un d'eux et le reste des garçons suivirent. Elle chuchota à ses amies que Mike lui avait parlé régulièrement en cours d'histoire depuis le début de l'année.
« Salut les filles, vous allez où ? »
« Times Square, évidemment ! » s'exclama joyeusement Jessica.
« Nous aussi ! On va vous escorter. » décida Mike.
Il se chargea ensuite des présentations, Ben, Tyler, Eric et Edward et lui firent donc la connaissance également d'Angela et de Bella. Les garçons furent assez bavards pour qu'il n'ait pas de temps mort dans la discussion, Jessica et Angela se joignirent à leur débat rapidement. Chacun énonça sa chanson préférée sortie cette année là.
Inconsciente de l'intérêt qu'elle suscitait chez Mike et Edward, Bella regarda par la fenêtre le paysage changer. Lorsque le train s'enfonça sous terre, elle fut choquée de croiser le regard des deux garçons dans le reflet de la vitre. Mike, réalisant qu'il avait de la concurrence, dévia son intérêt vers Jessica.
Bella n'avait pas réalisé que son souffle s'était suspendu durant cet échange son regard au bout de quelques minutes, les joues en feu, le ventre envahi de papillon. Elle n'avait ressenti cela qu'une fois, quatre ans plus tôt, en recevant son premier baiser.
« Ça te dit, Bella ? » demanda Angela, tirant Bella de ses pensées.
« Je n'ai pas entendu ce que tu m'as dit. » s'excusa la jeune femme.
« On va aller à Mac Donalds avant le décompte. En descendant à Grand Central, on en trouvera bien un qui n'est pas trop bondé. »
« Ok, pas de problème. » murmura Bella.
« Et quelle est ta chanson préférée de cette année ? » l'interrogea alors Edward.
Sentant tous les regards de ses compagnons de voyage sur elle, la jeune femme se mit à rougir mais garda son sang froid et énonça sa réponse d'une voix pleine d'assurance.
« 'Just the way you are' de Billy Joel. »
Edward acquiesça, comme pour valider son choix, ce qui irrita la jeune femme. Elle retourna à sa contemplation mais ne cessa plus d'écouter les autres.
Le trajet jusqu'à New York prendrait plus de deux heures, peu à peu, son regard se détacha de la fenêtre. Arrivée à Manhattan, Bella avait parlé plusieurs fois et même affronté le regard d'Edward sans rougir.
Escortée par Angela et Jessica, Bella alla aux toilettes publiques et à peine la porte refermée, Jessica répéta joyeusement :
« J'y crois pas ! »
« Qu'est-ce qui lui arrive ? » questionna Bella.
« Tu es si naïve, pire que moi ! » se moqua gentiment Angela.
« Je ne comprends pas. »
« Edward Cullen ! Un des garçons les plus populaires de Yale t'a mangée du regard pendant deux heures ! Voilà ce qu'il se passe. Bon sang Bella, tu es sûre d'avoir vingt-deux ans ? »
Jessica s'enferma dans une cabine en rigolant. Elle expliqua ensuite à ses amies son plan pour être embrassée à minuit par Mike.
« Comment tu connais Edward ? » s'enquit Bella, du bout des lèvres.
« Il a vingt quatre ans, très brillant, très riche, très populaire. J'ai entendu parler de lui. » résuma Jessica.
Bella n'évita ensuite plus le regard d'Edward mais garda en mémoire ce que son amie avait dit de lui. Joueur. Riche. Même si ils étudiaient tous les deux dans la prestigieuse université de Yale, elle et lui n'appartenaient pas au même monde.
Une heure plus tard, sur la 7ème Avenue, tous étaient serrés autour d'une table dans une pizzeria Sbarro. Bella était coincée entre Tyler et Edward, et à l'instar de ses amis, elle riait chaque minute ou presque. Elle avait refusé de trinquer en avance cependant, tout comme Angela.
Vers dix heures du soir, Bella et Edward étaient en pleine discussion quand Mike décréta qu'il était temps de rejoindre Times Square.
« Jessica a écouté en boucle « Miss you », je t'assure que j'ai eu l'occasion d'étudier cette chanson. C'était horrible, j'ai fait des cauchemars du chanteur ! » conclut Bella.
Edward se figea et la regarda comme si elle était folle.
« Comment peut-on avoir peur de Mike Jagger ! Ce type est un génie de la musique ! »
« Je n'ai pas prétendu être objective. Je le trouve bizarre. »
« Tu n'es pas rock and roll, donc. »
« Et c'est une mauvaise chose ? » répliqua Bella, un sourcil relevé.
Elle le mettait au défi, Edward le comprit, il n'avait aucune envie d'énerver Bella, même si il suspectait qu'elle devait être absolument divine en colère.
« Parlons d'autre chose. Tu étudies quoi à Yale ? »
Bella frissonna en sortant du restaurant surchauffé. Elle resserra les pans de son manteau et se rapprocha d'Edward pour qu'il puisse entendra sa réponse, les rues étaient bondées et les voiture klaxonnaient à tout-va.
« Science politique et psychologie. » répondit-elle.
« Tu hésites entre les deux ? »
« Non, je veux être journaliste. J'ai déjà complété mon cycle en journalisme, j'ai été diplômée au printemps dernier, mais je veux me spécialiser en politique. J'ai commencé en septembre. Et la psychologie, eh bien, ça m'intéresse aussi et je pense que ça m'aidera dans mon métier. »
« Je pourrais t'aider en science politique, je termine en avril. »
« Merci, je m'en souviendrai. » promit-elle sans réellement le penser.
« Non je t'assure. Je suis le meilleur de ma classe, j'ai obtenu 97 à mon dernier essai. »
Elle le dévisagea un instant, cherchant un mensonge là où il n'y en avait finalement pas. 97 était un score quasiment impossible à atteindre, Edward était réellement brillant, déduit-elle.
« Sur quoi portait ton essai ? »
« Oh non ! Vous n'allez pas parler de vos études ! » râla Jessica.
Son amie avait forcé sur la bière et la vodka, Bella s'inquiéta pour elle et fit signe à Angela qui comprit aussitôt.
« Ne t'inquiète pas, on va rentrer avec vous, lui glissa Edward. Quelqu'un sait à quelle heure part le dernier train pour New Haven ? »
« Une heure trente. » répondit Angela.
Tyler et Eric n'étaient pas ravis, leur plan initial était de passer la nuit dans les rues de New York, plus précisément dans les bars. Ils avaient déjà réalisé que leurs trois comparses avaient changé d'avis en rencontrant Bella, Jessica et Angela. Au final, ils décidèrent de laisser les couples se former et d'aller s'amuser de leur côté.
Il fallut aux six jeunes gens plus de quarante minutes pour rejoindre la place, jouant parfois des coudes pour rester tous ensemble. Une fois qu'ils ne purent plus avancer, ils s'arrêtèrent et comme la foule présente, attendirent le décompte en discutant.
« Mes parents regardent le décompte chaque année à la télévision. » raconta Mike.
« Les miens aussi. » ajoutèrent en chœur Jessica, Ben et Bella.
« Vous connaissez la tradition ? » lança Mike.
« Tu veux parler du baiser de minuit ? » minauda Jessica en lui serrant le bras un peu plus fort.
« Exactement. »
Un silence régna alors sur le petit groupe, au milieu des chahuts de la foule. Mike et Jessica décidèrent de s'entraîner, Ben et Angela rigolèrent nerveusement et se détournèrent finalement pour discuter seul à seule. Edward passa son bras sur les épaules de Bella et lui sourit. Il la sentit frissonner et la plaqua contre lui.
« Tu ne t'es pas habillée assez chaudement ? » la questionna-t-il, faussement étonné.
« Si. »
Elle confirma ce qu'il espérait, c'était lui qui lui faisait cet effet. Il n'avait plus que trois minutes avant que l'année ne soit terminée. Il avait bien l'intention de commencer la nouvelle année avec une nouvelle petite amie. Tanya, son ex, avait perdu ses faveurs deux mois plus tôt, le jeune homme était quelque peu en manque de compagnie féminine.
« Je pourrais t'embrasser à minuit ? » demanda-t-il, faussement timide.
Il fut ravi en voyant les joues déjà roses de Bella virer au rouge. Elle le dévisagea un instant, pesant le pour et le contre. Elle finit par consentir à être embrassée, priant pour ne pas être filmée par les équipes de télévision.
L'excitation des fêtards était contagieuse, la jeune femme, d'humeur morose quelques heures plus tôt, avait été contaminée par la joie collective. La soirée avait pris un tour inattendu mais comment pourrait-elle regretter d'être en compagnie d'un jeune homme aussi séduisant à Times Square ? Et si jamais quelqu'un à Forks l'apprenait, elle pourrait toujours dire qu'elle n'était pas consentante. Elle avait vu, année après année, avec ses parents à la télévision, des étrangers s'embrasser sans gêne pour seulement se souhaiter une bonne année.
Le décompte débuta enfin, chaque personne cria les chiffres puis, comme d'une même voix, la foule souhaita au monde entier une « Bonne Année ».
Edward ne perdit pas de temps, il enlaça Bella et se pencha vers elle. Il embrassa délicatement les lèvres tendues de la jeune femme.
Bella sentit son corps entier se réchauffer, le bas de son ventre ne cessa de fourmiller de plaisir, l'euphorie avait envahi son esprit.
Même lorsqu'il la relâcha, Edward ressentit encore la puissance de ce baiser pourtant assez chaste. Il n'avait jamais connu un tel tourment non plus quand Bella s'échappa de ses bras pour souhaiter la bonne année à ses amies, mais la jeune femme se garda bien de lâcher la main d'Edward.
Bella n'eut qu'un court instant pour reprendre ses esprits, après avoir étreint Jessica et Angela, elle se joignit à la foule et entonna la chanson traditionnelle « Auld Lang Syne ».
Rejoindre Grand Central, la gare de train au cœur de Manhattan leur demanda près d'une heure. Sur le trajet, les six jeunes gens partagèrent leurs impressions sur l'événement qu'ils avaient vécu. Une tension régnait sur le groupe, tous voulurent bavarder légèrement sans trop penser aux baisers échangés.
Une fois sur le quai de la gare, Bella se tourna vers Edward, elle avait besoin de mettre fin à cette attente. Ce baiser avait-il compté pour lui ? D'un regard, il tenta de le lui garantir et elle lui répondit d'un sourire. Les mots pourraient peut-être attendre.
Jessica et Mike s'isolèrent du groupe en montant dans la trame, ils n'avaient aucune patience pour s'embrasser de nouveau, peu importe l'audience.
Angela et Bella s'assirent à un carré de siège, chacune contre la fenêtre et sans surprise Edward et Ben s'installèrent à côté d'elles. Pour briser le silence pesant, troublé par les gémissements et les rires du seul couple actif, Angela posa une question à Edward et Ben sur leurs études et leurs professeurs. Une heure se passa ainsi, chacun échangeant sur ses cours, ses devoirs, ses travaux, la vie au campus.
Bella apprit qu'Edward, Ben et Mike vivaient dans un appartement en bordure de l'université et qu'ils s'étaient rencontrés en première année. Edward était le seul des trois à avoir validé chacun de ses semestres et il serait donc diplômé au printemps. Ben et Mike avaient besoin d'une année encore pour compléter leur parcours. Ben expliqua le niveau exigé par les professeurs et la difficulté d'étudier et de devoir travailler.
Bella devina qu'Edward n'avait pas ce problème et qu'il avait donc pu se consacrer à ses études. Angela, réalisant que son compagnon semblait gêné, lui parla doucement et très vite l'encouragea à voir la situation sous un angle plus positif. Bella reconnut bien là son amie pour qui le verre n'était jamais à moitié vide mais à moitié plein.
Se tournant vers Edward, l'étudiante découvrit qu'il la couvait du regard.
« Tu n'as pas pu me dire quel était le sujet de ton essai, en science politique. » lui rappela-t-elle.
Elle le dévisagea passer sa main dans ses cheveux, les décoiffant davantage. Bella ne chercha même pas à cacher son attirance, elle espérait ne pas se tromper sur lui. Même si il était d'un autre monde, Edward s'était montré très ouvert avec elle et pas du tout condescendant.
« Les présentielles qu'il y aura en 1980, lui apprit-il. Tu as aussi M. Miller, n'est-ce pas ? »
« Oui. » répondit-elle, la gorge nouée.
« Il a lu mon essai à toute la classe, tellement il était impressionné, se vanta l'étudiant. Nous devions choisir deux candidats avérés ou probables. »
« Moi aussi j'ai du écrire cet essai. » marmonna Bella.
« Ça ne m'étonne pas, Miller donne toujours les mêmes sujets, quelque soit la classe, il aime comparer et voire l'évolution de la réflexion de chaque élève. Tu devras écrire ce même genre d'essai l'année prochaine. »
Son malaise s'accrut, elle se souvint qu'il avait affirmé avoir eu une note de 97 sur 100, une note très rarement donnée. Il avait eu à écrire sur le même sujet qu'elle, pour le même professeur. Quelle était la probabilité pour qu'Edward ait été celui qui avait trouvé son brouillon ? Il n'y avait qu'une façon de le savoir, l'interroger davantage et elle avait l'excuse pour le faire.
« Qui as-tu choisi ? »
« Deux outsiders, Bush et Brown. » annonça-t-il avant d'être interrompu par un haut parleur.
« Prochain arrêt New Haven. » annonça-t-on dans les rames du train.
Bella déglutit, elle ne trouva rien à dire mais elle avait sa réponse. Edward Masen était celui dont elle avait été accusée d'avoir copié. Voulait-elle le confronter ? Avait-il sciemment cherché à lui voler son essai, pensa-t-elle ? Non, il ne la connaissait pas avant ce soir-là. Il avait trouvé son brouillon et n'avait eu aucun scrupule à l'utiliser.
Edward se dit que sa nouvelle amie était toute aussi triste que lui à l'idée de se séparer.
Edward se saisit des mains de Bella, la prenant au dépourvu.
« On peut se revoir ? »
« Hum… »
« J'aimerais beaucoup te revoir, Bella, et le campus est trop grand pour qu'on laisse faire le hasard. »
La jeune étudiante ferma les yeux et se mordit la lèvre. Elle n'avait aucune envie de revoir ce tricheur mais elle refusait de le laisser s'en tirer si facilement. Elle n'hésita pas à lui donner son numéro de téléphone. Elle savait que rendre justice à trois heures du matin, dans une gare, n'était pas idéal. Elle avait besoin de le confondre en présence du professeur de science politique. Son plan pour se venger prendrait un peu de temps pour réussir.
Le petit groupe se serra dans la voiture d'Edward et tous regagnèrent en baillant leur lit.
_oOo_
Alice & Jasper
Jasper Whitlock sortit du Chelsea Hotel, sur la 23ème West, il releva son col et frappa ses bottes au sol pour empêcher ses orteils de geler. Il eut un rictus mauvais pour le pauvre bougre qui sortait en titubant d'un bar sur le trottoir d'en face. Depuis quelques fenêtres de l'hôtel s'échappaient des notes, pianos, guitares électriques et guitares sèches, violons, batterie, elles se mêlaient sans aucune harmonie et personne ne s'en plaignait. Jasper ne comprenait pas ces pseudos-artistes, drogués et à moitié fous. Il gelait dehors mais leurs fenêtres étaient grandes ouvertes. Ils s'affamaient pour vivre. Ils s'aimaient sans penser aux conséquences.
Trente et un ans, blond, des yeux bleus clairs, un charme naturel et un accent texan assumé et exagéré quand il voyageait dans le pays, Jasper détestait venir à New York. Il haïssait cette ville où tout allait trop vite, où tous les bruits étaient assourdissants, où les couleurs étaient mornes ou électriques. Lui était habitué aux grands espaces, à un ciel bleu azur et à une terre de sable, aux bruits d'une vie normale.
Il trouvait ridicule la cérémonie du décompte à Times Square, mais il n'avait pas le choix que de s'y rendre pour participer aux festivités du Nouvel An. Et à cause de ce job, il ne pourrait même pas regagner Wichita Falls, la petite ville au Texas où il habitait avec sa femme, avant deux jours.
Ayant déjà effectué le trajet jusqu'à Times Square en journée, il prit son temps pour parcourir la 7ème Avenue. Au lieu de continuer tout droit, il tourna sur la 47ème West pour ne pas se joindre à la foule déjà compacte, deux heures à peine avant le décompte. Il avait repéré un petit restaurant, et par miracle il réussit à passer sa commande en moins de dix minutes.
Lorsqu'une demi-heure avant minuit, le restaurant se vida, il rigola discrètement en voyant les serveuses perdre leur sourire commercial et ôter leur toque rouge ridicule. La plus menue d'entre elles s'approcha de lui, elle se posta devant sa table et le jaugea.
« Vous avez terminé ? » lâcha-t-elle.
« Non, un autre, s'il vous plait. » se décida-t-il.
La serveuse, Alice d'après son badge, s'éloigna en marmonnant, ce qui amusa davantage Jasper. Elle lui apporta son troisième café de la soirée, mais au lieu de repartir et dîner avec ses collègues, Alice décida de s'asseoir avec lui, un café fort et un gros sandwich devant elle.
Son visage fin tourné vers la rue, Alice ne prononça pas un mot, elle avala son repas, pensive. Jasper ne se gêna pas pour la détailler. L'uniforme de la serveuse consistait en une jupe droite rouge foncé, un chemisier blanc et une toque de la même couleur de la jupe. Le texan s'attarda sur l'échancrure du corsage, sur la minceur de ce corps, sur les cheveux noirs, courts et plaqués, sur la bouche peinte du même rouge que sa tenue. Ses yeux marron foncé, presque noir, et sa peau hâlée l'intriguèrent plus particulièrement.
« Hispanique ? » lança-t-il sans chercher à la regarder dans les yeux.
« Polonaise aimant bronzer. » répliqua-t-elle, sans quitter la rue des yeux.
« Tu ne vas pas assister au décompte ? »
« Trop de monde. Et toi, cowboy, qu'est-ce que tu fais ici ? »
Elle retira quelques épingles libérant ses cheveux courts qui partirent aussitôt dans toutes les directions. Jasper eut bien du mal à détourner son regard, il était fasciné par la grâce d'Alice, par son assurance et sa nonchalance. Il y avait comme un feu qui couvait en elle, il l'imagina facilement entre des draps, sous lui ? Il se raisonna rapidement, il n'avait pas de temps à perdre avec une aventure, même si cette serveuse était la femme la plus attirante qu'il ait croisée depuis un paquet d'années.
« Business. » répondit-il.
« Ah. »
« D'ailleurs je dois y aller. Ce fut un plaisir de te parler, Alice. »
« Prouve-le en me laissant un joli pourboire. »
Il rigola franchement et sortit son porte-monnaie. Alice glissa le billet de cinquante dollars dans son soutien-gorge et lui fit un clin d'œil en guise d'au revoir.
Sa collègue, Amber, n'avait rien raté de la scène, et quand Alice revint vers le bar, elle tendit la main. En soupirant la jeune femme récupéra le billet puis le donna à Amber.
« Il ne te reste plus que cent dollars à trouver pour payer ta part du loyer de décembre. » ricana Amber.
Alice lui tira la langue, récolta un pincement de joue, Amber l'aurait hébergée gratuitement si elle l'avait pu. La vérité était que même à Brooklyn, on ne pouvait pas se loger pour pas cher et qu'être serveuse ne payait pas assez.
La jeune serveuse hésita entre rentrer se coucher et aller assister au décompte à Times Square. Elle n'aurait de toute façon pas de train avant trois quarts d'heure et elle ne travaillait pas le lendemain.
En frissonnant dans son manteau, le nez emmitouflé dans une écharpe de grosse maille, Alice songea au cowboy, le dernier client de la soirée. Il l'avait attirée dès qu'il avait pénétré dans le petit café. Il avait un charme indéniable, elle avait eu bien du mal à ne pas le draguer quand elle s'était assise à sa table. Alice était prudente, elle ne pouvait pas refaire la même erreur et tomber amoureuse d'un homme néfaste. Elle avait déjà tout perdu une fois, et elle n'avait aujourd'hui presque rien.
À dix-sept ans, Marie Alice Brandon avait quitté la maison familiale de Biloxi au Mississipi pour vivre son rêve : devenir styliste à New York. Et puisque James, son petit-ami de l'époque, rêvait aussi de gratte-ciels, elle l'avait suivi aveuglément. Sa famille l'avait prévenue, il n'y aurait pas de billet retour. Alice était montée dans le bus, un pincement au cœur mais les yeux déjà pleins d'étoiles.
Son premier prénom mis de côté car trop prude, Alice s'était inscrite à une petite école de stylisme et étudiait dur pour valider sa formation. Elle ne s'était pas inquiétée de l'argent mis de côté vite dépensé, James lui avait promis de vite gagner sa vie. Il partait le matin avec sa guitare sèche, comme des centaines d'autres, il allait la gratter sur les quais et dans les rames du métro. Il courait aussi les maisons de disques et les radios avec sa cassette audio. Ça n'avait rien donné, James n'avait rencontré que des portes fermées, et il en avait voulu à la terre entière.
La descente aux enfers n'avait pas tardé, et la jeune fille n'avait pas voulu faire demi-tour. Elle resta aux côtés de James quand il commença à se droguer avec ses nouveaux amis musiciens, mais refusa de le faire également. Elle devint experte pour trouver des excuses à son petit-ami et elle redoubla d'efforts pour percer dans le stylisme.
James n'avait plus voulu se produire gratuitement dans des cafés ou dans le métro, être découvert était devenu secondaire pour lui. Il s'improvisa dealer, et pour quelques semaines, Alice avait pu dormir dans un lit confortable, sans avoir froid ni faim.
La jeune femme avait pardonné à James après l'avoir surpris au lit avec une autre. Elle avait même pris le blâme, étant si peu disponible pour lui. Il l'avait demandée en mariage peu après et elle avait dit oui. Tous ses rêves lui avaient alors semblé à portée de main.
Quand James, un soir de lucidité et de désespoir, l'avait suppliée qu'elle se prostitue, Alice avait promis de trouver vite de l'argent autrement. James n'en reparla plus mais parfois, il amenait chez eux un homme. Elle devinait qu'elle était supposée se vendre. Ces soirs-là, elle s'enfuyait de chez elle, James s'excusait toujours à son retour.
Puis un jour, après avoir échoué à convaincre un styliste, elle accepta d'oublier pour quelques heures ses soucis. Juste une fois, elle avait distillé dans son corps ce poison, sous le regard complice et amusé de son futur mari. L'héroïne failli lui être fatale, elle tomba dans un coma profond durant deux semaines.
La famille de la jeune femme avait préféré croire ce que les parents de James leur avait dit. Ils remirent la faute sur Alice, racontèrent qu'elle avait entraîné dans la drogue leur fils, et qu'elle se prostituait. Ce fut pour cela que personne n'était venu à son chevet à l'hôpital après son overdose.
À son réveil dans un lit d'hôpital, Alice avait encore plus de dettes et aucun endroit où vivre. Le studio qu'elle habitait avec James avait été déjà reloué, ses affaires avaient disparu avec son fiancé. Elle avait erré des heures durant dans la ville, jusqu'à échouer dans ce restaurant où elle travaillait toujours depuis cinq ans et demi.
Elle n'avait même pas cherché à retrouver James, ce furent les parents de celui-ci qui reçurent la nouvelle de sa mort et qui blâmèrent la petite amie de leur fils une ultime fois. Il avait été tué par balles lors de son arrestation, mais pas avant qu'il ait lui-même blessé mortellement un policier.
Plongée dans des souvenirs moroses, Alice avait parcouru le chemin jusqu'à Times Square. Elle ne chercha pas à s'approcher, la foule compacte l'en empêchait de toute façon. Le décompte n'allait pas tarder. Ses yeux marron balayèrent la scène que New York lui offrait. Malgré tous ses problèmes, elle ne se voyait pas vivre ailleurs.
Une main s'accrocha à sa taille, la faisant sursauter et paniquer aussitôt. Elle plongea la main dans sa poche pour se saisir de son spray de laque quand une odeur suspendit son geste. Le cowboy, pensa-t-elle seulement.
« Je croyais que tu ne viendrais pas. » lui dit-il tout près de l'oreille.
Elle haussa les épaules, ce geste passa inaperçu à cause de sa tenue épaisse.
Jasper gardait son regard ancré dans celui de cette jeune femme, qui le faisait agir stupidement. Il aurait dû déjà avoir quitté Times Square, rejoindre l'hôtel au plus vite et oublier tout de la jolie serveuse. Il l'avait aperçue, un peu en recul, juste après avoir terminé son job, il avait mis de côté une de ses règles absolues et l'avait rejointe avant qu'elle ne disparaisse. Elle s'était changée à la fin de son service, un jean moulant, de grosses bottes fourrées, un épais manteau et un bonnet enfoncé sur sa tête, la rendait presque méconnaissable.
Alice ne se déroba pas à cette étreinte, au contraire elle se pressa contre Jasper. Elle ferma ses yeux, émue d'être enlacée par un homme pour la première fois depuis plusieurs années. Comme lui, elle pensait que ça n'avait aucun sens pour eux que d'être ensemble. Pourquoi donc leur connexion semblait, à cet instant, trop forte pour être rompue ?
Avec deux secondes d'avance sur le décompte, ils s'embrassèrent.
Le jeu de séduction ne faisait que commencer pour ces deux jeunes gens. La main dans la main, ils quittèrent à la hâte Times Square, Jasper entraîna Alice vers le Chelsea Hotel. Il n'envisagea pas un instant qu'elle ne voudrait pas passer la nuit avec lui.
Alice avait en fait plusieurs réserves à suivre cet inconnu, aussi séduisant fût-il. Elle n'était plus cette gamine idéaliste et naïve. Elle savait parfaitement que ce cowboy disparaîtrait de sa vie aussi vite qu'il y était entré. Elle n'avait pas peur de lui, elle avait même hâte de se réchauffer contre lui. Vouloir être désirée était normal, pensa-t-elle, vouloir être aimée, par contre, était dangereux.
Était-elle réellement capable de se donner pour quelques heures à un inconnu ? Pourrait-elle se contenter de coucher avec lui, sans aucun sentiment ? Elle ne l'avait jamais su avant cet instant, mais elle avait besoin de contacts physiques pour ne plus être une automate. Ce cowboy pourrait lui servir à cela, à se prouver qu'elle était encore vivante, jeune et que la vie pourrait peut-être lui réserver quelques bonnes surprises. Cet homme, … Elle ne connaissait même pas son nom, réalisa-t-elle quand ils tournèrent dans la 23ème West.
« Tu t'appelles comment ? »
« Jasper. »
« Juste Jasper ? »
Il soupira, tendu, l'hôtel était en vue, il n'avait plus qu'une vingtaine de mètres à parcourir mais Alice pourrait bien refuser de le suivre.
« Ça changerait quelque chose si tu savais mon nom de famille ? » la questionna-t-il doucement.
« Non. » réalisa Alice.
Si elle avait encore des doutes sur ce qu'il se passerait le lendemain, Jasper sans nom de famille venait de les dissiper.
« Tu peux encore dire non. » dit-il, se sentant soudain coupable.
Elle lui offrit un sourire forcé, elle avait plus besoin d'être touchée que d'être aimée, se serina-t-elle intérieurement.
Aussi, quand Alice pénétra dans la chambre 218 du Chelsea Hotel, elle ne perdit pas de temps en étant prudente. Elle se mit nue rapidement, Jasper l'imita, ravi et émerveillé. Il la prit dans ses bras et l'embrassa longuement, mais ce fut la jeune femme qui le tira vers le lit.
Le corps du texan était parfaitement sculpté, songea-t-elle une heure plus tard. Jasper semblait s'être assoupi après avoir joui, comme tous les hommes apparemment. Elle ignorait qu'il ne dormait que quatre heures par nuit au mieux et qu'il avait fait une grasse matinée ce matin là. Il sortit de sa torpeur sous le regard brûlant de sa maîtresse d'une nuit et la posséda sans préambule et sans rien dire.
Le corps de la new-yorkaise était généreux, des courbes et une taille fine, il l'admira tandis qu'elle dormait à côté de lui. Elle s'était elle-même détachée de lui dans son sommeil, aussi il en avait profité pour sortir de son sac de quoi se faire une cigarette de cannabis. Il fuma devant la fenêtre, ses yeux peinaient à se détacher du corps étendu à deux mètres de lui.
Dans quelques heures, elle se réveillerait, il la pousserait à partir parce qu'il n'avait pas le choix. Ça n'était pas de la culpabilité envers sa femme, Maria, n'avait jamais été fidèle, elle ne restait que pour l'argent. Lui restait marié pour maintenir les apparences. Il ne pouvait pas se permettre de tout quitter pour s'attacher à cette jolie serveuse. Peu importaient les sensations qu'elle avait éveillées en lui, des sensations longtemps oubliées et d'autres inédites, toutes incroyablement délicieuses. Il savait qu'il ne pourrait pas l'oublier, ce petit bout de femme, mais cela ne l'embêtait pas. Il était déjà hanté par des dizaines de visages, Alice serait le plus beau de tous.
_oOo_
Esmé & Carlisle
« C'est fascinant père ! »
« Mais qui donc a pu te mettre ces horreurs dans la tête ?! » le sonda son père, réellement dégoûté.
« C'est la science. »
« La science ? Apprendre à faire l'amour à sa femme ? Apprendre à la faire... je ne peux même pas le dire. »
Peter Cullen ne parvenait plus à regarder son fils unique dans les yeux. Carlisle n'avait que vingt-cinq ans et sa vie devant lui pour devenir un médecin respecté. Son père ne comprenait pas comment la luxure pouvait à ce point intéresser un jeune homme aussi croyant que son fils. Il l'avait mis en garde si souvent durant son adolescence et avait écouté avec fierté le vœu d'abstinence jusqu'au mariage que Carlisle avait pris à dix-huit ans, avant de quitter la petite ville de Little Falls pour aller faire ses études à New York.
« Je comprends, père, c'est un domaine très intime, privé mais ces docteurs ont déjà aidé des dizaines et des dizaines de patients. Le Dr Masters est un éminent spécialiste. » plaida Carlisle Cullen, éternel optimiste.
« Mais de toute façon, en quoi cela te concerne ? Tu es chirurgien ! Pas encore d'ailleurs. » lui rappela son père.
« Justement je pense très sérieusement à changer de spécialisation. » annonça le jeune homme.
Peter Cullen en fit tomber sa tasse, le peu de café qu'il restait se déversa sur la table mais aucun des deux hommes ne s'empressa de nettoyer les dégâts. Le pasteur après avoir pâli, se mit à rougir en apercevant le livre que son fils avait toujours à portée de main. Il s'en saisit brusquement, des envies d'autodafé lui brûlaient les doigts.
« Hérésie ! Voilà ce que ce bouquin est ! » s'écria-t-il.
« Père, je vous en prie, gardez l'esprit ouvert. »
« Tu perdras tout, Carlisle. » prédit son père.
« J'aimerais étudier ce sujet et - »
« Je te renierai, devant dieu, je le jure ! Si tu deviens comme ce... Masters, je te renierai. »
Il jeta le livre avec fureur et dégout, comme si son âme aurait pu être noircie rien qu'en regardant l'ouvrage.
« Au revoir, père. »
Le pasteur le suivit du regard, sans emphase Carlisle se leva, ramassa son livre et quitta l'appartement familial. Peter ne pouvait pas soupçonner la détermination de son fils à mener à bien son projet. L'étudiant en médecine n'allait peut-être pas changer de spécialisation mais il tenait vraiment à étudier la sexologie en parallèle.
Malgré sa peine d'avoir déçu son père, Carlisle mit de côté ses problèmes et roula jusqu'à la gare. Il avait rendez-vous ce soir-même à Manhattan avec celle qui changerait sans doute le cours de sa vie. Si elle acceptait, de nouvelles opportunités et un monde de connaissance seraient à sa portée. Parce que bien que motivé à étudier le sexe, Carlisle Cullen n'en savait que les mécanismes décrits dans ses livres d'anatomie.
Le restaurant Eleven Madison Park était bondé, comme il s'y attendait, et Esmé Platt n'était pas encore arrivée. L'endroit était splendide, art-déco, chic, cher, Carlisle parcourut le menu nerveusement. Aucun mot n'avait de sens, il se sentit étouffer en déchiffrant les prix. Heureusement qu'il n'était pas dépensier et que son travail en tant qu'aide soignant dans une clinique de Manhattan lui permettait de vivre correctement dans le Queens, dans le quartier d'Astoria, et d'épargner.
C'était pour justement ne pas mourir de faim qu'il allait commencer avec un an de retard son internat en septembre prochain. En attendant, il enchaînait les heures de cours en journée et les nuits à la clinique.
Comme ses quelques amis célibataires et étudiants, il n'avait tout simplement pas le temps d'avoir une femme dans sa vie. Et malgré ses dissidences avec son père, Carlisle n'envisageait rien de moins qu'un mariage. Il n'adhérait pas aux habitudes de fêtards de beaucoup trop d'étudiants et ne couraient pas les flirts. De plus en plus souvent, il se surprenait à juger ceux qui se livraient à la débauche, dégoûté par leur comportement, parfois prêt à leur « jeter la première pierre ». Il devait puiser en lui pour se calmer et se rappeler que seul dieu jugerait ces gens.
Pourtant, Carlisle était arrivé à une impasse, entre la religion et la science, il ne savait que choisir. Son handicap : il était vierge. Il n'avait même jamais touché une femme. Il avait voulu attendre jusqu'au mariage mais pour sa carrière, il était désormais résigné à commettre le pêché originel.
Le maître d'hôtel du Eleven Madison Park s'agaça de voir ce jeune homme seul à une table en ce soir de Saint-Sylvestre, deux fois il alla s'enquérir de l'arrivée du deuxième convive. À sa troisième tentative, le jeune homme se dit qu'il serait mis à la porte. Mais une voix mélodieuse vint interrompre l'employé zélé. Il se courba face à Esmé et lui tira la chaise.
« Désolée pour mon retard, Carlisle. » dit-elle en s'asseyant.
Il déglutit en la détaillant rapidement. Esmé portait une robe bleu nuit, son corps mis en valeur, sa poitrine, à peine cachée par le tissu, était surmontée d'un gros saphir. Elle secoua légèrement sa chevelure, dévoila deux larges anneaux d'or à ses oreilles. Le sourire d'Esmé troubla bien davantage l'étudiant en médecine, c'était un sourire victorieux.
Il ne se l'avouerait jamais, cette femme était la véritable raison pour ce changement d'avis concernant sa virginité. Esmé avait enflammé Carlisle d'un regard, et elle l'avait brûlé en lui proposant, deux semaines plus tôt, de coucher avec elle.
« Merci d'avoir accepté de me rencontrer. » dit-il, nerveux.
« J'ai été surprise par votre appel. »
« Je m'en doute. » répliqua-t-il tout bas.
Elle n'avait évidemment pas oublié la réaction de Carlisle à ses avances, il était devenu rouge, avait été confus puis furieux. Esmé n'avait pas été la première à tenter de le charmer, mais il devait bien avouer qu'elle était la première à avoir réussi.
« Vous êtes certaine que vous n'avez pas à être quelque part ce soir ? » la questionna l'étudiant.
« Non. Avez-vous changé d'avis, Carlisle ? »
Il avait espéré un peu de répit avant de présenter sa requête à Esmé. Elle ne semblait pas vouloir attendre le dessert.
« Oui, mais sous certaines conditions, répliqua-t-il froidement. En fait j'ai besoin que vous me rendiez un service. »
Il lança un regard vers la main gauche d'Esmé, encore ornée d'une alliance quelques mois plus tôt, lorsqu'ils s'étaient tous les deux rencontrés.
« Je vous écoute. »
« J'ai décidé de faire de mes premières relations sexuelles une expérience médicale. » annonça-t-il à voix basse, les poings fermés sous la table pour cacher ses mains tremblantes.
Esmé éclata de rire, les têtes se tournèrent vers elle. Son compagnon se mit à rougir furieusement, comment osait-elle se moquer de lui, songea-t-il. Elle ne cacha pas non plus sa gêne en réalisant que l'homme qu'elle convoitait était sérieux. Mais rien ne pourrait la faire changer d'avis, elle s'était jurée de faire fléchir Carlisle Cullen.
« Personne ne doit savoir. » murmura-t-il.
Esmé grimaça juste une seconde, l'éthique de ce jeune homme risquait de gâcher ses plans. Elle était à sa merci puisqu'aucun autre homme n'avait provoqué un tel désir chez elle et elle n'avait pas du tout envie de rater cette opportunité. Son but était de ne pas montrer à Carlisle l'ascendance qu'il avait sur elle.
Leur rencontre six mois plus tôt n'aurait pas pu se transformer en une histoire d'amour, s'était-elle déjà sermonné. Le corps meurtri et le ventre une fois de plus vidé par la mort, elle avait ouvert les yeux dans un lit d'hôpital face au sourire radieux et compatissant d'un jeune aide-soignant blond.
Chaque jour Carlisle avait veillé à ce qu'elle ne manque de rien avant qu'il ne parte étudier. Elle avait réussi à marcher parce qu'il l'avait encouragé à le faire, elle avait sourit pour le faire sourire lui, elle avait oublié pour quelques temps sa réalité pour vivre dans le monde de ce jeune homme.
Esmé avait cru pouvoir s'en faire un ami, et grâce à lui, elle aurait pu oublier son mariage destructeur et ses fausses couches à répétitions. Mais il était toujours resté professionnel, cordial et quand elle avait pu sortir de son lit, elle avait remarqué qu'il prodiguait autant de bonté à tous ses patients.
Les derniers jours de son hospitalisation, elle avait osé lui poser des questions personnelles, il s'était un peu raconté du bout des lèvres. Elle l'avait suivi chez lui un soir, elle était venue assister à l'office dans la petite église de Little Falls. Elle avait fait de lui son obsession. Mais en même temps que son désir pour Carlisle grandissait, elle l'avait détesté de ne pas lui donner plus à elle qu'aux autres, de ne pas la regarder comme les hommes la regardaient habituellement.
Deux semaines plus tôt, elle avait finalement décidé d'être directe, de tenter le tout pour le tout. Carlisle l'avait rencontrée « par hasard » près de la clinique où il travaillait. Après une longue journée, il avait accepté de la suivre pour se réchauffer. Un café entre les mains et sans la regarder dans les yeux, il avait pris de ses nouvelles, s'était tendu quand elle avait flirté avec lui. Alors qu'il allait partir après avoir insisté pour payer l'addition et accepter de la laisser payer la prochaine fois, Esmé lui avait une autre offre.
« Et si tu passais la nuit avec moi ? »
Il était passé par différents stades : confusion, gêne, colère.
« Pour qui me prenez vous ? Je ne couche pas avec une femme que je connais à peine, et encore moins avec une femme mariée ! Au revoir ! »
« Je ne suis plus avec mon mari ! Carlisle ! Attends ! »
Esmé se tira de ses souvenirs, Carlisle lui aussi avait été silencieux durant quelques minutes. Elle voulu l'empêcher de trop réfléchir, il était temps de passer à l'action.
« Qu'attends-tu donc de moi ? » le questionna-t-elle.
« Une sorte de… euh… Je voudrais être… initié. »
« Ça me rappelle Woodstock. » murmura-t-elle pour elle-même mais Carlisle l'entendit et choisit de ne pas commenter.
Il savait si peu de choses sur elle, seulement qu'elle était mariée avec un homme qui la battait, qui la mettait enceinte mais qu'aucun enfant n'était né. Il savait aussi qu'elle avait répondu à son invitation en croyant pouvoir faire de lui une aventure d'un soir. Il voulait plus d'elle, il refusait d'être un jouet entre ses mains, plutôt l'inverse en fait.
« J'accepte. » déclara-t-elle.
« Pourquoi ? » ne put s'empêcher Carlisle de lui demander.
« J'aime le sexe. » répliqua-t-elle sans honte.
Il se retint de répondre, il la trouvait vulgaire à cet instant. Malgré l'attirance qu'il éprouvait pour elle, il savait qu'elle ne serait jamais à la hauteur pour plus que cette mission. Cette femme aimait la luxure, et cela le rebutait et lui plaisait à la fois. Esmé lui ferait découvrir pourquoi tant de gens recherchaient le plaisir au détriment de leurs valeurs. Il flirterait avec la folie et le désir, testerait ses limites, éprouverait sans doute des regrets un jour.
« Pour les modalités, j'avais pensé à- »
« Les modalités ? tiqua Esmé, amusée. Ça n'est pas très romantique. »
« Ça ne le sera pas, je vous l'ai dit, il s'agit pour moi d'étudier les mécaniques de l'acte. »
« Comme tu veux, mais tu es un homme et quand tu seras au bord de la jouissance, je doute que tu aies assez de volonté pour écrire toutes tes sensations dans ton journal. »
Carlisle serra ses poings sous la table, blessé du ton désinvolte d'Esmé. Pourquoi avait-il fallu qu'il n'ait envie que d'elle ? Pourquoi pas une jeune femme qui partageait ses valeurs et sa foi ? Non, il désirait Esmé, il savait déjà qu'il n'aurait pas la force de mener à bien ce projet fou si elle n'acceptait pas d'y participer.
« J'ai pensé enregistrer nos relations, j'ai un dictaphone. »
« Tu as pensé à tout. » réalisa Esmé, de moins en moins amusée.
« Nous utiliserons toujours des préservatifs et nous ne nous embrasserons pas. Je tiens à éviter tout risque de maladie sexuelle transmissible. » lâcha-t-il tout bas.
Il sentait qu'elle avait perdu de son arrogance, elle comprenait donc qu'il mènerait la danse et qu'il excluait toute forme d'intimité en dehors de l'acte sexuel. Il aurait préféré lui dire ces mots-là mais l'endroit n'était pas propice.
« Je n'ai jamais eu de maladie sexuelle transmissible. » pesta Esmé.
Elle attrapa son petit sac à main et quitta la table. Carlisle crut qu'il l'avait définitivement rebutée et s'apprêta à lui courir après mais se rassit sur sa chaise, Esmé se dirigeait vers les toilettes.
Elle revint au bout d'un quart d'heure, son visage un peu plus maquillée qu'à son arrivée, sa démarche presque guerrière. Carlisle croisa les bras sur son torse, attendant qu'elle se soit assise. Elle n'en fit rien, elle le toisa. Esmé ne lui pardonnerait pas l'humiliation qu'il venait de lui infliger.
« Où et quand ? » lança-t-elle comme un défi.
Dans les toilettes luxueuses du restaurant, elle avait décidé de punir ce jeune homme hautain. Il pensait pouvoir s'adonner au sexe sans émotions, juste pour la science. Elle allait lui prouver que c'était impossible. Elle savait désormais qu'il la désirait malgré lui, qu'il l'avait choisie elle, et non une autre. Elle avait deviné qu'il allait à l'encontre de ses croyances et que cette expérimentation ne devrait être pour lui qu'une parenthèse, la pratique pour vérifier ses théories.
« Maintenant. » décida-t-il sans trembler.
Il fit signe à un serveur, exigea l'addition sur le champ. L'employé, surpris et inquiet, s'enquit du repas. Si un client faisait un scandale, il n'aurait aucun pourboire, or les clients étaient plus généreux qu'à l'accoutumée le soir du réveillon du nouvel an.
« Je connais un hôtel. » proposa Esmé une fois qu'ils furent sortis du restaurant.
« Je ne dois croiser personne de la clinique. »
« Crois-moi, tu ne risques rien. C'est un hôtel d'artistes. C'est sur la 23ème West. Par ici. »
« Allons-y. »
Il leur fallut un bon quart d'heure pour remonter la 23ème Avenue, slalomant entre les passants en général euphoriques. Quand un groupe de touristes étrangers arriva face à eux, Carlisle prit la main d'Esmé pour la coller contre une vitrine, et il ne la relâcha pas.
Le jeune homme essayait de calmer ses émotions, l'excitation et la peur le faisaient littéralement trembler, mais il s'entêta à accuser le vent glacé. Il ne savait pas quoi faire une fois qu'il aurait la clé de la chambre dans ses mains. Il voulait brûler les étapes, la prendre sans aucune retenue, sans aucun autre but que de se guérir d'elle, aussi sauvagement qu'il serait nécessaire. Il voulait la déshabiller lentement, la torturer de caresses, effacer son sourire aguicheur, allumer le besoin dans son regard.
Esmé découvrait un nouvel homme, elle avait sous-estimé Carlisle, elle avait cru depuis leur rencontre qu'elle à faire à un agneau, il était peut-être un loup déguisé. Elle ne put s'empêcher de penser au monstre qui, sur le papier, était encore son mari. Elle l'avait quitté pour de bon, rien ne pourrait la convaincre de retourner avec Charles. Mais se jetait-elle dans la gueule d'un autre loup, se questionna-t-elle tandis que Carlisle l'entraînait vers le Chelsea Hotel.
« Allons chez toi, plutôt. » se déroba-t-elle quand elle aperçut la devanture rouge de l'hôtel.
Carlisle la sonda, il cacha son soulagement en constatant que sa compagne avait perdu de son arrogance.
« Tu n'es pas prête ? » lui dit-il.
« Ça n'est pas ça, je pense que tu seras moins nerveux dans un environnement familier. »
« Je refuse que tu viennes chez moi. » asséna-t-il.
Il ne la laisserait pas envahir sa vie, si elle posait le pied chez lui, il ne pourrait plus y vivre sans se souvenir d'elle. Il s'en voulut quant Esmé tangua sous ses mots. Il vit derrière elle un taxi s'approcher, il leva son bras pour le faire se stopper. Ça ne serait pas pour ce soir, c'était mieux ainsi, se persuada-t-il en une seconde.
« Écoute, je dois être à la clinique à l'aube, ajouta-t-il. Je t'appelle pour fixer une date. »
Il ouvrit la portière du taxi et fit signe à Esmé d'y grimper. Sans un autre mot prononcé, ils se séparèrent.
Quelques minutes plus tard, elle était arrivée à destination, elle entendit la ville s'exclamer. Carlisle, lui, avait rejoint la 7ème Avenue et avait contemplé de loin les feux d'artifice sur Times Square
_oOo_
Rosalie & Emmett
Sur la 5ème Avenue, la rue la plus chère au monde, Rosalie King sirotait son champagne tout en écoutant l'hôtesse de la soirée parler de ses deux enfants. La jeune femme tentait de maîtriser des regards meurtriers envers cette femme en se concentrant sur le liquide pétillant. Cette pimbêche n'était pas responsable du fait qu'après quatre ans de mariage, Rosalie, elle, n'était toujours pas mère. Ça n'était pas de sa faute à elle non plus, elle en avait désormais la preuve médicale.
Malgré elle, son regard se porta à une dizaine de mètres où son mari, Royce, plaisantait avec ses collègues, ses amis, son père ainsi que ses deux frères. Les hommes présents à cette fête affichaient tous un sourire carnassier et un compte en banque rempli de plusieurs millions de dollars.
La rancœur et le dégoût avaient déjà teinté son mariage avec Royce, même si ce dernier ne semblait pas s'en être rendu compte. Être mariée à un homme riche n'avait évidemment pas que des inconvénients, Rosalie King vivait dans le luxe et l'oisiveté. Mais elle rêvait d'être réveillée la nuit par un joli bébé aussi blond qu'elle, aux yeux d'un bleu violet, aux joues roses. Elle était jalouse de chaque femme croisée en train de pousser un landau. Elle enviait les mères qui devaient essuyer leurs tenues tâchées par un renvoi de leur enfant.
La jeune femme désabusée avait sombré dans la dépression sans pouvoir se permettre de l'afficher. Les barbituriques avaient depuis un an et demi pris place dans sa salle de bains, quelques amants avaient été trouvés pour tenter de lui redonner un peu de plaisir. C'était sa mère qui l'avait incitée à essayer ces deux méthodes pour garder l'entrain nécessaire pour survivre. En vain, ces deux vices n'avaient qu'un effet éphémère et laissait Rosalie encore plus perdue. Il y avait des jours pourtant où les petites pilules, achetées à bon prix sur Broadway Street, lui étaient indispensables pour seulement respirer, et ce soir du réveillon ne faisait pas exception.
Depuis dix-huit heures, elle endurait les discussions futiles des autres femmes présentes, les regards lubriques et à peine discrets des autres hommes. Elle avait revêtu une robe rouge moulante et courte, son dos nu confirmait qu'elle ne portait pas de soutien gorge et que sa poitrine généreuse n'avait encore rien perdu de sa fermeté. Ses talons hauts la faisaient souffrir tout autant que son string et ses porte-jarretelles. Ses cheveux blonds cascadaient parfaitement sur ses épaules grâce à un brushing douloureux et à une dose importante de laque. Rosalie n'avait qu'une envie, s'enfuir de cet appartement à la décoration clinquante pour se mêler aux milliers de new-yorkais et touristes. Elle désirait plus que tout échapper à sa vie, même pour quelques heures.
« Tu vas arrêter de gigoter, bon sang ?! » lui glissa soudain son mari, sa voix empreinte d'exaspération et de condescendance.
Elle ne l'avait même pas vu s'approcher d'elle, plongée dans ses pensées sombres. L'haleine chargée de Royce lui donna la nausée, il écrasa sa bouche sur la sienne, ses mains possessives s'accrochèrent aux hanches de la jeune femme pour la forcer à lui faire face.
La règle implicite entre les deux époux était qu'elle devait réagir avec enthousiasme à ces marques de « tendresse », mais cette fois-ci, Rosalie ne trouva pas la force de jouer la comédie. Royce jura tout bas et enfonça ses doigts dans la chair de sa femme. Elle grimaça, tentant de donner le change quand quelques têtes se tournèrent vers elle et son mari. Royce la tira jusqu'à l'entrée et les enferma dans la petite salle de bains. Il la pressa contre la porte, le regard noir.
« T'es encore défoncée ? » la questionna-t-elle durement.
« Non ! » protesta-t-elle faiblement.
« On est ici pour s'amuser et tu n'arrives même pas à sourire ! »
« Je suis désolée, Royce. Je suis juste un peu fatiguée mais je vais mieux maintenant. » s'empressa-t-elle de mentir.
« Tes excuses pathétiques me dégoûtent ! »
La gifle atteignit Rosalie en une seconde, sa joue s'échauffa à peine. Ça n'était pas la première fois que Royce se permettait de lever la main sur elle, et cela arrivait toujours quand il avait bu et qu'il était contrarié. C'était du moins l'excuse qu'elle lui trouvait à chaque occasion. Elle lui devait tout et malgré sa déception de ne pas pouvoir avoir un enfant de lui, elle n'avait jamais envisagé pas de le quitter.
Ce soir-là, pourtant, aucune excuse ne vint amoindrir ce geste. Rosalie repoussa son mari de toutes ses forces et s'enfuit de l'appartement en prétextant une terrible migraine à l'intention des hôtes. L'ascenseur, par chance, était déjà à son étage, elle aperçut Royce sortit à son tour de l'appartement. Il la regarda avec mépris puis haussa les épaules. Quand les portes enfin se refermèrent, il n'avait fait aucun geste pour la retenir.
Rosalie émergea sur la 5ème Avenue, sans manteau ni sac à mains, mais elle n'avait que deux cent mètres à parcourir avant d'arriver chez elle. Une fois à l'abri dans sa chambre, elle hésita à peine une minute. Elle se débarrassa de sa robe et de ses hauts talons et s'habilla chaudement. Elle rassembla ses cheveux dans une queue de cheval basse et essuya le maquillage de son visage. Ses bijoux disparurent tous, y compris son alliance. Elle piocha dans un tiroir de sa coiffeuse une liasse de billets de cinquante dollars, un grand sourire aux lèvres. Pour la première fois, elle assisterait au décompte à Times Square, rien ne l'en empêcherait, se jura-t-elle.
Il lui restait une heure, elle ne trouverait pas un taxi capable de l'amener à bon port mais le métro lui permettrait d'arriver en peu de temps, après tout il n'y avait que deux stations à parcourir. Elle réprima de nouvelles grimaces au spectacle affligeant des « pauvres » et des « touristes » dans le métro. Elle savait qu'attirer l'attention dans les rames ou la station pouvait être dangereux pour elle.
L'ambiance électrique des lieux boosta son humeur, Rosalie avait un sourire immense sur son visage, elle pouvait se souvenir de quand remontait un tel exploit. Dix mois plus tôt, au mariage de son frère, Royce avait refusé d'y aller car la jeune mariée était une simple « secrétaire » du Queens. Rosalie s'était amusée avec sa famille et n'avait pas passé la nuit seule à l'hôtel.
Rosalie n'oublia pas d'être prudente, elle se tint à l'écart de groupes de personnes alcoolisées, elle s'écartait si un homme la regardait trop longuement. Elle se mit à zigzaguer encore plusieurs minutes, quand une paire de mains baladeuses la fit sursauter. Elle se retourna vers le malotru, prête à rugir, quand son regard violet rencontra un regard bleu azur. Un homme immense s'était interposé entre elle et celui qui l'avait touchée sans gêne.
« Excuse-moi, chérie, lui dit-il. Jenny était en retard comme toujours, hein frangine ? »
Son sauveur dévisagea durement l'homme qui avait posé ses mains sur elle, celui-ci s'excusa à peine et s'éloigna. Rosalie sourit, reconnaissante, à l'homme et à la jeune fille à côté de lui.
« Merci. »
« De rien, il a déjà fait le coup à deux autres femmes, lui répondit la jeune fille. Et comme vous sembliez seule, on s'est dit qu'il fallait intervenir. Moi c'est Jenny, et lui c'est mon grand frère, Emmett. »
« Enchantée, je m'appelle Rosalie. » se présenta-t-elle, étrangement soulagée que ses sauveurs ne fussent pas un couple.
« Tu es toute seule ? » s'inquiéta Emmett.
Rosalie hocha la tête.
« Reste avec nous, c'est plus prudent. » lui proposa le jeune homme
Elle voulut protester, elle avait vraiment l'intention de profiter seule de sa nuit de rébellion et ce, malgré son attirance immédiate pour Emmett, Rosalie. Jenny l'attira entre elle et son frère et lui fourra un café chaud dans les mains.
« Merci. »
« Je n'arrive jamais à en finir un. » déclara la jeune fille après que Rosalie ait bu sa première gorgée.
Un peu dégoûtée de partager la boisson d'une autre personne, elle ne voulut pas pour autant vexer Jenny. Après tout, le café lui semblait alors une bonne idée pour se sortir définitivement des vapes familières causées par les petites pilules.
Jenny poussa alors un cri strident et s'éloigna d'Emmett et Rosalie. Son frère la suivit du regard et grogna quand sa petite sœur se jeta au cou de son petit-ami. Il avait espéré que le groupe d'amis de Jenny ne les retrouverait pas dans la foule. Emmett avait tout du grand frère protecteur, prêt à bondir si un garçon s'approchait de sa petite sœur.
À dix-sept ans, Jenny Mc Carthy partageait les mêmes traits de sa fratrie, des cheveux bruns, des yeux bleus perçants et un sourire accroché en permanence à ses lèvres. Bébé surprise après une sœur et trois frères, elle avait été couvée par tous et réclamait depuis qu'elle était adolescente de ne plus être surveillée.
Emmett Mc Carthy décida de rester auprès de Rosalie. Il avait vite été attiré par elle, rien d'inhabituel à priori. Elle avait attiré l'attention de plus d'un homme, il en avait été témoin. Quand elle avait été accostée, Emmett la suivait des yeux depuis dix minutes au moins, entraînant Jenny à la suite de la mystérieuse femme. Rosalie avait plus qu'une jolie paire d'yeux. Son visage nu, sa tenue discrète, son attitude réservée contrastait avec les new-yorkaises qu'il avait l'habitude de côtoyer.
Emmett vivait modestement à Brooklyn Heights, les « beaux quartiers » de Brooklyn, juste en face de l'île de Manhattan. Il jonglait entre trois emplois : le matin avant l'aurore, il quittait son minuscule appartement pour décharger des camions réfrigérés et livrer des hôtels de luxe. À partir de neuf heures du matin, il était déménageur dans toute la ville et parfois aussi en banlieue. Tous les après-midis, sauf les vendredis, il donnait des leçons de boxe à de riches hommes d'affaires dans leurs bureaux luxueux de Manhattan. Le soir, épuisé, il se rendait dans la salle de sport qui avait représenté ses espoirs et ses rêves de nombreuses années. En plus d'entraîner de futurs boxeurs, il affrontait régulièrement d'autres amateurs qui, comme lui, n'avaient pas réussi à vivre de leur passion.
Emmett laissa son regard errer sur le visage radieux de Rosalie, il se demanda ce qu'une femme aussi belle faisait seule en cette soirée de la Saint-Sylvestre.
« Ne te crois pas obligé de rester avec moi. » dut presque crier Rosalie, tant la foule était bruyante autour d'eux.
« Si ça ne te dérange pas, je préfère rester ici. Ma sœur est scotchée à la bouche de son petit-copain, ça n'est pas franchement un spectacle ragoûtant. »
Rosalie rigola avec lui puis s'approcha un peu plus de celui qui l'avait sauvé. Le sentiment de sécurité qu'elle avait auprès d'Emmett expliquait en partie pourquoi elle était attirée par lui. Sa carrure gigantesque contrastait avec la douceur de ses yeux bleus et ses manières de gentleman. Elle révisa ses plans pour la nuit, au lieu de rentrer chez elle, elle voulait explorer le corps d'Emmett.
« Est-ce vrai que tout le monde s'embrasse à minuit ? » le questionna-t-elle.
Elle fut amusée de le voir soudain gêné.
« Oui, enfin les couples. » expliqua Emmett.
« Oh, dommage que ce ne soit que les couples. Je voulais vivre pleinement l'expérience, c'est la première fois que j'assiste au décompte ici. »
Il sauta sur l'occasion pour détourner la conversation.
« Tu n'es pas de New York ? »
« Du Connecticut. » mentit-elle, en partie puisqu'elle y était née.
« Ça devrait te plaire. »
« Tu viens tous les ans ? »
« Oui, mais c'est la première fois sans le reste de ma famille. Mes parents disent qu'ils sont trop vieux, ma sœur aînée, Maggie, est malade, la femme de mon frère Joseph a accouché hier et mon frère Patrick est à Boston pour son travail. Alors c'est que Jenny et moi cette année… enfin si on peut dire, elle m'a laissé tomber elle aussi. »
« Une chance qu'on se soit trouvé tous les deux. » minauda Rosalie.
Il acquiesça et déglutit en sentant la jeune femme se presser contre lui en soupirant d'aise. Il lui restait encore quelques minutes avant minuit, la foule semblait être peu à peu plus calme, comme si les gens avaient peur de manquer le top départ du décompte.
« Il fait si froid. » soupira Rosalie.
Il lui offrit seulement son écharpe, elle allait devoir être plus directe. Elle prit l'écharpe grise, la huma, grisée par l'odeur masculine, musquée, de son compagnon. Rosalie exagéra ses tremblements et supplia Emmett du regard. Il ne résista pas aux yeux violets de la jeune femme, et pourquoi aurait-il résisté, se dit-il. Il passa un bras autour des épaules de Rosalie et la colla contre lui.
La jeune femme se mit à fredonner une chanson de Dr Hook. L'air n'était pas inconnu d'Emmett, la chanson était diffusée sur toutes les radios, mais il avait du mal à se souvenir du titre. Rosalie entama le deuxième couplet, sa voix de plus en plus assurée.
« If I seem to come on too strong (si je suis trop direct avec toi)
I hope that you will understand (j'espère que tu comprendras)
I say these things 'cause I'd like to know (je dis ces choses parce que je voudrais savoir)
If you're as lonely as I am (si tu te sens aussi seule que je me sens seul)
And if you mind (et si ça te dit de…)
Sharing the night together, oh yeah (passer la nuit ensemble)
Sharing the night together, oh yeah, sharing the night. (passer la nuit ensemble) »
Emmett la dévisagea, un sourire en coin, encore une fois, pourquoi résisterait-il ? Pour lui signifier qu'il avait capté le message et qu'il était d'accord, il prit la main de Rosalie dans la sienne et se mit face à elle.
La foule cria alors « bonne année », autour d'eux les gens s'étreignaient, s'embrassaient, une véritable scène de liesse. Le jeune homme se pencha vers les lèvres offertes de cette femme qu'il ne connaissait pas une demi-heure plus tôt. Ce baiser surpassa tout ce qu'il avait déjà connu. L'électricité entre Rosalie et lui le brûla tout entier. Il aurait pu se laisser consumer par son désir, se repaitre de celle qui s'offrait à lui, mais ils étaient en pleine rue et il faisait sacrément froid.
« On y va ? » lui demanda Rosalie à la seconde où leurs lèvres se quittèrent.
La foule entonnait « Auld Lang Syne », Rosalie ne chanta pas, ni Emmett. Il fit signe à sa sœur qu'il partait, celle-ci acquiesça et lui envoya un baiser fraternel.
Dans leur bulle, les deux jeunes gens anticipaient déjà une nuit blanche des plus sensuelles. Rosalie le suivit jusqu'au métro, s'inquiéta un peu quand ils traversèrent l'un des ponts reliant l'île de Manhattan à Brooklyn. Pourtant, l'attitude à la fois calme et respectueuse d'Emmett envers elle la rassura et elle voulait quelque chose de nouveau pour commencer la nouvelle année.
Jamais elle ne s'était donnée à un homme qui n'était pas riche ou au moins aisé, jamais elle n'avait dormi dans des draps de coton bon marché, jamais elle n'avait pris une douche dans une salle de bains minuscule. Cette nuit-là, chez Emmett Mc Carthy, Rosalie eut la sensation d'enfreindre toutes les règles, elle jubilait littéralement et continuait de sourire en rentrant chez elle en milieu de matinée.
Qu'en pensez-vous ?
