Miami avait toujours été son refuge : cette ville, grande, immense même aux plages de sable blanc et fin, à la mer bleue, avait un parfum exaltant de Caraïbes qui réchauffait le cœur de n'importe quel déprimé. Chaque coin de Miami appelait à la tranquillité, la joie de vivre, la chaleur de la vie et partout où il allait, il lui semblait recouvrer les bras protecteurs maternels le réconforter.
Cette ville était un second cocon pour lui après sa mère. Il s'y sentait réellement très bien même s'il n'y avait pas vu le jour.
Qu'importe, il était un pur habitant de Miami. Il adorait traverser le grand boulevard parallèle à la plage en roller, siroter un slushie rafraîchissant, admirer les alligators des marécages, écouter les meilleurs sons de la planète, croiser dans telle ou telle boutique de grandes stars internationales, sentir la brise marine apporter une douceur fraîche après une journée ensoleillée. Il n'imaginait pas quitter Miami pour une raison ou une autre, car même pour cause professionnelle, à chaque fois qu'il quittait l'avion de l'aéroport d'Orlando, il se sentait extrêmement mal et souffrait ensuite du mal du pays.
C'est la raison pour laquelle, il prenait rarement l'avion pour voyager, découvrir d'autres contrées toutes aussi belles et remarquables que les paysages de Miami.
C'est pourquoi également il voyait très rarement sa mère vu qu'elle résidait dans son pays natal à mille et une lieues de sa demeure. D'ailleurs, songeant au calendrier qu'elle avait imposé, il devrait bientôt réserver un billet d'avion afin de quitter sa terre d'amour et passer un séjour d'un mois chez sa mère. C'était une femme galère en toute vérité.
Galère dans le sens où elle avait été une mère câline jusqu'à ses quatre ans (d'accord, il exagérait, jusqu'à ses dix ans au moins) afin de se transformer en un dragon invivable. Galère dans le sens où un jour, sur un coup de tête (coup de folie plutôt), elle avait décidé de rejoindre le pays de son enfance, son pays natal que l'on appelait le pays du « Soleil Levant ». Rien de plus narcissique, vraiment.
Ce fut la décision la plus illogique, l'erreur la plus évidente, grossière et incommensurable de sa mère mais avec sa tête bornée, elle n'avait pas changé d'avis et dès les premiers signes de puberté de son fils unique, elle lui avait imposé plusieurs voyages par an, l'obligeant à transiter entre Miami et Kumamoto. Fort heureusement, la scolarité du jeune garçon n'en avait pas été endommagée et il avait pu devenir un très bon agent immobilier.
D'ailleurs, il avait même monté sa propre agence et était si efficace qu'il ne travaillait qu'avec des gens de la haute société voire avec quelques stars de temps à autre.
Mis à part son obéissance inconditionnelle à sa mère, il était un homme comme les autres qui profitait à sa façon de la vie. Son travail lui rapportait suffisamment pour qu'il puisse prendre autant qu'il le désire des jours de congé et qu'il soit tenu éloigné des besoins primaires. De plus, son naturel anti dépenses excessives faisait que son compte en banque était très bien géré. Il n'avait rien de plus à demander au ciel si ce n'est aucune grave dépression tropicale pour cette année.
La sonnerie de son cellulaire le sortit de ses rêveries et il reprit son air sérieux pour son interlocuteur.
- Nara.
- Monsieur, le client Herning nous a contactés et je lui ai fixé un rendez-vous pour la semaine prochaine, jeudi 9h. Cela vous convient ?
- Parfait, merci, Sakura.
Et il raccrocha. Il n'était pas d'un naturel bavard et ne parlait que lorsque cela était nécessaire. Il ajusta la paire de lunettes solaires et ferma la portière de sa voiture, une belle BMW, l'avant-dernier modèle de berline. Il appréciait beaucoup le confort que procurait l'intérieur de l'auto et puis, face à des clients fortunés, il n'y avait rien de mieux pour promouvoir sa société.
D'ailleurs, il recevait ses clients dans presque moins de dix minutes. De sa mère, il avait hérité un rapport très solide avec la ponctualité et il attendait toujours ses clients. Aujourd'hui, il aurait affaire à un couple important dans les affaires financières et il ne fallait pas qu'il les laisse lui échapper puisqu'ils représentaient un considérable apport pour sa société. L'appartement qu'il vendrait était un bijou et il comptait bien célébrer sa vente avec un grand cru de champagne.
Il arrangea sa veste cintrée, et le temps qu'il lève la tête, le couple était devant lui. La femme était en tailleur rouge vif, assorti à ses escarpins et au rouge de ses lèvres ; et l'homme portait une chemise manches longues marron, un Smartphone scotché à son oreille et un jean de marque. Les deux affichaient une mine sérieuse, stressée et empressée et il pressentait que cette affaire serait très rude : soit elle passait, soit elle cassait et il n'aurait pas de seconde chance.
- Monsieur Nara, salua la femme de la trentaine, avec un visage dur.
- Madame Forbes, prononça l'agent immobilier sur le même ton.
Décidément, il ne serait pas gâté aujourd'hui, ses clients avaient bien l'air exécrables. Espérons qu'ils s'adoucissent après la visite de l'appartement, normalement, ils devraient car lui-même appréciait l'intérieur.
- Je vous prie, pourrions-nous procéder à la visite, nous sommes pressés, déclara la femme blonde.
Bon, lui aussi avait bien l'intention d'en terminer le plus rapidement. Voilà l'inconvénient du métier. Il pivota les talons sous le regard dur féminin et pénétra dans le hall d'immeuble en commençant son discours.
Il inséra la clef dans la serrure et poussa la porte de l'appartement, attendant les commentaires de ses clients qui ne tardèrent pas.
- Effectivement, cela a l'air impeccable, commenta la jeune femme.
Son mari hocha furtivement la tête, plus obnubilé par sa conversation téléphonique que par la visite. Son épouse fulmina discrètement avant de reporter son attention sur l'appartement. Avec l'habitude d'inspecter les maisons, le Nara avait l'œil de lynx nécessaire et expérimenté qui lui informa de suite que quelqu'un avait pénétré ces lieux. Il ne savait ni comment ni pourquoi ni même qui mais une chose était sûre et certaine : cette personne résidait dans cet appartement depuis un moment.
Pourtant, il avait inspecté les lieux il y avait à peine une semaine pour tout arranger avec la femme de ménage et personne n'y était. Aurait-il laissé un double par hasard ? Quelqu'un l'aurait-il subtilisé ? Un malfrat s'était-il infiltré dans la maison pour y cacher ses méfaits ?
En tous cas, il savait une chose : si les clients venaient à apprendre que l'appartement n'était pas propre et inhabité, ils le refuseraient et il perdrait un très très gros chèque.
Or de question que cette occasion lui échappe. Il lui fallait à tout prix conquérir le cœur de ses clients très spéciaux et pour ce faire, il lui faudrait inventer un mensonge assez crédible. Malheureusement, question mensonge, il était absolument, complètement, entièrement nul. L'affaire se corsait.
Si seulement la vente lui échappait, il se jurait de trucider, torturer, assassiner la personne qui avait osé squatter son bijou.
L'angoisse lui causait des sueurs froides mais il faisait tout son possible pour maintenir un masque impénétrable. Cela avait plutôt l'air de bien réussir car la jeune femme observait, scrutait la moindre petite chose et paraissait satisfaite de l'offre. Elle semblait bel et bien convaincue lorsqu'elle aperçut la terrasse, l'agent immobilier se réjouissait d'avance et se voyait ouvrir le champagne, la femme s'apprêta à prendre le bras de son mari pour l'inciter à regarder quand elle poussa un cri d'effroi.
Le Nara fit volte-face et dut faire face au tableau le plus charmant et le plus infernal en même temps. Une adorable jeune femme pieds nus, aux cheveux blond cendré, vêtue d'un jean délavé, d'un top ayant parcourant des milliers de miles. Elle semblait également très surprise de les voir devant elle eu égard l'air interloqué qu'elle arborait.
L'agent immobilier n'eut pas le temps de réagir que sa cliente poussa un autre cri, de fureur cette fois-ci. Elle empoigna le col du Nara, terrifié, et le fusilla du regard.
- Monsieur Nara, j'imagine que vous vous fichez de nous ! Que fait cette femme dans cet appartement ?!
Vite, vite, il fallait qu'il trouve une solution, une échappatoire, un mensonge.
Que les dieux du ciel lui viennent en aide ! Soudain, il eut une illumination.
- COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS CELA ?!
- Il s'agit de ma femme de ménage. Elle préparait votre visite, déballa-t-il, tendu comme un linge sur une ligne.
L'inconnue demeura neutre, masquant son indignation tandis que la cliente laissait éclater sa colère, son mécontentement, son insatisfaction. Elle incendia l'innocent agent immobilier qui tenta vainement de se défendre et elle ne souhaitant rien entendre, elle embarqua de force son mari qui n'avait rien suivi de l'affaire. Le couple partit en trombe, laissant l'agent immobilier seul avec sa défaite.
Il avait perdu son offre, il avait laissé cette occasion lui filer entre les doigts. Galère.
Il ne parvenait même pas à comprendre pourquoi il avait échoué. Enfin, si.
Son regard dur et furieux se posa sur l'inconnue qui ne parut ni gênée ni confuse et cette neutralité qu'il qualifiait de snobisme le poussa hors de lui.
- Galère. Vous n'avez aucune politesse. Et puis, merde, quoi, que faites-vous ici ?!
- Je pourrais vous retourner la question.
- Je n'ai pas de temps à perdre dans des jeux idiots. Que faites-vous ici ?
- Vous expliquer toute l'histoire serait fastidieux, en réalité, ça nous prendrait des heu ...
- Vous vous fichez de moi ?! VOUS VENEZ DE ME FAIRE PERDRE DEUX MILLIONS 578 MILLE DOLLARS ET VOUS VOUS PAYEZ MA TÊTE ?! rugit-il, fou de rage.
Cette inconnue en plus d'être mal élevée, impolie le narguait alors qu'il aurait du mal à retrouver de gros clients, surtout si par le bouche à oreille, le couple Forbes parlait mal de lui. La signature lui avait paru si proche que la désillusion était encore plus amère et cruelle. Son esprit visionnait ce chèque aux multiples zéros et il ne put contenir son ire contre l'inconnue. Il n'avait pas l'habitude d'être en colère mais lorsqu'il l'était, cela était terrifiant à voir et à subir.
- Je ne sais pas qui vous êtes mais vous allez m'expliquer immédiatement ce que vous fichez ici, en avançant rageusement vers elle.
Malgré l'aura effrayante qui l'entourait, la jeune femme n'était pas le moins du monde apeurée et l'observait avec de grands yeux interrogateurs. Cette impassibilité le courrouça à l'extrême.
- J'arrive pas à le croire. Je viens de perdre des millions et vous me regardez comme si je vous disais que Mars était habité.
- Mars est habité ? releva la jeune femme, incrédule.
A bout, l'agent immobilier poussa un cri de rage qui la fit sursauter et explosa :
- ÇA SUFFIT ! JE NE SAIS PAS À QUEL JEU VOUS JOUEZ MAIS VOUS CESSEZ TOUT DE SUITE ! JE N'AI PAS L'IMPRESSION QUE VOUS SAISISSEZ LA GRAVITÉ DE LA SITUATION !
- Vous nous plus, répliqua-t-elle, en fronçant les sourcils.
Doux Jésus. C'est elle qui était en tort et elle osait se faire passer pour la victime, il n'allait pas lui donner cette satisfaction.
- Vous n'avez rien à faire ici, Mademoiselle.
- Vous nous plus, Monsieur. J'habite ici, je vous signale et vous êtes entré en infraction, chez moi, répondit-elle, le plus naturellement possible.
Sidéré, médusé, atterré, le brun ne rétorqua rien, demeurant la bouche bée. La jeune femme eut un sourire moqueur qui le fit prendre conscience de son air niais et il réagit violemment.
- VOUS SQUATTEZ MON APPARTEMENT !
- Je ne squatte rien du tout.
- AH ? VRAI ? VOUS PAYEZ LE LOYER ? JE VOUS L'AI VENDU PEUT-ÊTRE ?! IL Y A UNE SEMAINE, CET APPARTEMENT ÉTAIT NICKEL, JE DEVAIS LE VENDRE À MES CLIENTS ET À CAUSE DE VOUS, PAR VOTRE MAUDITE FAUTE, JE LES AI PERDUS !
- Quoi ? Les clefs ?
- ARRÊTEZ CE JEU DÉBILE !
- Quel jeu ?
Il bouillait de rage et cela était très visible car il devint tout rouge et suffoquait. Elle se l'avouait, voir cet inconnu dans une colère terrible l'amusait beaucoup car il y avait quelque chose chez lui qui lui faisait croire qu'il ne devait pas s'énerver quotidiennement. Elle avait l'impression d'assister à une scène de théâtre.
- ÇA VOUS FAIT RIRE ?! ET BIEN, VOUS NE RIREZ PLUS QUAND VOUS RECEVREZ UNE INJONCTION DU TRIBUNAL ! tonna-t-il, hors de lui.
Cette menace la fit moins rire et elle prit une expression sérieuse qui l'apaisa un peu. Enfin, elle ne riait plus. Les choses sérieuses pouvaient commencer.
L'inconnue n'avait pas peur de la menace en elle-même mais si elle recevait une injonction, on la retrouverait facilement et adieu l'existence de nomade à laquelle elle se vouait. Il lui fallait mettre cet homme dans sa poche avant qu'il ne soit un ennemi dangereux pour elle. Heureusement, Dame Nature l'avait dotée de charmes attrayants qui contentaient grandement les êtres masculins qu'elle commandait à sa guise.
Elle s'approcha de lui avec un visage des plus sérieux, digne d'une chef d'entreprise et le fixa les yeux dans les yeux. Rien que ce contact visuel devait l'ébranler normalement. Elle avait bien dit normalement car l'agent immobilier semblait tellement énervé qu'il ne prêtait pas la moindre attention à ses magnifiques attraits.
- Je me nomme Temari, se présenta-t-elle, en tendant la main.
Il la scruta sans faire le moindre geste et elle glissa sa main dans sa poche, légèrement honteuse.
- Et je suis femme de ménage, ajouta-t-elle, avec un haussement d'épaules et petit sourire.
Elle avait espéré être comique mais l'hilarité n'était pas contagieuse chez lui et il demeura de marbre, ne pouvant oublier la perte colossale qu'elle lui causait.
Cependant, il commençait sérieusement à se poser des questions. Cette inconnue se prénommait Temari et n'avait pas donné de nom de famille. Il n'y avait pas trente-six solutions : elle était une clandestine.
- Vous êtes de Saint-Domingue ? questionna-t-il, en la regardant de bas en haut.
Il avait un regard de flic qui aurait gêné n'importe quelle personne sauf la tête brûlée qu'elle était.
- Non, pourquoi cela ?
Il n'osa pas lui avouer que c'était à cause de ses formes charmantes et sa blondeur capillaire qui paraissait fausse. Il déglutit simplement, passa une main sur le visage tandis qu'il réfléchissait. Il avait une clandestine sur le bras. Normalement, il devrait la dénoncer au gouvernement afin qu'on la renvoie dans son pays d'origine.
Seulement, s'il faisait cela, elle dirait qu'il l'avait permis de loger chez lui en échange de services sexuels. Il avait déjà vu ce scénario dans un film et il n'avait pas l'intention de subir le même sort que le pauvre homme.
Comment se débarrasser d'elle alors ? Si elle était un passager clandestin, il ne pourrait pas lui faire payer la perte de sa vente. Galère, il était dans de sales draps.
La fameuse Temari était quant à elle loin de toutes ces interrogations et songeait d'abord à se faire pardonner afin qu'il la laisse un mois ici. Pendant qu'il se perdait dans de profondes réflexions, elle arrangea son haut afin que son décolleté se voie un peu mieux. Peut-être qu'il oublierait de la disputer s'il voyait sa gorge ?
Cela marchait avec les autres alors pourquoi pas avec un nerveux ?
- Et vous ? Comment vous vous appelez ?
N'empêche, pour une fille de Saint-Domingue, elle s'exprimait bien en anglais. Mais peut-être qu'elle avait bien appris cette langue. Après tout, peut-être que son visa avait expiré et qu'elle n'avait eu l'opportunité ou le temps de le refaire. Dans tous les cas, elle était une hors-la-loi qui mériterait son sort.
- Vous n'avez pas besoin de le savoir.
- Que vous êtes impoli, siffla-t-elle, vexée.
- Je préfère être impoli qu'être un clandestin.
Surprise par sa réponse, ladite Temari ne répliqua pas et se tritura les doigts espérant que son jeu de charme fonctionne.
- Faites vos bagages et partez d'ici, ordonna-t-il, d'une voix dure.
- Pardon ?
- Vous m'avez bien entendue.
- Vous avez raison, je vous ai bien entendu mais mal compris.
Elle était sidérée : ce petit salopard ne tombait pas sous son charme ? Quel enfoiré !
- Vous n'allez pas oser me mettre dehors, n'est-ce pas ?
- Je vais me le permettre. Dégagez.
- Ah non, pas question.
- A cause de vous, j'ai perdu des clients qui auraient pu acheter ici et vous osez me dire que vous continuez de squatter ? Vous ne devez pas être bien.
- Et vous, pas hospitalier.
- Pas hos ...
Il ne termina pas sa phrase car la jeune femme se jeta dans ses bras ou plutôt se jeta sur lui et le plaqua contre le mur derrière lui, fermant toutes échappatoires. S'il n'appréciait pas ce contact, elle se faisait nonne.
- Permettez-moi de vous demander une faveur, une toute petite faveur. Hébergez-moi pendant un mois, rien qu'un tout petit mois, je participerai aux tâches ménagères, je ferai les repas, j'aiderai mais je vous en prie, offrez-moi le gîte et le couvert pour un mois, supplia-t-elle.
Tout le monde craquait lorsqu'elle arborait cette mine d'enfant désespérée parce qu'on lui avait promis le Père Noël et que son traîneau était toujours en réparation. Ses beaux yeux verts manquèrent d'achever l'agent immobilier qui tint bon malgré tout.
- Non.
Aucune envie qu'il s'embarque dans une aventure galère qu'il regrettera amèrement. La Temari était tenace, elle s'agrippa à sa belle veste à quatre cent dollars et rapprocha un peu plus leurs corps, le tenant comme s'il était son chevalier servant. Il ne niait pas qu'il appréciait ce contact mais il s'agissait d'une inconnue, d'une clandestine, d'une femme et toutes les femmes apportaient leur lot de galères et non, il n'avait nullement l'envie de s'attirer des ennuis.
- Non, répéta-t-il.
- S'il vous plait ?
- Non.
- Qu'est-ce que vous souhaitez en échange ? De l'argent ? J'ai deux comptes en banque pleins aux as, mais je ne peux pas les utiliser pour l'instant donc dès que j'en aurai la possibilité, je vous rembourserai, jura-t-elle, paniquée à l'idée d'être mis à la porte.
- Non. Sortez d'ici.
- Vous n'allez pas mettre une femme à la porte, n'est-ce pas ?
Elle n'aimait pas les machos mais s'il l'était, si elle titillait cette fibre, il ne résisterait pas et lui offrirait un toit. Il ne pouvait et ne voulait pas s'emmêler dans de telles histoires qui finiraient d'une façon ou d'une autre très mal. D'un autre côté, il ne pouvait pas non plus laisser quelqu'un à la rue.
Si jamais l'un de ses parents apprenaient cette entrevue, cette rencontre impromptue, il lui ferait une leçon de morale jusqu'à la fin de ses jours, surtout sa mère. Par conséquent, il était sommé de l'héberger même si elle était une hors-la-loi, même si elle lui attirerait des soucis vu qu'elle avait déjà commencé.
Temari ne savait pas quoi penser de ce mec : il était vraiment imprévisible et pas comme les autres. L'angoisse la tenaillait en ce moment.
Après un moment qui lui parut interminable, il soupira, défait, et hocha la tête songeant à l'erreur qu'il commettait.
- Bon, très bien. Préparez vos affaires.
- Mais ...
- Je vous offre l'hospitalité le temps que vous trouviez un autre refuge, apprit le jeune homme.
Les yeux verts s'illuminèrent d'une lueur superbe qui le laissa pantois et avant même qu'il n'émette une autre parole, l'inconnue avait disparu pour faire ses bagages. Son visage s'était paré d'une voile brillant éclatant qui la fit scintiller magiquement et tant qu'il en fut parfaitement troublé.
Cette blonde tonique l'intriguait et l'impression qu'elle lui attirerait des problèmes croissait grandement. Il regarda avec regret et dépit l'appartement et soupira amèrement. Il allait regretter de s'être embarqué dans une telle bêtise. A peine avait-il le temps de changer d'avis que déjà l'inconnue s'était présentée, valises en main, prête à le suivre. Et galère. Il venait de signer sa fin.
- On y va ? dit-elle, avec un grand sourire.
Il n'eut pas le courage de lui dire qu'il n'était plus d'accord face à une telle joie.
Dépité, résigné, il soupira, prit un bagage et avança vers la sortie, avec toute l'aura dépressive d'un condamné à la chaise électrique.
****
En tant qu'agent immobilier, il s'était dégoté un charmant cocon dans un centre calme où il se sentait en sécurité. Le quartier était tranquille et les gens venaient de classes assez aisées. Il jeta un regard en biais à la jeune femme qui ne semblait nullement impressionnée par le luxe de l'immeuble et dans l'ascenseur, elle apparaissait comme ennuyée, comme habituée, blasée par un tel quotidien à l'abri du besoin.
Du moins, c'était ce qu'il pensait d'après son observation parce qu'une fille ayant grandi au sein d'une famille aisée n'aurait jamais squatté son appartement à vendre.
Ou alors peut-être qu'elle avait des goûts de luxe.
Dans ce cas, son appartement ne lui plairait pas. Même s'il avait souhaité vivre dans un immeuble et un quartier habités par de grandes gens, l'intérieur de son cocon était simple et modeste à son image. Sans grande arrogance. Une cuisine américaine basique, deux chambres, un salon cosy digne d'un célibataire approchant la trentaine et un coin d'où il observait les nuages. Il n'y avait aucun objet expansif dans son cocon et tant pis si elle paraissait désorientée. Si elle croyait tomber sur un pigeon, elle se trompait cette clandestine.
Retenant un soupir défait, il enserra son trousseau de clefs dans la serrure de sa porte d'entrée et la poussa mollement. L'inconnue ne retint pas son enthousiasme et passa le seuil de la porte en manquant de bousculer le propriétaire trop mou à ses yeux. Elle poussa un cri d'exclamation en laissant tomber avec fracas ses bagages et partit découvrir l'appartement de son gentil hôte.
Ce dernier poussa un énième soupir et s'assit sur l'un de ses fauteuils pour réfléchir à la pire décision de sa vie et sa maudite journée. Il devrait appeler sa secrétaire pour l'informer de la mauvaise nouvelle mais pas maintenant car il était trop déprimé pour songer au travail. Il entendait les commentaires suggestifs de la fille de Saint-Domingue visitant son environnement et ferma les yeux, atterré. Quelques minutes plus tard, sentant un regard sur lui, il ouvrit ses paupières et rencontra les mirettes de la jeune femme, visiblement ravie.
- Satisfaite ? Il n'est pas à vendre toutefois, ironisa-t-il, faussement narquois.
- Il est remarquablement superbe ! s'extasia-t-elle. J'imagine que je dors dans la chambre dont la porte est ouverte, n'est-ce pas ?
Elle avait déjà prévu des arrangements sans lui demander son avis. Galère.
- Il me faut des draps.
Evidemment. A quoi n'avait-il pas pensé encore ? A la serviette de toilette ? À la brosse à dents ?
- Une taie d'oreiller et vous avez un ventilateur ?
- La clim a été installée mais vu que vous venez de Saint-Domingue, la chaleur ne doit pas vous incommoder.
La jeune femme arqua un joli sourcil blond sur un air interrogateur. Pourquoi se bornait-il à évoquer Saint-Domingue ? Il rentrait récemment de vacances ? Quoiqu'il en soit, elle avait omis de demander une chose importante.
- Hey, au fait, comment vous vous nommez ?
Dans toute sa colère, il avait oublié de se présenter.
- Shikamaru.
- Shikamaru, vous n'avez pas de nom de famille ?
- Et vous ? Vous ne m'avez pas donné le vôtre, rétorqua l'agent immobilier.
Surprise de s'être fait mouchée, la blonde parut étonnée avant d'être amusée par la réplique du jeune homme. Finalement, il paraissait sympathique moins grognon qu'elle le pensait.
- Très bien, Shikamaru, dit-elle avec un lourd regard charmeur.
L'agent immobilier sentit sa poitrine se serrer violemment quand elle prononça son prénom. Jamais personne n'avait dit son prénom sur un ton de velours et il lui semblait même qu'elle ne l'avait pas fait exprès. Du moins, il l'espérait car sinon, cela signifiait que lorsque c'était volontaire, son timbre devait être dévastateur.
Galère. Déjà que son regard était impressionnant, sa voix était sensationnelle.
- Alors, Shikamaru, cet appart t'appartient ? Tu y vis seul ?
Shikamaru fronça les sourcils, soupçonneux. Où devait mener cet interrogatoire exactement ? Elle allait bientôt lui proposer d'être sa colocataire ? Ah, quelle horreur !
Il fallait mettre les barrières tout de suite avant qu'elle dépasse les limites.
- Vous n'êtes là que provisoirement.
- Et ?
- Et oui, je vis seul et je me destine à le rester.
Temari ne voyait pas le message implicite mais bon, elle allait laisser faire et ses yeux se posèrent sur l'écran plat.
- Génial, tu as un home cinéma !
- Quand votre visa a expiré ?
- Tu n'es pas obligé de me parler comme si j'étais une étrangère, je comprends parfaitement l'anglais.
- Si vous compreniez parfaitement l'anglais, vous auriez compris que je vous demande implicitement quand est-ce que vous me fichez le camp.
A nouveau, elle arqua un sourcil, étudiant le jeune homme en face d'elle.
Rectification, il semblait et était bien d'un genre grognon. Le séjour allait être chiant. Si elle assemblait toutes les phrases qu'il lui avait dites depuis le début, elle réalisait qu'il la considérait comme clandestine. Pas mal comme imagination pour un grincheux. Si elle lui faisait croire qu'elle en était une, il pourrait quand même la dénoncer sauf qu'elle l'accuserait d'être son complice et cette affaire se retournerait contre lui. Or, si elle lui donnait une autre raison pour justifier son squat, il ferait du chantage avec elle. Bon, elle n'avait pas trente-six solutions et s'amuser avec un grincheux serait très divertissant.
- Pour tout dire, vous m'avez démasquée, mentit-elle, en prenant un air sérieux.
Shikamaru se retint d'afficher un sourire victorieux et tâcha de préserver son air neutre malgré sa satisfaction.
- Mon visa a expiré depuis de longs mois et je ne peux plus le refaire sans me remettre aux autorités qui me renverront chez moi. Or, le temps de mettre en ordre mes papiers, je perdrai mon travail, voilà pourquoi je me suis retrouvée chez toi.
L'agent immobilier était partagé entre le bonheur d'avoir aidé son pays et l'horreur lorsqu'il découvrit le piège dans lequel il s'était fourré. Maintenant qu'elle venait d'avouer qu'elle était une clandestine, même si on les arrêtait, il serait jugé pour complicité et adieu sa vie paisible qu'il envisageait. Galère.
Temari réprima son sourire moqueur, mordit sa lèvre inférieure pour retenir le fou rire qui la tenaillait. Assister à la décomposition faciale de Grincheux était vraiment très jouissif. Elle le tenait entre ses mains maintenant.
- Bon ... je réitère quand même ma question. Quand est-ce que vous avez l'intention de partir d'ici et de me rendre ma liberté ?
- Je ne te retiens pas prisonnier.
- C'est tout comme, ronchonna-t-il.
La jeune femme posa les mains à plat sur ses genoux bruyamment et une mine joyeuse éclaira son visage. Shikamaru se méfiait de ses prochaines paroles.
- Je ne sais pas encore mais quand est-ce qu'on mange ?
Il avait bien fait de se préparer au pire. Les femmes étaient vraiment toutes et extrêmement galères. Sous leur sourire tendre et aguicheur, elles étaient les pires des démons. Voilà pourquoi il s'était toujours tenu à l'écart d'elles jusqu'à ce qu'une folle débarque et dérange sa vie tranquille.
Quand il vit la blonde se diriger vers la cuisine normalement, Shikamaru ferma les yeux de dépit.
La vie était vraiment trop méchante.
