Hey, me revoilà avec un nouvel OS sur Quotidien !

Enjoyyyy

MORT-VIVANT

Martin fit quelques pas en arrière pour s'éloigner de la caméra, qui était tenue par Clément. Ils se préparaient pour le duplex qu'ils feraient avec Yann, d'ici quelques minutes. Ils avaient choisi de le faire dans un endroit impressionnant: les ruines d'une école primaire. La zone était censée être safe pour la journée.

_ Le cadrage est bon ? Demanda Martin.
_ Parfait. Fit Clément en effectuant quelques réglages sur la caméra.

Martin était content de pouvoir être là, en Syrie. C'était important pour lui d'être là malgré l'horreur et la peur qui figeait le pays. Justement cette terrible réalité, il voulait la montrer à son propre pays, lui faire ouvrir les yeux, c'était sa façon à lui de changer le monde, même si ce n'était pas grand chose.

_ Test son ? Appela Clément, tirant Martin de sa rêverie.
_ 1,2,1,2 ? C'est bon ?
_ Oui ! J'appelle Yann.

Clément se pencha sur sa caméra et Martin mit ses écouteurs pour pouvoir entendre le présentateur.

_ Salut Martin ! fit la voix enjouée de Yann dans ses oreilles.

A ces simples mots, Martin sourit.

_ Salut Y…

Martin fut interrompue par un violent bruit d'explosion à quelques kilomètres. Les bombardiers russes étaient de retour.

_ Merde, jura Clément en sautant sur sa caméra, on dégage Martin.

Le jeune homme ne se fit pas prier, ramassa son micro et son sac à dos, envoya valser ses écouteurs sans un mot pour son patron, et courut derrière son collègue. Les bombes se mirent à pleuvoir, la terreur s'empara des rues. Martin n'avait jamais eu peur avant en reportage, il avait toujours su prendre du recul, mais pourtant, là, il était terrorisé. Il se sentait comme un jeune syrien traqué par les bombes: son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine, des sueurs froides coulaient le long de son échine. Clément courrait devant lui, ils étaient presque à leur hôtel dans lequel ils pourraient se mettre à l'abri. Soudain, une bombe tomba, presque au ralenti, sur le toit d'un bâtiment près d'eux. Martin se sentit brusquement projeter en arrière et lâcha son micro. Il sentit à peine la brûlure, si proche, de l'explosion et la douleur de son dos heurtant violemment la pierre. C'était comme irréel. Il eut le vague sentiment de se faire écraser par quelques gravats et de rouler sur le sol. Puis tout lui devient lointain. Les cris, les pleurs et les bombes n'étaient plus qu'un brouhaha imperceptible à ses oreilles. Il entendit vaguement Clément crier son nom. Mais son corps était brisé, il ne pouvait plus bouger. Ça ne faisait même pas mal, c'était une simple sensation brûlante, étouffante, asphyxiante. Il n'avait plus peur. La poussière volait autour de lui. C'était comme si tout était déjà joué maintenant. Il ne pouvait pas passer entre les bombes pour toujours. Il sentit indistinctement des bras le tirer hors des gravats, le traîner sur les dalles alors que son sang s'y répandait.
_ Martin… Accroche-toi…

La voix était un souffle inquiet. Clément était près de lui. Il sentait sa main serrer son épaule. Martin ne pouvait répondre, son esprit s'échappait de son corps désarticulé, il sombra dans une semi-conscience brumeuse et se laissa porter par les bras inconnus. La douleur commençait à poindre dans son thorax qui semblait se déchirer à chaque pas que faisait le cortège macabre. Le choc se dissipait pour laisser place à la douloureuse réalité. Sa dernière sensation fut celle d'être finalement allongé sur un brancard et il entendit la voix d'une femme en anglais.

« We have a man around 30, door B, severely touched on the thorax, broken ribs, commotion and trauma, important blood loss, we need a bloc right now ! Prepare a transfusion. »

La main de Clément lâcha son poignet et il gémit à cette soudaine solitude. Il ne voulait pas être seul. Sa peur revient soudainement. Il allait mourir seul, au fond d'un hôpital syrien… Sans dire au revoir à sa famille, ses amis et… Il n'eut pas le temps d'y songer davantage, et bascula dans les ténèbres.

Les étoiles semblaient filer sous ses yeux alors qu'il émergeait péniblement. L'espace et le temps étaient disloqués. Toute sensation avaient quitté son corps. Ou alors peut être que c'était son corps qui avait quitté la terre. Il flottait. Loin des terres et des océans. Bien au-delà du monde des vivants. La conscience se diffusait lentement dans ses veines.
Un brouhaha encombrait sa tête, des voix, des sensations embrouillées. Où était-il ? Que restait-il encore de lui ? Le goût du sang inonda ce qui devait être sa bouche. Il étouffait. Il avait l'impression que ses poumons allaient exploser. Une voix toujours lointaine, lui parvint.

« Operation success. Stable state. Prepare repatriation. »

Martin sentit soudain l'air emplir ces poumons dans une douce brulure. Il n'était pas encore parti. Il allait s'accrocher, il le devait. Combien de temps tiendrait-il ? Seul le silence lui répondit. Il naviguait entre conscience et inconscience. Les voix se turent.

Un bruit de ventilation. Des voix étouffées. Il ne fait qu'entendre, il ne sent rien. Mais le bruit de la ventilation lui vrille le cerveau et l'empêche de retourner dans les abîmes. Le bruit de vent, de rotation lui est familier. Il l'entend régulièrement. Mais il ne sait plus où. Il distingue une voix qui pourrait être celle de Clément.

« On rentre à la maison, Martin. »

Le jeune homme souhaiterait lui répondre, mais seul son ouï semble fonctionner. Il se laisse donc guider au fil des sons qui glissent dans ses oreilles. Le bruit se rapproche, il entend des bruits de mécaniques, d'appareils, des voix numériques… Il comprend soudain. Un tarmac. Il va monter dans un avion. Il a traversé tellement d'aéroports, c'est la première fois qu'il rentre inconscient. Arrivera-il à destination ? Il l'espère. Mais sa chance ne peut pas durer éternellement. Il sent quelques secousses, puis tout redevient brumeux. Une voix annonce le décollage mais elle se perd dans les limbes de ses pensées.

La ventilation est de retour et l'arrache une fois de plus au sommeil. Est-il arrivé ? Cette fois, il ne fait pas qu'entendre, il a mal. La douleur le consume, lentement mais sûrement. Il voudrait crier mais son corps ne semble toujours pas lui répondre. Il se sent nauséeux. La frustration de sa condition ne fait qu'accentuer la douleur. S'il avait encore des yeux, il pleurerait. Si ses poings existaient encore, ils les serreraient jusqu'à s'entailler la peau. Il s'agite ou du moins son corps le fait indépendamment de sa volonté embrumée. Il n'est maître de rien, sinon de ces quelques pensées floues qu'il parvient par moment à former de façon cohérente dans son esprit. Il sent un tremblement qui traverse ce qui pourrait être son corps ou alors peut être que c'est juste une illusion supplémentaire. Une voix cependant lui parvint au travers des brumes nébuleuses qui l'enveloppent.

« Je suis là. Je reste avec toi. »

La voix est brisée, tremblante. Martin ne parvient pas à lui attribuer un nom ou un visage mais son cœur semble la reconnaître car le tremblement et la douleur se calment aussitôt. Et les brumes de son esprit qui semblaient l'étouffer s'adoucissent et il se laisse séduire par le sommeil. La voix résonne au loin, tendre et chagrine, sans que ses mots puissent l'atteindre.

Des larmes, des soupirs soulagés, quelques caresses sur son bras. Il peut enfin sentir autre chose que la douleur. Ses sens lui reviennent peu à peu, même s'il n'a pas de contrôle sur son corps. Il reconnaît le parfum de sa mère, il entend les perles de son collier se cogner. Sa voix lui chuchote des mots rassurant tandis que des doigts glissent dans ses cheveux. Mais il ne peut répondre, il ne peut bouger. Il peut simplement rester allonger là, immobile, les yeux clos. Comme une âme prisonnière. Sa sœur est là aussi. Elle murmure. Elle pleure aussi. Il a envie de la prendre dans ses bras. Il n'aime pas la savoir triste. Puis le silence à nouveau. Les ténèbres sont de retour. Ils s'y laissent aller, se demandant comme à chaque fois, s'il en ressortira jamais.

Les jours ou peut-être les heures, il n'en sait rien, se succèdent jouant entre conscience et ténèbres. Il perçoit les caresses, entend les « bip-bip » incessants des machines autour de lui et sent les odeurs de désinfectants et de médicaments. Mais son corps se fait toujours aussi lointain. Restera-il toujours ainsi ? Un esprit prisonnier de son enveloppe charnelle ? Si l'en est ainsi, il préfère mourir. Mais le laissera-t-on partir ? Il pense à son amant. Il a distingué sa voix, quelques secondes. Il ne vit plus que pour elle. Mais elle se fait si rare. Il la manque à chaque fois, n'est jamais là au bon moment. Beaucoup de larmes sont versées à son chevet. Savent-ils son destin ? Pleure-il sa mort prochaine ? Son état définitivement végétatif ? Les voix défilent. Sa soeur, ses parents, Hugo, Pana, Martha, Clément, Felix et tous les autres… Il les entend de temps en temps. Il voudrait leur demander de le libérer. Il ne voulait pas être entre les deux pour toujours. Ni mort, ni vivant. A quoi bon ? Il rendait tout le monde triste ainsi. Il était fatigué d'être seul avec lui-même, il voulait sécher les larmes de ses proches. Ils lui manquaient. La vie lui manquait et la frustration lui donnait envie de mourir.

Il se réveille en sursaut, bien que ce sursaut n'existe que dans sa tête. Il ne peut pas bouger mais il entend les « bip-bip » de sa machine qui s'accélèrent de plus en plus. Il a l'impression de suffoquer une nouvelle fois. Est-ce la fin ? Est-il en train de partir ? Il sent qu'il perd sa respiration, la peur lui saisit les entrailles. Il essaie de se concentrer sur ses autres sens. Est-il seul ? Il semblerait. La machine s'emballe encore, les dernières lueurs de conscience qu'il lui reste semble s'évaporer. Il perd pied et cette fois les ténèbres n'ont pas l'air de vouloir le laisser revenir auprès des siens. Pour la première fois depuis son le début de son coma, il sent ses doigts frémir. Un long « bip » se fait entendre et lui vrille les oreilles. Il tombe dans la nuit. Dans sa chute, il l'appelle, il crie son nom, comme s'il pouvait le rattraper… Des larmes muettes et invisibles coulent le long de ses joues qui ne sont plus. Ses lèvres murmure, tout bas dans la pénombre, son nom.

« Yann… »

Tout est calme à nouveau. Les bruits se sont tus. Il se sent comme enveloppé dans un nuage de sérénité et de calme. Est-ce cela la mort ? Il se sent soulagé, détendu mais à la fois si vide, si brisé à l'intérieur. Est-il de nouveau condamné à errer dans son inconscient ? Soudain, le jeune homme sent une main sur la sienne, une main qui le raccroche à la vie, qui l'empêche de partir. C'est sa main. Il reconnaît sa façon de tracer des petits cercles sur le dos de sa main. Ses doigts sont frais et un peu tremblants. Il doit être inquiet. Il s'inquiète toujours pour tout. Surtout pour lui.
Martin sent ses doigts frémir à nouveau. Il concentre ses forces, encore une fois. Son amour a besoin de lui. Au bout de ce qui lui semble des heures, il finit par réussir à serrer doucement les doigts entremêlés aux siens. Il entend un hoquet de stupeur. Ce geste est comme le déclencheur du choc. La réalité le frappe de plein fouet. Sa bulle de conscience se brise et il sent lentement son corps lui revenir. Après plusieurs minutes sans bouger, il prend une longue inspiration et finit par ouvrir lentement les yeux. La chambre est blanche et lumineuse, trop lumineuse. Il pousse un grognement indistinct mais ces yeux tombent rapidement sur le visage de son amant. Il a les yeux rouges. Ses traits sont tirés par les nuits sans sommeil. Pourtant, il sourit et un soulagement ému se peint sur son visage. Ces yeux bleus ne lâchent pas les siens. Martin lui sourit faiblement, peinant encore à retrouver pied, dans ce monde qu'il a quitté.

_ Salut Yann. Dit-il dans un murmure rauque, comme s'il reprenait là où ils s'étaient arrêtés.

Des larmes, qu'il ne parvient pas à retenir, coulent sur les joues du présentateur. Lui, qui ne pleure jamais.

_ Salut Martin. Souffle-il déposant déjà mille baisers sur ses mains, son front, son nez…

Martin savoure la douceur des retrouvailles, sachant qu'ils auraient tout le temps de parler des choses les plus difficiles. Il respire l'odeur de Yann qui le serre contre lui. Cette odeur qui a eu le temps d'imprégner la pièce pendant ces longs jours de coma. Ces joues à lui aussi sont humides. Il est de retour.

_ Ne me quitte plus jamais… Je veux pas te perdre, Martin… Je t'en supplie.

La voix du plus vieux est alourdie par les sanglots. Martin se sent coupable de lui avoir fait si peur. Il aurait probablement été dans un état similaire s'il avait été à sa place.

_ Plus jamais.

Au fond de lui, il sait qu'il repartira en Syrie et d'en d'autres endroits dangereux… Yann le sait aussi. Mais il ferait tout pour toujours rentre auprès de lui.

Voilà, voilà, j'espère que vous avez aimé :)

J'espère qu'il ne reste pas trop de fautes ^^