Sa jupe se souleva avec la violente bourrasque qui traversa la rue. Elle la tint tant bien que mal près de son corps en attendant que le vent cesse. Comme la journée avait été pleine de ces violents mais brefs coups de vents, ce n'était pas la première fois qu'elle vivait cela. C'était presque sans s'en rendre compte qu'elle tenait sa jupe maintenant. La secouant une dernière fois, réussissant même à la décoiffer, le vent cessa et elle put reprendre sa marche.

Le soleil était haut, les nuages le masquaient par intermittence et le vents soufflait peu mais violemment. Une belle journée du début du printemps, en fin d'hiver donc encore assez fraîche, le souffle vaporeux de la jeune femme, buée dans l'air frais, en témoignait. Elle était sortie sans but précis, affrontant cette journée oscillant entre soleil chaud et vent parfois glacé. Elle avançait dans les rues, regardait les vitrines des magasins, parfois entrait mais ressortait bien vite, elle regardait aussi les petits commerces de nourriture, les cafés et autres. Elle pouvait sembler un peu étrange pour les commerçants qui la voyaient passer plusieurs fois devant eux, le regard un peu dans le vague, marchant au hasard des rues guidée par sa seule envie.

Elle préférait être ici, dehors dans les rues un peu froides que coincée chez elle dans son petit appartement, tout ce qu'elle avait pu trouver et se payer en revenant ainsi dans sa ville de cœur. Après l'avoir quittée pendant un an, elle ne s'attendait pas à grand chose. Elle espérait que l'on se souviendrait tout de même d'elle, de tous, mais pas plus. Elle vivait jusqu'alors un peu clandestinement, vagabondant avec le peu d'argent qu'elle gagnait en aidant les riverains rencontrés occasionnellement. C'est pourquoi en revenant ici pour un temps indéterminé, mais nécessitant qu'elle se réinstalle en ville, elle n'avait pas pu retourner dans le dortoir ou trouver quelque chose d'un minimum grand et bien placé, quelque chose qui ne soit pas trop sombre, trop haut, avec du vieux carrelage humide, des plafonds hauts mais fissurés et de la vieille moquette déchirée et un parquet plein d'échardes. Mais si ce logement lui permettait de revenir ici, peut-être définitivement, et de retourner avec tout les autres dans leur vie d'avant, elle pouvait bien subir un moment ce minuscule appartement pas si sûr que le prétendait le propriétaire, lui même assez suspect.

C'est pour cela qu'elle préférait flâner en ville même sans rien à faire, se contentant de parcourir ces rues cent fois traversées et qu'elle pourrait redessiner parfaitement les yeux fermés. Mais elle aimait à voir les changements encourus en un d'absence, et ceux des sept ans où elle avait disparu et qu'elle n'avait pas eu le temps de découvrir. Et surtout, ça lui évitait de trop penser, ou du moins de broyer du noir en pensant. Quand elle marchait, le mouvement canalisait sa pensée, l'air extérieur oxygénait son cerveau et toute la vie alentour la distrayait suffisamment pour que sa pensée ne dérive pas trop et ne parte vers des sentiers plus sombres.

Elle se posait effectivement nombre de questions dès que son esprit n'était plus occupé. Oui ils étaient tous revenus, à quelques exceptions près, ils allaient refonder ce qu'ils avaient toujours connu et leur vie recommencerait comme avant avec les rires, les fêtes, les missions... Une belle vie enfantine en famille. Une vie où elle n'aurait pas à réfléchir vraiment, avec de vrais responsabilités, un travail en suspens et toujours faire attention pour rester au niveau et le garder, un avenir entier à bâtir, une belle vie. Elle ne disait pas qu'elle n'avait pas d'avenir avec la guilde mais elle ne le bâtirait, elle aurait toujours la guilde, serait toujours presque « enfermée » avec sa famille, elle n'avait pas quitté le cocon familial et ne s'était pas envolée. Si. Elle l'avait fait pendant cette année et avait adoré mais aujourd'hui elle retournait dans cette vie un peu réductrice... Elle aimait sa famille plus que tout mais comme tout le monde, elle devait la quitter à un moment ou un autre tout en gardant des liens avec elle. Ce qu'ils n'étaient pas prêt à la laisser faire. Et si elle ne l'avait pas fait, n'était-ce pas parce qu'elle aussi n'était pas prête ? Mais cela la gênait tant à admettre sur elle-même qu'elle n'y pensait pas et se posait des questions sur des chemins détournés.

Car la situation aujourd'hui, qu'elle soit saine ou non, était qu'elle était de retour en tant que membre d'une guilde légale en relation avec le conseil et le gouvernement, en quelques sortes leurs délégations distillées un peu partout dans le pays au contact du peuple, comme des organisations humanitaires, indépendante mais liées au gouvernement. Et puisqu'elle était une mage légale, dans le droit chemin et qui ne voulait attirer d'ennuis à personne et surtout pas à lui... Elle n'avait plus aucun contact avec lui depuis qu'elle avait renoué avec eux. Que préférait-elle ? Ses amis et vivre une belle vie insouciante d'enfants ? Mais ne voir son amour que très rarement lorsqu'ils devaient collaborer pour le bien de l'humanité ? Ou alors être une fugitive, avoir une vie clandestine loin de tout et de tous mais avec lui ? Une vie d'adulte, une vie libre ? Non pas encore. Puisqu'elle serait effectivement libre mais pas avec la vie qu'elle voulait et qu'elle construirait, il n'était toujours pas gracié, ce ne serait pas une vie normale où elle aurait passé sa scolarité avec son ami d'enfance, ils seraient sortis ensemble pendant leurs années lycées ou leurs études puis se seraient fiancés, se seraient installés ensembles dans leur premier appartement, se seraient mariés et une fois avec un bon travail et de bons revenus ils auraient investit dans une maison et eu des enfants. Une vie bien normale, monotone avec bien moins de frissons que ses deux possibilités actuelles mais elle aurait été heureuse. Elle le savait. Et elle en rêvait. Dans son tout petit appartement, elle imaginait des centaines de possibilités de vies avec lui, ses amis parfois, sa famille d'origine... Et comme sa vie n'était pas celle-ci mais qu'elle était bien ingrate de s'en plaindre et qu'elle n'avait rien pour être malheureuse, elle s'en voulait et déprimait. Avec le côté sombre, les délabrements et les murs tellement fins que l'on entendait tout... TOUT. Surtout les voisins et leurs activités.

Alors, pour échapper à tout ça et avoir l'illusion d'une vie seule d'adulte de son âge, elle sortait et déambulait dans les rues, imaginant encore pleins d'autres chemins pour elle. Et lui Revivant l'année passée où, avant de s'allier avec le mage de glace contre Avatar, elle avait vécut vraiment, dans une grande ville, un travail, un bon appartement, des amis avec qui elle allait boire dans des bars, elle payait des factures, elle achetait des cartes de bus, elle devait faire attention à son budget, réguler ses achats de nourriture, elle était une adulte seule et indépendante, épanouie. Oui, ils lui manquaient tous. Mais elle savait qu'elle les reverrait, elle aurait pu leur rendre visite occasionnellement. Elle s'était envolée vraiment et maintenant qu'on la remettait en cage, une cage distendue puisqu'on ne pouvait pas dire qu'elle vivait enfermée, elle se sentait malheureuse.

Et surtout, il lui manquait son ara bleu, son seul compagnon sur cette terre. Elle était toute seule dans sa cage, il lui manquait son âme sœur, perdue elle ne savait où, en danger constant de mort. Et elle ne pouvait pas casser son cadenas, les autres oiseaux ne la comprendraient pas, ils souffriraient trop. Elle ne pouvait pas aller chercher son ara et vivre avec lui. Elle accusait les autres toutefois, si elle n'avait rien fait, c'était bien que le problème venait en réalité d'elle. Elle ne voulait peut-être pas vivre cette instabilité sur le long terme, cette relation proscrite et dangereuse, sans possibilité de retour en arrière. Avec lui oui, mais c'était la solution difficile. Celle où il fallait se dépasser par amour.

Pendant cette année ils s'étaient grandement rapprochés, ils s'étaient retrouvés et avaient commencés à se rapprocher du soleil. Peut-être était-ce bien mieux de s'être arrêté avant de se brûler mais... Elle aurait mille fois préféré se brûler si c'était avec lui. Se brûler dans la fournaise, la chaleur douce qui l'entourait, le feu ardent qui la possédait... Aujourd'hui elle devait tenir sa jupe sous le vent froid, porter une écharpe pendant une journée ensoleillée, se couvrir les mains afin d'éviter la sécheresse, les engelures et l'engourdissement du froid. Elle se frottait les mains et les bras, bougeait les jambes pour se tenir au chaud lorsqu'elle attendait trop longtemps aux passages piétons, elle était frissonnante et grelottante en sortant de la douche, elle s'emmitouflait dans la couette pour un semblant de chaleur la nuit dans son lit, désespérément seule.

Elle avait sa famille, ses amis, elle passait chaque jour voir la guilde, aider à la reconstruction quelques heures, elle buvait un verre et riait. Puis elle repartait errer dans les rues jusqu'au soir où elle regagnait son appartement vide avec pour seules compagnes des réminiscences des soirées enflammées passées avec lui.

Il lui suffirait pourtant de décider de dire non, de reprendre ses affaires, de partir le retrouver. Il lui suffirait de leur expliquer, ils comprendraient. Ce ne serait pas la belle vie bien rangée, ou la vie citadine et seule, mais elle serait avec lui. Elle vivrait son amour et irait se brûler les ailes, une fugitive en feu avec sa moitié. Ils se rejoindraient en un et rêveraient à deux d'un futur ensemble.

Demain. Elle ferait cela demain. Demain elle prendrait ses affaires, elle rendrait les clés, partirait prévenir les autres à la guilde puis retournerait sur les routes. De nouvelles routes, pas ces mêmes rues inchangées. Après tout, elle se serait ennuyée dans sa vie normale, elle s'était ennuyée dans sa vie de citadine, c'était beau, nouveau, une adolescente devenue enfin adulte après des années d'attente et de rêve, cependant, elle n'aimait que la nouveauté et le moment où elle avait été le plus heureuse c'est quand elle était avec lui et qu'ils voyageaient ensembles alors qu'elle s'occupait d'Avatar.

Oui, demain elle briserait son cadenas parce qu'elle serait forte et irait retrouver son ara bleu. Elle était prête pour demain.