Prologue
Adopter. Koyama Toma, depuis trois ans membre du célèbre groupe de Johnny's News et son compagnon Koyama Keiichiro, leader de ce même groupe depuis quatre ans, en parlaient depuis des mois. Au départ, ce n'était qu'une vague idée, qui s'était cependant précisée au fil du temps, pour devenir un projet très sérieux. Agés de trente et trente cinq ans ans et ne pouvant avoir d'enfant de leur sang puisqu'ils étaient homosexuels, ils se résolurent à prendre avec eux un enfant malmené par la vie, un orphelin en manque de cet amour dont, au moins Keiichiro débordait. La décision, mûrement réfléchie, enfin prise de façon définitive, ils se heurtèrent immédiatement aux préjugés concernant les couples de même sexe, en dépit du fait qu'ils gagnent tous deux plus que très confortablement leur vie et seraient donc à même de subvenir aux besoins d'un enfant.
Il leur fallut des semaines de lutte pour obtenir de leur agence le droit d'adopter, mais heureusement, Kitagawa Julie, la fille du vieux Johnny, était moins obtuse à ce sujet que son père et ils finirent par obtenir gain de cause. Pour autant, leur bataille ne se termina pas là : ils durent s'acharner ne serait-ce que pour obtenir un rendez-vous du directeur du plus grand orphelinat de Tokyo, qui les soumit à un questionnaire qui n'aurait pas démérité au F.B.I, avant de les congédier plutôt sèchement en leur disant qu'il les recontacterait. Toma et Keiichiro repartirent donc chez eux, l'espoir chevillé au cœur. Mais après plusieurs semaines d'attente sans la moindre nouvelle, cet espoir se mua en tristesse, puis en douleur lorsqu'ils réalisèrent qu'à cause de leur amour pour une personne du même sexe, le bonheur de devenir parents leur était à jamais inaccessible.
Le plus touché fut Keiichiro, plus sensible. L'absence de nouvelle le rendit inconsolable et, le soir, lorsqu'il pensait son compagnon profondément endormi, il se laissait aller à son chagrin. Ce qu'il ignorait, c'est que Toma, bien loin de dormir, avait le cœur crucifié par la tristesse de son bien-aimé. Il n'y avait rien qu'il ne tenterait pas pour son Keii. Pour un sourire de lui, il se jetterait volontiers au feu ou, tout du moins, il lui décrocherait les étoiles. Or, son Keii ne souriait plus et ça, il ne pouvait plus le supporter. Alors, jour après jour et en cachette, l'aîné se mit à contacter tous les orphelinats du pays, l'un après l'autre, racontant inlassablement leur histoire, donnant sans trêve des dizaines de renseignements très personnels, dans l'espoir qu'un jour, l'un d'eux leur accorderait ce qu'ils souhaitaient tous les deux.
Ce jour-là, rentré tôt d'un shooting solo, Toma venait de raccrocher avec le tout dernier établissement de sa liste, qui ne lui avait pas laissé beaucoup d'espoir, lorsque son portable sonna. Démoralisé, il décrocha.
- Moshi moshi…
« Koyama-san ? »
- Hai…
« Je suis Sakurada, de l'orphelinat Sakura à Hokkaido. »
Son intérêt brusquement réveillé, Toma changea de ton.
- Je vous écoute.
« Le conseil d'administration et moi-même avons repris votre dossier écarté de prime abord et conclut que nous n'avions pas le droit de refuser le bonheur à l'un de nos petits à cause de nos préjugés. Vous présentez toutes les garanties matérielles nécessaires et vous avez semblé sincère dans votre démarche. »
- Donc ? le pressa Toma, suspendu à ses paroles.
« Quand pouvez-vous venir voir les enfants ? »
Retenant à grand peine une danse de la joie, ce fut d'un ton inhabituellement enjoué, qu'il répondit :
- Quand ça vous arrange.
« Samedi ? »
- Parfait.
« Alors à samedi dans ce cas. Au revoir, Koyama-san. »
- Au revoir, Sakurada-san.
En raccrochant, l'aîné du couple avait un énorme sourire vissé au visage. Enfin il allait revoir celui de son Keii.
Pour lui faire une belle surprise, il s'attela donc aux fourneaux pour lui préparer son plat préféré et un bain qui le détendrait. Tout était donc prêt lorsque, en milieu de soirée, Keiichiro passa la porte.
- Je suis rentré… annonça-t-il d'une voix morne.
- Coucou Keii, répondit Toma en allant l'accueillir à la porte avec un baiser. Ca a été sans moi ?
- Oui mais bon, ce n'est jamais pareil quand tu n'es pas là, fit l'aîné après avoir répondu au baiser.
- Je sais, tu me le répète chaque fois que j'ai une activité solo, sourit le plus jeune des deux.
- Et c'est toujours aussi vrai maintenant qu'il y a trois ans. Mais dis-moi, ça sent drôlement bon. Tu m'as attendu pour dîner ?
- Evidemment.
- Tu es incorrigible, dit Keiichiro en souriant, tout en lui caressant la joue. Combien de fois je t'ai dis de manger sans moi quand tu rentre plus tôt ? Tu sais bien que je peux rentrer à n'importe quelle heure et que je veux pas que tu meures de faim en mon absence.
- Et toi tu sais bien que j'entends pas toujours ce qu'on me dit, fit le cadet dans un sourire en coin.
- Disons plutôt que tu entends ce qui t'arrange, comme toujours. Bon bah allons manger.
Le plus âgé se déchaussa, enfila ses pantoufles et suivit son compagnon à la salle à manger, où il écarquilla les yeux en découvrant une ambiance romantique.
- Oh mais… Toma… j'ai oublié quelque chose ? s'effara-t-il. Un de nos anniversaires ou…
- Non non. Commence pas à t'inquiéter sans raison. Il en faut une précise pour un dîner romantique ?
- Non mais disons… que c'est plutôt moi qui fais ce genre de chose d'habitude.
- Justement. Pour une fois, je voulais te faire plaisir aussi.
- Ca c'est trop mignon, mon Toma ! s'exclama Keiichiro en lui sautant au cou. Enfin sauf si ça cache une bêtise… Tu as fais une bêtise ?
- Mais non… fit le concerné en faisant mine de faire la tête.
- Ooooooh mais ne boude pas, je plaisantais, rectifia aussitôt Keiichiro, marchant toujours à chaque boutade de son compagnon.
- Moi aussi, répondit Toma dans le même sourire en coin.
Un éclat de rire accueillit ces mots, accompagné d'une petite tape sur la tête.
- Baka. Allez on va manger.
- Assieds-toi, j'amène le curry.
- Au poisson ?
- Evidemment au poisson puisque t'adore ça.
- Tu es le meilleur Toma !
- Si tu le dis.
Paroles dictées, non pas par fausse modestie, mais par de réels doutes, car malgré les efforts de Keiichiro et de leurs amis Tegoshi Yuya, Masuda Takahisa et Kato Shigeaki, il n'avait jamais tellement pensé de bien de lui.
Ses mots furent une nouvelle fois saluée par le rire de Keiichiro. Ce son, qu'il n'avait plus entendu depuis longtemps en dehors du rire factice qu'il utilisait pour le travail, mit du baume au cœur du cadet et le repas se passa dans la bonne humeur.
- Maintenant au bain, déclara-t-il. Je l'ai fais couler archi brûlant avant ton retour, alors il doit être pile à la bonne température maintenant.
- On le prend ensemble ?
- Bien sûr.
Une fois tous deux installés dans la grande baignoire et Keiichiro à sa place favorite, dans les bras de son compagnon, le plus âgé ferma les yeux.
- Tu sais, Toma, si j'étais soupçonneux, je penserais vraiment que tu essaye de te racheter de quelque chose. Ou de faire passer une mauvaise nouvelle.
Un petit baiser dans le cou lui répondit, ce qui acheva d'inquiéter le leader de News, qui se retourna à demi pour regarder son compagnon.
- Toma, qu'est ce qui se passe ?
- T'es pas croyable, soupira le plus jeune. Je peux plus avoir d'attentions ou être tendre avec toi sans dissimuler quelque chose ? Je t'avoue que c'est un peu vexant. A voir ta réaction, on dirait que je fais jamais rien pour toi…
- Pardon Toma…
- En plus tu as tout gâché…
- Gâché quoi ?
- La surprise que je voulais te faire.
- Quelle surprise ?
Il y eut un blanc, puis le plus jeune lâcha la bombe.
- J'ai continué à contacter des orphelinats, Keii. Et tout à l'heure, l'un d'eux m'a rappelé. On va à Hokkaido samedi pour voir les enfants.
Il y eut un blanc et le plus jeune s'attendit à des exclamations de joie, mais au lieu de ça, son aîné fondit en larmes.
- K… Keii ? balbutia Toma, interloqué.
- Je suis… Je l'espérais même plus… Merci, mon amour… Je t'aime.
Rassuré, l'aîné ne releva même pas l'emploi du petit nom qu'il n'aimait pas et resserra l'étreinte de ses bras autour de la taille fine de son bien-aimé, avant de l'embrasser de nouveau dans le cou.
Le jour J, dans l'avion pour Hokkaido, il est inutile de dire que Keiichiro ne tenait pas en place tellement il avait hâte, au point que son compagnon dut le menacer de l'assommer et de l'attacher à son siège pour qu'il se tienne tranquille.
Si Toma l'avait écouté, il aurait même roulé à deux cent à l'heure avec la voiture de location prise près de l'aéroport à leur arrivée. Heureusement, il était quelqu'un de raisonnable et pragmatique (hormis lorsqu'il était fou furieux, ce qui était assez rare), aussi les folies impulsives dont son bien-aimé était coutumier, lui étaient-elles étrangères (ce que l'ainé lui reprochait parfois car il n'avait aucune spontanéité. Avec lui tout devait être prévu, calculé et presque millimétré, sinon il se mettait à stresser comme un fou) et il se contenta de rester dans les limitations de vitesse.
L'orphelinat, excentré, était situé dans un parc verdoyant pourvu d'aménagements destinés aux enfants comme un toboggan, des balançoires, un bac à sable pour le moment fermé par deux battants de bois ("pour éviter au maximum les possibles contaminations de l'aire de jeu" expliqua Keiichiro lorsque Toma s'en étonna)…
La façade du bâtiment, joliment mangée par du lierre, était percée de nombreuses fenêtres qui devaient apporter beaucoup de luminosité aux pièces dans lesquelles elles se trouvaient et les deux hommes trouvèrent le hall d'entrée charmant avec son tapis coloré et ses meubles en bois laqué.
A leur entrée, une jeune femme s'avança à leur rencontre.
- Bonjour. Puis-je vous aider ?
- Bonjour. Je suis Koyama Toma et voici mon compagnon Koyama Keiichiro. Sakurada-san nous attend.
Si la mention du lien les unissant surprit leur interlocutrice, elle n'en montra rien et les pria simplement de s'assoir en attendant que le directeur et fondateur de l'établissement les reçoive.
- J'espère tellement que ça va marcher… souffla l'aîné à son cadet.
- T'inquiète pas, répondit celui-ci sur le même ton. Ils nous auraient pas fait déplacer si c'était pas le cas.
Keiichiro hocha la tête et une porte qu'ils n'avaient pas remarquée s'ouvrit sur un homme qui pouvait être âgé d'une soixantaine d'années, au visage sévère couronné de cheveux clairsemés et blanchis par endroits.
- Bonjour, je suis Sakurada. C'est moi qui vous ai téléphoné. Lequel d'entre vous est Koyama Toma-san ?
- C'est moi.
- Dans ce cas, vous êtes probablement Koyama Keiichiro-san ? dit-il à l'intention de Keiichiro.
- Heu oui, acquiesça le concerné, peu habitué à ce qu'on ne connaisse pas son identité.
- Veuillez me suivre. Il y a des choses dont nous devons discuter.
- Mais… les enfants… objecta l'aîné du couple qui n'était venu que pour ça et que la paperasse ennuyait d'autant plus qu'il devait souvent en faire pour le groupe.
- Keii… le rappela à l'ordre à mi voix un Toma qui craignait que l'impatience de son bien-aimé ne joue en leur défaveur.
Après le mal qu'ils avaient eu pour en arriver là, il trouverait totalement exaspérant que l'homme les juge finalement trop immatures pour prendre soin d'un enfant et donc inaptes à devenir parents.
- Désolé, articula silencieusement son aîné.
Tranquillisé, Toma hocha la tête à son intention, avant de reporter son attention sur l'homme qui leur faisait face.
- Ne vous en faites pas, Koyama-san, dit celui-ci. Vous les verrez ensuite.
- On vous suit.
L'homme les conduisit donc dans un petit bureau dont la superficie n'atteignait même pas celle de leur propre chambre qui était pourtant loin d'être gigantesque, et prirent place dans des fauteuils qui avaient du connaitre des jours meilleurs, ce qui les surprit très visiblement.
- Ne vous étonnez pas de la vétusté du mobilier. L'essentiel du budget de cet établissement passe pour les enfants et les frais de fonctionnement qui vont avec leur confort, expliqua le directeur. Bien, comme je vous le disais au téléphone, Koyama-san, nous avons revu notre jugement vous concernant, car nos tenons au bonheur de nos petits. Et si nous voulons qu'ils apprennent la tolérance et l'ouverture d'esprit, nous devons leur donner le bon exemple. Cela étant, il y a plusieurs points dont je dois discuter avec vous avant toute décision définitive.
- Nous vous écoutons.
Une heure plus tard, les problèmes administratifs en partie réglés, le directeur tint à leur faire visiter les installations, afin que les futurs parents se rendent compte de la façon dont étaient traités les enfants de l'institution.
- Quel âge ont tous ces petits ? demanda Keiichiro lorsque la visite prit fin.
- C'est très variable. Ca va du bébé de quelques semaines que la mère, trop jeune, a abandonné ; aux ados de seize/dix-sept ans qui sont encore là parce que personne ne veut adopter d'enfants aussi âgés. Ils nous aident avec les plus jeunes jusqu'à leur majorité et nous leur confions de menus travaux dans la pension, que nous rémunérons dans la mesure de nos moyens, afin de leur apprendre le sens des responsabilités.
- Et ce système fonctionne vraiment ? s'étonna Toma.
- Mais oui. D'ailleurs vous allez vous rendre compte vous-même, c'est l'heure de la récréation.
L'homme poussa une porte et le trio émergea à l'extérieur, dans ce parc dont le couple avait admiré les aménagements son arrivée.
- Sho-kun ! Emi-chan !
Aussitôt, deux adolescents dont le visage présentait une similitude frappante conduisant à penser qu'ils étaient jumeaux, se dirigèrent vers lui et s'inclinèrent dans un ensemble parfait, avant de prendre la parole à l'unisson.
- Bonjour Sakurada-san.
- Bonjour, mes enfants. Je vous présente Koyama Toma-san et Koyama Keiichiro-san, qui sont venus pour une adoption.
La stupeur se lut sur le visage, autant de la fille que du garçon, car tous deux écarquillèrent les yeux et restèrent bouche-bée.
- Ferme la bouche, Emi-chan, ce n'est pas élégant pour une jeune fille. Toi aussi, Sho-kun, tu vas avaler des mouches. Et c'est parfaitement impoli pour nos visiteurs/ Excusez-vous.
- Nous sommes désolés, excusez-nous, s'exécutèrent immédiatement les jumeaux en s'inclinant de nouveau.
- Mais en fait on vous connait déjà, dit Emi.
- Tout le monde connait les membres de News, renchérit son frère d'une voix étrange qui prouvait qu'il était en train de muer.
- Faites faire le tour de vos camarades à nos invités, je vous prie les enfants, leur demanda le directeur de l'établissement.
- Oui, Sakurada-san, répondirent de nouveau les adolescents.
- Suivez-nous s'il vous plaît, demanda le jeune Sho.
Le couple suivit donc les jumeaux entre leurs camarades de tous âges et des deux sexes qui s'amusaient ensemble. Soudain, Keiichiro s'immobilisa. Son regard venait d'être attiré par un petit garçon aux cheveux noirs en bataille, qui se tenait à l'écart de tous les autres enfants et qui, accroupit, faisait des dessins sur le sol avec un bâton.
- Sho-kun, qui est ce petit là-bas ? interrogea Keiichiro. Quel âge a-t-il ?
- Hum ? Oh c'est Ataru-kun. Il a quatre ans.
- Pourquoi il ne joue pas avec les autres ? Pourquoi il reste à l'écart ?
- Il est très timide et ne parle pas beaucoup, même à moi qui suis son responsable de dortoir, répondit l'adolescent.
- Et est ce que… Est-ce qu'on sait pourquoi ?
- Ben on a pas vraiment d'explication, mais Sakurada-san nous a dit que, quand Ataru avait trois ans, lui et ses parents ont eu un grave accident de voiture. Ses parents sont morts sur le coup, mais inexplicablement, Ataru s'en est tiré sans une égratignure.
- C'est un miracle…
- Sakurada-san nous l'a pas dit comme ça, mais Emi et moi, on suppose que c'est depuis qu'il est devenu si… sauvage.
- Pauvre petit… C'est terrible…
Et Toma était bien placé pour savoir qu'une histoire triste était le meilleur moyen d'attirer l'attention de son sensible compagnon de façon irrémédiable. Ce que lui prouva presque immédiatement son cadet, qui s'éloigna de lui pour s'approcher du petit garçon, comme attiré par un aimant.
- Coucou, fit Keiichiro de sa voix la plus douce, en s'accroupissant à côté de lui. Comment tu t'appelle ?
Il y eut un blanc, qui fit douter à l'adulte que l'enfant l'ait entendu, mais finalement, une voix fluette lui parvint malgré tout.
- Ataru…
- Coucou Ataru. Moi je m'appelle Keiichiro. Je peux jouer avec toi ?
Il y eut de nouveau un silence, que le petit ne rompit pas, mais il hocha la tête pour faire comprendre à l'adulte qu'il pouvait l'accompagner dans son jeu.
- Tu dessine quoi ? continua encore le leader de News en s'emparant à son tour d'un bâton.
- Une maison… murmura l'enfant.
- Oh… Je vois… Tu aimerais avoir une maison, Ataru-kun ?
- Hum…
Ce fut la dernière réponse que reçut l'adulte, qui continua à parler à son très jeune interlocuteur, comme si celui-ci lui répondait. Il ne consentit à se relever et à rejoindre son compagnon que lorsque la fin de la récréation sonna le retour des enfants dans le bâtiment.
- Au revoir Ataru-kun, dit-il alors que le petit se dépêchait de rentrer comme s'il le fuyait. Je reviendrais te voir.
Lorsqu'il fut revenu à côté de Toma, celui-ci, qui le connaissait par cœur, savait déjà très bien ce qu'il allait dire.
- Toma… c'est lui. Je suis sûr que c'est lui. S'il te plait…
- Mais Keii, tu n'as pas encore…
- Je t'en prie… Je suis sûr que c'est lui… notre fils…
- C'est un chouette gosse, intervint alors Sho-kun. Si vous en avez la possibilité, ce serait bien qu'il parte d'ici. Il a besoin d'une famille. Peut-être encore plus que tous les autres, parce qu'il est très seul. Peut-être qu'avec des parents qui l'aimeraient, il se so… soca… socia…
- Sociabiliserait. Oui, tu as raison, Sho-kun.
Le plaidoyer de l'adolescent, couplé au regard suppliant de son bien-aimé, firent céder le plus jeune.
- Très bien, Keii.
- Alors on l'emmène ?! demanda joyeusement l'aîné.
- Non Keii, pas aujourd'hui. On peut pas arracher ce petit à ce qui est sa maison depuis des années d'un seul coup. Il faut qu'il s'habitue à toi, à nous. Tu lui as dis, alors on reviendra le voir régulièrement.
Dès le lendemain, le couple, qui avait pris une chambre dans le plus proche hôtel, retourna à l'orphelinat. Il pleuvait averse ce jour-là, aussi les enfants n'étaient-ils pas dehors à ce moment-là et tous deux apprirent par Sho-kun, qui était chargé de la attendre, que le petit Ataru se trouvait dans leur dortoir.
- Il en a pas bougé depuis ce matin, leur apprit l'adolescent.
- Que fait-il ? demanda Keiichiro.
- Quand je suis parti, il faisait rien. Comme il est trop petit pour savoir lire et que pour avoir des jouets, il devrait approcher les autres, la plupart du temps, il fait rien. Ca m'embête pour lui.
- Merci, Sho-kun, dit Toma en posant une main sur l'épaule de leur jeune interlocuteur. Tu peux nous indiquer votre dortoir ?
- Montez l'escalier, c'est la dernière porte sur la droite. On est cinq dedans.
- Quel âge ont les autres enfants ?
- Ryuta-kun a neuf ans, Tomoki-kun en a onze, Masato-kun treize et moi quinze.
- Donc, en plus, c'est le plus jeune… fit Toma d'un ton pensif.
- Et le plus petit aussi. Du coup, il est pas mal embêté quand je suis pas là pour faire gaffe.
- Tu t'occupe bien de lui on dirait. C'est bien, Sho-kun. Tu serais un bon grand frère.
- Bah… c'est un peu ça. Alors… vous voulez vraiment adopter Ataru-kun ?
- S'il nous accepte, oui. Ce sera à lui de décider. Il n'a peut-être pas envie d'avoir deux pères au lieu d'un père et d'une mère.
- Vous savez… vous êtes pas les premiers à vous intéresser à lui. Mais les autres gens ont abandonné en le voyant si renfermé et ils ont tous adopté un autre enfant. Et à chaque fois, Ataru-kun s'est un peu plus replié sur lui-même. Maintenant, on entend presque plus jamais le son de sa voix. Même à la maternelle apparemment. L'autre jour, quand je suis allé le chercher, son prof m'a dit "tu sais, Sho-kun, si ça continue, tout le monde va le prendre pour un autiste et rien ne s'arrangera pour lui. Il faut faire quelque chose". J'ai pas su quoi répondre.
- C'est normal. T''inquiète pas, on va changer ça, lui dit Toma de son ton le plus rassurant.
L'adolescent hocha la tête et s'éloigna vers sa jumelle qui l'attendait un peu plus loin.
- Oh Toma, on aurait du penser à acheter des jouets pour lui… se désola Keiichiro, que le récit des mésaventures de celui qu'il considérait déjà comme son fils, avait ému.
- C'est vrai. On lui en apportera un ou deux la prochaine fois.
- Viens vite. L'idée qu'il soit tout seul…
- Pars devant Keii. Tu en meurs d'envie.
L'aîné du couple ne se le fit pas dire deux fois et grimpa les marches quatre à quatre, avant de courir jusqu'à la porte indiquée par Sho-kun, qu'il ouvrit lentement.
- Ataru-kun ? appela-t-il doucement.
Personne ne lui répondit, pourtant, le garçonnet était bien là, assis sur son lit, les yeux rivés au sol et les jambes remuant dans le vide selon un rythme que lui seul pouvait entendre. Cette vision serra le cœur de Keiichiro, qui s'approcha.
- Bonjour, Ataru-kun. Tu te souviens de moi ? Je suis venu hier.
Le petit hocha très légèrement la tête.
- Je peux m'asseoir à côté de toi ?
De nouveau, l'enfant opina et l'adulte prit place près de lui avec précaution.
- Je t'ai apporté des bonbons. Tu aime les bonbons Ataru-kun ?
Il y eut un blanc puis, lentement, le bambin releva une adorable frimousse dans laquelle de beaux yeux noisette s'étaient mis à briller et il opina de nouveau, plus vigoureusement.
- Alors je t'en donne un. Mais il ne faudra pas le dire, parce que c'est presque l'heure du repas et si tu n'as plus faim on se fera gronder. Ce sera notre petit secret, d'accord ?
De nouveau, le petit donna son assentiment par un signe de tête et Keiichiro sortit de sa poche un sachet rempli de formes multicolores qui semblaient délicieuses, avant de le lui présenter.
- Prend celui que tu veux.
La menotte se leva, hésita une seconde, avant de plonger pour prendre ce qu'elle avait choisi.
Du pas de la porte, Toma observait son Keii qui essayait d'entrer dans le monde de leur probable futur fils et semblait parfaitement y réussir. Son compagnon avait eu une idée de génie en faisant cette halte pour acheter des bonbons. Ces sucreries et un secret étaient l'idéal pour attirer l'attention d'un enfant quel qu'il soit. Et malgré sa timidité, Ataru ne paraissait pas faire exception à la règle.
La friandise fut aussitôt engloutie et, contre toute attente, la voix du garçonnet s'éleva comme un murmure :
- Je peux en avoir encore ?
- J'avais dis un seul, ne, rappela Keiichiro. Mais d'accord pour un dernier, céda-t-il finalement, heureux que l'enfant ait parlé. Mais il ne faudra le dire à personne, ne. Promis ?
En parlant, il lui avait tendu son auriculaire et le petit y crocheta le sien en serrant doucement.
- Alors on a un accord. Tiens, prend. Le sachet, je le garde et je t'en redonnerais une autre fois.
- Merci… souffla de nouveau Ataru, avant de se saisir d'un autre bonbon, qui suivit le même chemin que le premier.
Il semblait prendre tellement de plaisir à le manger, que Keiichiro, attendri, lui caressa les cheveux, avant de faire signe à son compagnon de venir aussi.
Mais voyant s'approcher un inconnu, qui ne lui avait même jamais parlé, Ataru, effrayé, esquissa un mouvement de recul, que le leader de News nota immédiatement.
- Ne t'inquiète pas, Ataru-kun, il est très gentil lui aussi.
- Bonjour, Ataru-kun. Je m'appelle Toma.
Mais la fragile bulle de complicité instaurée par Keiichiro avait volé en éclats à l'intrusion du plus jeune des News et le petit se remit à regarder le sol.
Deux pas en avant, trois en arrière. Gagner sa confiance ne serait pas facile.
- Est-ce que tout se passe b… fit la voix de Sho-kun depuis le seuil de la pièce.
Mais il ne put finir sa phrase car, à sa grande surprise, Ataru se rua sur lui et se cacha derrière ses jambes, ses petits bras autour de ses genoux.
- Mais… qu'est ce qui se passe ? s'étonna l'adolescent en regardant alternativement les deux adultes et son petit protégé.
- C'est ma faute, je l'ai effrayé sans le vouloir alors qu'il était avec Keii, expliqua Toma.
- Je vois… fit Sho-kun, avant de s'accroupir devant l'enfant. Et ben, Ataru-kun, qu'est ce qui t'arrive ? C'est pas grave, ne. Koyama-san a pas fait exprès de te faire peur. Tu étais bien avant, non ?
Le petit hésita, puis hocha la tête.
- Alors tu devrais retourner un peu avec Koyama-san, tu crois pas ?
Mais le garçonnet ne semblait pas convaincu et, cette fois, enroula ses bras autour du cou de son "grand frère".
- Ataru-kun… reprocha doucement l'adolescent.
- Il est vraiment attaché à toi on dirait, Sho-kun, nota Toma.
- Faut dire que je suis le seul qui fait attention à lui, répondit le concerné, sans lâcher son petit compagnon. Du coup, j'ai peur que ce soit très dur pour lui quand il s'en ira.
L'adolescent semblait si sincèrement s'inquiéter pour le petit garçon, que Keiichiro se tourna vers son compagnon.
- Toma… fit-il, suppliant.
- Non, Keii, répliqua aussitôt Toma qui avait très bien compris à quoi pensait son aîné. C'est impossible et tu le sais.
- Mais pourquoi ? On a largement la place…
- C'est pas une question de place.
- Mais ils ne nous donneraient pas de mal, ils sont déjà grands. Toma, je t'en prie… Ils sont comme une famille, on ne peut pas les séparer…
Ayant bien compris le sujet de la conversation, Sho-kun s'abstint de prononcer le moindre mot, conscient que son avenir et celui de sa jumelle étaient entre les mains du couple. Et même si ça n'aboutissait à rien, il leur était déjà reconnaissant d'y avoir pensé, car ils étaient les premiers en huit ans.
- Ne vous en faites pas pour Emi et moi, répliqua-t-il pourtant. L'important, c'est Ataru-kun.
- Toma… Ils ont seulement quinze ans, reprit Keiichiro sans l'écouter. Ce sont des enfants eux aussi. On ne peut pas les laisser ici encore cinq ans de plus, ce serait terrible. Même si cet orphelinat est très bien tenu et confortable, ce n'est pas une maison. Toma… Pitié pour eux…
Ce plaidoyer suppliant fut accompagné d'yeux de chat potté auxquels, en général, son compagnon ne résistait jamais très longtemps.
- Très bien, capitula-t-il effectivement assez vite. Si ça convient à Sho-kun et sa sœur.
- Oh oui ! s'exclama alors le garçon, avec tant d'enthousiasme, qu'il était évident que ça venait du cœur. Merci beaucoup !
Et soudain, la voix flûtée d'Ataru s'éleva.
- Sho nii-san… qu'est ce qui se passe ?
Ne sachant pas si ses futurs parents adoptifs avaient annoncé au petit garçon la nouvelle le concernant, l'interpellé consulta ceux-ci et, les voyant faire un signe de dénégation, baissa son visage vers l'enfant.
- C'est une surprise, Ataru-kun. Tu aime les surprise, ne ?
Un hochement de tête vigoureux lui répondit et le grand frère autoproclamé sourit.
- Allez c'est l'heure de manger. Va te laver les mains et rejoins la table du dortoir.
Presque aussitôt, comme si ses mots étaient des paroles sacrées, l'enfant courut hors de la pièce, au grand étonnement des deux adultes.
- Et bien… tu sais te faire obéir, constata Toma qui admirait le charisme où qu'il se trouve.
- C'est pas une question d'obéissance, Koyama-san. Ataru-kun est pas du tout un enfant difficile. Il a juste assez confiance en moi pour m'écouter quand je lui dis un truc.
- Charismatique et modeste. C'est bien, tu iras loin, j'en suis sûr. Bon, rejoins le petit et les autres garçons de ton dortoir, on retourne voir Sakurada-san.
Le garçon hocha la tête, les yeux encore brillants de reconnaissance, puis partit en courant, laissant le couple seul dans la pièce.
- Keii… tu sais que la maison a pas vocation à devenir un refuge pour orphelin, ne ? Ce sont pas des chiens et des chats abandonnés qu'il faut recueillir pour faire une bonne action.
- Mais c'est une bonne action ! se récria doucement Keiichiro en se blottissant contre lui.
- J'espère juste que l'évidente affection d'Ataru-kun pour Sho-kun nous desservira pas et qu'il nous écoutera quand même.
- Je suis sûr que oui. Et sinon, Sho-kun est assez raisonnable pour lui expliquer les choses.
Tous deux se dirigèrent donc à nouveau vers le bureau directorial où Sakurada-san les attendait.
- Asseyez-vous. Alors, que pensez-vous des enfants au second abord ? Y en a-t-il un qui…
- Pas un en réalité mais trois.
- Ah vous hésitez. C'est compréhensible, ils sont tous si…
- Non vous nous avez pas compris, Sakurada-san, reprit Toma. Nous souhaitons adopter non seulement Ataru-kun, mais aussi Sho-kun et sa sœur Emi.
La stupeur figea le soixantenaire dans une expression qui aurait pu être comique en d'autres circonstances, puis il se reprit :
- Tous les trois ? M… Mais s'occuper d'un seul enfant est déjà une gageure alors trois… Et surtout avec votre profession. Etes-vous certain que vous pourrez leur procurer toute l'attention et l'affection qu'ils sont en droit d'attendre de la part de parents ?
- Nous les ferons passer en priorité, ils ne manqueront de rien vous avez notre parole, plaida Keiichiro.
- Pourtant…
- Et puis grâce à la bonne éducation que vous et votre équipe leur avez donné, Sho-kun et Emi-chan seront faciles à élever, ajouta Toma. De plus…
- Ataru-kun adore Sho-kun. On ne veut pas les séparer, intervint Keiichiro.
- Et bien… voilà qui mérite réflexion. Je suis ravi que vous souhaitiez adopter Ataru-kun qui a vraiment besoin d'un foyer. Mais c'est autre chose pour les jumeaux et je dois avouer que votre décision les concernant m'ennuie un peu.
- Pourquoi ? Parce que Sho-kun et Emi-chan vous aident avec les plus jeunes ?
- Et bien… je dois l'avouer oui. Tout le personnel s'est habitué à leur aide et à celle des autres adolescents. Nous voir soudain privés d'eux est…
- Mais c'est vous qui disiez hier que vous ne vouliez que le bonheur de tous ces enfants, reprit Toma. Il me semble que ces adolescents, qui ne sont que de grands enfants, ont eux aussi le droit d'avoir un véritable foyer et une chance d'être vraiment heureux. Les retenir ici, empêcher leur adoption pour les raisons que vous avez exposées serait aussi peu professionnel qu'égoïste de votre part.
Peu habitué à s'entendre ainsi remit en cause, Sakurada-san réalisa pourtant l'iniquité de sa réaction et resta un instant silencieux, le regard perdu sur le fouillis administratif qui encombrait son bureau, avant de reprendre la parole.
- Vous avez raison, Koyama-san. D'autant que la plupart des gens ne veulent pas d'adolescents, ils préfèrent des enfants bien plus jeunes et souvent bien plus dociles. Cependant… en raison de leur âge justement, je ne veux pas imposer à Sho-kun et Emi-chan…
- Sho-kun est déjà d'accord, se hâta de l'interrompre Keiichiro. Il est d'accord et très content.
- Vraiment ? Dans ce cas, vous voudrez bien que je m'en assure par moi-même ?
- Bien sûr.
- Venez.
Le couple quitta une fois de plus le bureau à la suite de leur guide et, sur le chemin, le plus jeune souffla à son compagnon :
- Toma… pourquoi ça prend si longtemps ? Quand est ce qu'on pourra les emmener ?
- Sois patient, Keii. C'était évident que les choses seraient pas si simples. D'autant que tu veux aussi emmener les jumeaux. En plus… je te rappelle qu'Ataru-kun a pas encore confiance en nous. Et sans cette confiance, rien sera possible. Il faut que tu continue ce que tu as commencé hier et aujourd'hui. Rentrer peu à peu dans son monde est la meilleure façon de te l'attacher.
- Mais… et toi ?
- Ca viendra avec le temps.
Le trio émergea dans un grand réfectoire lumineux dans lequel le brouhaha était omniprésent et se dirigea vers la table où le couple avait repéré leurs futurs fils.
Au moment où ils s'approchèrent, Sho-kun s'efforçait manifestement de convaincre son protégé de manger le contenu de son assiette, encore pleine alors que celles de ses camarades de chambrée étaient déjà vides.
- Sho-kun, appela Sakurada-san.
La réaction fut immédiate : le concerné stoppa ce qu'il faisait, se leva et s'inclina.
- Bonjour, Sakurada-san.
- Bonjour, mon garçon. Tu peux venir une minute s'il te plait ?
- Oui mais…
Comprenant que son hésitation portait sur le garçonnet assis à côté de lui, Keiichiro intervint :
- Je m'en occupe.
Rassuré, l'adolescent se leva et suivit plus loin son futur père et le directeur de l'établissement, alors que le second de ses futurs pères prenait sa place.
- Ataru-kun, pourquoi tu ne mange pas ? demanda Keiichiro de cette voix douce qu'il prenait depuis le début pour ne pas l'effrayer. Tu n'aime pas ça ? Il a pourtant l'air très bon ce curry.
- Ataru il aime pas le poisson, l'informa alors l'un des enfants attablés.
- Le poisson ? s'étonna l'adulte en regardant le garçon qui devait avoir une dizaine d'années.
- Hum. Il mange jamais quand y'en a.
- Oh. Je vois… Merci, sourit l'adulte, avant de reporter son attention sur son petit garçon. Mais tu peux quand même manger le riz et la sauce, ne Ataru-kun.
Le petit secoua la tête.
- Allez, insista Keiichiro en préparant une cuillère de ces deux aliments. Ouvre la bouche, que la voiture puisse rentrer dans son garage.
- Voiture ? releva la voix flûtée du bambin.
- Oui. La cuillère est une voiture et ta bouche est son garage. Si tu aimes les voitures, il faut les aider à rentrer.
Le petit hocha la tête, puis prit lui-même l'ustensile et engloutit son contenu, faisant de même jusqu'à terminer la portion qui lui avait été servie.
- C'est bien, sourit Keiichiro en lui caressant les cheveux.
- Il est parti où, Sho-kun ? demanda alors l'un des autres garçons de la table, manifestement plus proche en âge de celui dont il venait de s'enquérir, que d'Ataru.
- Je ne sais pas, éluda l'adulte, qui n'avait pas eu le feu vert de son compagnon pour dire la vérité au plus jeune de leurs futurs fils.
Du reste, l'adolescent ne tarda pas à revenir, un sourire aux lèvres.
- Allez les Carpes, on retourne au dortoir et on fait ses devoirs maintenant, dit-il, sonnant le rassemblement de sa petite troupe, dont il prit la tête après avoir fait un discret clin d'œil à Keiichiro.
Les quatre garçons quittèrent la table et la pièce, bientôt suivis par le reste des dortoirs, garçons et filles, puis le silence retomba.
- Ne, Ataru-kun…tu serais triste si Sho-kun devait partir ?
Le petit leva sa frimousse vers l'adulte.
- Partir ?
- Oui. S'en aller loin.
- Je veux pas…
- Tu serais triste alors ?
Le garçonnet opina, le regard de nouveau rivé sur la table.
- Tu voudrais avoir une vraie maison ? Avec des parents ?
Troisième opinement.
- C'est possible, tu sais.
- He ?
L'étonnement lui fit relever la tête.
- Toma et moi, on va adopter Sho-kun et Emi-chan et les emmener loin d'ici à Tokyo. Alors si tu veux rester avec lui, il faut que tu deviennes notre fils toi aussi.
Il y eut un très long blanc et Keiichiro crut qu'il ne tirerait plus un son de son petit interlocuteur. Pourtant, après plusieurs minutes de silence, la voix fluette s'éleva.
- Elle est où la maman ?
Ah zut. Cette question, Keiichiro ne l'avait pas prévue du tout et son Toma n'était toujours pas revenu. Lui il savait expliquer les choses. Ne le voyant pas arriver, le plus jeune du couple expliqua :
- Il n'y en a pas, mon poussin.
- Pas de maman ? s'étonna l'enfant sans comprendre.
- Non, mon chéri. Tu vois, quelques fois, il n'y a pas un papa et une maman, mais deux papas ou deux mamans. Mais ça fait rien, tu sais. Ils s'aiment pareil qu'un papa et une maman et ils aiment leurs enfants pareil qu'un papa et une maman.
- Alors… Sho-kun va avoir deux papas ?
- Et toi aussi si tu veux Ca te plairait de vivre avec nous ? demanda Keiichiro, ravi que l'affection du petit pour son aîné lui permette de discuter avec lui pour la première fois. Tu aurais Sho-kun et Emi-chan comme grand frère et grande sœur. Et ta propre chambre.
Il y eut un nouveau silence, qui indiqua à l'adulte que son petit compagnon réfléchissait, puis celui-ci hocha la tête.
Plus que ravi de cette victoire, Keiichiro s'abstint cependant de manifester sa joie en serrant le garçonnet dans ses bras. Il savait que, pour le moment, seule l'affection qui liait Sho-kun et Ataru-kun, avait joué un rôle dans l'acceptation du bambin.
- Je suis content.
- Pourquoi ?
- Parce que je t'aime beaucoup et que j'avais très envie que tu deviennes mon petit garçon.
- Pour de vrai ?
- Oui, pour de vrai.
Un sourire, le premier, apparut sur les lèvres de l'enfant.
- Tu viens, on va dire que tu veux bien.
Le petit opina et Keiichiro le souleva de terre pour l'asseoir sur ses épaules, à la grande joie d'Ataru, qui poussa une exclamation ravie.
- Accroche-toi bien à mon cou, ne. Et fais attention aux portes.
Sur ces mots, ils quittèrent à leur tour le réfectoire et se dirigèrent vers le bureau de Sakurada-san.
Une fois la décision du petit expliquée au directeur de l'orphelinat, il fallut faire comprendre à Ataru qu'il ne pouvait pas venir avec eux tout de suite parce que rien n'était encore prêt pour eux. Il chouina un peu, mais une fois encore, la présence rassurante de Sho-kun revenu dans le bureau, fit des miracles et il se calma presque tout de suite. Keiichiro, par contre, eut le plus grand mal à se séparer de ses enfants et il fallut toute la ferme douceur de son compagnon pour qu'il consente à quitter les lieux.
Une fois rentrés à Tokyo, le leader de News fut pris d'une véritable fièvre acheteuse, comme s'il cherchait à tout terminer le plus vite possible.
L'ayant accompagné dans une nouvelle tournée, Toma arrêta le bras de son compagnon au moment où celui-ci déposait un énième jouet dans son chariot.
- Non, Keii, ça suffit. Je comprends que tu veuilles qu'Ataru ait tout ce qui lui a manqué jusqu'ici, mais tu lui a déjà acheté plus de jouets qu'il pourra en utiliser.
- Mais Toma…
- Les éducateurs de l'orphelinat ont fait du bon travail avec eux, alors on va éviter de gâcher leurs efforts en les gâtant trop. Il faut pas exagérer, tu es d'accord ?
- Juste celui-là, après j'arrête… S'il te plait… insista l'aîné dans une moue adorable à laquelle son cadet ne résistait jamais bien longtemps.
- Mais tu… commença à protester Toma, avant de céder : D'accord, mais c'est le dernier. Donne-moi ta parole que tu iras rien acheter d'autre dans mon dos.
- Promis !
- Jure-le sur la tête des enfants.
Il y eut un léger blanc, prouvant qu'au moins pendant un instant, Keiichiro avait eu l'idée de trahir sa promesse, puis sa voix s'éleva de nouveau, un brin boudeuse :
- D'accord, Toma, je le jure sur la tête des enfants.
- Bien. J'aime quand tu es raisonnable, sourit le plus jeune des News.
Les deux hommes achevèrent donc leurs courses par cet achat et se hâtèrent de rentrer chez eux. Là, comme chaque jour, le leader laissa son compagnon ranger les jouets avec les autres et se dépêcha d'enfiler la combinaison qu'il portait pour peindre les chambres. Celles des jumeaux étaient déjà terminées, les meubles montés et tous les éléments installés, jusqu'aux ordinateurs portables posés sur leurs bureaux, qui constituaient les cadeaux de bienvenue des aînés de la future fratrie. Mais le plus âgé des deux pères faisait traîner les choses pour celle d'Ataru car il y apportait un soin tout particulier, ce que Toma lui avait déjà reproché car il donnait l'impression de préférer le petit, alors qu'il avait lui-même insisté pour qu'ils adoptent également les deux adolescents. Toutefois il le laissait malgré tout faire à sa guise, n'intervenant que pour le montage et le déplacement des meubles. Ce n'était pas qu'il se moquait de l'installation des trois nouvelles recrues du clan Koyama, mais il voyait que tout gérer faisait tellement plaisir à celui qu'il aimait, qu'il n'avait pas le cœur à amoindrir sa joie.
Quelques jours plus tard, retenus sur Tokyo par un live, Keiichiro et Toma, qui avaient fait voyager leurs enfants en première classe depuis Hokkaido, sous la garde de Matsuyama-san, attendaient avec impatience leur arrivée sur le plateau. Légèrement en retrait, les autres membres du groupe étaient pourtant presque aussi excités qu'eux et il fallu à Massu toute sa force pour empêcher son petit ami de courir vers la nouvelle fratrie Koyama lorsqu'elle pénétra les locaux à la suite du manager.
- On est où ? s'enquit alors la voix flûtée du petit Ataru lorsque son regard se posa sur ce qui l'entourait.
- Tu te souviens de ce que je t'ai expliqué dans l'avion, Ataru-kun ? fit alors Sho-kun.
- Que les papas ils chantent ?
- C'est ça. Et bah ici c'est une partie de leur travail.
La petite bouche du garçonnet s'ouvrit sur un "oh" qu'il ne prononça pas et ses yeux se posèrent un peu partout avec curiosité, avant de s'arrêter sur ses deux nouveaux pères qui n'avaient pas bougé pour éviter de le brusquer.
- Bonjour Sho-kun, bonjour Emi-chan, les salua Toma en souriant. Vous avez fait bon voyage ?
- Génial ! C'était la première fois qu'on prenait l'avion ! sourit l'adolescent.
- Et il m'a même pas laissé le hublot, se plaignit Emi-chan en donnant un coup à son jumeau.
Voyant que son désormais petit frère restait près de lui sans oser bouger, Sho-kun qui prenait très à cœur son rôle de protecteur, poussa légèrement Ataru vers Keiichiro. Ce dernier s'accroupit devant l'enfant et lui sourit.
- Bonjour Ataru-kun, lui dit-il doucement. Tu te souviens qui je suis ?
Mais il ne reçut pas de réponse car l'enfant, intimidé par la présence toute proche des autres membres du groupe, venait de se cacher de nouveau derrière les jambes de son frère aîné.
- Ils sont très gentils tu sais et ils t'aiment déjà beaucoup, lui dit encore Keiichiro.
- C'est qui ? demanda le garçonnet dont les yeux allaient de l'un à l'autre.
- Ce sont tes tontons maintenant. Tonton Shige, tonton Yuya et tonton Massu, présenta le leader.
Ils étaient en effet tous tombés d'accord pour dire que ces appellations seraient plus faciles à retenir pour le petit. Pourtant, aucun des trois ne fit mine d'approche car ils avaient compris que l'enfant était très farouche et qu'un rien pouvait l'effrayer.
- Alors qu'est ce que vous pensez du studio ? demanda Toma aux jumeaux pour donner le temps à son compagnon d'apprivoiser leur fils cadet.
- J'aurais jamais pensé que c'était comme ça, répondit Emi-chan.
- On a un peu de temps avant le début de la répète, je vous fais visiter ?
- Avec plaisir.
La réponse, très formelle, fit rire Toma, qui caressa gentiment la tête de la jeune fille.
- Pas la peine d'être polie à ce point, on est une famille maintenant tu sais, sourit le plus jeune des News. Allez venez.
La consigne s'adressait autant aux adolescents qu'à leurs trois oncles, car Toma voulait laisser son compagnon et Ataru seuls pendant un moment.
Le plateau déserté, le petit garçon se retrouva hissé sur les épaules de son père et un éclat de rire salua son geste.
- Accroche-toi bien d'accord ?
L'enfant ne répondit pas, mais ses petites mais agrippèrent doucement les cheveux de l'adulte.
- C'est bien. Allez on va faire un petit tour maintenant.
En faisant très attention, Keiichiro fit donc un tour du plateau avec le petit à la grande joie de celui-ci, puis le reposa et s'accroupit de nouveau devant lui.
- Tu sais, Ataru-kun, à la maison, il y a plein de jouets qui t'attendent.
- Des jouets ? Pour moi ? s'étonna le garçonnet.
- Oui, pour toi tout seul. Parce que tu es notre petit garçon maintenant à papa Toma et moi et qu'on veut que tu sois content.
- Sho nii-san il va rester avec moi ?
- Oui mon poussin. Et Emi-chan aussi, parce que ce sont ton frère et ta sœur pour de vrai maintenant.
Un grand sourire illumina la frimousse angélique et il opina vigoureusement.
C'est cet instant que choisit Toma pour revenir avec toute la troupe et Keiichiro prit son fils par la main pour se rapprocher de son compagnon et des jumeaux. Son regard passa de l'un à l'autre et une larme d'émotion roula sur sa joue. Il avait une famille à lui maintenant.
