Le soleil venait de se coucher, laissant plongée dans le noir la petite pièce à l'aspect vétuste où se trouvait Kakeru. Le tapis noirci par l'usure sur lequel il était assis se découpait à peine du sol pourrissant sous l'effet de la lumière qu'émettait faiblement un vieux poste de télévision un mètre à peine plus tard. L'image était de mauvaise qualité et l'antenne retouchée au scotch avait depuis longtemps rendu impossible tout visionnage sans que l'image ne se gèle durant plus de quelques minutes.
Malgré cela, Kakeru suivait avec intérêt les images qu'il devinait sur l'écran : la finale de l'Inazuma Cup, le plus grand événement de l'année. Bien qu'officiellement appelée Football Frontier OC, l'énorme engouement populaire autour des équipes et joueurs en lice, et notamment les anciens joueurs de l'équipe poussin ayant remporté le Football Frontier International 15 ans plus tôt, avait conduit à l'apparition de cette appellation à présent utilisée de manière écrasante auprès des fans. Lesquels étaient particulièrement nombreux partout dans le pays, pensa Kakeru en se remémorant l'énorme cortège qu'il avait croisé en rentrant chez lui quelques heures auparavant à peine. Et encore maintenant, il pouvait entendre depuis chez lui la clameur des supporters massés dans le centre ville, dans la fanzone où était diffusé le match sur écran géant.
Mais, regardant les joueurs s'agiter en grésillant sur le petit écran bombé, Kakeru était conscient qu'une telle chose lui était impossible. Jetant un rapide coup d'oeil dans la pièce voisine, il vérifia l'état de son père ; les yeux fermés, le faible mouvement de la couverture indiquait qu'il était toujours en train de dormir. Atteint du cancer depuis bientôt un an, c'était à Kakeru qu'il incombait de prendre soin de son père, lequel avait progressivement dû arrêter son travail sous l'effet de la maladie. Et maintenant, c'est le fils qui, tous les jours, se levait à l'aube tous les jours et travaillait jusqu'à la tombée de la nuit pour faire vivre le foyer, mais surtout dans l'espoir fou de pouvoir un jour payer l'opération de son père, dont il savait qu'elle coûterait une somme faramineuse, bien au delà de ce qu'il pouvait espérer obtenir avec ses petits boulots.
Mais s'il s'accordait ce temps de répit pour regarder le match, c'était principalement pour mieux étudier l'idée qui l'avait envahie en voyant les clameurs de la foule et qui s'affirmait dans son esprit à mesure que le match touchait à sa fin.
Et tout à coup les joueurs s'arrêtèrent, sur les coups de sifflet à peine retransmis par le système audio. Une des deux équipes était sortie vainqueure du match et Kakeru distingua les joueurs se rassemblant, exultant, au centre de la pelouse. Quelques minutes plus tard, il vit ces mêmes joueurs au centre d'une tribune, soulevant fièrement un trophée doré dont l'éclat lui parut soudainement le plus beau du monde. Sous une marée de confettis multicolores et de déluge de joie des supporters qui passaient dans la rue, hurlant leur plaisir, Kakeru réalisa l'importance de ce sport capable d'unir autant de personnes dans la victoire d'un si petit nombre. Mais ce n'était pas cela qui l'intéressait, non ; ce qu'il avait réalisé, c'est que la fortune qu'alignaient tous ces gens capables de courir après un ballon était une possibilité qui pouvait s'offrir à lui comme une autre.
Le plan semblait fou, mais c'était la seule solution qui se présentait à lui. Kakeru allait utiliser le football pour gagner l'argent qui lui était nécessaire.
Deux mois avaient passé depuis la finale de l'Inazuma Cup. Et c'est sous un soleil radieux que Tomono et Benkido cheminaient sur les trottoirs de Tokyo, en direction du stade Football Frontier.
"Dépêche-toi un peu, merde, on peut pas se permettre d'être en retard !" s'écria Tomono.
Le gardien de but du lycée Raimon avait plusieurs mètres d'avance sur son coéquipier, l'attaquant Benkido Kyuusoku. À son habitude, celui-ci avançait d'un pas nonchalant, et ne sembla pas presser la cadence aux mots de son compagnon.
"Relax, tu t'inquiètes pour rien… tu connais la ligue, ils vont encore commencer avec trois quarts d'heure de retard." dit-il, un sourire aux lèvres.
Tomono aurait aimé partager son optimisime, mais Benkido ne semblait pas avoir compris la situation dans laquelle ils étaient. Ses yeux gris s'étaient perdus dans le paysage urbain qui les entouraient, formant une zone d'ombre sous sa volumineuse chevelure couleur ambre. Tomono, quant à lui, portait ses cheveux presque entièrement rasés, et, en toute honnêteté, il trouvait les choses bien plus simples ainsi - il avait souvent vu Benkido en difficulté face à sa chevelure rebelle. Quant au reste, il était habillé, comme son ami, du survêtement de l'équipe Raimon, reconnaissable aux deux éclairs bleus pourfendant le jaune historique de l'école.
Après plusieurs autres minutes passées sans succès à tenter de faire accélérer Benkido, les deux comparses arrivèrent face à leur destination, l'imposant stade Frontier. Quelques journalistes étaient rassemblés autour d'une porte d'entrée malgré l'heure - sept heures et trois minutes, vérifia Tomono sur sa montre. Trois minutes de retard dues aux nombreux arrêts de Benkido sur la route ("Regarde ces oiseaux, ils sont trop marrants !", "Attends, j'ai reçu une notification" parmi tant d'autres). Courant vers l'accès au stade, il fut arrêté dans son élan par un vigile parmi un certain nombre qui bloquait la porte :
"Convocation, s'il vous plaît" réclama-t-il sous le brouhaha des journalistes.
Ils donnèrent le papier au vigile.
"Tomono Kiyoharu." se présenta-t-il. "Gar-"
"Le super gardien de but de Raimon !" le coupa son ami. "Ben, comme moi en fait. Enfin, je suis attaquant par contre ! Benkido Kyuusoku, l'attaquant éclair !"
Il avait parlé suffisamment fort pour attirer l'attention du groupe de journalistes qui jusque là tentaient vainement d'extraire des informations du chef des vigiles. Se retournant, ils aperçurent les deux joueurs et s'approchèrent aussitôt :
"C'est Benkido Kyuusoku ! L'éclair céleste !"
"Le garçon avec lui… c'est le gardien mystère ?"
"Tomono Kiyoharu ? Les rumeurs disaient vrai !"
"Je me demande ce qu'il vaut sur le terrain…"
Et certains, plus directs, s'empressèrent de demander aux garçons
"Savez vous pour quelle raison vous avez été convoqués ici ?"
"Avez vous plus d'informations sur les plans de la ligue ?"
Repoussant leur assaut, Tomono passa la porte qui le séparait d'un long couloir. Plongé dans l'obscurité, on distinguait seulement les environs grâce à la lumière du matin qui passait par la porte, bloquée ça et là par les journalistes qui s'agitaient.
"C'est ça, l'intérieur d'un stade de foot ?" s'étonna Tomono.
"Bah, l'année dernière ils avaient mis tout ça en rose fuschia, tu sais ! Mais visiblement ils refont ça, je sais pas pourquoi. Peut être que ça a pas plu."
Ce n'était pas vraiment le point qu'il avait voulu soulever, mais il préférait arrêter la discussion là. Inutile d'apprendre l'existence de cuvettes de toilette arc en ciel ou de douches en forme de crocodiles.
S'avançant dans les couloirs, il découvrait un dédale de passages parsemés de portes. Heureusement, des panneaux dotés de flèches leur indiquaient la direction à suivre.
"C'est chelou quand même… l'année dernière, il y avait plein de monde dans les couloirs." s'étonna Benkido.
"Ah ?"
À ses yeux, étant donné le faible nombre de voitures garées dans le parking, il était naturel de ne pas s'attendre à rencontrer beaucoup de monde à l'intérieur. Mais l'absence totale de personnel l'inquiétait quelque peu. Il était dans un univers qu'il ne connaissait pas, et n'avait aucune idée de ce qui l'attendait au bout du labyrinthe de couloirs qu'ils traversaient.
Et puis, ils arrivèrent face à un couloir plus large que les autres. Bien plus, pensa Tomono qui réalisa qu'on aurait facilement pu y aligner plusieurs salles de classe. Sur les murs s'alignaient les logos des sponsors de la ligue, accompagnés de divers slogans et hashtags, tels que "Vise le sommet !" ou encore "#ViveInazuma". Et au bout du couloir, la pelouse
Le soleil ébouit Tomono lorsqu'il pénétra dans l'enceinte du stade. Et regardant les alentours, il réalisa qu'il n'était à présent plus qu'un grain de sable dans un univers immense. Plusieurs dizaines de mètres au dessus de sa tête s'arrêtaient une voûte vers laquelle montaient d'innombrables rangées de gradins de couleurs variées. Une complexe charpente reliait les deux, encerclant un terrain qui s'étendait à perte de vue. Et au milieu de la pelouse étaient rassemblés plus d'une cinquantaine de joueurs autour d'une scène où était placé un pupitre. autour duquel s'affairaient quelques individus à l'allure officielle.
"Aaah, les Raimon !" s'écria au micro un homme d'une quarantaine d'année. Ses longs cheveux verts rasés sur les côtés tombaient en cascade sur son épaule droite et un regard pétillant derrière ses lunettes grises surmontaient une barbichette en désordre. "Super ça, on va pouvoir commencer maintenant."
Tous les regards s'étaient tournés vers les deux arrivants. Bien que Benkido ne semblait pas particulièrement importuné, Tomono sentit monter en lui une certaine gêne. Bon nombre des joueurs massés sur le terrain étaient adultes, et parmi eux se trouvaient certains qu'il reconnaissait pour les avoir vus de nombreuses fois passer à la télévision. En d'autres termes, la crème de la ligue japonaise, dont la success story affolait les médias depuis près d'une quinzaine d'année. Mais aussi des joueurs plus jeunes, dont Tomono avait entendu parler pour leurs prouesses lors du Football Frontier, et d'autres qu'il ne reconnaissait tout simplement pas. Plusieurs saluèrent d'un sourire les deux jeunes, et Benkido retourna ces saluts d'un signe de main.
"Donc !" s'écria au micro l'homme aux cheveux verts " Vous êtes tous présents ici parce que vous avez reçu la convocation envoyée par la ligue, et vous vous demandez sans doute pourquoi !"
Personne ne sembla réagir.
"...ou peut-être pas." se reprit-il. "À ce que je vois, les rumeurs ont suffisamment circulé…"
"Ça aurait aidé s'il avait pas laissé fuiter la liste des sélectionnés…" grommela Benkido. "Encore heureux que le lieu de rendez vous ait pas fuité avec."
Tomono sentait l'excitation monter en lui. Il avait eu vent de la raison de sa présence, mais il avait encore du mal à y croire. La présence de tous ces joueurs de légende autour de lui ne faisaient qu'accentuer l'étrangéité de cette situation, qui s'apparentait presque au domaine du rêve.
"Bon sang, c'est plus dur à annoncer maintenant qu'il y a plus de suspense..." entendit-on l'homme au micro grommeler. "on va commencer par les présentations, tiens."
Parlant plus fort, il poursuivit :
"Kimyou Riida ! Coach ! J'ai eu l'honneur d'entraîner l'équipe de Kazekami la saison dernière."
"Kazekami ?!" reprit Tomono, étonné. "Les vainqueurs de l'Inazuma Cup ?!"
"T'avais pas reconnu ?" le taquina Benkido. "Il y a même quelques joueurs de l'équipe. Enfin, pas que ce soit étonnant..."
"...et cette année," continua Kimyou, "j'ai été choisi par la ligue pour exercer la noble fonction de coach pour un évènement des plus importants ! Le FFI v2 !"
Des murmures d'excitation parcoururent la foule. Les rumeurs disaient donc vrai ! Une nouvelle édition du mythique FFI était en préparation… et les convocations que tous avaient reçues avaient donc bien la signification pressentie…
"Vous tous ! Vous avez été choisis pour représenter le Japon dans ce tournoi aux dimensions jamais vues auparavant ! Vous avez une chance d'intégrer la nouvelle Inazuma Japon !"
