Une journée presque ordinaire

« Jack ! »

« Non, non et non ! »

« Jack, enfin ! »

« J'ai dit non ! »

« Vous ne pouvez pas dire non ! »

« Je suis le Capitaine, je fais ce que bon me semble. Et je dis non ! »

Visiblement agité, le capitaine Sparrow traverse le pont du Black Pearl d'un pas alerte. Il grimpe quatre à quatre les quelques marches menant à la passerelle du navire et se poste à la barre. Derrière lui, Joshamee Gibbs tente de le suivre et accélère le pas pour le rejoindre, essoufflé. Appuyé contre la rambarde de l'escalier de bois, il reprend son souffle tant bien que mal, tout en observant Jack, qui est toujours à la barre, le regard obstinément fixé sur l'horizon. Dans sa main droite, le capitaine tient son précieux compas ouvert.

« … Jack… Par tous les saints, je peux savoir ce que vous faites enfin ?! »

« Ca se voit non ? »

« … Mais on est à terre !! »

Jack esquisse une petite grimace et jette un regard en biais à son second, puis il finit par refermer le compas dans un claquement sec.

« Je n'irai pas ! Ne comptez pas sur moi pour y aller ! Suis-je suffisamment clair ?! »

« Inextricablement clair, Jack ! » s'amuse à répondre Gibbs, à la manière de son supérieur, « mais il ne manque que vous là-bas ! On vous attend ! »

« Baaah ! »

« Ne me dites pas que vous avez peur ! »

« Et bien si j'ai peur ! Je suis mort de trouille, là ! C'est que ça fiche la pétoche ce genre de truc ! Vous ne vous rendez pas compte, vous ! »

Un long et profond soupir lui répond. Gibbs n'en peut plus. Il a suivi Jack depuis la colline, en courant presque derrière le vaillant capitaine qui s'enfuyait courageusement. Il a eu beau lui crier de revenir, rien n'y a fait. Lorsqu'il lui avait annoncé la nouvelle, Jack l'avait d'abord regardé sans bouger, puis il avait haussé les sourcils, les avait froncés, puis avait fait demi-tour sans un mot, direction le port, et le Pearl.

« Jack… Vous ne pourrez pas l'éviter très longtemps ! »

« Hum… Si on part tout de suite, avec les vents arrières, la voilure déployée et la marée montante, on peut facilement espérer atteindre l'île voisine en quelques heures seulement. A partir de là on pourra profiter du courant sud, et puis- »

« Jack !! »

« …Quoi ? »

« Sacrebleu ! Ca suffit Jack, prenez sur vous ! Allez, on y va ! »

Sans plus de ménagement, le vieux pirate empoigne Jack par le bras et le force à le suivre. Derrière lui, Jack grimace de nouveau, mais obéit, en traînant des pieds. C'est vrai qu'il doit y aller. Il en a envie d'ailleurs… Il est curieux, et impatient. Mais pour l'instant… c'est la peur qui prend le dessus ! Il se demande même, l'espace d'une seconde, s'il ne préfèrerait pas être avec Davy Jones en ce moment ! Mais déjà ils sont sur le chemin de terre parcouru en sens inverse il y a quelques minutes, et ils remontent la petite colline.

oOoOo

« Vous pouvez me lâcher maintenant Gibbs! »

« Certainement pas Jack ! Je suis vieux mais pas encore stupide. Vous feriez aussitôt demi-tour ! Et puis… nous voilà presque arrivés ! »

Gibbs ralentit l'allure et se met à sourire tandis qu'ils arrivent devant la petite maison. Il se retourne vers Jack en souriant, mais lui ne sourit pas du tout ! L'expression qu'il renvoie est plutôt à mi-chemin entre le mécontentement et la peur. Compréhensif, Gibbs tente de le rassurer.

« Allez Capitaine, ce n'est pas si terrible… ! »

« …C'est vous qui le dites ! »

Enfin ils entrent à l'intérieur de la maison. Gibbs finit par lâcher le bras de Jack, après bien sur s'être assuré que la porte était bien refermée derrière eux… Dans le petit salon, il n'y a personne, ni aucun bruit, puis une femme apparaît enfin.

« Vous pouvez aller les voir monsieur, ils vous attendent ! » dit-elle avec un grand sourire.

La femme range quelques affaires, devant le regard perplexe de Jack, et s'apprête à sortir, tout en ajoutant qu'elle reviendra ce soir pour s'assurer que tout va bien. Jack grommelle un vague merci, et reste le regard accroché sur la porte d'entrée qui vient de se refermer. C'est Gibbs qui le sort de ses pensées, en le prenant par les épaules.

« Ca va bien se passer Jack, ne vous en faites pas ! » l'encourage-t-il, la voix subitement plus basse, tandis qu'ils s'avancent vers l'arrière de la maison.

Jack continue de ne rien dire. Il avance dans le couloir, ralentissant presque à chaque pas. Mais il sent dans son dos Gibbs le pousser gentiment. Bugger ! Il est obligé d'avancer !

.

Le voilà finalement arrivé. Planté devant la porte close, il fixe la poignée d'un regard vide. Il grimace une nouvelle fois. Ca y est, ça le reprend, il sent son estomac se nouer, et ses mains devenir moites. Il agite ses doigts devant la poignée, comme s'il craignait de se brûler en l'empoignant, puis il se décide enfin à entrer. C'est que, derrière lui, Gibbs est si proche qu'il peut sentir son haleine aromatisée au rhum, et rien que pour s'en soustraire, il est prêt à entrer et à surmonter sa peur !

Il tourne lentement la poignée et ouvre doucement la porte en bois. Dans l'ouverture de la porte, il la voit, et ne peut s'empêcher de lui sourire. Un sourire hésitant, tremblant, proche de la grimace, mais un sourire quand même ! Allongée, les cheveux éparpillés sur l'oreiller, elle se retourne vers lui et lui sourit en retour. Elle a l'air épuisée, exténuée, mais l'expression de bonheur et de sérénité qu'il lit dans son regard le rassure tout de suite. Dans son dos, il sent Gibbs qui le pousse de la main, et Jack finit par entrer dans la chambre, non sans avoir jeté un regard mécontent à son second.

« Jack ! Enfin tu es là ! »

Elle n'est pas fâchée. Elle est juste heureuse de le voir. Son sourire s'agrandit encore, et Jack voit son regard s'embuer de larmes.

« Oui je… un détail à régler sur le Pearl ! Un détail urgent ! »

Elle rit doucement et glisse son regard vers Gibbs qui se tient toujours derrière Jack.

« J'ai réussi à vous le ramener Miss » ajoute-t-il avec un léger clin d'œil.

Elle lui sourit également, puis s'adresse de nouveau à Jack d'une petite voix.

« Il est à côté. Il t'attend ! »

Du coup, Jack reprend son air contrarié et se retourne vers la pièce qu'elle lui a indiquée du regard. La peur est toujours là. Cette maudite peur ! Cette fois, Gibbs ne le pousse pas vers la porte. Il faut qu'il le fasse tout seul.

Alors il y va. Maintenant qu'il est là, inutile de faire marche arrière… Il ouvre la porte donnant sur la petite chambre attenante et jette un regard inquiet à l'intérieur. La pièce est dans la pénombre. Seuls quelques rayons de soleil filtrent à travers les volets rabattus. Il entre et referme la porte derrière lui de moitié. Son regard se fixe sur le meuble de bois à quelques mètres seulement de lui. Il inspire profondément, et se décide à avancer, doucement, jusqu'à l'atteindre. Posant sa main droite sur le panneau de bois, il se penche alors, lentement, et jette un regard à la fois méfiant, curieux, et étrangement agité. Il se penche, et le découvre enfin. Il est là…

Jack ne peut s'empêcher d'ouvrir la bouche, sous la surprise et le choc. Il ose à peine respirer, tandis qu'il observe cette petite chose s'agiter sous son nez. Il est pétrifié. Il sent alors son cœur s'emballer brusquement, et sa respiration se faire plus saccadée, alors que ses mains sont plus moites que jamais. Il reste quelques secondes ainsi, immobile, le regard rivé sur le petit être qui s'agite doucement, et tente de se reprendre enfin. De l'autre côté de la porte, il entend la voix étouffée de Gibbs qui lui demande si tout va bien. Jack regarde un instant la porte derrière lui, puis repose son regard ébahi sur le nouveau-né.

« Oui…. Tout va bien… »

Après quelques secondes, Jack sort enfin de sa léthargie. Il se penche davantage sur le berceau et s'approche de l'enfant de quelques heures à peine. Ses mains tremblent, mais il les glisse néanmoins sous le petit corps et le soulève avec une précaution infinie. Bon sang, mais qu'est-ce que c'est petit ces choses-là ! Il tient le bébé face à lui, entre ses mains, et le regarde, émerveillé. Il n'y croit pas. Il n'arrive pas à y croire. Pourtant il est bien là, dans ses mains. Son enfant…

Jack sent les battements de son cœur se calmer peu à peu. Mais l'émotion est encore là. Elle le submerge complètement. Ses yeux lui piquent, son regard se trouble. Il tient son fils entre ses mains, toujours face à lui. Il n'arrive tout simplement pas à y croire… Il sourit. Un très léger sourire. Pour une fois dans sa vie, il a réussi quelque chose.

« Jack ? »

De l'autre côté de la porte, Gibbs commence à s'inquiéter de son silence, et il se demande même si le capitaine du Pearl ne s'est pas enfui par la fenêtre de la chambre d'enfant ! Mais non, la porte s'ouvre enfin, et Jack apparaît, le bébé endormi dans ses bras. Il ne sourit plus, mais garde son regard brun accroché au petit bébé. Gibbs est comme tétanisé, bouche bée, devant cette vision. Il ne pensait pas voir cela un jour… Toujours allongée, la jeune femme s'est mise à pleurer silencieusement, un sourire aux lèvres, et sent son coeur se serrer d'émotion et de bonheur. Jack quant à lui, continue de fixer intensément son fils du regard, et le garde précieusement serré entre ses bras. Il sourit doucement…

« Vous voyez Jack… ce n'était pas si terrible ! »

Le Capitaine Sparrow relève alors enfin la tête, regarde Gibbs un instant, puis se retourne vers elle en lui souriant. Mais brusquement son expression change. Il fronce les sourcils, regarde à nouveau le bébé endormi, l'air profondément contrarié, avant de pousser un soupir difficilement contenu.

« … Un problème Capitaine.. ? »

.

« Mr Gibbs… le jeune Mr Sparrow vient de me faire pipi dessus...! »

.

FIN