LE REFUGE

LE REFUGE

Eloïse recherchait avec ardeur depuis bientôt une heure un abri sous cette pluie battante, lorsqu'elle découvrit enfin ce qu'elle cherchait; la cachette idéale, le refuge parfait. Devant elle se dressait la vitrine d'une boutique modeste de livres anciens.

Elle entra sans autre préambule et s'ébroua dans l'entrée après avoir fermé la porte. Elle avait devant elle ce qu'elle espérait trouver, des livres à en perdre la tête, recouvert de poussière et avec cette odeur si particulière, si enivrante et relaxante à la fois.

Elle n'apercevait pas de vendeur, seulement les livres. Elle avait l'impression qu'ils n'étaient là rien que pour elle. Après avoir posé son regard sur l'étagère non loin d'elle, elle se jeta sur le premier qu'elle eût aperçut, un tout noir, tout abîmé. Le poids de l'ouvrage pesait sur ses mains et le texte n'était encore à cette heure qu'un bloc inexploré, encore plein de promesses. Elle n'observait que le livre, que l'objet dans toute son authenticité, sa beauté, avec son cuir doux et ancien. Il ne fallait pas qu'elle lise, pas encore, il devait être apprécié dans son ensemble.

Le titre, en lettres d'or, apparaissait sur la tranche, le Décaméron de Boccace. Elle l'ouvrit enfin .

Le décor du papier recouvrant la couverture à l'intérieur était serré; le livre était ancien. Les pages craquaient sous ses doigts et libéraient l'odeur, plus forte encore, qui embaumait la librairie. Après avoir tourné quelques pages, l'année du l'édition se dévoila, MDCCCXXXI. L'histoire de cette époque lui traversa l'esprit, la France de nouveau sous la monarchie, un temps instable où la république se cherche. Mais l'auteur, lui, n'était pas de cette époque, il lui évoquait plutôt une Italie qui redécouvre ses auteurs anciens, pleine de vie avec ses villes indépendantes et libres.

C'était un recueil de nouvelles sur la vie au moyen age chez les moldus, les premières lignes de l'histoire la ramenaient déjà en ces temps anciens qui vibraient sous les chansons des troubadours.

Elle s'arrêta de lire, si elle commençait, elle ne s'arrêterait plus. Le livre lui avait ouvert un monde, il ne fallait pas qu'elle s'y perde déjà, alors que tant d'autres l'attendaient encore. Elle leva la tête et soupira, elle n'entendit aucun bruit, elle était encore seule. Elle reposa le livre sur l'étagère et chercha cette fois avec application, elle les parcourut et un auteur, Joyce, la tenta bien. Elle fit le même rituel que pour Boccace et le reposa cette fois avec le sentiment de ne plus pouvoir le quitter, elle était dedans, irrémédiablement dedans. Elle le rouvrit sans s'en rendre compte et continua sa lecture.

Ce fut le craquement de l'escalier qui la sortit, elle avait le regard vague de ceux qui ont trop lu, qui ne sont plus là. Une vieille femme la regardait avec amusement derrière des lunettes fines.

-Vous le prenez ? lui dit-la vieille libraire.

-Je ne sais pas, j'aimerais bien; répondit-elle avec difficulté. Elle n'était toujours pas là.

-Je vais bientôt fermer, je suis désolée, il va falloir vous décider. Elle la regarda avec la patience de ceux qui comprennent son absence.

-Je vais le prendre alors, dit-elle cette fois avec résolution.

Elle paya et sortit, le livre dans un sac, bien protégé, à sa disposition. La nuit la surprit, il ne pleuvait plus, les rues exhalaient une odeur de frais, d'air purifié par l'eau. Elle était encore dans l'histoire, mais le froid la réveillait peu à peu et elle percevait de nouveau le monde extérieur avec lucidité.

Ca lui avait fait du bien, comme à chaque fois.