à Alfred de Musset,
je le remercie d'avoir écrit ma pièce préférée.
LORENZACCIO
– Par les entrailles de tous les papes qui ont siégé un jour à Rome! Que je meure avant la fin de la semaine si quelqu'un me voit encore échouer!
Semblable à l'orage qui déchire parfois le calme paisible d'un ciel d'été, la voix menaçante d'Alexandre de Médicis venait de se répandre dans le palais.
Lorenzo haussa un sourcil et retira un instant son attention de l'ouvrage qu'il était en train de feuilleter. Il était persuadé que le duc surgirait d'une seconde à l'autre dans la pièce. En quête d'un exutoire, il venait toujours le retrouver lorsqu'il était en colère.
Comme il s'y attendait, des pas résonnèrent bientôt dans le couloir. Il reconnaîtrait entre mille, la façon dont Alexandre avait de faire claquer ses talons sur le marbre froid.
Il ouvrit la porte sans même s'annoncer et trouva Lorenzo allongé sur son lit, un sourire amusé au coin des lèvres. Son regard ne lâchait pas le duc, tandis que ses doigts frappaient de coups rythmés le dos de son livre
– Oh, Mignon, je te prie de bien vouloir effacer ce rictus de ton visage.
– Sinon quoi?
Ce fut au tour d'Alexandre de sourire, mais il ne releva toutefois pas sa remarque.
Se laissant lourdement tomber dans un fauteuil, il fixa avec attention les braises qui commençaient à s'éteindre. La cheminée crépitait doucement et un voile de chaleur, à peine perceptible, caressait ses bras nus à travers la soie fine de son vêtement.
– Tu n'as pas trop chaud?
– Vous savez bien que non.
Le duc l'observa silencieusement. Lorenzo semblait plus fragile encore qu'une brindille. Il n'était pas si étonnant de voir, à l'aube du mois de mars, un feu se consumer dans sa chambre. Ce corps sans substance avait besoin d'aide pour se réchauffer.
Même s'il est difficile de le croire, les plus petites branches sont parfois les plus souples et les plus difficiles à briser. Les gros morceaux de bois, eux, ont leur intérieur parfois si noir qu'ils éclatent lorsqu'on leur marche dessus.
– Il y a eu une nouvelle émeute à Florence.
Lorenzo se redressa légèrement, les yeux pétillants d'avidité. Il frémissait pour des nouvelles de ce genre car elles lui donnaient de l'espoir.
– Il y a eu des morts mais mes hommes sont parvenus à l'étouffer.
– Je comprends pourquoi vous criez tantôt.
– Oh, non, grommela Alexandre, en balayant la parole de son cousin d'un geste de la main. J'étais en colère parce que ta tante vient encore de me renvoyer la lettre et les cadeaux que je lui ai fait apporter.
Lorenzo ferma son livre, agacé, et le posa à ses côtés.
– Vous avez encore cette idée en tête? Je vous dis qu'elle ne vous procurerait aucun plaisir. Elle se veut savante. Elle glisse couramment une phrase où deux en latin, au beau milieu d'une conversation, alors qu'elle a très bien conscience que la personne face à elle n'en touche pas un mot. Si elle se trouvait dans votre lit, vous serez endormi avant de commencer à délier ses lacets.
– Que tu es mauvais et de mauvaise foi! rit-il en se levant et en se rapprochant du lit. Tu es un intellectuel, un rêveur et un artiste. Tu affectionnes les arts, les sciences et les lettres. Ce que tu me décris d'elle, pourrait très bien s'appliquer à toi.
– Je ne dis pas le contraire.
Alexandre se laissa tomber à ses côtés.
– Et crois-tu que je te trouve ennuyeux, Renzo? murmura-t-il doucement près de son oreille.
– Le Diable m'emporte, non. Dans quelle fadeur serait votre vie! Sans moi, vos tyranniques fesses se lamenteraient de chagrin!
Alexandre tira sur sa chemise blanche et celle-ci tomba délicatement, laissant voir l'épaule nue de Lorenzo. Le duc la caressa du bout des doigts et son favori fut parcouru de frissons.
– Mes tyranniques fesses te trouvent bien insolent, Mignon. Elles réfléchissent à la façon la plus impromptue de te punir.
– Je savais bien que le cerveau de son Altesse ne se trouvait pas où il le devrait.
Dans un rire faussement outré, Alexandre se jeta sur Lorenzo, se glissa sur lui et retint ses bras au dessus de sa tête, contre sa tête de lit.
Un sourire rayonnant redoublait sur le visage du duc, contrastant avec le regard sérieux et le visage pâle de son favori. Il lâcha ses poignets pour frôler ses joues du bout des doigts.
– On devrait prendre quelques jours de repos, loin de toute cette agitation. Que dirais-tu de la montagne? Tu as besoin de prendre des couleurs et de l'air frais te ferait le plus grand bien.
– Sans façon, Monseigneur.
Alexandre leva les yeux au ciel et se laissa lourdement retomber dans le lit.
– Qu'est-ce que tu peux être pénible. Tu me rends fou.
– Catherine ne fait pas partie de notre monde.
– Renzo.. on passe notre temps dans des orgies ou avec des puterelles et, quand ce n'est pas le cas, des jeunes filles quittent les jupes de leurs mères pour retirer les leurs sur le sol de nos chambres. Ce bon temps, nous l'apprécions tous! Et le monde dont tu parles, elle l'exaltera!
– Ne faites pas ça.. souffla-t-il en se glissant à son tour au dessus de lui.
– Entrailles du Pape..maugréa le duc. Lorenzo.. Je pensais que notre relation était exempte de toute jalousie. Ne deviens pas comme toutes ces personnes qui pensent que je leur appartiens parce que je leur offre une de mes nuits.
La bouche entrouverte de Lorenzo avait un goût amer lorsqu'il secoua sèchement la tête.
– Je crois que vous feriez mieux de sortir, Monseigneur. Il y a des paroles qui vont finir par dépasser la pensée de quelqu'un dans cette pièce.
Lorenzo se déplaça pour le laisser passer mais Alexandre ne se leva pas.
Dans la cheminée, le feu était à présent entièrement éteint.
Alexandre se blottit contre lui et le serra très fort. Il mordilla doucement sa mâchoire prononcée ainsi que son cou chaud et palpitant, avant de frotter son nez contre sa joue.
– Je t'aime comme ce n'est pas permis. Tout ce que l'on peut faire à côté, ce n'est que du jeu et du vide. Toi, tu me remplis ; et l'âme, et le cœur, et la tête et le corps. J'aime faire du mal. J'aime voir la pureté noircir entre mes doigts et les ailes blanches des anges disparaître en cendres lorsque je les touche. Avec toi en revanche, Renzo, je ne suis plus qu'un homme. Je n'ai plus de pouvoir et je suis nu. Tu pourrais sortir une dague et la passer doucement contre ma gorge, que je broncherais pas, que je te supplierais même de l'enfoncer.
Pour le faire taire, Lorenzo plaqua ses lèvres contre celles d'Alexandre et l'embrassa avec tendresse. Cette dernière phrase avait été dite par Valori, la veille.
«Cet athée est dangereux pour vous et il vous aveugle. Lorsqu'il brandira une dague au dessus de vous et qu'il la passera doucement contre votre gorge, vous ne broncherez pas.»
Ils s'embrassèrent longuement et se déshabillèrent en essayant de ne séparer que très brièvement leurs lèvres entre chaque étoffe retirée. Ils tombèrent finalement sur le tapis sans même s'en apercevoir, la poitrine consumée par l'amour, l'esprit par la haine et le corps tremblant d'un désir passionnel.
