« Encore seize morts ont été rapportées ce matin par la Police Japonaise, et toutes sont suspectées être l'œuvre de Kira. Les seize victimes étaient détenues en prison au moment de la mort et attendaient la fin de leur sentence. Les noms des défunts sont les suivants. . . »
Je fronçai les sourcils et lançai à ma colocataire un regard frustré alors qu'elle montait le volume de la télévision. Shinju me répondit avec un visage entêté, pressant obstinément la petite flèche « haut » du son sur la manette. J'ai roulé des yeux avec un soupir et me suis affalée sur la petite table dans la cuisinette de notre appartement. Elle était peut-être si obsédée par Kira qu'elle ressentait le besoin d'entendre le nom de chacun des criminels tués, mais moi non.
Kira, qui qu'il ou elle soit, s'était répandu dans les médias comme un feu de forêt ces dernières années. Où qu'on pose le regard, « KIRA » faisait la première page des actualités. Les salles de classes vibraient de débats sur le nouveau « Sauveur » du monde. Chaque poste de télévision et station de radio tenaient des « talk shows » sur le sujet. Chaque mur était placardé des affiches promotionnelles : Loué soit notre Sauveur. Supportez la Police. Protégez le Peuple. Protégez la Vie. Kira EST la Justice. Kira EST le Mal Incarné. C'était un sujet sans fin à travers les médias internationaux.
En vérité, cela commençait à me taper sur les nerfs.
. . . Particulièrement maintenant que les protestataires « Anti-Kira » étaient devenus si peu nombreux.
« Des dossiers contenant les noms et les photos de 1500 prisonniers ont été dévoilés sur internet cette dernière semaine. Les enquêteurs suspectent que cela serait l'œuvre d'un supporter de Kira capable de s'introduire dans la base de données de la police. . . »
Shinju eût un sourire radieux, le visage pratiquement collé contre l'écran.
Pour les gens comme elle, je supposai que Kira était encore neuf. . . Un nouveau départ. . .
L'alarme bruyante et stridente de Shinju résonna dans notre appartement et je soupirai en jetant un coup d'œil à l'horloge. 9 :54. Je me levai, jetant mon sac à bandoulière éclaboussé de peinture sur mon épaule et me baissant pour attacher mes souliers de tennis tout aussi recouverts. Je plaçai mon bol dans l'évier et envoyai un petit salut de la main par-dessus mon épaule avant de me diriger vers la porte. La classe commençait dans trente-quatre minutes. . . bien assez de temps pour marcher jusqu'à Geidai. Le parc Ueno n'était qu'à un bloc dans mon appartement et la plupart du trafic à ce moment de la journée se trouvait sur la route plutôt que sur les trottoirs.
L'ascenseur fit un léger « ding » et je rentrai à l'intérieur, pesant sur le bouton du rez-de-chaussée et révisant mentalement la liste des objets dont j'avais besoin pour la journée. L'ascenseur fit sa lente descente vers l'accueil et j'en sortis, me dirigeant vers la femme âgée assise au bureau principal.
« Bonjour Yamashita-san! Vous avez besoin de quelque chose? »
Je hochai la tête, réajustant la bandoulière de mon sac.
« Est-ce que j'ai du courrier? Je n'ai pas vérifié depuis quelques jours. »
Elle sortit une large corbeille de sous son bureau and commença à chercher parmi l'assortiment d'enveloppes.
« Non. . . Je n'en vois aucune. Comme c'est étrange. Je jurerais avoir vu quelque chose avec votre nom écrit dessus l'autre jour. Je m'en souviens parce que l'écriture était bizarre et – Ah! Et voilà ma chère! »
J'acquiesçai en remerciement et pris l'enveloppe volumineuse qu'elle m'offrait, puis me dirigeai vers la porte. L'écriture en pattes de mouche familière de mon père apparut à ma vue et je souris. Je passai prudemment mon doigt sous le sceau et commençai à l'ouvrir.
« Passez une bonne journée! »
« Vous aussi. . . » Répondis-je de manière absente, poussant la porte ouverte avec mon pied et sortant dans la rue.
Je lu sa lettre pendant que je marchais, me faufilant prudemment entre les piétons.
Mon père était incroyablement vieux jeu; quelque chose que j'adorais. La raison pour laquelle son écriture était si difficile à lire était qu'il essayait constamment de reproduire le style d'écriture des cultures Occidentales du 16e siècle sur lesquelles il faisait des recherches pendant son temps libre. Il refusait de nous envoyer des emails à ma sœur et moi à moins que cela ne soit absolument nécessaire, disant que les messages électroniques ne pouvaient se comparer au sentiment de communiquer avec de l'encre et du papier. Il avait raison, bien sûr. Rien ne pouvait battre le sentiment d'ouvrir l'une des lettres de mon père écrite à la main. Il avait toujours dit qu'il n'y avait pas plus grande joie que de créer avec les mains et le cœur. Cette croyance était ce qui m'avait poussé à devenir artiste.
Je passai à travers les photos qu'il avait incluses dans l'enveloppe. Un petit sourire s'installa sur mes lèvres alors que je les regardais. Le visage bronzé et les chandails fleuris et exotiques de mes parents me souriaient depuis la surface lisse de la photographie. La prochaine photo les montrait tous les deux debout devant un grand signe. Mon esprit mit lentement du sens dans les gribouillis anglais écrit dessus en orange fluo. Alors ils étaient à Hawaï maintenant? C'était aux États-Unis, si je me souvenais bien. Peut-être allaient-ils visiter ma sœur ainée à l'Université de Yale pendant qu'ils étaient dans le pays. . .
La prochaine photo était celle du visage terrifié de ma mère tandis qu'un homme qui ne portait rien de plus qu'une jupe en gazon jonglait avec des bâtons enflammés au-dessus de sa tête. La suivante montrait mon père en train de rire de façon hystérique. Ensuite, c'était ma mère lui jetant une sorte de salade à la figure. Je souris et mis l'enveloppe et les photos dans mon sac. Je pourrais regarder le reste après la classe.
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« Très bien, tout le monde. Nous allons commencer un nouveau projet aujourd'hui. » Dit notre professeur en soupirant, plaçant une large pile de papiers sur son bureau. « Chaque année, je demande à mes étudiants de concentrer leur attention sur la création d'une peinture qui a pour thème « la conscience ». À cause des débats en cours ces dernières années, j'ai choisi Kira comme point central de cette classe. »
Je sourcillai, mon crayon s'arrêtant sur le papier. La fille assise à côté de moi se pencha pour taper dans la main de son amie. Un garçon assis devant moi grogna et se tourna pour regarder de façon renfrognée son partenaire de bureau, marmonnant quelque chose ressemblant à « C'est n'importe quoi. . . »
« Je veux que vous fassiez un portrait de comment vous voyez Kira, pas de comment la société le perçoit. Soyez créatif. Laissez vos émotions paraitre dans votre travail. » Elle fit une pause et fixa la classe du regard. « Commencez à écrire vos idées. Faites quelques petits croquis des options possibles. Je veux que vous vous exprimiez » sourit-elle. « Mettez votre cœur dans ce projet. »
La classe bourdonna de conversations excitées et je soupirai, tournant la page de mon cahier à dessin. Je tapai l'efface de mon crayon légèrement contre mon menton. Kira, Kira, Kira. . . Comment vais-je capturer l'essence tordue qui est la tienne?
Un arbre noueux peut-être? Je pourrais y ajouter des fleurs pour montrer le fait que même si Kira est perverti, les gens le considèrent quand même comme un être magnifique. . . Non. C'est trop simple. Des tonnes de personnes allaient y penser. Un miroir brisé? De l'eau boueuse? Une rose couverte d'épines? Argh. . . Il y a trop d'options!
Je dessinai sans but dans mon carnet à dessin, laissant reposer légèrement ma tête dans la paume de ma main. Le professeur Sato arrêta sa ronde habituelle de la classe pour regarder par-dessus mon épaule.
« Vous semblez entièrement démotivée aujourd'hui, Masami-san. »
Je soupirai, laissant tomber mon crayon sur le bureau et regardant l'enchevêtrement de tourbillons et de lignes qu'il avait régurgité sur le papier.
« Il y a juste trop de choses que je pourrais utiliser pour représenter Kira. J'ai du mal à décider laquelle utiliser. »
« Ah » fit-elle, semblant pensive. « Et bien, c'est évident que vous n'interprétez pas ce projet de la bonne façon. »
« Excusez-moi? » Dis-je en fronçant les sourcils, retenant le ton venimeux de ma voix. L'art était la chose en laquelle je croyais être vraiment bonne. Professeur estimée offrant une opinion ou non, la critique n'était pas quelque chose que je prenais bien.
Elle tira l'une des chaises de libre et s'assis, ignorant mon ton amer.
« Comment voyez-vous Kira, Masami-san? »
Je haussai les épaules et elle leva un sourcil parfaitement sculpté.
« Et bien? »
« Je vois Kira. . . Exactement comme ce qu'il ou ce qu'elle est. . . Pas qui. . . » Répondis-je lentement.
« Et qu'est-ce que ce serait, Masami-san? »
« Kira. . . et bien. . . » Je fis une pause, mordant ma lèvre en réfléchissant. « Kira est un être qui, peu importe si une personne le supporte ou est contre lui, est une entité à laquelle le peuple s'accroche. »
« Oh? Pourriez-vous élaborer? »
« En tant que groupe de personne, nous le haïssons. Nous l'aimons. Nous l'adulons. Il nous répugne. . . Peu importe la façon de le voir, le monde le cherche. . . Le monde cherche la justice, je suppose. Je n'approuve pas les actes de Kira, ni ne les condamne. . . » Les rouages rouillés dans ma tête se mirent à bouger, les idées commencèrent à apparaitre. « Je suis un peu. . . à la croisé des chemins. »
« Je vois. . . » Le professeur Sato sourit. « Comprenez-vous ce projet maintenant? Il n'y a pas quelque chose, un objet spécifique, qui peut représenter votre croyance, là dehors. Vous devez le montrer par vous-même par la seule façon que votre esprit vous le permettra. Vous devez penser « C'est ça ». »
« Oui. . . Merci, Sensei. »
« Très bien. Si vous avez des questions, sentez-vous libre de mettre votre égo de côté et de venir me parler. »
Mes yeux se rétrécirent sombrement.
« D'accord. »
Elle se leva, tapota mon épaule une fois, et se dirigea vers le fond de la salle pour parler avec un autre étudiant. Je la foudroyai du regard en silence pendant un moment avant de retourner fixer mon carnet. Je regardai amèrement mes gribouillis et arrachai la page, l'écrasant en une petite boule. Et alors quoi, si j'avais un gros égo? Ce n'est pas comme si j'allais me pavaner en exhibant mon travail ou mes succès au visage des autres. J'étais l'une des meilleures étudiantes dans l'une des meilleures écoles d'art du Japon, si ce n'est du monde. Et alors, si je n'étais pas exactement la plus intelligente au sens académique? Quand ça venait à l'art, j'étais douée. Mieux que douée. J'avais tous les talents dont j'avais besoin pour exceller dans ce domaine. J'avais tous les droits d'être fière de moi. . .
. . . Pas vrai?
J'enfonçai la pointe aiguisée de mon crayon sur une nouvelle feuille de papier et commençai à dessiner des lignes sombres et colériques.
Une cape sombre apparut sur la surface précédemment vide. J'y ajoutai de la structure et de la profondeur, donnant au vêtement informe une apparence plus élaborée. Ensuite, je dessinai des mains squelettiques saillant de sous la cape, avec des morceaux de chair pourrissants accrochés un peu partout sur l'os. Les mains étaient tendues, raides, et ce squelette semblait vouloir se déchainer sur le monde. Je montai où devait être le visage de Kira et m'arrêtai. Après un moment de considération, je décidai de passer par-dessus, laissant les détails pour un autre jour. Pour le moment, je devais appliquer les bases pour que je puisse me concentrer sur le paysage pendant que j'avais encore la rage qui me servait de muse.
J'effaçai le bord de la large cape déchiquetée, la rendant lisse, serrée et contraignante. J'ajoutai des croquis sommaires de personnes en bas, chacun s'accrochant désespérément aux jambes de mon faucheur en cape. Quelques notes furent jetées dans un coin du papier, comme bref rappel de rajouter certaines expressions faciales et corporelles à des personnes spécifiques. J'ajoutai quelques teintes de couleurs aux humains, dessinant une légère ligne entre ceux qui supportaient Kira et ceux qui le chassaient. Je devrai me rappeler de mélanger les couleurs de fond que je choisirai à ce moment-là.
Mon regard se concentra sur l'espace blanc entre les deux groupes de personnes et je mâchouillai légèrement l'efface de mon crayon de façon pensive. Avec hésitation, je fis le croquis d'une autre personne. C'était une femme, plus jeune et moins voilée que les autres. Elle n'essayait pas d'attraper la cape. . . elle se tenait juste là, maladroitement, les mains à ses côtés et les yeux baissés. J'ajoutai des détails – des cheveux clairs, un peu en bataille et des yeux trop grands, fatigués, de couleur grise. J'hésitai, regardant mon point central avec concentration, les sourcils froncés. Mon efface vola au-dessus du léger croquis, le démolissant.
Cela ressemblait beaucoup trop au reflet que j'avais vu dans le miroir ce matin.
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La dernière cloche de la journée sonna et je soupirai, fermant mon livre d'Histoire de l'art avec un « paf » résonant. Je ramassai mon cahier de note et en sorti la feuille d'instruction concernant le projet que j'avais commencé plus tôt dans le cours du professeur Sato. Je regardai la liste des éléments requis alors que je rangeais mes cartables et cahiers de note dans mon sac.
Mes yeux se concentrèrent sur le quatrième point.
« Utilisation d'une influence du monde réel : Incorporez des endroits de la ville ou des photographies que vous trouverez en ligne dans votre projet (citez vos sources). Cette ou ces photos doivent être remises avec votre projet final. Demande minimale : Une photographie. »
Je soupirai et passai la main dans mes cheveux. Voyant où m'amenait mon croquis, le seul endroit où je pourrais possiblement incorporer une photographie serait l'arrière-plan. À moins que j'utilise le visage de vraies personnes de profils méconnaissables dans le croquis. Non. Ça ne compterait probablement pas. J'allais devoir utiliser l'idée de fond, ce qui allait probablement bien coller avec le projet; par contre, avoir une photo qui irait exactement avec le critère serait difficile. Cela éliminait l'option de chercher une photo en ligne. Cela serait mieux, et plus simple, de prendre la photo moi-même.
Je pliai la feuille et la remis dans mon sac en sortant de la classe.
Quelle serait la bonne image de fond pour mon faucheur? Cela devait être un endroit commun connu et stéréotypé pour être froid, effrayant et dérangeant; bien que dans la lumière du jour, cela semble plutôt inoffensif. . . Je souris quand une idée me vint à l'esprit.
Qu'est-ce qui conviendrait mieux qu'une ruelle déserte de Tokyo?
Si je montrais la route, je pourrais insinuer que cela symbolise le chemin vers l'Enfer. Je pourrais aussi incorporer les murs vandalisés, les briques craquées et les coins sombres. Quel endroit parfait pour un faucheur pour passer ses journées.
Je sortis mon cellulaire, vérifiant l'heure. Les lettres et nombres lumineux clignotèrent en retour – 26 Janvier, 3 :15 PM. Il restait une heure ou deux avant qu'il commence à faire sombre. J'avais tout le temps nécessaire.
Pendant un moment, je considérai l'idée d'appeler Shinju pour lui dire que j'allais parcourir les ruelles au cas où je tomberais vraiment sur quelqu'un de déplaisant, mais j'y repensai et fermai mon téléphone, le rangeant dans ma poche. Il était inutile de causer une attaque de panique à ma colocataire déjà trop soucieuse et hyper paranoïaque. De plus, même pas le plus stupide des attaquants agresserait quelqu'un de façon aussi évidente quand le soleil brillait encore et avec des policiers stationnés à chaque coin de rue. . . Et si quelqu'un était aussi stupide, il ne serait pas dur de s'en occuper.
Je passai les portes de l'entrée principale pour sortir dans le parc Ueno. Je levai ma main, resserrant de façon inconsciente mon manteau autour de moi pour m'aider à me débarrasser des frissons déplaisants de Janvier. Mes doigts tracèrent le contour rectangulaire de mon téléphone dans ma poche et je fronçai les sourcils, secouant la tête.
Rien ne pourrait mal tourner.
Kira va me protéger.
Je laissai un reniflement dédaigneux, obligatoire, (plutôt sonore) m'échapper, ignorant les regards curieux de mes camarades, et commençai ma marche vers l'allée la plus proche. Je commençais à penser comme Shinju. . . Ce qui n'était pas nécessairement une bonne chose. J'enlevai mes mains de mon cellulaire, choisissant à la place de les enfoncer dans les poches confortables et douces de mon manteau.
Rien n'allait arriver. Je n'avais pas besoin d'être protégée. . . et je n'avais certainement pas besoin que ce soit Kira qui le fasse.
T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T
Kiyomi Takada sortit de la limousine avec sourire aveuglant recouvert de rouge à lèvre. Les caméras crépitèrent. Les fans l'acclamèrent. Elle les salua en retour de façon charmante, ses yeux bruns brillants sous leur attention. Même si elle n'avait pas été choisie pas Kira lui-même pour être sa porte-parole, elle adorerait tout autant son travail.
Une voiture rouge délavé bondit en avant, effectuant un dérapage pour arrêter juste à côté de la limousine noire. Un adolescent aux cheveux rouges arborant une paire de lunettes d'aviateur, la cigarette aux lèvres, sortit son bras par la fenêtre de façon décontractée, tirant un fusil lacrymogène dans la foule.
Le chaos fût instantané.
Les spectateurs crièrent d'horreur. Des gardes du corps se précipitèrent en avant. Les yeux de Takada rétrécirent sous le coup de la concentration et, avec une toux creuse, elle couvrit sa bouche, utilisant la manche de son manteau de fourrure comme protection entre la fumée épaisse et ses poumons.
« C'est un rebel! Protégez Dame Takada! »
Elle sentit une main ferme et rassurante se placer sur son épaule.
« Allez-vous bien Madame? »
Takada tourna son regard vers la silhouette familière de son garde du corps aux cheveux pâles avec des yeux rétrécis par la fumée.
« Oui, je vais bien. »
« D'accord. Nous devons aller à l'intérieur - »
« Non! Vous venez de vous faire attaquer! C'est trop dangereux pour vous de rester aux alentours ou de rentrer à l'intérieur du NHN! »
Halle Lidner regarda avec surprise dans la direction de la voix familière. Un motocycliste habillé en cuir la regarda en retour. Il pencha légèrement la tête et le membre du SPK fût capable d'entrapercevoir le visage balafré de l'adolescent ainsi que des cheveux blonds en bataille sous le casque à la visière teintée.
Mello.
« La meilleure chose à faire pour le moment est de l'éloigner de cet endroit. S'il vous plait, mademoiselle Takada, montez. »
Le regard de Halle passait de Mello à Takada, hésitant. Les yeux du blond se durcirent.
« Dépêchez-vous! »
Avec un dernier regard prudent envoyé dans la direction de Mello, Halle mena doucement la vedette des nouvelles à la moto, l'aidant à monter sur la selle confortable en cuir.
« Tout va bien. S'il vous plait, montez sur la moto et échappez-vous le plus vite que vous pouvez. »
Takada hocha la tête, sécurisa sa prise autour de la taille du conducteur tandis que le véhicule bondissait devant et descendait la rue. Halle se retourna vers la bâtisse, un rictus méfiant aux lèvres. Elle parla rapidement dans son casque électronique.
« Équipe A et B, je veux que vous protégiez Dame Takada avec vos voitures. Suivez la moto et retrouvez-la. Les autres, vous partez à la poursuite de la voiture qui vient de s'échapper. »
Quatre voitures noires à l'allure dispendieuse partirent à la suite de la moto qui accélérait.
« Ok. Elle est en sécurité maintenant. Amenez Dame Takada dans la voiture sept – »
Le motocycliste repartit son moteur et tourna vivement dans une ruelle. Les gardes jurèrent et changèrent de direction pour le suivre. La première voiture arrêta dans un crissement, pris entre les murs de briques beaucoup trop rapprochés.
« Et merde! L'allée est trop petite! »
« Il-il kidnappe Dame Takada! »
T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T-T
Click
Je fixai l'image montrée sur le petit écran d'un œil critique. Je pouvais toujours ajuster la luminosité, le contraste et la coloration plus tard mais n'importe quelle portion floue, un simple tremblement de main, serait là pour toujours. Une photo sans une condition optimale n'est d'aucune aide quand vient le temps d'ajouter les petits détails à l'ensemble final.
Je zoomai, fronçant les sourcils à la vue de la délimitation floue des briques. Effacer.
Je remis la caméra au niveau de mon œil, délimitant l'espace de l'écran là où j'avais besoin qu'il soit.
Click.
La photo se révéla à moi sur l'écran LED. Je modifiai la photo, m'assurant que tous les coins des objets étaient nets et que toutes les craques et les imperfections soient facilement détectables. D'un hochement de tête appréciateur, je donnai à mes compétences de photographe le tampon d'approbation et fermai la caméra. Je glissai l'objet rectangulaire dans mon sac et commençai la courte marche pour sortir de la ruelle.
Jusqu'ici, ce projet se déroulait bien. J'avais presque complété le dessin préliminaire et j'avais maintenant toutes les photos dont j'avais besoin pour continuer. Un progrès plutôt décent pour un premier jour. Être en avance maintenant voulait dire que j'aurais plus de temps pour peindre plus tard, ce qui était toujours un avantage quand cela venait à –
Une moto tourna le coin de la ruelle, passant dans une pile de boite et les envoyant dans ma direction. Je criai sous le choc et le conducteur tourna le guidon pour m'éviter. Les roues de la moto glissèrent sur le plancher humide dans un crissement presque métallique. Le motocycliste tourna fort la manette de gaz, essayant de partir dans la direction opposée. La femme à l'arrière de la moto criait le plus fort possible, des cheveux noirs courts flottant follement autour de son visage. La moto sembla vouloir se plier aux ordres du conducteur une fraction de seconde avant de déraper hors de tout contrôle sur le ciment mouillé et de se précipiter solidement contre le mur dans un « crash » à se retourner l'estomac.
. . . Cela me prit vingt secondes complètes pour que mon esprit comprenne le sang coulant au sol et la silhouette écrasée métallique de la moto. Cela prit dix autres secondes pour faire bouger mes jambes tremblantes en direction de la rue. . . mais arrivé là cela me prit encore dix secondes pour que ma bouche puisse former proprement les mots « Quelqu'un vient de s'écraser dans le mur » aux hommes habillés de noir qui couraient vers l'allée.
« Que quelqu'un appel une ambulance! »
« Nous avons besoin d'aide! Maintenant! »
Mes yeux cillèrent rapidement tandis que j'essayai de me recomposer et de voir à travers ma vision embuée. Le visage mortellement pâle de la femme figé dans une expression d'horreur absolue me traversa l'esprit et mes genoux tremblèrent, de la bile me remonta dans la gorge. Quelles étaient les probabilités? Quelle était la chance que je me tienne juste là quand ils ont tourné dans la ruelle? J'avalai difficilement, glissant le long du mur.
« Dame Takada ne respire pas! »
« Où sont ces maudits secours? »
« Je n'arrive pas à trouver un pouls, sur aucun des deux! »
Plus de jurons suivirent.
Je levai la tête pour voir une petite troupe d'ambulanciers se précipiter dans l'allée en poussant deux grands brancards blancs avec eux. Ils disparurent au tournant. Un autre moment plus tard ils revenaient, les deux brancards occupés. Je fermai les yeux, refusant de les regarder passer.
J'avais toujours cru avoir les nerfs solides, que peu importe l'horreur cela ne me dérangerait pas. J'avais toujours présumé que des situations comme celle-ci ne m'ébranleraient pas, que je serais l'héroïne qui préviendrait les secours et dirait à la victime qu'il ou elle irait bien. Ce serait comme l'un de ces mangas que j'avais lu quand j'étais plus jeune. Après que le drame soit fini, j'aurais été la nouvelle héroïne de la ville, racontant fièrement comment je m'étais occupé bravement de la situation.
Non.
Ça ne ressemblait absolument pas à ça.
L'image mentale de ces deux personnes étant lentement peinte de leur propre sang. . . Le visage figé de la femme dans l'image éternelle de la terreur absolue. . .
Une main se plaça sur mon épaule et je grimaçai, mes yeux s'ouvrant brusquement. Un des paramédics me sourit gentiment en m'aidant à me remettre sur mes pieds.
« Nous allons devoir vous emmener à l'hôpital pour nous assurer que vous n'avez pas été blessée. »
« J-je vais bien. »
L'homme m'envoya un regard plutôt sceptique.
« Je vois. . . Néanmoins, c'est la procédure standard, madame. De plus, la police a quelques questions à vous poser sur ce qui est arrivé. » Il fit une pause, m'envoyant un regard entendu. « Vous pouvez venir à l'hôpital vous faire examiner, ou vous serez emmenée dans une salle d'interrogatoire. Que préférez-vous? »
Je restai silencieuse mais le laissai me mener à une plus petite ambulance; différente de celle dans laquelle l'homme et la femme sur la moto avaient été conduit, j'en suis sûr.
Par contre, avant que je puisse entrer dans le véhicule, une foule de personnes sembla se matérialiser de nulle part. Le flash des caméras était aveuglant et des questions rapides, bruyantes, m'étaient envoyées de toute part. Je regardai l'agglomération avec horreur, les yeux passant sur des dizaines et des dizaines de visages.
« Avez-vous vu le visage du kidnappeur de Dame Takada? »
« Pourquoi étiez-vous dans la ruelle? »
« Est-ce que le crash était un accident ou l'homme a semblé le faire dans le but de commettre un suicide? »
« Connaissiez-vous le kidnappeur? »
« Quelle était votre opinion sur Dame Takada? »
« Avez-vous vraiment vu le crash ou vous ne l'avez qu'entendu? »
Mon esprit tournoyait et l'ambulancier commença doucement à avancer à travers la foule, disant que je devais être emmenée l'hôpital et qu'ils devaient bouger. Mes jambes faiblirent bizarrement quand j'avançai d'un pas et le monde sembla basculer dans un angle étrange. Les visages commencèrent à se mélanger ensemble et je clignai rapidement des yeux, ayant l'impression que ma tête était remplie de coton. Ma langue et mes lèvres étaient engourdies.
Je ne m'étais jamais évanouie auparavant. Cela semblait être une chose trop dramatique, du style typique d'une « demoiselle en détresse ». Bien sûr, ce n'est pas vraiment le choix de la personne de perdre conscience ou non, mais c'était comme ça que je le voyais. Cela m'avait toujours semblé un peu pathétique et j'avais toujours espéré ne jamais devenir l'une de ces malheureuses âmes qui s'évanouissent dans les situations stressantes. . .
Par contre, alors que le bord de ma vision nageait dans le noir et que je tombais vers l'avant, oublieuse du monde, je n'aurais pas pu être plus reconnaissante.
