L'histoire commence vers la fin du deuxième tome de la trilogie l'Héritage, donc il y a des spoilers jusqu'au deuxième tome.

Disclaimers: L'univers et les personnages de la trilogie appartiennent à l'auteur, mais Nessa ainsi que sa famille sont de moi.


Prologue

- J'ai entendu dire que le maître s'en irait, aujourd'hui. Le château change de propriétaire.

Une jeune fille suspendit son geste, la main à mi-chemin pour attraper une nouvelle pile de couvert prête à être lavée. Pivotant, elle demanda à son frère Fin, le cuisinier du château :

- Tu es sûr de toi ? Qui viendra alors ?

- Je n'en ai aucune idée, Nessa, répondit-il avec un haussement d'épaules. Mais tu ferais mieux de te remettre au travail, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil dans le couloir qui menait aux cuisines.

Il n'avait pas tord, une des servantes arrivait à grand pas et elle détestait que l'on paresse. Nessa reprit donc sa précédente activité, à savoir laver les assiettes, assiettes qui pesaient lourds pour ses bras, tandis que son frère continuait de parler avec sa mère. Toute sa famille travaillait dans ce château –un métier qui en valait un autre- son père, jardinier, sa mère et elle servantes, et ses deux frères. Se hissant sur la pointe des pieds, elle entraperçut par la petite fenêtre son deuxième frère, Mahtan, travaillant avec son père dans le jardin sous un soleil de plomb.

Qui serait le prochain propriétaire ? Le premier qu'elle avait connut était le jeune Murtagh, car elle n'avait que quelque mois à l'époque où sa mère était encore au château. A ce moment là, ils travaillaient dans la ville d'Urûba'en. Lorsque Murtagh s'était enfuit, leur famille quittèrent la capitale et s'installèrent à Dras-Leona, où ils servirent dans le château du seigneur de la ville, un homme arrogant qui aimait la compagnie des jeunes femmes de la ville mais qui en valait un autre. Il était cependant assez puissant, et elle se demandait qui aurait assez d'influence pour l'expulser du château.

La nuit tombait doucement, et le seigneur de Dras-Leona, effectivement, partit. Les plus jeunes serviteurs partirent se coucher, et avec eux Nessa. La jeune femme avait compris depuis longtemps que pour cela, il ne servait à rien de discuter. Après avoir soufflé la bougie du dortoir des servantes, elle se glissa sous les draps, yeux grands ouverts. Après ce qui lui sembla être une éternité, elle entendit la respiration des autres femmes et filles se ralentir, signal qu'elle pouvait se glisser hors des draps.

Ses yeux, habitués à l'obscurité et guidés par des minces filets de lumière dus à la lune qui perçait à travers les vieux volets, se promenèrent sur les personnes qui dormaient dans la pièce. Elles lui paraissaient tellement fragiles, si faciles à anéantir, qu'elle en manqua de frémir en songeant qu'elle était pareille, lorsqu'elle dormait. Puis elle colla son œil à une fissure dans les volets, guettant l'arrivée du nouveau seigneur des lieux, qui ne devrait plus tarder. Combien de temps elle resta là, elle ne le sut, mais des crampes ne tardèrent pas à saisir ses jambes, l'obligeant à changer de position régulièrement.

Puis soudain, une forme sombre, assez grande, sembla se déplacer vers l'entrée principale. Elle crut distinguer des reflets rouges, tenta de discerner ce qu'était cette forme trop grosse pour être un humain ou toute autre créature qu'elle connaissait, puis se résigna à reculer jusqu'à la porte. Après avoir saisit ses habits, sa main glissa jusqu'au verrou et le tourna lentement. La porte s'ouvrit dans un grincement, et elle s'engouffra dans le couloir sombre du château désert. Les domestiques encore debout devaient être en train d'accueillir le nouveau maître.

Nessa s'engouffra dans un placard à balais où elle entreprit de se changer, avant de se faufiler jusqu'aux cuisines, désertes à cette heure avancée de la nuit. Là, elle posa une tisane sur le feu, attendant qu'elle se réchauffe non sans jeter de fréquent coup d'œil au couloir, prête à se cacher dans un meuble si quelqu'un arrivait. Quelques personnes passèrent, mais sans venir jusqu'à la cuisine. Une fois la tisane chaude, elle la posa sur un plateau et se faufila jusqu'au deuxième étage, celui des chambres.

De nouveaux, elle se dissimula dans un placard, et entendit plusieurs personnes passer. Une voix étouffée, sans doute à cause d'un heaume, ordonnait de ne pas venir le déranger pour le reste de la nuit. Nessa ne reconnut pas la voix, trop déformée. Mais elle était résolue à découvrir qui il était. De toute façon, sa curiosité l'empêcherait de dormir tant qu'elle n'y arriverait pas. Une fois le couloir à nouveau désert, elle se plaça devant la chambre d'où sortait une douce lueur par en dessous la porte et frappa doucement :

- Votre tisane, Monseigneur.

- J'ai dit que je ne voulais pas être dérangé, répliqua sèchement une voix grave.

Le plateau tomba des mains de Nessa et le verre se brisa au sol, répandant son contenu sur le plancher. Son cœur remonta dans sa gorge, et elle dut lutter pour retenir des larmes. De tristesse, de désespoir, de colère, elle n'aurait sut dire. Cette voix était reconnaissable entre mille à ses yeux. Posant ses mains à plat sur la porte, elle murmura :

- Murtagh…

Il y eut un silence, puis des bruits de pas précipités, et enfin la porte s'ouvrit sur un homme aux cheveux noirs dont les yeux bleu pâles étaient exorbités. Il resta un instant ainsi, fouillant sa mémoire.

Nessa, elle, sentait une tempête de sentiments rugir en elle joie de le revoir, incompréhension, détresse, hébétude, mais aussi colère, haine, rage. Murtagh, Murtagh qu'elle avait aidé à partir, ayant sacrifié ainsi une de ses précieuses chances de s'enfuir, elle aussi. Tout sa pour couvrir sa fuite. Murtagh contre qui elle s'était tant disputée. Murtagh à qui elle souhaitait ce qui lui tenait le plus à cœur, la liberté. Murtagh qui avait enfin réussit à être libre, à s'enfuir.

Murtagh qui osait revenir, après tout ce qu'elle avait fait, Murtagh qui osait perdre sa liberté qu'il avait eut tant de mal à avoir ! La gifle partit toute seule, et Nessa y mit toute sa fureur contre lui. Des larmes roulaient sur ses joues, à présent.

- Comment as-tu osé revenir, siffla-t-elle, folle de rage.

Il ne réagit pas tout de suite, se contenta de contempler le visage de la petite servante lunatique qui avait à peine grandit depuis le temps. Cependant ses manières semblaient inchangées. Nessa, celle qu'il avait oubliée avec tous les évènements qui lui étaient tombés dessus… Nessa, qui aimait tant la liberté. Normal qu'elle considère comme un crime le fait qu'il l'ait perdue. Mais ce n'était pas de sa faute, qu'y pouvait-il ? Comment pouvait-elle le juger ? Ce n'était qu'une sotte ignorante.

A présent qu'elle était à nouveau devant lui, les yeux rouges gonflés, les larmes roulant sur son visage, la mâchoire contractée par la fureur, les cheveux bruns en bataille, il ne savait quoi lui répondre. Il avait eut l'habitude de la voir fière, maligne, joyeuse. Peut-être aurait-il dut s'excuser. Lui expliquer. La prendre dans ses bras, à la limite. Tout ce qu'il trouva à dire fut son nom, d'un ton où perçaient les regrets.

- Nessa…

La jeune servante se mordit la lèvre inférieure, puis se pencha en avant, ramassa les débris de la tasse brisée et s'enfuit en courant presque. Lui resta un instant là, avant de fermer la porte, les souvenirs de cette époque affluant. Cette époque où Galbatorix l'avait fait élever dans un château à Urû'baen.