- Rose, es-tu vraiment certaine de vouloir aller habiter chez cette folle qu'est ta grand-mère ?

Ma mère m'avait posé près de 50 fois cette question jusqu'au dernier moment, alors que je montais dans l'avion reliant Los Angeles à Forks. Je savais qu'elle s'attendait à me voir changer d'avis. Mais ma décision était prise. Si partir faire mon année de terminale dans l'Etat de Washington, dans un minuscule lycée d'une bourgade ne m'enchantait pas, j'avais besoin de renouveau. Et je ne ressentais que du soulagement à partir au plus vite de Los Angeles et des souvenirs que je ne parvenais pas à oublier. Tout dans cette ville me rappelait l'accident. Quant à mon ancien lycée, il était hors de question pour moi d'y remettre les pieds. J'avais imaginé dans ma tête des dizaines de fois les réactions qu'auraient en me voyant mes anciens amis et camarades de classe, les filles de l'équipe de cheerleaders, mais rien qu'imaginer la scène n'engendrait chez moi que du découragement. En deux mois, j'avais reçu un certain nombre d'appels, et j'avais même répondu à certains, mais je sentais le malaise, la recherche de la vérité chez mes interlocuteurs. Le scandale avait été traumatisant pour les étudiants de mon ancien lycée huppé, ou les seuls drames connus étaient les divorces, l'anorexie, la célébrité et les parents absents.

J'avais souris à ma mère, dont je lisais la tristesse dans son regard. Mais elle ne comprenait pas vraiment. Pour elle, ce qui s'était passé était horrible, mais pas insurmontable. Elle ne savait pas à quel ma rémission physique cachait mon désarroi mental. A quel point je ne dormais pas la nuit, me réveillant au moindre bruit. A quel point je devais fuir cet endroit.

J'allais donc à Forks, chez ma grand-mère Ada, la mère de ma mère. J'avais passé quelques étés dans cette bourgade proche de Port Angeles, et j'adorais ma grand-mère. Elle avait un tempérament calme et posé, elle menait une vie simple, en totale opposition avec ma mère. J'aimais ma mère bien entendu, mais celle-ci était très égoïste, et je savais qu'elle regretterait toujours de m'avoir eu si jeune. J'étais l'obstacle qui l'avait empêché de faire une carrière de mannequin à l'international. Elle ne me le faisait pas payer, mais je lui avais prit trop tôt une partie de sa jeunesse, et la vie frivole qu'elle menait semblait être un moyen d'oublier qu'elle approchait des 40 ans. Ma mère avait peur de la vieillesse et fuyait les années qui passent à coup de bouteilles de champagne, de fêtes, et de petits amis fortunés et bien plus jeunes qu'elle.

En fait, je crois que j'ai hérité de la beauté de ma mère et du caractère de ma grand-mère. Quant à mon père, c'est un total inconnu pour moi. Je tiens de lui mes yeux et mon sourire, selon ma mère. Et mon prénom, Rosalie. C'est lui qui l'avait choisi avant de partir pour des terres lointaines.

En hommage aux roses, ses fleurs favorites.

Le taxi me déposa devant la maison de ma grand-mère. Je remerciais rapidement le chauffeur, qui me reluqua de la tête aux pieds. Celle-ci lui jeta un regard noir du pas de la porte, et me fit signe de la rejoindre. Armée de ma simple valise, d'un sac à dos et de l'étui de mon violon, j'entrais. Tout était identique à mes souvenirs : un petit salon, la cuisine recouverte de bois. Ada m'aida à monter la valise dans les étages, vers la petite chambre qui m'était attitrée. Un lit double trônait en son centre, un bureau, une armoire, et un épais rideau blanc cassé ornait la fenêtre, criante de simplicité. Bizarrement, je mis sentie toute de suite à l'aise. Ma grand-mère, toujours discrète, me laissa m'y installer tranquillement. Je défis mes valises, ornant d'un simple cadre représentant ma mère le guéridon de mon lit.

Une demi-heure plus tard, je descendis voir Ada, qui s'affairait tranquillement en cuisine. Ma grand-mère était un ange. Elle avait dû être très belle dans sa jeunesse, de la beauté spéciale si caractéristique des Hale. Elle portait toujours ses longs cheveux gris en un simple chignon, qui encadrait son visage aux traits fins. L'âge lui allait bien, les pates d'oies entourant ses yeux lui donnant un air malicieux.

- Tu as faim, Rosie ? me demanda t-elle, m'extirpant de mes pensées.

J'hochais la tête. Ada avait tout de suite accepté que je vienne passer une nouvelle année de terminale auprès d'elle, mais je ne savais pas trop si cela la dérangeait. Elle était venue me voir après l'incident, à l'hôpital. Elle n'avait rien dit, mais j'avais vu dans ses yeux sa douleur et son effroi. Elle me laissait dans mon silence, contrairement à ma mère qui avait voulu en parler, à de multiples reprises. D'ailleurs, l'une des seule condition que ma mère avait posé quant à mon installation à Forks, c'était que je vois un psychiatre au minimum une fois par semaine. J'avais accepté sans hésiter. Si l'idée de me confier à un parfait inconnu ne me plaisait guère, ce n'était pas la fin du monde.

Ada installa devant moi une assiette débordante de lasagnes, mon plat préféré. Je lui fis un sourire reconnaissant pour la remercier de sa petite attention.

- Alors, tu es prête pour le lycée? me demanda t-elle avec un sourire.

- Vu que je connais le programme, cela ne devrait pas être très difficile...

Elle répondit par un hochement de tête. « Tu as toujours été très bonne élève. Si tu t'ennuie, je suis sûre que je pourrais m'arranger avec tes professeurs pour qu'ils te donnent de quoi approfondir. »

- Pourquoi pas ... Et toi, tu vas à l'hôpital demain ?

- Bien sûr. D'ailleurs, j'ai discuté avec les docteurs pour te trouver un psychiatre.

Ada était infermière depuis plus de 35 ans. Elle adorait son métier, les relations avec les patients. Elle n'avait jamais eu peur de voir la douleur et la mort. Elle trouvait toujours les bons mots pour réconforter.

Je terminais mon repas en silence, fis la vaisselle, pris dans mes bras Ada pour la remercier silencieusement – elle s'avait que je n'étais plus très encline à toucher quelqu'un ou à être touchée – et montais dans ma chambre. Le sommeil fut difficile à trouver, bien que je ne ressenti pas de réel stress, mais plutôt du soulagement.

Le lendemain, je me réveillais de bonne heure. Je pris une longue douche, ramassant mes cheveux en un très simple chignon. J'enfilais un jean, des baskets et un épais pull trop large pour moi. Cela me prit une dizaine de minutes, ce qui me fit sourire. Il y a encore quelques mois, j'aurais passé au moins une bonne demi-heure à me pomponner, alors qu'aujourd'hui je fuyais maquillage, jolis vêtements et miroirs. Quand je descendis, je m'aperçue qu'Ada était déjà partie. Un mot m'attendait à côté de tartines déjà beurrées.

Ma chérie,

Je sais que ta journée va bien se dérouler. Forks est une petite ville, mais très étendue. Ainsi, j'ai voulu t'offrir un cadeau de bienvenue. Il t'attend dans le jardin de devant.

Je t'aime, et n'hésites pas à m'appeler à l'hôpital si tu en éprouves le moindre besoin.

Ada

Le mot me toucha. C'était un moyen pour ma grand-mère de me témoigner mon soutien. Je notais rapidement le numéro qu'elle m'avait laissé sur un papier, termina mon petit déjeuner, puis, curieuse, sortie de la maison.

M'attendait dehors une vieille voiture américaine des années 1970. Elle était d'occasion, mais semblait en parfait état. J'en tombais directement sous le charme. Ada avait lu en moi comme dans un livre ouvert, et je me ferais un plaisir de retaper son vieux moteur.

Je la pris directement en main, la clé étant sur le contact. Le moteur vrombi d'un son capricieux que j'adora.

Je trouvais rapidement le chemin du lycée de Forks, me garant sur le parking sans difficulté. La voiture était un peu tape à l'œil pour tout dire, et malgré sa couleur noire, je sentais déjà le regard des autres élèves se poser sur moi. Il pleuvotait. J'éteignis le moteur et m'avança d'un pas incertain vers l'accueil, ou une femme d'âge mure me dévisagea un long moment alors qu'elle m'indiquait les salles de cours, me donnait mon emploi du temps et m'expliquait diverses choses du règlement que j'écoutais d'une oreille discrète.

Je me dirigeais alors sans difficulté – j'aimais croire que j'avais un bon sens de l'orientation – vers le gymnase. J'aimais bien le sport. Enfin, surtout avant l'accident. Lorsque je me présentais au professeur, celui-ci me reluqua du regard. J'attendis avec lui que l'ensemble des élèves arrive. Je m'aperçu très vite que j'étais le centre de l'attention. Lorsque la quarantaine d'adolescents pris place dans le gymnase en tenue de sport, le professeur, un certain monsieur Smith, me demanda de me présenter.

Prenant mon courage à deux mains, j'avançais d'un pas sous l'ensemble des regards de mes camarades.

- Je m'appelle Rosalie Hale. Je viens de Los Angeles. J'ai 18 ans, et je rentre en terminale.

Certains m'adressèrent des saluts de la main. Surtout les garçons. Le professeur ne rajouta rien et m'expliqua que la classe s'exerçait au volley Ball en ce moment. Un de mes sports préférés. Cependant, je ne me sentais pas de me mettre en tenue de sport. Je lui fus d'ailleurs reconnaissante lorsque le professeur me proposa de simplement regarder le cours, histoire de me mettre dans le bain.

La matinée se déroula à l'identique. J'étais au centre de toutes les attentions. Plusieurs garçons, dont je confondais les noms, m'accompagnèrent à mes différents cours tout en tentant de commencer une discussion mais je n'étais pas très réceptive. A chaque cours, le simulacre recommençait : je me présentais, sous les yeux convoiteurs de certains garçons et le regard noir des filles. Je m'en fichais. Elles étaient tranquilles, si elles savaient... Voler le petit copain d'une d'entre elle me semblait être le dernier de mes soucis.

A l'heure du déjeuner, je pris la direction de la cantine accompagnée de plusieurs garçons et filles : Un grand blond qui était plutôt mignon mais sans intérêt, Mike, ainsi qu'un certain Tyler, tous deux accompagnés par deux filles, Jessica et Angela, dont il était évident qu'elles étaient là pour me surveiller plus que par sympathie. Jessica surtout, qui me jetait des regards mauvais à intervalles réguliers.

Alors que nous discutions de tout et de rien, c'est là que soudainement, alors que je parcourrai d'un regard curieux l'ensemble des élèves en train de déjeuner, que mes yeux se posèrent sur eux. Ils étaient cinq, la peau blanche. Deux filles et trois garçons. L'une était petite et menue, les cheveux noirs de jais. Elle discutait à voix basse avec une autre fille aux longs cheveux bruns et bouclés. De l'autre côté de la table se tenaient trois garçons, un rouquin aux cheveux cuivrés, un grand blond dont la peau était à la limite du transparent et un grand brun, très costaux, aux cheveux noirs et bouclés. Tous avaient un air de ressemblance tout en étant très différents. Ils étaient très beaux, mais d'une beauté qui fait plus peur qu'elle n'attire. Ils n'avaient pas l'air très... normaux. Alors que je me faisais cette réflexion, le rouquin leva soudainement ses yeux vers moi, me transperçant du regard.