Bon, c'est plus long que ce que j'avais prévu initialement, mais c'est tout moi, ça...

Comme vous vous en doutez, je ne vais pas faire 400 chapitres pour les 400 coups (hé non!), mais je suis certaine que quelques idées viendront générer de nouveaux chapitres, espérons-le, plus brefs.

Bonne lecture !

***

D'un pas empressé, je me dirigeai vers le 221B Baker Street, autant pour sauver mon pauvre corps de la noyade que pour revoir mon vieil ami. Je m'abritai sous le porche, attendant que Mrs Hudson daigne m'ouvrir, tournant le dos à l'averse dont Londres était la victime. Lorsque la logeuse m'ouvrit, elle me pria de rentrer vite :

- Quel temps ! s'épouvanta-t-elle, désolée de m'avoir fait attendre si longtemps.

- Oui, un vrai temps de chien.

Avant que je ne puisse esquisser un geste, elle me débarrassait déjà de mon manteau détrempé :

- Vous désirez une tasse de thé ? proposa-t-elle avec courtoisie.

Définitivement, cette femme était une perle :

- Comment ai-je fait pour me passer de vous durant tout ce temps ?

- Je me le demande, Docteur.

Elle enchaîna :

- Vous avez de la chance, Mr Holmes est rentré il y a deux heures.

- Il est sur une affaire ? m'enquerrai-je.

Mieux valait savoir de quelle humeur était la bête avant de me jeter dans la fosse au lion. Je fus soulager d'apprendre qu'il était en ce moment sur une enquête, même si je savais que cela n'allait pas durer et qu'il reprendrait sa dépravation là où il l'avait laissé une fois l'affaire rondement menée. Parfois, j'aurais aimé qu'il soit moins brillant, pour avoir un peu plus de répit.

Après avoir demandé à Mrs Hudson de bien vouloir servir le thé dans l'appartement, je montai les escaliers pour rejoindre l'ours qui me tenait lieu d'ami. Je lui rendais régulièrement visite, trop au goût de Mary –même si elle n'en disait rien- et pas assez du point de vue de l'intéressé –qui l'exprimait par des allusions aussi peu subtiles que plaisantes. Mais pour ce dernier, il aurait sans doute fallu que je passe 24h sur 24 à ses côtés pour qu'il soit satisfait. Sherlock Holmes n'était pas un homme de compromis. Même s'il commençait à accepter relativement bien mon départ du « domicile conjugal ».

Lorsque je me trouvai sur le palier, j'entendis sa voix. Surpris, je dois bien l'avouer, je m'arrêtai. Si je devais résumer le pourquoi de mon étonnement, je dirais que Holmes ne recevait pas beaucoup, et pour cause : son appartement s'apparentait de manière saisissante à un dépotoir. Que quelqu'un souhaite y passer ne serait-ce que quelques minutes était en soi un exploit –sans oublier le fait que la sociabilité ne faisait pas partie des innombrables qualités de mon ex-colocataire. Même Mrs Hudson, bonté même, s'y risquait peu.

J'écoutai, bien que je sache que j'enfreignais alors les règles élémentaires de politesse pour satisfaire ma curiosité. Et j'en conclus, ce qui me surprit beaucoup moins, que Holmes était en proie à un monologue, sans doute pour s'éclaircir les idées au vue de son enquête. Dans le bon vieux temps, j'étais le recueil de ses pensées et de ses raisonnements, une sorte de catalyseur d'éclairs de génie parfois. Rêvai-je ou avais-je parlé de « bon vieux temps » ? Je devais bien admettre que Holmes et ses aventures me manquaient, mais je n'aurais pas échangé Mary contre ça.

M'extirpant de mon immobilité, je toquai à la porte avant d'entrer. Holmes était à moitié assis sur un guéridon qui tanguait, détourné de son usage premier. Débraillé, je lui reconnaissais le regard perdu, celui qu'il avait quand il s'aventurait dans les tréfonds de ses élucubrations de détective. Je fermai la porte derrière moi :

- Une enquête qui vous donne du fil à retordre ?

- Une de plus dont je viendrais à bout, Watson, rien de plus, fit-il avec sa modestie légendaire.

- Vous m'en voyez rassuré.

- Vous permettez que je finisse ?

- Je vous en prie.

J'allais m'asseoir confortablement dans un fauteuil, après l'avoir dégagé de tout ce qui l'encombrait –autant dire que cette initiative me prit deux bonnes minutes. Je fis face à mon ami, toujours le regard dans le vague, qui se triturait la manche de sa chemise. J'aimais le voir ainsi, « civilisé » :

- Tu penses comme moi, John ?

Je fronçai les sourcils, pris au dépourvu par cette marque de familiarité alors que rien ne la laissait supposer. Je m'enfonçai dans mon fauteuil :

- Cela dépend de ce que vous pensez, mon...

- Je ne m'adressais pas à vous, Watson, me coupa-t-il de manière abrupte.

Je ne dis rien pendant quelques secondes. Holmes était-il moins « net » que je ne l'avais cru au prime abord ?

- Vous voyez un autre John ici ?

Il daigna enfin lever les yeux vers moi, délaissant ses préoccupations. Il me désigna quelque chose derrière moi d'un mouvement de menton désinvolte :

- J'ai un nouveau compagnon.

De plus en plus intrigué, je me retournai. Et tombai nez à nez avec l'affreuse créature.

Retenant un cri, je n'en sursautai pas moins et me précipitai hors du fauteuil, sans quitter l'intrus des yeux :

- Qu'est-ce que… !

Passé le choc, j'eus honte de mon laisser-aller et me reprenais, sous –je le sentais aussi sûrement que j'aurais pu sentir les rayons sur ma peau un jour de soleil- le regard amusé du scélérat. Il éclata de rire :

- Voyons, Watson, vous lui faites peur !

En effet, l'infâme colocataire d'Holmes s'enfuit se cacher dans un endroit connu de lui seul. Une fois qu'il eut disparu de mon champ de vision, je me tournai vers mon ami :

- Vous avez adopté un rat ? fis-je, refoulant mon effarement.

- Je dirais que c'est plutôt lui qui m'a adopté.

Je dois dire que de sa part, rien ne m'étonnait plus. Je levai les yeux au ciel :

- Vous qui avez fait tant de difficulté pour avoir un chien.

- Tenez donc, vous admettez qu'il s'agit de notre chien, maintenant !

J'ignorai la provocation, essayant de retrouver ce qui me préoccupait. La chose s'imposa à mon esprit, et je ne pus maîtriser ma voix :

- Vous lui avez donné mon prénom ??!

- Cela lui seyait bien. Et puis, il me rappelle un peu vous…

- Et je peux savoir en quoi ?

- Un je-ne-sais-quoi…

Je savais que je ne devrais pas répondre à la provocation, mais mon amour propre, je dois bien l'admettre, était quelque peu froissé :

- Et bien, je suis ravi de savoir que vous avez enfin trouvé votre égal !

Enervé de ma propre colère, et encore plus par le visage faussement innocent de mon ami, de sa comédie à jouer l'incompréhension, je sortis en claquant la porte. Ce faisant, je faillis heurter Mrs Hudson, qui apportait le thé. Elle me dévisagea, surprise de ma brutalité :

- Plus de thé, j'imagine ?

- Je dois partir, m'excusai-je abruptement. A propos, je vous recommande vivement d'installer de la mort au rat, cela vous débarrasserait de colocataires indésirables.

Mais pas du pire, pensai-je en aparté.

Sans attendre, je descendis l'escalier, enfilai mon manteau et sortit dans la rue. Il avait cessé de pleuvoir, mais arrivé au coin de la rue, j'avais déjà le pantalon imbibé de l'eau des flaques que je ne pouvais éviter. Mon humeur retomba aussi vite qu'elle s'était emballée, et je m'arrêtai.

Il m'avait encore eu.

Foutu Holmes.

***

Pas très gentil tout ça... Espérons qu'Holmes sera moins dur la prochaine fois ;) à moins que vous ne soyez sadique ?