Elle courrait à perdre haleine, aveuglée par ses larmes, des branches lui giflant le visage. Elle ne savait pas qui était son poursuivant, mais sentait sa présence menaçante de plus en plus proche. Le froid hivernal lui brûlait les poumons à chaque inspiration douloureuse. Son cœur battait avec une telle violence qu'elle crut qu'il allait lui déchirer la poitrine. Un bourdonnement la rendait sourde, l'isolant de tout ce qui n'était pas sa peur.

Elle allait mourir, c'était inéluctable !

Mais pourquoi ? Quelle faute avait-elle commise ? Son bourreau n'aura-t-il aucune clémence ?

La forêt alentour était oppressante. Sombre et étonnamment silencieuse.

La fatigue et le désespoir pesaient sur ses jambes, la faisant trébucher.

Ne pas abandonner, ne pas périr ! Mais c'était trop dur et « il » était si près !

Puis ce fut la chute, violente, douloureuse. Un élancement lui déchira le crane. Trop tard pour fuir, trop fatiguée. Elle tenta gauchement de se relever, mais ne parvint qu'à se mettre à genoux.

C'était le moment de faire un choix, renoncer et mourir ou affronter son ennemi. Qu'avait-elle à perdre après tout ?

« Il » était là. Tout près, tapit dans l'ombre du bois.

Une pluie fine et froide brisa le silence de son tintement régulier, exaltant les parfums de sous-bois. Elle était pieds nus, couverte d'une simple chemise de nuit, mais elle ne sentait pas le froid trop en alerte du moindre bruit qui trahirait la présence de « l'autre ».

Le temps semblait comme suspendu. Son corps s'engourdissait lentement. Elle enfonça ses doigts dans l'humus, écorchant ses mains avec des ronces et des épines de pin. L'attente était interminable. Puis le hululement d'une chouette au loin la fit sursauter. L'oreille aux aguets, elle ne percevait aucun mouvement, aucun bruit susceptible de la renseigner sur l'avancée du traqueur. Cependant, « il » était déjà là, elle le savait. Un rayon de lune perça les branches, éclairant les ténèbres. Elle se tint prête.

Elle retint son souffle quand il apparut, majestueux et terrifiant. Ses yeux d'onyx tachés d'or braqués sur elle. Elle tressaillit devant son sourire carnassier révélant des crocs luisants sous le clair de lune. Ses cheveux d'ébène masquaient légèrement la peau livide de son visage. « Il » était beau, « il » était la Mort.

Alors, « il » s'approcha lentement de sa proie et elle sut que ce qu'il allait se passer, elle l'avait souhaité. Tous ses actes, toutes ses paroles menaient à ce moment. Oui, elle avait désiré succomber sous son baiser mortel, depuis le début.

Elle soupira, esquissa un sourire et ferma les yeux attendant la sentence. Elle ne cria même pas quand les lèvres glacées de son bourreau se posèrent sur sa gorge, ni quand la douleur la traversa de part en part. Elle sombra dans l'oubli, lovée dans les bras de son assassin comme dans ceux d'un amant.

Elizabeth Woolf venait de quitter le monde des vivants pour entrer dans les ténèbres.

Elle ouvrit les yeux, le souffle court, le corps lourd et couvert de sueur. Liz porta la main à son cou, rien. Pas de trace de morsure. Ses yeux se portèrent sur le décor alentour, elle se trouvait dans sa chambre. Elle ferma les yeux et laissa échapper un soupir. La jeune fille devait se rendre à l'évidence, elle venait encore de faire un cauchemar. Toujours le même, tellement réaliste qu'elle crut sentir le feu de la morsure et le goût du sang dans sa gorge serrée.

Ce rêve, elle le faisait depuis des semaines. La fin était toujours la même, seul le décor différait parfois.

Lorsque les battements de son cœur reprirent un rythme régulier, elle décida de se lever et tituba jusqu'à la salle de bain. Elle n'aima pas l'image que lui renvoya le miroir. Elle était pâle, les yeux creusés et cernés. Elle semblait malade, presque à l'agonie.

Cela faisait maintenant une semaine que Nathan et Clarisse Woolf, ses parents, lui avait révélé la vérité. Ils l'avaient adopté. Un homme s'était présenté chez eux une nuit de novembre, portant dans ses bras une petite fille de cinq ans. Elle semblait perdue dans un autre monde, insensible à son entourage. L'homme avait expliqué que Liz était la seule survivante de sa famille. Il n'était pas trop entré dans les détails, ne voulant pas choquer Clarisse. Il avait seulement expliqué que les Woolf était la seule chance pour la petite fille de mener une vie normale. Il savait que le couple avait fait une demande d'adoption qui n'avait pas aboutie. Nathan était militaire et Clarisse de santé fragile, ce qui était un facteur de risque trop élevé pour les services sociaux de leur confier un enfant. Clarisse sachant que c'était son seul espoir d'avoir un enfant, persuada son mari, d'abord réticent, d'accepter l'offre de l'homme. Celui-ci les prévint que la petite fille était choquée et qu'il faudrait sûrement du temps pour qu'elle sorte de sa catatonie. Il remit aux nouveaux parents des papiers d'adoption en bonne et due forme, ainsi qu'une lettre à remettre à Liz le jour de ses dix-sept ans et partit sans un regard.

Cette lettre, Liz ne l'avait pas encore ouverte. En fait, elle avait encore du mal à se remettre de cette révélation. Il allait de soit qu'elle avait toujours fait partie de cette famille, aussi elle ne comprenait pas encore toute cette histoire. Elle n'en voulait pas à ses parents pour le secret, ce qui l'a perturbait en revanche c'était ce cauchemar qu'elle faisait depuis son dix-septième anniversaire. Le visage du vampire ressemblait étrangement à la description de l'homme qui l'avait confié aux Woolf.

En une soirée, toute sa vie avait changée. Qui était t'elle ? Comment étaient ses vrais parents ? Quel drame s'était joué le jour où toute sa famille lui fut arrachée ? Toutes les réponses se trouvaient dans cette lettre, mais Liz n'était pas encore prête à la lire. C'était comme si quelque chose l'en empêchait, comme si ce qu'elle allait découvrir allait tout détruire et la réduire à néant. Ses parents avaient été d'un grand soutien, lui rappelant qu'ils l'aimaient et qu'ils seraient là. Ils lui avaient dit de prendre son temps et quoi qu'elle découvre, cela ne changerait en rien le fait qu'elle soit toujours leur enfant.

Elle resta donc à observer la lettre, les mains tremblantes. Savoir ou ne pas savoir ? Cruel dilemme !