- Chapitre 1 -

Juillet commença par une journée chaude, jusqu'à Godric's Hollow, village principalement habité par des Sorciers. C'était là que vivaient les Dumbledore, dans une maison bâtie à l'écart des autres. D'aucun considérait que ce fut un choix de Kendra Dumbledore d'être au plus loin d'éventuels voisins trop curieux, et son décès récent avait ravivé les plus folles rumeurs qui circulaient sur le nom de cette famille. On avait presque oublié que cette mère et ses trois enfants s'étaient installés dans ce village après que le père fut arrêté et emprisonné à Azkaban, la prison des Sorciers, pour avoir attaqué brutalement trois jeunes Moldus sans jamais avoir voulu expliquer son geste. Depuis, les Dumbledore avaient vécu dans la discrétion. Peut-être trop selon certains voisins. La maison portait encore le deuil, mais le reste de Godric's Hollow était animé par les jeux des enfants qui profitaient des beaux jours. A présent, le rôle du chef de famille reposait sur les épaules du fils aîné, Albus, qui venait de terminer ses études.

Installé avec désinvolture sur un des grands fauteuils du salon, le jeune homme était absorbé par le livre qu'il lisait. Ce n'était pourtant pas habituel de sa part de s'adosser au bras du fauteuil plutôt qu'à son dossier, et de laisser reposer ses jambes sur l'autre bras, en les balançant dans le vide. Rien ne paraissait pouvoir lui faire détacher le nez de ce livre épais, à la couverture verte et reliée de velours noir. Ses longs cheveux auburn étaient laissés libres, tombant en cascade sur ses épaules. Derrière lui, sa sœur Ariana était assise sur une chaise, et avait entrepris depuis plusieurs heures peut-être de natter les cheveux de son frère d'un air absent, avec quelques pâquerettes fraîchement cueillies. Abelforth n'était pas loin, installé sur la table de la salle à manger, une plume entre les dents et un parchemin vierge sous les yeux. Ce fut lui qui rompit le silence.

— Je ne me souviens plus si j'ai été nourrir les chèvres.

Albus soupira longuement et ne prit pas la peine de répondre. Il allait fêter ses dix-huit ans, et il se rappela qu'il allait passer l'année qui aurait dû être la plus excitante de sa vie à devoir rester à la maison.

— Je n'ai pas envie de faire mes devoirs maintenant, reprit Abelforth. Je ne comprends pas ce qu'il a d'intéressant à faire un exposé sur les propriétés de la pierre de lune !

— Si tu ne comprends pas ce pourquoi c'est intéressant et important en effet ce n'est plus la peine d'espérer te voir obtenir tes BUSE, répliqua Albus avec une pointe d'agacement.

— Tout le monde n'est pas comme monsieur Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore, oserais-je dire, car selon Albus Perceval Wulfric Brian Dumbledore, la qualité d'une personne se juge suivant le nombre de BUSE qu'elle va valider.

— J'ai arrêté de t'écouter à l'annonce de mon quatrième prénom, mais je t'en prie, continue.

Abelforth allait répondre quand Ariana toussota pour exprimer son mécontentement et rappeler sa présence. Les sourcils légèrement froncés sur ses grands yeux, elle regardait tour à tour ses deux frères, si bien qu'Albus, même s'il lui tournait le dos, percevait très bien ses reproches informulés. Il replongea dans son livre, et Abelforth regarda son parchemin avec attention. Satisfaite, elle reprit son travail minutieux d'entrelacer les cheveux auburn de son frère aîné avec ses fleurs jusqu'à ce qu'ils entendent frapper à la porte, sur les coups des dix-sept heures. Albus se leva et posa son livre sur la table du salon, tandis que son frère rangea ses devoirs qu'il n'avait pas terminé, et Ariana posa son panier au milieu de la grande table de la salle à manger. Albus ouvrit donc la porte d'entrée et se retrouva face à face avec une dame de petite taille et qui lui souriait avec un peu trop de compassion.

— Bonjour Bathilda, dit le jeune homme en lui rendant son sourire.

— Bonjour Albus, répondit-elle. Je ne suis pas trop en retard ?

— Pile à l'heure, comme toujours.

Il la laissa entrer dans le corridor, et il mit un moment à comprendre qu'elle n'était pas seule. Un garçon la suivait en silence, et il se contenta de regarder Albus avec un regard appuyé, s'attardant même sur les pâquerettes qui ornaient sa chevelure.

— Je vois qu'Ariana s'est trouvée une nouvelle occupation, plaisanta Bathilda. Laisse-moi te présenter mon petit-neveu, Gellert. Il séjourne actuellement chez moi, et je me suis dit que vous pourriez faire connaissance.

Le jeune homme était de grande taille, dans un costume de sorcier bleu accordé à la couleur de ses yeux. Il offrait à Albus son sourire le plus malicieux tout en passant sa main dans ses boucles blondes d'un geste machinal. Albus se dit aussitôt que ce devait être intentionnellement provocateur, car une assurance certaine se lisait dans son regard. Il passa devant lui sans rien dire, sur les talons de sa tante qui venait d'entrer dans le salon. Ariana venait d'installer le service à thé sur la petite table. L'aîné des Dumbledore resta quelques secondes, seul dans le vestibule, se regardant dans le miroir mural. D'un coup vif de baguette magique, il fit disparaître les fleurs qui ornaient ses cheveux et poussa un long soupir.

— Merci mon enfant, fit la voix de Bathilda à l'attention d'Ariana.

La jeune fille passa rapidement devant Albus, un grand sourire aux lèvres, en direction de la cuisine, pour chercher le thé qui fumait. Bathilda Tourdesac avait, comme à son habitude, apporté des biscuits de sa confection, et elle les déposa au milieu de la table. Abelforth avait rangé ses affaires pour s'installer sur le canapé, l'air renfrogné. Albus savait qu'il n'aimait pas passer des heures à discuter devant une tasse de thé. Le jeune homme aux boucles blondes s'était assis à côté de lui, sans lui jeter un seul regard. Ariana servit les hôtes tandis que son grand-frère avait reprit sa place dans son fauteuil.

— Comme je te disais, mon petit-neveu, Gellert Grindelwald, est en séjour chez moi, reprit Bathilda. Il vient de Durmstrang.

— Ah vraiment ? fit Abelforth en exagérant volontairement son intérêt.

— C'est un esprit brillant, continua-t-elle sans relever la remarque.

Gellert cependant ne montrait aucun enthousiasme, comme si la discussion ne le concernait pas, préférant regarder longuement les meubles du salon, surtout les étagères remplies de livres. Puis ses yeux se posèrent de nouveau sur Albus, et son sourire revint instantanément.

— Tu t'es débarrassé des fleurs ?

— Un esprit brillant, ironisa Albus en lui rendant son sourire. Avec une excellente capacité de déduction.

— C'était une simple remarque, et ma capacité de déduction me dit que tu n'étais pas très content d'être surpris avec des pâquerettes dans les cheveux, et je trouve cela un peu triste pour ta sœur qui avait pourtant fait un si joli travail.

Ariana regardait Albus tristement et celui-ci ne put s'empêcher de rougir, embarrassé par la situation.

— Je savais bien que vous arriveriez à vous entendre, commenta Bathilda en finissant sa tasse de thé.

— En vérité ma tante m'a fait un portrait très élogieux d'Albus Dumbledore, et ton nom était même connu à Durmstrang. J'ai personnellement lu certains de tes travaux, ils sont fascinants.

Abelforth leva les yeux au ciel, réprimant une remarque désobligeante.

— J'avais hâte de faire ta rencontre, finit Gellert.

— Merci, répondit Albus, surpris.

— J'aimerais pouvoir en discuter avec toi plus longuement, et peut-être loin des oreilles de ceux qui ne s'intéressent pas à une étude plus poussée de la magie.

Le frère d'Albus prit cette observation pour lui-même, comme si Gellert savait qu'il ne portait pas les études dans son cœur. Il voyait son aîné s'intéresser de plus en plus au petit-neveu de Bathilda Tourdesac. Il allait pouvoir passer du temps avec quelqu'un qui avait la même arrogance que lui, et Abelforth savait qu'il le voyait comme un moyen d'échapper à sa condition, lui qui était condamné à être enfermé dans cette maison.

La manière de parler de Gellert avait éveillé la curiosité d'Albus. Il était curieux de savoir ce qu'on disait de lui dans une autre école de magie, loin de Poudlard, curieux également de découvrir les capacités de ce garçon qui était venu de loin. Il regardait le monde comme s'il lui appartenait et Albus savait d'avance qu'il n'allait pas s'ennuyer avec lui. Les présentations ainsi faites et la discussion tournant autour des mêmes sujets, la grande tante décida de laisser son cher neveu faire plus ample connaissance avec les Dumbledore. Abelforth prit Ariana avec lui pour se promener dans le jardin et jouer avec les animaux alors qu'Albus faisait visiter les lieux à son hôte, notamment la bibliothèque qui lui servait de bureau pour étudier. Les mains derrière le dos, Gellert détaillait consciencieusement les titres des livres exposés sur les étagères. Albus le regardait avec attention, de loin, comme s'il analysait ses faits et gestes. Il voyait très bien ses yeux s'éclairer devant tel ouvrage, se renfrogner devant un autre, et cela en disait long sur la personnalité du garçon. Il s'arrêta enfin sur un vieil exemplaire d'un recueil de contes pour enfants à la reliure bleue, presque délavée. Il jeta un œil sur Albus, comme s'ils se comprenaient sans avoir besoin de prononcer le moindre mot. Gellert Grindelwald était un jeune homme de plus en plus intéressant.

— Je pensais m'ennuyer, dit-il avec un grand sourire, mais visiblement, ce ne sera pas le cas.

Et Albus se rendit compte qu'il pensait absolument la même chose.

— On pourra échanger nos études, discuter de certains ouvrages, créer des choses intéressantes qui pourront bouleverser le monde magique actuel, énuméra Gellert presque avec exaltation.

— Tu es venu à Godric's Hollow avec des idées plein la tête, je me trompe ?

— J'ai toujours des idées plein la tête.

Il sortit le livre de contes sans aucune hésitation. Les contes de Beedle le Barde, Albus ne les connaissait que trop bien, et pas uniquement parce qu'on les lui lisait quand il était enfant. Ces histoires, particulièrement une, avaient un secret, une part de vérité enfouie qu'il fallait creuser. Il le vit s'arrêter sur le Conte des Trois Frères, et le cœur d'Albus sembla s'arrêter quelques secondes. Il connaissait lui aussi ce qu'il se cachait derrière cette fable, c'était évident. Il referma soudainement le livre, faisant sursauter Dumbledore.

— J'aimerais relire ton étude sur les runes et leurs influences sur les sorts et enchantements de niveau cinq.

Albus lui rendit son sourire et sortit ses travaux qu'il éparpilla sur la table qui lui servait de bureau. Il invita Gellert à s'asseoir et le jeune homme ne se fit pas attendre. Ils entamèrent une discussion enthousiaste sur les runes et leurs propriétés et ils ne sortirent pas de la bibliothèque avant des heures entières.

Gellert avait seize ans, soit un an de plus qu'Abelforth, pourtant il était plus proche d'Albus spirituellement. Il avait un esprit libre et vif, et était capable de sortir les répliques les plus cyniques avec ses grands yeux bleus d'enfant qui lui donnaient un air innocent. Bathilda avait remarqué que la présence de son neveu avait rendu le sourire à Albus, et elle considérait cela comme une victoire. Seul Abelforth ne paraissait pas enthousiasmé mais il choisit d'ignorer la présence de l'étudiant de Durmstrang pour se consacrer à sa sœur. Il grommelait en voyant qu'Ariana avait accepté cet étranger qui venait tous les jours, sans aucune exception. Pourtant, Gellert se montrait correct et courtois envers elle, et le regard que lui portait Albus lorsqu'il assistait à cela en disait long. Le lendemain de leur première rencontre, les deux jeunes hommes se comportaient comme s'ils se connaissaient depuis une dizaine d'années. Chaque jour de la semaine qui suivit, Gellert arrivait avec des livres, des parchemins, et une fleur qu'il offrait à Ariana. Personne n'avait le droit de venir les déranger dans cette bibliothèque, mais de temps en temps, la jeune fille leur apportait du thé et des petits gâteaux. Ils ne lui prêtaient pas une grande attention, tant ils étaient absorbés par leurs discussions ou leurs lectures, mais cela ne la perturba pas.

— J'ai compendieusement fait la liste des thèmes abordés dans ce manuscrit, fit Gellert en ramenant ses mèches blondes en arrière. En omettant le superflu bien entendu.

— Et alors ? demanda Albus qui ne leva pas les yeux des Contes de Beedle le Barde tout en griffonnant des petits dessins sur une feuille de parchemin vierge.

— Et alors ? répéta Gellert avec un sourire carnassier. Et alors ? Je perds mon temps avec des écrits de Sorciers de seconde zone qui savent à peine concocter une potion pour soigner les verrues.

— Et cela t'amuse ? fit remarquer son ami en le regardant enfin, l'analysant derrière ses lunettes en demi-lune.

— Assez.

Il s'étira de tout son long et repoussa le vieux manuscrit du bout des doigts comme s'il était recouvert de venin de doxy. Il tendit le bras vers un panier rempli de produits du jardin qu'Ariana avait laissé dans la bibliothèque afin de l'embellir. Cela avait causé un choc certain dans l'esprit de Gellert quand il avait entraperçu çà et là des potirons, des navets, des pommes de pin ou des carottes dans chaque coins de la maison, au milieu des fleurs et des plantes fraichement cueillis mais Albus lui avait assuré que c'était une habitude de sa sœur. Il attrapa une feuille de basilic et l'observa quelques secondes comme s'il cherchait une quelconque réponse.

— Il y a bien une raison pour que ta sœur ait ce comportement assez singulier. Que lui est-il arrivé ?

Albus resta silencieux, le visage assombri. Les yeux céruléens de Gellert le dévisageaient avec inquiétude.

— Je ne veux pas entendre les murmures des gens sur ta famille, et j'espère que cela viendra de toi, dit-il d'une voix douce.

Son vis-à-vis aspira l'air soudainement, comme s'il avait été en apnée pendant plus d'une minute. A son regard lourd, Gellert comprit qu'il ne devait pas insister. Il se leva de son fauteuil et passa derrière Albus. Sans rien dire, il posa ses mains sur ses épaules, exprimant ainsi son soutien et sa compassion. Ils gardèrent cette position pendant près de dix minutes. Albus espérait simplement que Gellert ne percevait pas les battements un peu trop rapides de son cœur à cet instant.