PROLOGUE
Pour la première fois de sa vie, elle se dit qu'elle avait une chance de s'échapper. Une maigre chance, certes, mais une chance quand même. Le bateau sur lequel elle se trouvait voguait tranquillement sur les eaux noires de l'océan. A l'inverse de cette douce quiétude, l'intérieur du navire était pris d'une dangereuse ébullition. Des hurlements partaient de tous les côtés alors que les coups de feu fusaient à bout portant. Le plancher vibrait sous l'assaut frénétique des bottes des hommes courants. Ils avaient eu pour ordre de la capturer. Elle ne devait pas s'échapper.
La jeune fille déboula sur le ponton principal après avoir repoussé la porte d'un coup de pied. Cela ne servait à rien de faire dans la dentelle : elle avait déjà tué deux hommes sur ce navire. Elle tentait le tout pour le tout. Les imposants bracelets en fer attachés à ses poignets et ses chevilles claquèrent dans un bruit désagréable lorsqu'elle se mit à courir. Elle sentait le métal froid scier petit à petit sa chair mais n'y fit pas attention. Elle roula sur le sol lorsqu'une balle fusa dans son dos, écrasant alors son épaule déjà blessée d'un tir de fusil.
- Capturez-la ! Elle ne doit pas s'échapper !
La nuit noire avait élu domicile à l'extérieur du bateau et la lune se cachait derrière d'épais nuage de coton grisâtres. Malgré sa respiration saccadée et la douleur lancinante qui l'assaillait par vague, elle eut un maigre sourire. La nuit semblait encline à lui donner un léger coup de pouce. Soudainement, un homme apparut sur sa droite. Sans même réfléchir une seconde, il chargea.
D'un bond, elle s'éloigna de lui pour continuer à courir mais l'homme la retint en se saisissant de la longue chaîne traînant derrière sa cheville pour la tirer sauvagement vers l'arrière. Un cri s'échappa d'entre ses lèvres alors qu'elle heurtait douloureusement le sol du bateau.
- Où tu crois aller ma jo- !
Il n'eut malheureusement pas le temps de finir sa phrase qu'un cri de douleur le coupa. La fuyarde avait profité de sa position sur le sol pour sectionner l'arrière des tendons des chevilles de son assaillant avec son petit couteau de cuisine. Mais le métal de l'arme n'étant pas assez aiguisé, elle n'eut pas la puissance de trancher complètement la deuxième cheville quand elle buta sur l'os de son pied. Elle abandonna alors son arme, plantée dans la chair de l'homme qui tomba au sol alors que le sang s'écoulait abondamment de lui. Ni une, ni deux, elle reprit sa course effrénée lorsqu'elle sentit la présence des hommes se rapprocher d'elle.
Ses poumons se gonflaient d'air difficilement. Elle sentait ses jambes s'affaiblir à chacun de ses pas. Sa vision aussi n'était pas aussi parfaite que d'habitude car le sang d'une plaie sur son front coulait sur son œil droit. Toutefois, la colère et la peur la poussaient à se dépasser. C'était sa seule force. Elle préférait mourir que rester sur ce bateau et arriver à destination. Jamais elle n'irait là-bas. Jamais. Surprenant toutes les personnes présentes, elle bifurqua soudainement sur sa gauche. Face à elle, il n'y avait rien mis à part l'étendu calme et noire de l'océan… La voix rocailleuse d'un homme s'éleva alors qu'elle accélérait sa course.
- ELLE VA SAUTER ! TIREZ ! TIREZ !
En quelques enjambées, elle avait rejoint l'extrémité du ponton. Sa main toucha le bois épais de la rambarde. Les tirs fusèrent dans sa direction et elle ferma les yeux. Etait-ce la fin ? Son corps s'éleva dans les airs et elle s'éjecta en avant. Un coup de fusil explosa la rambarde derrière elle dont quelques morceaux de bois heurtèrent durement son dos. Elle sentit la brûlure significative d'une balle lui frôler la hanche, puis l'eau engloba toutes les autres sensations.
