Aussi léger qu'une plume, son vaste corps surplomba les plus hautes tours nippones et les larges membres déployés dans son dos la firent planer jusqu'au perchoir où elle décida de se poser. Dessus l'attendit un homme, un de ces répugnants humains capricieux et arrogants se prenant pour un être immortel une fois qu'il se démarque de son entourage. De son haut piédestal il sillonna du regard la vie mouvementée de la capitale japonaise. Chaque habitant de cette ville est l'un de ses risibles composants grouillant ce corps artificiel qui ne cesse de remplacer celles éteintes sans porter le moindre chagrin à ses pertes. La déesse siégea sur une dalle, une fois figée elle a tout l'air d'une gargouille. Son regard doré survola les têtes, au dessus desquels des chiffres défilent. Les compteurs ne cessèrent de tourner. La plupart d'entre eux sont bientôt arrivés à leur terme et leurs propriétaires ne cessent pour autant de bouger.

"Ces ignares d'humains se plaisent à attendre patiemment leur fin.

-Je ne savais pas qu'un individu de leur race pouvait autant mépriser ses semblables.

-Autant que je ne savais pas qu'une déesse pouvait accorder autant d'importance à son journal. Le jeune homme sortit de son manteau un cahier noir peu épais. Les yeux de rapace de sa compagne caressèrent sa surface lisse et son titre en lettres blanches qu'on a tranché sur sa couverture.

-Un humain ne devrait jamais mettre la main sur un tel pouvoir.

-Un humain peut-être, mais je n'en suis pas un."

Le jeune homme cala contre son épaule le long manche de son imposante faux. La longue lame courbée de son arme pointa sa colonne vertébrale. Ce long enchaînement de vertèbres que la déesse aurait déjà arraché à son corps s'il n'était pas le dangereux personnage que lui ont décrit d'autres dieux. Sora Kawasagi n'est pas un adolescent comme les autres, il n'en est plus un depuis bien longtemps. En a-t-il déjà été un ? D'après le sourire malsain traçant une contorsion à son visage juvénile, aucune once d'innocence n'a été préservée chez cette menace que les humains ont tord de ne pas craindre.

La déesse se dressa sur ses serres et bomba sa poitrine. Les plumes rousses la couvrant gonflèrent, ses seins triplèrent de volume et son menton terminé en un bec acéré pointa Sora. Il pivota sur ses talons pour faire face à celle qui ne l'impressionna pas.

"Assez parlé, tu dois me rendre mon journal.

-Ce journal ? L'agita-t-il comme un objet vulgaire, le geste déplu à la déesse squelettique à la morphologie avoisinant celle d'un rapace. Comme ceux-ci, jamais elle ne lâcha du regard sa cible. Pas avant qu'elle n'ait put posée ses longs doigts filiformes dessus. Quand elle voulut tendre son bras pour l'effleura, on l'écarta de sa portée.

-Rend-le moi !

-Pourquoi donc ? Tu l'as abandonné, je l'ai récupéré, il est mien désormais.

-Il est toujours mien ! Jamais je ne l'ai abandonné !

-Peu importe comment tu en fus dépourvus, il est désormais en ma possession et je n'ai pas envie de m'en détacher. Vois-tu, je m'attache rapidement de manière sentimentale à tout ce qui me tombe dans la main. Il sera difficile pour un être de ton envergure de me satisfaire, même si tu es doté de nombreux pouvoirs.

-Que veux-tu ?! Des yeux de dieu de la mort ? L'immortalité ? Des richesses ?

-Je n'ai jamais crus aux bons génies qui daignent exaucer des souhaits au premier venu qui frotte leur lampe magique, insista-t-il sur ce dernier mot vide de sens pour le jeune homme, tout en marchant le long du toit en sachant être suivie par la déesse. Qui croirait naïvement qu'il existe des personnes prêtes à accorder des privilèges sans que ces services soient compensés ?

-Que veux-tu donc de ma part ?! Gronda-t-il en agitant ses ailes, sans arriver à déstabiliser l'habile marchandeur. Même la lourde faux ne peut faire de contrepoids pour favoriser sa chute d'une cinquantaine d'étages. Une chute mortelle qu'il ne se décida pas à effectuer. Le voleur se tourna brusquement vers la déesse et son regard noisette plongea dans celui doré de la créature surnaturelle pour capturer son attention.

-Pour l'instant, je n'en ai aucune idée. Par contre, un jour ton aide pourrait m'être très précieuse. C'est pour ça que tu me dois désormais une dette."

La déesse fulmina de rage. Comment un humain peut-il la narguer de la sorte ? Elle est en mesure de décimer sa lignée, même d'éteindre à jamais les lumières de Tokyo. Elle peut tuer n'importe qui, sauf Sora Kawasagi. Une aura sombre émane de son corps, couvrant le compteur déterminant sa durée de vie restante. Les chiffres coiffant le sommet de son crâne sont flous, la déesse ne peut évaluer avec netteté les jours, les heures, les secondes qui lui restent. Cette vapeur lui fait tourner la tête, elle détourna ses yeux vers le ciel nuageux. Elle put prédire ainsi un prochain orage. La déesse craint la pluie, défavorable condition climatique pour déployer ses ailes. Elle râla sur l'humain, ne cessant d'arborer son sourire malicieux dévoilant des dents blanches prêtes à la dévorer s'il en aurait l'envie.

"J'accepte ! Maintenant rends-moi mon cahier !

-Seulement une fois que tu auras conclu ta part du marché, avant ça je le garde précieusement à mes côtés. Soit sans crainte, je le conserverai précieusement et en ferait bon usage.

-Il y a intérêt ! Sinon je t'éplucherai le torse à main nue et te viderai devant tes yeux larmoyants. Il paraît que les larmes humaines ont une savoureuse... délicieuse."

La déesse étira ses ailes, balaya l'air de ses larges plumes sombres et décolla. Elle s'en alla, craignant à tout moment que l'averse ne se déverse sur son dos. Sora rangea son livre pour le troquer contre un bloc note à spirales. Il retira le stylo piégé dans celles-ci et fit tourner la première page. La plupart des petits carreaux blancs l'occupant ont été remplies d'une croix noire. Il en traça une vingt-septième. Ravie de voir ses croix conquérir la petite surface aux multitudes de carreaux n'attendant qu'à être noircies, il rangea le calepin et tâta son porte-monnaie. Il lui reste assez de yen pour s'offrir de quoi fêter cette nouvelle acquisition sur le chemin du retour. Au même moment qu'il quitta l'étage, le ciel déversa ses foudres sur la ville.

Plus tard...

Tout un groupe de dieux réunis en cercle débattit. De loin, l'un d'eux les regarda en plantant ses canines blanches dans la chair du fruit rouge piégé entre ses griffes. Son jus borda ses lèvres sombres et sèches, les hydratant du sirop sucré de la pomme. Un crâne couvert d'une chevelure clairsemée orienta ses orbites vides vers lui. Des têtes suivirent le mouvement.

"Ne te plains-tu donc point, Ryuk ?

-Hum ? Leva-t-il son menton dégoulinant de jus vers les autres dieux. Le devrais-je ?

-A ce que je sache, on t'a aussi volé ton journal.

-Qu'il l'ait fait ou non, est-ce une raison pour ruminer sa rage ? A râler tandis que ce voleur ne cesse ses commis ?

-Il n'est pas seulement question de nos journaux, mais de ce répugnant humain qui ose nous prendre de haut comme s'ils nous étaient supérieurs.

-Ce qui est son cas, me semble-t-il. Encore aucun autre humain de ma connaissance n'a encore eut des chiffres aussi troublants."

Le dieu ricana, amusé de ce qu'il considéra comme un jeux de mot qui ne fut pourtant pas au goût des autres. Ceux-ci grognèrent de mécontentement. Comment peut-il s'amuser dans une situation critique ? On humilie les dieux impunément car un humain parmi tant d'autres est doté d'une sombre aura qui empoisonne leur air. Les humains ne sont pas atteins par celle-ci, ils ne savent pas qu'un être infâme est parmi eux. Un cellule cancéreuse de leur organisme circule dans ses veines sans qu'on ne l'ait encore démasqué.

"Il se pourrait qu'il devienne plus dangereux que l'étrange humain qui a réussit, malgré ses ridicules prédispositions, à changer notre Ryuk en une épave riant à la moindre occasion.

-Ahah ! Comme si ce garçon pourrait égaler un jour Reito Yagami. Il n'est qu'un vermisseau à côté de lui, qu'un misérable insecte qui ne saura jamais égaler ce qu'il a fait dans sa courte vie d'humain. Même s'il en vit une plus longue, jamais il ne pourra produire de plus grandes folies.

-Ton Yagami est mort ! A quoi bon continuer de penser à ton champion ?

-Il est mort depuis trois années, dix mois et onze jours selon la notion humaine. Mais je sais qu'un jour un humain saura démontrer une folie similaire à la sienne que je suis déjà impatient de voir progresser et sombrer. Ryuk se redressa et marcha en va et vient sur la même ligne invisible en la suivant du regard. Bien sûr, personne ne peut égaler Reito. Le surpasser peut-être, mais la signature qu'il a laissé dans ce monde lui est unique. Il serait surprenant de voir que le voleur que vous pistez se trouve être cette nouvelle pépite.

-Tu t'es toujours amusé d'eux, les considérant comme de risibles jouets qui t'amusent temporairement pour te faire oublier l'éternité.

-Il est intéressant de voir que la plupart d'entre eux dissimulent une folie refoulée. Celle-ci est si bien dissimulée qu'elle ne peut rejaillir que si l'on arrive à démonter toutes les petites habitudes qu'ils se sont données pour justement les empêcher de s'exprimer. L'apport d'un journal divin est un bon outil à exploiter."

Un dieu, furieux de l'entendre déblatérer des propos honteux pour sa propre race, s'avança et le saisit à la nuque. Ryuk tira sa longue langue et le fixa dans les yeux en se cramponnant au poing maintenant sa nuque. Une déesse aux allures de rapace intervint et les sépara avant qu'une dispute éclate. Ryuk s'étala au sol et se caressa la nuque.

"Laissons faire les choses. Nous verrons en temps voulus ce qui adviendra de nos cahiers et la proposition qui a été communiquer à chacun. Pour l'instant, cette nuisance est des plus discrètes. Nous devons juste veiller à la surveiller de près et veiller à ce que ses méfaits ne soient pas reproduis. Nous devons éviter que ces vols prennent une trop grande ampleur. Ryuk, tu te chargeras de le surveiller.

-Comme si l'idée ne m'avait pas déjà traversée l'esprit ?"