Allez, c'est partit pour une fic à chapitres, je ferai de mon mieux pour poster régulièrement. Elle ne sera pas très longue à mon avis. L'histoire reprend l'intrigue générale de la pièce (magnifique) de Cocteau: L'Aigle a deux têtes, c'est donc un AU. Je situe l'intrigue dans un univers plutôt germanique, aux environs du début du XIX ème siècle, où Nihon serait la partie la plus éloignée du coeur politique et économique du royaume, et donc très autonome.
Sinon, bien sûr, les personnages de clamp sont à Clamp, et le fil conducteur (quoique ténu, je change pas mal de choses) appartient à maître Jean Cocteau. Et les chansons citées appartiennent à Depeche Mode, c'est ce que j'ai écouté pour écire les chapitres, en général.
Rating T à M sur l'ensemble, mais ce sera cool. Et même si ça n'en a pas l'air là comme ça, c'est bien du Kuro x Fye, donc yaoi. Ne vous inquiétez pas ils vont arriver, mais le prologue est nécessaire.
Il ne me reste qu'à vous souhaiter une bonne lecture, et surtout si vous avez des commentaires, n'hésitez pas!Je voudrais d'ailleurs au passage remercier Riri et Na-chan, qui ne cessent de m'encourager et de me donner envie d'écrire, et bien sûr tous ceux qui laissent des reviews, ça m'encourage vraiment à écrire plus! Merci beaucoup à toutes (tous?).
I heard a rumor,
They travel far.
You know what it's like,
The way people are.
They talk and they talk,
Though they don't understand;
They'll whisper and whisper,
And lie on demand.
Please tell me now,
I want to know,
I have to hear it from your lips,
Say it's not so.
Breathe, Depeche Mode
« Mais dépêchez-vous, enfin ! » s'impatienta l'homme aux longs cheveux noirs. « Sa Majesté ne saurait tarder, et rien n'est encore prêt ! »
Aucune réponse ne lui parvînt. La jeune femme, à qui la pique s'adressait, continua, en silence, d'aménager la salle.
Deux fauteuils près du feu, une longue table à manger en bois finement ouvragé, de lourds rideaux de soie bleu nuit, doublés de velours blanc : l'ancienne bibliothèque, réaménagée il y a plus de trente ans, était la salle privée du roi. Il y passait presque tout son temps libre, s'enfermant dans les livres de magie et d'histoire, qu'il avait toujours aimé étudier ; ou simplement laissant son esprit s'imprégner des souvenirs que le lieu charriait. La salle donnait directement sur l'un des balcons officiels, là où, depuis des années, il tenait son discours de la nouvelle année…enfin, quand le temps se montrait clément et qu'il séjournait à Kranz ce jour là.
Ce lieu, presque mythique dans le monde des fastes et des intrigues de la cour, lui était réservé, nul n'y avait accès sans son expresse autorisation. C'était un lieu de haute mystification à la cour, et les heures passées par ce roi bien étrange dans la bibliothèque alimentaient bien des ragots. Mais le roi, lui, n'en avait cure : ce lieu, et seulement celui-là dans tout le royaume, était comme un sanctuaire dont il aurait été le gardien.
Les mains rapides et habiles de Freya allaient et venaient sans relâche qui arrangeant les lys dans leur vase de jade, qui présentant les cadres, qui dépoussiérant un bibelot… Chaque hiver, depuis les dix années qu'elle vivait dans ce pays, elle préparait la salle pour deux, alors que le roi y séjournerait dans la plus complète solitude. Il y passerait ses nuits d'insomnie, enfermé par les livres, les tapisseries luxueuses et la neige battant les vitraux, à écouter le feu et la plainte du blizzard. Pas de musique, pas de fastes non plus pour ce monarque : bien qu'encore jeune pour un des siens, il avait les habitudes des vieillards pétris de souvenirs et de nostalgie qui ne cherchaient plus à aller de l'avant. Il attendait, encore et encore. Mais quoi, lui seul semblait devoir le savoir.
Ashura, chambellan et ami du roi, soupira une nouvelle fois. Rien ne serait prêt à temps. Il jeta un regard exaspéré à la dame de compagnie. Freya s'évertuait, à présent, à allumer le feu qui réchaufferait un tant soit peu, si cela était encore possible, le froid glacial qui caractérisait l'atmosphère de la salle du château de Kranz.
« Y arriverez-vous ce soir, ou dois-je dès maintenant faire sonner un artificier, Dame Freya ? »
Freya claqua la langue à l'invective. Ashura pouvait bien ne pas l'aimer, elle ne pourrait rien y faire, mais ses paroles cinglantes commençaient à épuiser la patience de la douce jeune femme. Elle répondit, sans se retourner :
« J'aimerais vous y voir, seigneur Ashura. Il n'est guère aisé d'allumer un feu avec du bois humide, et je ne puis invoquer le moindre enchantement élémentaire, moi. Si c'est trop lent à votre goût, utilisez donc un quelconque sortilège pour accélérer le mouvement.
- Inutile, je vous rappelle que je suis un mage de la glace, comme sa Majesté, et non du feu. Et le roi n'attendra pas que le bois ne sèche pour venir manger…
- Le roi se fiche bien de savoir si oui ou non le feu brûle dans l'âtre. J'entends d'ici la tempête arriver, il passera encore la soirée dans l'embrasure de la porte-fenêtre, à la contempler…
- Voilà une belle excuse ! » Ashura frissonna malgré l'épais manteau de fourrure noir et bleu vif qui couvrait ses luxueux vêtements de courtisan.
Kranz se situait dans la région la plus inhospitalière du royaume. Les hauts-plateaux, sans cesse balayés par le vent du nord, délimitaient la frontière avec le royaume voisin, ennemi et rival s'il pouvait en être un. Les guerres qui avaient longtemps déchiré la région s'étaient taries il y a plusieurs décennies, mais il régnait toujours ici, dans ce château, cette atmosphère hostile, comme un arrière goût amer dont nul ne savait se débarrasser.
La ville de Kranz en elle-même tenait plus de la bourgade : ancien hameau de bergers, sa position stratégique, en hauteur et face à la frontière, quoiqu'en retrait, en avait fait une demeure royale et un poste avancé. Rien n'aurait dû faire des quelques bergeries de cette région reculée un lieu de population, et la ville s'était construite au hasard des rencontres et des besoins, devenant un véritable labyrinthe dont le seul repère était l'imposante silhouette du château, bâti à flanc de falaise. Les longues années de conflit avaient fini, en quelques siècles, de transformer Kranz en un véritable oppidum, ou en prison. Car si le temps empêchait la plupart des intrusions, les évasions étaient toutes aussi risquées et improbables. L'endroit idéal pour les intrigues, les complots, les règlements de comptes…
L'hiver, les orages, qui balayaient sans cesse cette région de perturbation des flux magiques, se mêlaient à de formidables tempêtes de neige. Le froid, bête sournoise, entrait dans les murs les plus épais, le vent sifflait sans discontinuer aux fenêtres du château – seule demeure qui en comportât -, faisant souffrir la plupart des habitants de fortes migraines pouvant les attirer dans la folie. Et le château, surnommé le Palais des Fous, était dans tout le royaume renommé comme la demeure la plus lugubre qui soit, malgré ses tapisseries fines et ses chauds tapis de laine.
Kranz était le dernier endroit du royaume où un homme un tant soit peu sensé irait passer l'hiver. Mais le roi y entraînait régulièrement sa cour. Surtout en hiver. Lui ne souffrait pas de migraines, il aimait le chant du vent, disait-il ; et sa magie s'accordait parfaitement au froid glacial.
Venir à Kranz était son bon plaisir, comme un caprice. Peut-être était-ce aussi tout ce qu'il lui restait : un caprice.
«Pourquoi préparer et gâcher de la sorte un dîner qui ne sera pas consommé ? se lamenta Freya. Pourquoi gâcher ainsi sa vie, quand elle pourrait être brillante ?
- Je vous demande pardon ?
- Cette salle, le roi, toute cette vaste comédie…cette noire comédie.
- Dame Freya, je n'ose comprendre. Contrediriez-vous la volonté de son Altesse ?
- Non, je regrette, je pense. J'aimerais….
- Vous aimeriez être le vide avec lequel le roi dîne ce soir ? demanda Ashura, acerbe.
- Pourquoi ce ton ? Seriez-vous jaloux, sire Ashura ?
- Moi jaloux ? Mais de quoi, de qui ? Je ne veux pas comprendre ! Expliquez-vous…
- Du roi, de feu le prince… de cet amour morbide qui les lie toujours et qui me lie au roi, malgré moi, par ce lien présent, bien que fragile. Ma sœur, son frère… Nous sommes semblables, au fond. »
Freya se dirigea souplement, dans un frôlement de voiles et jupes noires, vers la fenêtre entrouverte. Le vent fit voler sa longue chevelure d'ivoire, tandis que ses yeux noisette se teintaient d'une profonde amertume. Était-il possible que deux êtres soient liés de la sorte par le destin ? L'avenir de son roi serait-il l'image du sien ? Freya frissonna. Elle sentait braqués sur sa nuque les yeux froids et profonds, pleins de colère indignée, du chambellan.
« Vous osez vous comparer au roi ! Vous avez la témérité d'envier, je le sens, ne niez pas, le fantôme avec lequel le roi dîne ce soir. Car je ferai l'affront de vous rappeler, au cas où vôtre mémoire puisse vous faire défaut, que c'est ce soir le trentième anniversaire de la mort du Prince Yuui…
- Et, je vous remercie, de ma sœur Elda, ou Chii, peu importe le nom que vous aimez lui donner. Je sais tout cela.
- Ils se dirigeaient vers ce château quand la voiture a été attaquée, le prince et sa jeune fiancée allant vers leur mariage…et vous regrettez ! Vous larmoyez que le roi ne puisse tirer un trait là-dessus, quand vous-même…Mais peut-être est-ce votre adoration pour le roi qui vous fait tout oublier…
- Mon adoration pour le roi ? Comme vous y allez !
- Suis-je si loin de la vérité ? Alors que je vous courtisais, il n'y a pas si longtemps, au fond, et qu'il vous plaisait de me laisser espérer, je m'étais rendu sourd aux remarques de sa Seigneurie le Régent, qui me prévenait contre votre fol attachement à Sa Majesté. Mais finalement, je fus bien obligé d'ouvrir les yeux. Quel que puisse être l'attachement que vous m'ayez porté, c'est sur sa Majesté que vos yeux se portent.
- Ashura…murmura Freya, triste.
- Vous ne nierez pas, vous ne démentirez pas. Vous savez que je dis vrai.
- J'ai pour le roi beaucoup d'affection, peut-être est-ce plus comme de l'adoration, en fait. Mais je vous aimais. Vraiment. Simplement le Régent ne trouvait pas cette union satisfaisante, et il vous a retourné contre moi.
- Il m'a ouvert les yeux, et aujourd'hui je suis libre, je ne vous aime plus, Freya.
- Le régent avait peur de vous perdre au profit du roi, il craignait n'avoir plus aucun contrôle, aucun espion des actes de sa Majesté. Car c'est ce que vous êtes devenu, prince Ashura.
- Je suis le garant de l'étiquette, je sers le Régent, car lui-seul sait encore se préoccuper du bien de ce pays. Maintenant, finissez donc ce travail, je viens d'entendre le roi entrer dans ses appartements. Il ne faudrait pas qu'il vous voie. »
Freya haussa les épaules. Le roi n'entrerait pas s'il sentait sa présence, et elle ne pouvait la lui cacher. De plus, seule, elle ne saurait aller plus vite. De toute façon, le roi, seul dans sa chambre, prendrait le temps de se préparer après le long conseil dont il venait de sortir. Elle avait le temps. Elle se mit à chantonner une triste complainte de son pays natal. Du pays ennemi. Il lui était interdit de prononcer le moindre mot dans sa langue maternelle, le Régent avait été clair là-dessus. Mais ce soir, peu lui importait. Elle n'avait pourtant jamais eu le mal du pays : malgré des parents qui l'avaient aimée et choyée, elle avait toujours su qu'en tant que nièce du souverain, elle serait destinée à être mariée pour fortifier les alliances politiques de sa patrie, et elle avait accepté l'idée. Mais ce fut finalement sa sœur, Elda, qui captura le cœur d'un des princes jumeaux, et qui permit la paix. Elle n'avait plus aucune utilité, alors elle suivit sa sœur, devenue entre temps sa seule famille. Malgré la différence d'âge entre Yuui, magicien de plus de soixante ans mais qui ressemblait encore à un jeune homme tout juste sortit de l'adolescence, et Elda qui atteignait à peine ses dix-sept printemps, leur union semblait devoir être prospère.
Ils auraient été heureux, probablement, se dit Freya, amère. S'ils avaient vécu. Mais c'est Fye et moi, qui, morbidement complices, jouons cette vie qui ne nous sourit plus, sans pouvoir apporter à l'autre le moindre réconfort.
Freya se souvînt du jour où elle vit tomber le masque du roi. Elle errait dans les couloirs, fuyant les potins et les courtisans mielleux dont le palais d'été de Brunswick était rempli. Le roi et son conseil venaient de mettre fin à une longue réunion concernant la province de Suwa, dont était originaire l'assassin.
Cela faisait des années depuis le double meurtre, des années que cet homme était recherché. Des années aussi qu'il avait été arrêté, refusant de livrer la moindre information sur lui-même. Des années même, qu'on l'avait retrouvé mort dans les cachots : il s'était coupé la langue, mettant ainsi fin à ses jours. Qui protégeait-il ? Cette question restait en suspens depuis tout ce temps. Une femme, des enfants ? Probablement.
Le prince héritier avait été tué, ainsi que la princesse, car l'île de Suwa, dans région la plus éloignée de la capitale, avait acquis une autonomie de fait qu'elle allait perdre avec le mariage de Yuui : celui-ci reviendrait gouverner les îles de la mer du soleil levant. Or, on racontait que les jumeaux étaient maudits, qu'ils apportaient le malheur, la pauvreté, la souffrance et la mort. Suwa, parmi les autres îles de la province de Nihon, était la moins riche, mais le peuple y était heureux et aimait son seigneur. Face à la nouvelle, des révoltes éclatèrent.
Le reste de l'affaire relevait de la spéculation : cet homme au sabre meurtrier, aux farouches yeux rouges était-il venu de son plein grès, où sur l'ordre de son seigneur ? Nul ne le savait, puisque le roi avait refusé d'envoyer qui que ce soit là-bas.
Ce jour-là, le roi se retirait donc du conseil, plus tardivement, comme à l'accoutumée, que les conseillers qui suivaient le Régent partout où il allait. Il sortit de la salle, son beau visage rayonnant d'un sourire satisfait. Il scruta le couloir, à l'opposé de Freya, qui, le voyant, s'était accroupie derrière une statue. Puis il porta son regard, déjà moins joyeux, sur Freya, qui se sentit frémir, pensant qu'il l'avait aperçue. Mais, finalement, le roi laissa juste tomber son sourire. Dans ses beaux yeux océan se lisait toute la misère du monde. Ils semblaient être d'une infinie profondeur : la profondeur du vide. Les yeux sont le miroir de l'âme, dit-on. Freya espéra que le dicton ne s'appliquait pas au roi. Doucement, il s'appuya sur la porte du conseil, et, baissant la tête, il voila son regard de ses mèches blondes et rebelles. Son sourire avait disparu, complètement, il n'en restait pas la moindre esquisse. A ce moment, il semblait faible, fatigué, usé : Freya, pour la première fois, vit le poids des ans sur les épaules du souverain. La magie conservait la jeunesse de son corps, et le ferait vivre de longues années encore, plusieurs siècles même, car il était puissant. Si nul n'attentait à sa vie. Mais le temps passerait sur son âme, en emportant chaque seconde un morceau de plus, impitoyablement, comme une lente et machiavélique torture. Les temps n'étaient pas clément, il ne connaissait pas la pitié qu'appelait cet homme privé de la moitié de son être depuis plusieurs près de deux décennies déjà.
Freya trembla, mais ne bougea pas. Le roi, devant elle, la fascinait : mais le roi ressemblait à un mort.
Un son de clochette tira Freya de sa transe. Le roi arrivait. Elle posa la dernière assiette à sa place, avant qu'Ashura ne lui ordonne, des glaçons dans la voix :
« Le roi arrive, retirez-vous à présent. »
