Nouvelle version avec les dialogues revus par Snaritt (si vous avez l'occasion, allez lire sa prose, vous ne serez pas déçus…), merci beaucoup…

Chapitre 1 : La bénédiction d'Odin

« Puis un jour une femme
Met sa main dans la vôtre
Pour vous parler d'un autre
Parce qu'elle porte le monde »

Florent Pagny, Et un jour une femme

Asgard, 1991

Bud d'Alcor, guerrier divin survivant, tentait une nouvelle fois de canaliser l'ardeur de l'enfant qui se trouvait avec lui dans le salon et avait décidé de courir après son chaton :

« Hermod ! Vas-tu te calmer un peu ? »

C'était dans des cas identiques qu'il se demandait pourquoi il avait accepté la responsabilité d'être le précepteur, le parrain et le mentor du jeune prince Hermod. L'enfant possédait une vitalité qui mettait à l'épreuve sa patience mais parfois aussi, du haut de ses quatre ans, un sérieux qui faisait oublier instantanément ses bêtises. Qui aurait aussi pu résister à ce joli minois aux boucles blondes et aux grands yeux violets innocents ? Lorsqu'il souriait, on aurait pu lui donner la bénédiction d'Odin directement…

Hermod consentit à s'asseoir, ayant abandonné sa chasse au félin, et reprit l'abécédaire runique qu'il avait abandonné quelques moments auparavant sur ses genoux. Bud réitéra ses explications, et lui indiqua chaque lettre posément. L'enfant répéta soigneusement derrière lui le son de chaque lettre.

« Les runes avec lesquelles nous écrivons nous ont été transmises par les dieux, lui enseigna le Guerrier Divin, nous nous devons donc de les traiter avec respect… »

Hermod leva son regard violet sur lui, faisant signe qu'il avait compris, puis il s'assit à la table, devant une feuille de papier, et commença à tracer laborieusement son nom en tirant la langue pour plus d'application.

« C'est bien, sourit Bud en rectifiant quelques traits, mais il faudra t'entraîner si tu veux bien écrire… »

L'enfant lui rendit son sourire, mais n'eut pas le temps de répondre car sa mère entrait dans la pièce. Il courut vers elle et elle le recueillit dans ses bras avec un sourire.

« As-tu bien travaillé, mon cœur ?

- Oui, maman, répondit l'enfant en embrassant sa mère… »

Hilda de Polaris, grande prêtresse d'Odin et dirigeante du royaume d'Asgard, caressa les boucles blondes de son petit garçon avec un sourire.

« Ton goûter t'attend, lui annonça-t-elle, va vite rejoindre ta tante Freya dans le petit salon ! »

Une fois que l'enfant fut sorti, elle questionna Bud : « Est-il toujours aussi agité ? »

L'homme hocha simplement la tête. « J'aimerais qu'il le soit moins, continua Hilda en soupirant, mais ce n'est qu'un enfant… »

Dans le petit salon, Freya versait du lait dans une tasse pour Hermod agenouillé près d'elle. « Va t'asseoir, maintenant… », lui demanda-t-elle ensuite.

Elle essayait de contribuer du mieux qu'elle pouvait à l'éducation de son neveu, mais le petit prince avait hérité du fort caractère de ses parents et n'aimait pas qu'on lui donnât des ordres. Lorsqu'il se rebiffait en clamant qu'il dirigerait Asgard plus tard, sa mère lui répondait qu'il fallait déjà avoir été commandé et savoir obéir soi-même pour pouvoir commander aux autres.

Hilda fit alors son entrée, accompagnée de Bud et tous deux prirent place autour de la table pour boire le thé. C'était le moment de la journée que l'enfant préférait parce qu'il pouvait se trouver avec sa mère et sa tante, qu'il adorait toutes les deux. Il n'était que dix-sept heures, mais la nuit était déjà tombée sur le royaume glacé aussi Bud, une fois son thé bu, prit congé pour regagner son manoir. La gouvernante d'Hermod vint le chercher pour lui faire prendre son bain, et les deux sœurs restèrent seules. Depuis la venue au monde du petit garçon, quatre ans auparavant, elles goûtaient ce moment d'intimité où elles pouvaient parler entre elles de divers sujets. En effet, Hilda avait officiellement associé sa sœur à l'exercice du pouvoir deux ans auparavant après l'avoir enseignée elle-même et Freya, si elle avait encore beaucoup à apprendre, s'y montrait déjà avisée. Les deux princesses dirigeaient donc Asgard de concert, Hilda continuant ses prières en tant que prêtresse d'Odin et maintenant ainsi l'équilibre du monde.

Ce soir-là, alors que la tempête de neige faisait rage dehors, Hilda lisait une histoire à son fils. Hermod, toujours si agité, appréciait cependant les légendes nordiques, les héros tueurs de dragons et de géants et ne rêvait que de leur ressembler. Cependant, elle espérait de tout son cœur que son fils n'aurait jamais à combattre, qu'il ne périrait pas comme son père dans une guerre stérile…

Elle déposa un baiser sur son front, le borda, puis sortit de sa chambre pour gagner son bureau, comme tous les soirs. La gestion de son royaume nécessitait beaucoup de travail, et se perdre dans ses tâches lui permettait de ne pas réfléchir, d'oublier que désormais elle était seule, désespérément seule malgré la présence vigilante de sa sœur. Si Hilda la prêtresse était très entourée, Hilda la femme était très solitaire depuis la mort de Siegfried. De plus, elle ne se pardonnait pas de n'avoir pu empêcher la mort inutile de ses guerriers, et cela meublait bien souvent ses insomnies et ses cauchemars.

Elle s'assit derrière son bureau et, alors qu'elle prenait un dossier, son regard tomba sur une photo qui datait de quelques années. Freya souriante tenait Hermod, qui n'avait que quelques semaines, dans ses bras. L'esprit d'Hilda remonta alors en arrière et elle se souvint de cette époque…

1987

Hilda tentait de se lever, alors que sa sœur essayait de l'en empêcher : « Le médecin t'a ordonné de rester couchée aujourd'hui… »

La bataille finale s'était terminée voici quelques jours, et Hilda, tant qu'elle était incertaine sur le sort du monde, avait bravement résisté au contrecoup avant de faire un malaise assez grave la veille. Le médecin lui avait alors ordonné de se reposer, et Freya jouait les chiens de garde auprès d'elle.

Une voix vint alors de la porte : « Et il renouvelle son ordonnance ! »

Le vieux médecin qui avait soigné les parents d'Hilda et les princesses depuis leur enfance entrait et il fit signe à Freya de sortir. Il prit le pouls d'Hilda en hochant la tête dubitativement. « Je n'irai pas par quatre chemins : votre organisme est très affaibli, il va falloir vous reposer… »

Il s'interrompit puis reprit : « De plus, vous venez de lui rajouter une épreuve supplémentaire, vous serez mère dans quelques mois, mon petit… »

Par réflexe, Hilda posa ses deux mains sur son ventre encore plat, et regarda le médecin avec une expression indéchiffrable.

« Cela ne semble pas vous étonner…qu'allez-vous faire ? », lui demanda-t-il gentiment.

Elle secoua la tête, et déclara d'un ton où ressortait la déception qu'elle ressentait envers elle-même : « Moi qui devais rester pure, j'ai cédé à l'amour, au désir, une seule fois… » Deux larmes apparurent dans ses yeux. « Ce bébé n'a pas demandé à naître, mais je ne veux pas, je ne peux pas le tuer… ». Son moment de flottement ne dura pas, et son regard s'assécha. « J'assumerai toutes les conséquences de ma faute, quelles qu'elles soient…tant de personnes sont mortes par ma faute, y compris son père, je veux que cet enfant vive…

- Alors je vous suivrai, acquiesça le médecin, mais il faudra prendre soin de vous et de votre bébé… » Il se leva. « Je repasserai demain, et tous les jours jusqu'à ce que vous alliez mieux… ». Et il sortit, laissant Hilda en proie à des sentiments contradictoires. Elle savait qu'elle n'avait pas le droit, qu'elle avait brisé son serment envers Odin, mais elle ne pouvait s'empêcher d'être émue à la pensée qu'un petit être, qui portait son sang et celui de Siegfried, grandissait à l'intérieur d'elle.

Dès qu'elle put marcher, elle alla devant la grande statue devant laquelle trônait l'armure d'Odin et, agenouillée dans le froid, supplia mentalement en priant de toutes ses forces comme à son habitude : « Odin !! Pardonne ma faute, pardonne ma faiblesse… »

Elle sentit l'armure s'éveiller, et une voix résonna : « Hilda, tu as sacrifié ta personne pour sauver ton royaume, aussi ai-je béni l'enfant que tu portes et qui aura un grand destin. Il sera issu du sang royal et du sang du dragon bicéphale et portera la renommée de ton royaume bien au delà de ses frontières… »

L'aura disparut, laissant Hilda interloquée et le peuple, qui assistait à la prière, encore plus étonné. La princesse sentit le regard de tous sur elle et surtout sur son ventre où grandissait le bébé béni d'Odin mais elle réussit à faire bonne figure.

Freya, qui ne savait pas encore, avait regardé étrangement sa sœur.

« Pourquoi ne m'as-tu pas dit que tu étais enceinte ? » lui demanda-t-elle lorsqu'elles revinrent toutes deux au palais.

Le regard violet clair d'Hilda se posa sur sa sœur. « Il fallait que je m'y habitue moi-même avant de pouvoir te le dire, dit-elle en guise d'explication…

Freya croisa les bras :

- Que croyais-tu ? reprit Freya en croisant les bras. Que je ne te soutiendrais pas ? J'étais au courant, tu sais…j'ignorais ce qui s'était passé, mais je t'ai vu être malade tous les matins depuis des jours. Je suis jeune, mais je sais ce que signifient les nausées matinales…»

Hilda secoua la tête :

- Excuse-moi, fit Hilda qui secoua néanmoins la tête, mais j'avais besoin de mettre de l'ordre dans mes pensées avant de te le dire…c'est un grand bouleversement… »

Freya sourit et passa un bras sur les épaules de sa sœur. « Je suis sûre que Siegfried en aurait été plus qu'heureux et, puisqu'il n'est plus là, je t'aiderai de mon mieux pour élever le bébé… »

Hilda lui rendit son sourire et embrassa sa sœur…

Au fur et à mesure des mois, le petit béni d'Odin prit de plus en plus de place, causant quelques maux à sa maman qui dut ralentir ses activités aux alentours du cinquième mois. Freya l'aida alors et Hilda en profita pour commencer à l'initier aux activités de direction et de gestion du royaume. Elles furent toutes deux témoins de l'ultime éclipse, et attendirent de voir si cette fois le sort du monde serait scellé entre les mains d'un dieu malfaisant, mais la déesse Athéna parvint à battre Hadès, au prix cependant d'un coma qui dura quelques semaines.

Comme la tradition le voulait, on prépara soigneusement le trousseau du petit prince ou de la petite princesse à naître. Hilda choisit Freya comme marraine, mais ignorait encore si le parrain pressenti accepterait. En effet, depuis le décès de son frère, Bud d'Alcor se terrait dans une grotte retirée, refusant tout contact humain. Hilda lui avait fait porter un message, mais elle n'en avait eu aucune réponse, et comprenait aisément sa réaction. Cependant, elle résolut d'attendre sa décision pour prendre la sienne, s'il refusait elle aviserait, mais elle voulait vraiment confier son enfant à cet homme qui avait tout perdu, qu'on avait privé de tout parce qu'il avait eu le malheur de n'être pas choisi par sa mère et qu'elle avait aussi injustement traité. Elle savait qu'il parviendrait à donner au petit prince ou à la petite princesse à venir toutes les qualités nécessaires.

Hilda en était venue à être heureuse de cette naissance, mais, très souvent, des accès de tristesse la prenaient, et elle se mettait à pleurer sans pouvoir s'arrêter. Même si son enfant était béni d'Odin, il était tout de même le fruit d'un amour partagé dont seul lui restait à présent le souvenir. A jamais, elle reverrait le dernier regard éperdu de Siegfried pour elle, quand il avait donné sa vie pour sauver le royaume et pour la sauver elle. A présent, tout ce qu'il resterait de lui, ce seraient les souvenirs qu'elle chérissait et un petit être qu'elle sentait bouger vigoureusement en elle.

Le 11 novembre, onzième jour du onzième mois, un mercredi, jour dédié à Odin, alors que le jour se levait, Hilda fut réveillée par les premières douleurs. Le bébé étant en avance de quelques jours sur son terme, les choses étaient cependant prêtes pour l'accueillir et la sage-femme se tenait disponible au palais depuis plusieurs jours déjà. Selon la tradition d'Asgard, on fit marcher la future maman le plus longtemps possible et, alors que le soleil se couchait sur le pays enneigé, il fut temps. Hilda, accroupie selon la tradition, mit au monde son enfant, un garçon vigoureux qui se mit à hurler tout de suite.

Lorsqu'on le lui montra après l'avoir nettoyé et ondoyé, elle fondit en larmes. Ses traits parfaits rappelaient trop ceux de son père, et l'émotion était trop violente. Freya prit son neveu nettoyé, et s'apprêtait à aller le porter dehors pour accomplir le rite consacré lorsque, dans le couloir, elle vit venir vers elle…Bud d'Alcor !

« Je suis venu… », déclara-t-il d'une voix calme.

Freya devina qu'il avait dû sentir la naissance de ce bébé si peu ordinaire, et lui tendit le petit paquet blanc qu'elle tenait. Qui pouvait savoir ce qui se passait dans la tête de Bud ? Enfin, l'essentiel était qu'il soit là à temps et qu'il ait accepté la requête d'Hilda…

Silencieusement, le guerrier divin marcha jusqu'à l'esplanade d'Odin, posa le bébé à terre et le déballa de ses linges. L'enfant geignit sous la morsure du froid, et Bud vérifia qu'il n'avait aucune malformation avant de le remettre dans les linges.

« Au nom de ton père, je t'accepte dans ta famille… », murmura-t-il.

Il considéra longuement le visage du nouveau-né. L'enfant, qui n'avait pas encore de prénom, le regardait tranquillement, une sorte d'interrogation dans le regard. Bud se demanda alors brusquement si finalement il n'avait pas trouvé sa raison de vivre encore en aidant ce petit être à trouver la sienne et à se développer.

Lentement, il revint vers le palais et se dirigea vers la salle principale où il savait trouver la princesse

« Tout va bien pour lui, rendez-le à sa mère, il a besoin d'elle, confirma-t-il en lui tendant maladroitement le bébé…

- Il aura besoin de toi aussi, dit Freya en lui attrapant le bras… »

Une lueur brilla dans le regard mordoré de l'homme, mais il ne répondit pas et s'éloigna. Freya porta son neveu endormi jusqu'à la chambre de sa sœur, où Hilda reposait paisiblement. La sage femme examina encore le bébé, puis l'habilla et il fut déposé dans son berceau. La princesse observa un moment son neveu, fragile rameau de la dynastie et héritier désigné du royaume s'il parvenait à survivre à ce climat rude. De plus, le petit prince avait hérité des particularités de sa famille paternelle, ce qu'attestait la marque de naissance en forme de feuille sur son épaule gauche.

Hilda se réveilla quelques heures plus tard, et demanda immédiatement à voir son fils. L'une des sage-femmes vint le lui apporter, et précisa : « Son parrain a accompli les rites pour lui… »

Hilda se montra très surprise, se demandant comment il avait pu savoir, mais se montra satisfaite néanmoins qu'il soit venu. « Est-ce qu'il lui a donné un prénom ? » demanda-t-elle.

Ce rôle incombait au père ordinairement, sinon au parrain, mais la sage-femme ignorait si l'enfant avait été nommé. Elle sortit pour demander à Freya, et revint avec elle.

« Non, répondit la princesse en hochant la tête, il l'a juste accepté dans la famille mais il ne lui a pas donné de prénom… »

On sortait clairement de la tradition dans ce cas, mais Hilda résolut d'y faire une légère entorse.

« Dans ce cas, je lui donnerai ses prénoms moi-même… », décida-t-elle.

Elle considéra longuement son fils. Le bébé avait encore les yeux grands ouverts et observait sa mère. Elle caressa doucement le duvet blond qui ornait son petit crâne fragile.

« Il s'appellera Hermod Siegfried Hagen… »

Hermod, le fils d'Odin, le messager des dieux, quel nom plus adapté à ce bébé décidément hors du commun ?

A SUIVRE