A QUOI RÊVENT LES ANGES ?
Blabla de l'auteur : Bonjourno les gens!
J'ai décidé de freiner un peu sur le tapage de vie. Ca en décevra certains, d'autres crieront alléluia…
Bref, bienvenue sur cette nouvelle histoire. J'aime profondément cette histoire, bien qu'à l'heure où j'écris ces lignes de présentation, nous sommes en mi-juillet, et je ne sais pas encore où et quand elle s'achèvera. (Edit post-publication : ca fait 10 chapitres, et trois épilogues/bonus). Elle me trotte dans la tête depuis plus d'un mois, mais comme c'était avant mes oraux, je pouvais pas me plonger dans l'écriture. A la place, j'ai rempli quelques pages de mon carnet à croquis d'esquisses de scènes à venir et des premières lignes directrices. On se contente de ce qu'on a. Et maintenant que je suis en vacances, retour derrière le clavier avec une joie non feinte =) Et sinon, s'il y a trois ou quatre déglingos dans l'assistance qui s'intéressent à mes concours, je vous dirais simplement (outre « trouvez vous un hobby ou quelque chose, c'est plus possible là ! ») que j'ai atteint mes objectifs et que je suis partie pour vivre mes rêves =)
Quand j'ai cherché un titre à cette fiction, j'ai réalisé un fait hallucinant : c'est fou le nombre de fictions HPDM qui comportent le mot « ange(s) » dans leur titre ou leur résumé. C'est presque un sous-groupe de l'institution du HPDM, ces textes où Drago (ou plus rarement Harry) est présenté (métaphoriquement) comme un ange (quoique peut-être que certains utilisent le mot stricto sensu Oo). Saurais-je être originale ? Eternelle question d'auteur, sans cesse reposée, trop souvent sans réponse. Qui sait ? Pas moi. Mais toi lecteur, tu sauras y répondre. Peut-être daigneras-tu le faire, et je t'en remercie par avance.
Et comme ca fait longtemps (je suis sur que ca vous a manqué), voici un nouveau cortège de remerciements : merci à mes copin(e)s de ffnet (ils/elles se reconnaitront), leur présence et parfois leur assistance sont un vrai bonheur ! Un merci particulier à Noweria et Angie qui m'ont aidée quand je misérais pour trouver un résumé (et je peux vous assurer que vous avez échappé à des trucs scabreux ! XD), le résumé que vous avez lu avant d'atterrir ici étant une libre adaptation de la proposition de ma petite Nono. Merci à tout ceux qui, depuis le début il y a plus de 7 mois jusqu'à aujourd'hui, m'ont lu/ me lisent, merci à ceux qui me liront à l'avenir. Merci à ceux qui reviewent, on ne répètera jamais assez à quel point c'est capital pour un auteur de sentir que ce qu'il fait plait ( et peu importe le nombre de fois qu'on le répètera, vous, lecteurs un peu ingrats, resterez sans doute incapable de vraiment le croire et le comprendre ! Pourtant, Dieu sait que mes reviews ne servent pas (juste) à flatter l'ego de l'auteur ! Il s'agit de fournir la motivation quand ca coince, de remonter le moral quand on doute ..! Il s'agit de la raison de notre présence ici !). Merci pour les reviews passées, merci pour les reviews à venir. Reviewers anonymes, laissez moi votre mail que je vous envoie un poutou et accessoirement une réponse.
Sur ce, place au texte. Bonne lecture.
Netellafim
Disclaimer: De retour au statut d'auteur après un court passage sous la casquette de traductrice, je peux affirmer avec un grand sourire que cette histoire m'appartient ! Bon, les persos sont à JKR, mais les mots et l'histoire sont à moi ! Je sais pas si vous allez considérer que c'est une bonne nouvelle, vu le succès que j'ai remporté en me faisant l'interprète des mots d'une autre (mais nonnnn je ne suis pas vexée du tout =P), mais moi ca me fait plaisir !
Fond Musical Proposé: United States Of Eurasia, de Muse. Parce que j'ai un trip Muse ces derniers jours. Et parce que cette chanson me parle par plusieurs aspects : tout d'abord, paroles et textes semblent avoir été écrit en référence plus qu'évident à 1984, de Orwell, un de mes livres préférés (après j'ai pas vérifié si c'était effectivement l'intention, mais je doute que ce soit une coïncidence XD). On dirait l'histoire de Winston et Julia, sorte de Roméo et Juliette tordus dans par une société qui devient folle. Et la seconde raison qui me fait adorer cette chanson, c'est là fin, où on a environ deux minutes de Chopin, la Nocturne Op 9 No 2, càd ma favorite que je vous avais ordonnée d'écouter dans le dernier chapitre de Right ^^ Le hasard fait drôlement bien les choses ! Et puis bon, c'est Muse en plus ! Alors on écoute, hop hop hop !
Je propose et tu disposes, petit lecteur bronzé (brulé ?)
Enjoy
Chapitre I : L'homme qui marche (0)
Il est là. Ô mon dieu, il est là. Bien sûr qu'il est là. Il est toujours là. Réglé comme une horloge, animal de régularité et de rituels, il est toujours là, fidèle au poste, sans être même conscient que ce « poste » existe et que je l'attends chaque jour. Il est là. Comme chaque matin, un soupir de soulagement franchit mes lèvres. Il lisse la veste de son costume d'un geste mille fois répété, devenu habitude, réflexe inconscient. Son regard un peu las se pose, à travers la fenêtre du wagon, sur le paysage le plus déprimant du monde, fait d'obscurité floue entrecoupée de tunnels couverts de carrelage blanc sale, sur lesquels s'étalent des affiches colorées pour des pays exotiques et des spectacles aux titres improbables. Les joies du métro parisien en somme. Et je le regarde regarder les ténèbres, un air morose peint sur son visage parfait.
Peut-être suis-je fou ?
Pour le commun des mortels, il y a surement quelque chose d'anormal dans la façon dont je le détaille avidement, matin après matin, à partir du moment où il monte dans la rame de métro jusqu'au moment où je dois la quitter, presque à contre cœur.
Pour le commun des mortels, il y a surement quelque chose d'inquiétant dans le fait que, depuis la première fois que je l'ai vu, il y a deux mois de ça, j'ai changé ma routine pour la calquer sur la sienne et ainsi, pouvoir me retrouver chaque jour dans le même wagon de la même rame du même métro à la même heure, avec lui, introduisant une régularité quasi militaire dans mes matins d'étudiant anciennement indiscipliné.
Pour le commun des mortels, il y a surement quelque chose de pervers ou de pathologique dans la manière dont je pense à lui sans cesse, dont je dessine son visage, sa bouche, ses yeux, ses mains, sa nuque, partout, tout le temps, dans les marges de mes cours, les calepins sur mon bureau, les post-it sur mon frigo, les taches de café sur la nappe cirée le matin ou la poussière sur les étagères.
Mais le commun des mortels est bien incapable de comprendre ce qui me lie à cet inconnu. D'ailleurs, suis-je moi-même capable de comprendre ? Sans doute pas. Ca me dépasse…
J'étais un garçon banal avant ça, me semble-t-il. Un étudiant en art lambda, plutôt doué de mes mains selon les dires de mes professeurs et de mes amants. Plutôt doué, plutôt beau garçon, plutôt cultivé, plutôt drôle, plutôt intelligent, bref, plutôt au dessus de la moyenne, sans trop me fouler. Bon élève, bon ami, bon amant, bon fils, bon voisin, et même bon locataire ! Une vie paisible, presque tout pour être heureux.
Mais si j'étais un bon étudiant en art, jamais au grand jamais je n'avais été un bon artiste, même pas un artiste médiocre, même pas un mauvais artiste. Jamais je n'avais été un artiste, tout court. De ce fait absolu, je n'avais qu'une conscience diffuse, préférant détourner le regard de l'odieuse réalité. J'ai toujours aimé l'art, l'étudier, l'observer, le pratiquer. J'aime dessiner, peindre, photographier. Mais aimer passionnément l'art ne fait pas de vous un artiste.
Quand j'ai su que j'avais été admis à la prestigieuse Ecole Nationale Supérieur des Beaux-arts de Paris (1), j'étais ravi : j'allais pouvoir prendre un fantastique bain de culture dans la capitale, et accessoirement faire de ma passion un métier, ma vie, en étudiant dans une école réputée auprès de maîtres reconnus. Et effectivement, je ne me suis pas privée, pendant mes deux premières années de cours, courant les expos, les musées, les librairies des quais de la Seine.
Mais il y a quelques mois de cela, j'ai enfin pris conscience de ma terrible lacune, et j'ai tenté d'y remédier. J'ai d'abord pensé qu'en m'imprégnant de l'essence des grands artistes (et je ne parle ni de l'absinthe, ni de l'opium), je pourrais en devenir un. J'ai multiplié les visites de musées, les galeries, les expositions, j'ai hanté les cinémas d'art et d'essai, les théâtres,… J'ai arpenté en tout sens les couloirs du Louvre, m'abreuvant jusqu'à la nausée des plus infimes détails des tableaux de Rembrandt, Dürer, Géricault, Rubens, David, le Caravage, De Vinci, … J'ai disséqué les couleurs, les perspectives, les compositions, les textures, les drapés, les ombres, les effets de transparences, les regards, les lumières. Et après ces heures d'observations, je m'enfermais des week-ends entiers dans mon atelier pour peindre et dessiner.
Le lundi matin, épuisé mais fier, j'affrontais l'obscurité et le froid des matinées hivernales, je traversais Paris, mes toiles à moitié sèches sous le bras, et j'allais les présenter à mon professeur préféré, Monsieur Gogue, Ivan de son prénom.
Ses parents avaient surement de l'humour, et un certain don de prémonition. C'était un artiste reconnu du mouvement surréaliste dans les années 50. Maintenant, c'est un vieil homme avec un collier de barbe cotonneuse qui lui fait ressembler bien plus à Rodin qu'à Dali. Il a raccroché le pinceau, mais enseigne et transmet sa passion avec un talent certain.
Quand il me voyait arriver, son front se plissait avec appréhension. J'étalais mes toiles contre le mur de sa salle de cours déserte avec une fierté teintée d'épuisement nerveux et physique, presque de désespoir. Et il soupirait. Il m'offrait ensuite un pâle sourire, mais c'était inutile, mes espoirs avaient été dissous par son souffle triste. S'ensuivait une flopée de compliments sur ma techniques : mon observation des toiles des grands maitres affinait encore mon regard, affutait mes gestes, et je m'approchais petit à petit de leur brio méthodologique. Mais d'une âme d'artiste, il n'y avait toujours aucune trace.
Un jour, n'y tenant plus, alors qu'il m'avait empêché de fracasser le châssis d'une énième toile médiocre, je m'étais effondré à ses pieds, et j'avais lâché la question qui me brulait les lèvres et le cœur depuis trop longtemps déjà :
« C'est quoi, putain, être un artiste ? »
Le silence qui s'en suivit fut si long que j'ai cru qu'il ne m'avait pas entendu, ou qu'il refusait de me répondre, offusqué par ma grossièreté. Puis il parla, d'un air grave et méditatif. Sa voix était rauque de s'être tu pendant de longues minutes.
« Un artiste, mon garçon, c'est un homme intensément vivant. On te dira parfois qu'un artiste puise dans ses névroses, et c'est sans doute vrai, mais c'est trop réducteur car tout le monde a des névroses, sans être artiste pour autant. Tu entendras aussi que l'artiste est quelqu'un qui se perd pour trouver, mais c'est insuffisant. J'ai vu trop de gens qui se sont perdus mais n'ont jamais rien trouvé pour pouvoir approuver ce postulat. La vérité, c'est qu'un artiste est habité. Ca ne s'explique pas vraiment, pour comprendre, il faut l'avoir vécu ou bien avoir vu un vrai artiste en pleine phase de création. »
Quand il a vu mon air dépité, il s'est empressé d'ajouter :
« Que tu ne l'aies jamais ressenti ne veux rien dire. On ne nait pas artiste, on le devient, par la force des choses. Il peut se produire un déclic spontané, ou bien on peut avoir besoin d'un catalyseur. C'est de toute manière indépendant de ta volonté. Et le jour où ça t'arrivera, tu le sentiras. Ce sera tellement plus grand que toi, tu n'auras aucun doute. Le seul conseil que je puisse te donner, c'est d'attendre et d'espérer. Je suis conscient que cette réponse n'est pas celle que tu veux, mais c'est la seule que je puisse te donner. »
Il m'a fixé pendant longtemps de ses yeux bleus délavés par la vie, et il m'a souri. Il s'est levé, m'a donné une tape sur l'épaule d'un geste paternel, et s'est dirigé vers la sortie de son pas un peu claudiquant de vieil homme.
« Arrête de courir après le destin, il te trouvera tout seul quand l'heure sera venu. En attendant, rentre chez toi et dors. Demain, tu pourras commencer à t'attaquer au projet de fin d'année. »
Ce jour-là, je suis resté longtemps assis par terre, dans la poussière de cette salle de classe, au milieu de mes toiles sans âme. Quand j'ai enfin trouvé la force de me lever, le soleil était déjà haut dans le ciel, pour autant que je puisse en juger d'après la lumière blanchâtre qui rentrait par les larges bais vitrés. J'ai regagné mon appartement sous une pluie glaciale après avoir abandonné mes toiles près d'une benne à ordures, et j'ai dormi 20h d'affilé, assommé par ma rencontre brutale avec le mur de la réalité.
Le lendemain, je suis arrivé en retard au cours de Monsieur Gogue qui m'a accueilli avec un sourire bienveillant. Je me suis laissé tomber sur le premier siège vide, me tassant alors que tous mes camarades me fixaient d'un air lourd de reproches.
« Bien, maintenant que Monsieur Potter (2) nous honore de sa présence, je peux enfin en venir au sujet qui fait que j'ai 100% de présence à mon cours, alors qu'il n'est que 8h du matin ! »
Quelques rires s'élevèrent brièvement dans le silence électrique de la salle de classe.
« Comme vous le savez, les troisième année doivent produire une œuvre personnelle afin de valider leur premier cycle au sein de notre prestigieuse école. Chaque année, un thème relativement vague vous est donné, et vous êtes libre d'employer le ou les médias de votre choix pour réaliser votre devoir, qui sera évalué par un jury à la fin de l'année. L'an dernier, le thème était « Courbes ». Cette année, vous devrez vous attaquer à la thématique suivante :»
Le professeur s'approcha tranquillement d'un petit tableau noir sur pied, et le fit pivoter d'un geste théâtrale. Sa voix répéta le mot inscrit en grandes lettres enluminées sur le tableau :
« CONTRASTE(S) ! »
Un silence assourdissant accueillit la nouvelle, et on pouvait presque entendre dans les dizaines de crânes les rouages de la création se mettre en marche à toute allure. Le professeur profita de ce court silence pour conclure :
« Vous avez six mois. Aucun retard ne sera admis. Etant donné qu'il serait utopique d'espérer obtenir votre attention pour les 24h à venir, les cours sont annulés aujourd'hui. Bonne journée ! »
Tandis que le professeur quittait la salle de classe de sa démarche chaloupée, un brouhaha explosa dans la salle, chacun commentant le sujet et jetant pêle-mêle ses premières idées et son enthousiasme dans l'air, personne n'écoutant personne, chacun n'écoutant que lui-même. Au milieu de cette cacophonie, j'étais comme figé par la concentration. Je me suis levé et j'ai quitté la salle, pris très vite dans le flot tumultueux de mes camarades surexcités. Je suis rentré chez moi, et j'ai passé la journée à griffonner des pages et des pages d'idées, de notions, de mots, de titres, de croquis autour du thème imposé, tentant de ne pas guetter ce déclic qui ne viendrait peut-être jamais.
La vie reprit vite son cours, après quelques jours de bouillonnement dans notre promotion. Les cours, les amis, le train-train lent de la vie d'étudiant se remit en place, coupant l'explosion d'inspiration ou au moins d'exaltation qui nous avait tous saisi. Plus modérés, mes camarades avaient vite cessé de babiller sur leurs projets et leurs idées, de peur de se les faire piquer. Pour ma part, plusieurs pistes de réflexion me semblaient valables et quelques esquisses s'étalaient déjà sur mon bureau, attendant d'être développées plus sérieusement. Certes, dans aucune de mes idées ne se trouvait l'embryon d'un futur chef d'œuvre, et je n'étais toujours pas un artiste, mais mes idées n'étaient pas dépourvues d'intérêt et mon savoir-faire technique nettement supérieur à la majorité de mes camarades de classe me permettrait de compenser le petit manque d'âme de mes œuvres.
Deux mois s'écoulèrent ainsi, l'hiver s'apprêtant à laisser sa place au printemps, la neige avait été remplacée par la pluie, glaciale. Paris était passé du blanc au gris, du monochrome au monochrome, de la déprime à la déprime.
Je peignais les premiers jets de mes différents projets. Incapable d'en choisir un seul, j'avais décidé de peindre plusieurs toiles différentes et de choisir la meilleure à la fin.
Et un matin, alors que je vivais comme un zombie, pris dans une déprimante routine, désespérant de vivre le fameux déclic qui allait changer ma vie, le destin m'a trouvé, comme me l'avait promis Monsieur Gogue, et ce malgré le fait que j'avais cessé de l'attendre, découragé. Sans que je sache pourquoi ni comment, par un étrange hasard (ou un coup du destin donc), je me suis retrouvé levé, douché, habillé, prêt à partir, mon sac sur l'épaule, tout ça un quart d'heure plus tôt que l'heure idéale (et donc une bonne demi-heure plus tôt que d'habitude, lors de mes matinées-courses contre la montre !). J'ai hésité, j'ai regardé par ma fenêtre, et l'accalmie a fini de me convaincre de partir en avance. Comme un signe (du destin, toujours lui), le flux quasi continu d'eau céleste s'était interrompu pour quelques minutes, pour la première fois depuis des jours me semblait-il, le temps de me laisser sortir.
J'en ai donc profité, et j'ai quitté mon petit appartement. J'ai salué ma propriétaire et lui ai proposé de la soulager de ses lourds sacs poubelle qu'elle allait descendre. Un sourire aux lèvres, j'ai largué mon fardeau dans une benne et ai filé jusqu'à la bouche de métro.
Avec le recul, ça me semble une évidence, que ce jour était spécial : l'avance, la pluie qui s'arrête pour moi, ma logeuse acariâtre d'une inhabituelle bonne humeur, et même les feux de signalisation qui se sont alignés au rouge pour me laisser traverser les quelques routes qui me séparaient de ma bouche de métro. Je suis passé sous l'arche « Métropolitain », j'ai zigzagué entre les parisiens endormis et bougons jusqu'au tourniquet, j'ai dévalé les escaliers gris, mes yeux parcourant sans les voir les affiches publicitaires jusqu'au quai. A peine arrivais-je que les phares du métro surgissaient dans le tunnel obscur. Je montais dans le premier wagon qui se présentait, presque vide, alors que mes rames habituelles étaient bondées. Je m'asseyais, heureux de l'aubaine. Pour un peu, je crois que j'aurais pu siffloter, ce matin-là, si les visages m'entourant n'avaient pas été si sombres.
Et deux stations plus tard, mon catalyseur a passé la porte et retourné ma vie. Lui. Une grâce aristocratique, un air absent, comme s'il était trop bien pour les réalités terrestres, le métro et ses usagers. Un costume sombre, bien taillé. Une cravate choisie avec gout, sans doute faite d'une quelconque soie hors de prix. Une mallette à la main. Un air d'homme d'affaire banal. Enfin banal, non. Aucun mot ne collerait moins à ce qu'il dégage que « banal ». Il possède un physique irréel, une aura qui attire le regard, et pas juste le mien.
Je crois que c'est à ce point de la réflexion que je me suis rendu compte qu'effectivement, cet inconnu qui regardait dans le vide d'un air maussade pouvait à tout moment se tourner vers moi et constater que je le fixais d'un air dingue, les yeux exorbités, la bouche entrouverte. Mais ici, personne ne remarque personne, heureusement pour moi. Vive le métro.
J'ai refermé la bouche, et j'ai tenté de prendre un air aussi ennuyé et las que les autres gens, alors qu'à l'intérieur je me sentais aussi secoué que si j'avais été percuté par une voiture, surexcité, chamboulé, bouleversé au delà des mots. Je l'ai fixé sans relâche pendant de très longues minutes. Sa bouche finement dessinée, délicate. Son nez retroussé, charmant. Ses pommettes hautes, aristocratiques. Ses yeux gris, magnétiques. Ses cheveux blonds, aériens. Sa peau pâle, surnaturelle.
Trop vite, mon arrêt est arrivé. Ma station. J'ai hésité une seconde. J'avais envie de le suivre pour savoir ce qu'il faisait, où il allait, qui il était, mais surtout pour le voir à la lumière du jour, comme si je pensais que son charme onirique était peut-être dû à l'éclairage au néon. Mais quelque chose m'a retenu, comme une barrière, ma morale, ma conscience ou un fragment de mon esprit qui n'avait pas été plongé totalement dans la folie en le voyant et qui me disait qu'il fallait que je pose des limites, car après tout ce n'était qu'un homme inconnu parmi tant d'autres. Alors comme un automate, j'ai quitté le métro, me faufilant entre les portes au son désagréable du bourdonnement qui avertit de leur fermeture. Et le métro a disparu dans le tunnel obscur en me laissant sur le quai, pantelant, déboussolé, en état de manque.
Le lendemain, j'ai mis mon réveil très tôt pour être sûr de ne pas le louper. J'étais fébrile, nerveux, regardant sans cesse ma montre, les gens autour de moi, le plan de ma ligne de métro sur le mur alors que je le connaissais déjà par cœur. J'étais agité, je devais avoir l'air d'un fou, avec mes cheveux encore plus en pétard que d'habitude et mes yeux cernés et brillants. Et sa station est arrivée. Je me suis mis debout d'un coup, et j'ai scruté avidement les gens sur le quai, le cherchant. Mon cœur battait vite, de plus en plus vite, et j'avais le souffle court, une panique montant en moi. Il fallait qu'il soit là. Et il était là. L'éclat flavescent de sa chevelure est apparu entre deux épaules. Il était là. Le premier soupir de soulagement d'une longue, longue série m'a échappé.
Très vite, il est devenu une partie intégrante de ma vie. Chaque matin, cinq jours par semaine, j'avais ma montée de stress en approchant sa station, puis mes 20 minutes de bonheur où lui et moi étions à quelques mètres l'un de l'autre, et où plus rien d'autre n'existait plus. Puis je sortais, et j'avais besoin de cinq minutes, assis sur une des chaises en plastique du quai, pour me remettre de la séparation, pour rejouer encore la scène, pour graver dans mon esprit sa coupe de cheveux du jour, la couleur de sa cravate, la manière dont sa main avait lissé son costume,… Puis je soufflais un bon coup et partais en cours. Et je passais le reste de ma journée à penser à lui, et à le dessiner souvent.
Les semaines passaient. Je me sentais enfin « intensément vivant », j'avais du mal à canaliser par moment l'énergie qui coulait dans mes veines. Monsieur Gogue n'a jamais rien dit, mais dans un cours de peinture, alors qu'il était passé à coté de mon chevalet, il m'avait regardé d'un air indéchiffrable, puis il m'avait offert un sourire heureux et un hochement de tête qui voulait tout dire.
Les projets explosaient dans ma tête, je me couchais très tard, pris dans mon inspiration, peignant parfois jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Je flottais sur un nuage parfait. Je flotte encore. Sauf qu'aujourd'hui, une ombre se glisse dans le tableau : le mois d'avril débute sous un soleil tiède, et dans deux mois, je devrais rendre mon projet de fin d'année. Théoriquement, un de ces tableaux fades et vides que je suis tout simplement incapable de continuer, et qui prennent la poussière sous un drap depuis deux mois. Parce que les seuls contrastes que je veux explorer sont ceux d'un certain corps pâle qui occupe mon esprit en continu.
Plus le temps passe, plus j'y pense, et plus il me semble que ce soit le seul choix possible : il sera mon œuvre d'art. Ou tout du moins, il en sera le sujet. Il ne peut en être autrement. Il est mon catalyseur, mon sauveur et ma muse. Mon fantasme, peut-être aussi. Pourtant, je n'ai jamais été adepte des hommes blonds. Je les préfère généralement mats, musclés, avec des yeux aussi sombres et insondables que la mort elle-même. Mais lui, il est tellement… au dessus de tout le reste. Il a changé la donne quand il est rentré dans cette rame de métro, il a changé ma vie, il m'a changé, de manière complète et irréversible.
Mais déjà, le moment de le quitter arrive. Le métro freine, on arrive à ma station, je quitte le fil de mes méditations et je le regarde une dernière fois, avec désespoir. Les portes s'ouvrent. Rendez-vous demain matin, même heure même endroit. Je m'arrache à ma contemplation de son profil fin et retourne dans la dure réalité, si laide et imparfaite.
Il faut que je trouve un moyen. J'ai déjà des idées, pleins. Des photographies, des tableaux, j'ai même envie de devenir sculpteur pour rendre hommage à la forme charmante de son nez en trompette ou à la finesse du tracé de sa mâchoire. Mais il faut que je trouve le moyen. Enfin non, le moyen, je le connais déjà. Il faut que je trouve le courage. Le courage de l'aborder. De lui parler. De lui demander d'être mon modèle. Arriver à ne pas avoir l'air d'un fou, ou d'un obsédé. Avoir l'air d'un artiste, de quelqu'un de professionnel, et pas d'un pervers. Avoir l'air de maitriser, ne pas me liquéfier. Trouver comment l'aborder sans avoir l'air d'un gros lourd, genre « salut beau gosse, t'as un 06 ? ». Avoir l'air intelligent…
J'y arriverais jamais. Pourtant, je sais que c'est ce que je dois faire… Mon destin… Mais comment pourrais-je ? Je n'ose même pas m'approcher de lui, alors que je pourrais, puisqu'il se tient exactement au même endroit tous les matins. Il me suffirait de me mettre là-bas un matin. A sa place. A coup sûr, ca attirera son regard. Son attention sur moi. Comme une ridicule pucelle, je frissonne rien qu'à l'idée de croiser une fois son regard. Ca semble aussi irréel que de croiser le regard du président des Etats-Unis ou d'une star hollywoodienne. Il vit dans un autre monde, étrangement proche du mien mais totalement disjoint. Jamais il ne regarde les gens autour de lui, que ce soit une jolie fille qui se colle à lui au gré des balancements de la rame, un mendiant qui déclame sur les difficultés de sa vie ou qui nous offre un joyeux morceau d'accordéon, ou bien moi qui pourtant ne détache pas mes yeux de lui une seule seconde depuis des mois.
Une fois encore, je passe la journée à n'écouter le monde autour de moi, amis ou professeurs, que d'une oreille, échafaudant par l'esprit des plans plus ou moins délirants pour l'aborder. Même le soleil exceptionnel qui brille dans le ciel après des semaines de pluie et de grisaille n'arrive pas à me détourner de mes pensées.
Le soir venu, des amis m'entrainent dans un café, un peu de force, parce que selon eux, on ne se voit plus beaucoup. J'ai tenté de me débattre, mais quand Hermione prend son air de reproche et que Ron dégaine ses yeux de chien battu, je ne peux que rendre les armes. Je prétexte une crise d'inspiration, ils supplient pour visiter mon atelier, même s'ils savent qu'ils n'y rentreront jamais. Et on passe à autre chose, les potins, les résultats sportifs, la musique, les grands débats sur les différents mouvements picturaux. Les heures passent, et j'oublie un peu mon obsession, quelque part entre le babyfoot et la table d'où montent nos rires, à tel point que quand quelques heures plus tard, je regarde mon métro arriver, je ne pense à rien d'autres qu'à mes amis, comme si j'étais redevenu un jeune homme normal pour un instant.
Mais à peine les portes du métro se sont-elles refermées derrière moi que je me fige, rattrapé par mon obsession : Il est là.
Je jette un furtif coup d'œil à ma montre, sentant déjà la tentation de toujours prendre ce métro-ci pour rentrer chez moi le soir, quitte à attendre plusieurs heures à l'académie. Mais une autre idée chasse celle-ci : c'est un signe. Un nouveau signe de mon « destin ». Il faut que je le fasse. La vie m'offre une chance. Il n'est plus pressé, il ne court plus vers un travail dans un grand immeuble, peut-être à la Défense (combien de fois me suis-je imaginé sa silhouette élancée disparaissant dans l'une de ces tours de verre au design improbable), il est légèrement détendu. Je le détaille, une fois de plus. Ses cheveux sont moins parfaitement plaqués que le matin, quelques mèches caressent son front. Sa cravate est très légèrement desserrée. Son visage est un peu plus relâché, quoique toujours aussi froid et indifférent. Il semble à peine plus abordable que le matin. Ce n'est pas grand-chose, mais c'est déjà beaucoup. Rien ne le presse plus…
Soudain, une brique tombe dans mon estomac : peut-être que si. Peut-être qu'il a une copine, ou bien même une femme et deux gosses qui l'attendent. C'est incroyable qu'en deux mois à m'imaginer sa vie sans cesse, l'idée qu'il ne soit pas seul ne m'ait même pas frôlé.
Et déjà, son arrêt arrive. Il ramasse sa mallette, se redresse, lisse sa veste – comme j'aime ce simple geste…– et il se rapproche de la porte alors que le métro freine. Je sens la panique monter en moi. Maintenant ou jamais. Il est déjà sur le quai, déjà en train de se diriger vers les escaliers qui mènent à l'air libre, loin de moi, loin de cet instant, loin de cette opportunité unique. Comme si j'avais été électrocuté, je m'anime soudain et bondit hors du wagon alors que les portes se referment. Je le fixe et hésite. Je le suis ? Je l'aborde ? Même si j'ai envie d'en découvrir plus sur lui, et accessoirement de repousser le moment où je devrais me mettre en danger en rentrant dans le faisceau brûlant de ses yeux de glace, je sais que si je patiente, j'aurais l'air d'un malade mental qui le suit. Ce qui serait plutôt mérité.
Alors je prends mon courage à deux mains, et je le rattrape.
« Excusez-moi ! »
Je trottine derrière lui, mais il ne se retourne pas. Je répète plus fort.
« Excusez… »
Mais la fin de mon apostrophe disparait dans un juron parce que j'ai trébuché et que je m'affale maintenant de la plus lamentable des manières. Il fait un bond de côté et se retourne. Je n'ose pas lever les yeux, ni bouger alors que je suis étalé à plat ventre sur le quai, qui, signalons le, est aussi plat qu'une surface peut l'être. Des ricanements me parviennent quelque part autour de moi.
« Ca va ? »
Je me redresse un peu, m'asseyant sur mes talons le temps de remettre mes lunettes droites sur le nez. La voix pleine de sollicitude n'est pas la sienne mais celle d'une petite dame replète qui se tient derrière lui, l'air sincèrement inquiète. Je lui offre un pâle sourire et hoche la tête. Rassurée, elle tourne les talons pendant que je me relève avec autant de classe que possible – mais bon, l'élégance est loin d'être ma caractéristique première – et j'ose enfin plonger mon regard dans le sien, pour la toute première fois. Ses yeux gris brillent d'une envie de rire qu'il retient, par politesse je suppose, son visage étant aussi lisse et impassible que d'habitude. Il attend et ne dit rien, et je ne sais pas s'il m'a entendu l'appeler ou pas. Dansant d'un pied sur l'autre, incapable de détacher mon regard du sien, je me sens comme un lapin entre les phares d'une voiture, incapable de fuir, juste figé, attendant l'impact.
« Vous m'avez appelez, non ? »
Sa voix. C'est la première fois que je l'entends. Exactement ce à quoi je m'attendais, une voix dure, en accord avec son physique. Une voix ni aigue ni grave, lisse, froide. Un peu cinglante. Teintée de moquerie, mais ça c'est surement dû à mon entrée spectaculaire.
Je me racle la gorge alors qu'il lève un sourcil, devenant impatient devant mon silence. Je suis sans doute aussi rouge que le rideau de velours qui orne l'affiche pour une pièce de théâtre sur le mur tout proche, et la panique et la honte semblent ne jamais vouloir s'arrêter de gonfler et de grossir dans ma poitrine.
« Je…euh… Oui. Désolé. Je… »
Un instant d'hésitation : je mens, du genre « je vous ais pris pour quelqu'un d'autre », échappant à son regard qui me brûle, mais gâchant à jamais mes chances de l'aborder, ou bien je me jette à l'eau... Mais je suis plus près de lui que je ne l'ai jamais été, et la perfection de sa peau veloutée est telle que je dois me faire violence pour empêcher ma main de frôler sa joue.
« Voila. Je… Bonjour. Je sais que ça a l'air étrange mais… Est-ce que je pourrais vous payer un verre ? »
Plus aucune trace de moquerie, il a plutôt l'air choqué :
« Qu'est-ce qui vous fait penser que je suis de ce bord-là !
− Quoi ? Non ! Non c'est pas pour ça. J'ai une proposition à vous faire.
− Pardon ?
− Non, attendez… »
Il a l'air de plus en plus horrifié, et je suis tétanisé devant le carnage en cours. Et soudain, la situation me semble ridicule, et un rire m'échappe malgré moi, provoquant un froncement de sourcils irrité de sa part. Mon rire se bloque dans ma gorge et je me mords la lèvre.
« Ecoutez, acceptez, et je vous expliquerais. En tout bien tout honneur, promis. Cinq minutes. Un simple et innocent café. Je vous en prie… »
Je rougis parce que soudain, j'ai entendu ma voix prendre un ton suppliant. Ca a au moins l'avantage de le rassurer, il sent qu'il a l'ascendant sur moi et il me fait un sourire narquois. Il me toise un instant, faisant durer le suspens, puis il hoche la tête. Je reste quelques secondes surpris que ça ait marché, mais je n'ai pas le temps de m'émerveiller car déjà il tourne le dos et se dirige vers la sortie sans plus m'accorder un regard.
Quelques volées de marches plus tard, nous arrivons à la surface. La sortie de la bouche de métro se situe sur une placette arborée, le soleil passe entre les feuilles des charmes. Il s'arrête et sort de sa mallette des lunettes de soleil qu'il enfile. Il inspire profondément, et je suis une fois de plus figé dans une contemplation béate : il est encore plus beau ainsi, les feuilles dessinant une mosaïque de lumière dorée sur sa peau lactée, qui semble encore plus irréelle sous cet éclairage, étrangement lumineuse. Je frissonne et me mord la lèvre. Il est juste…parfait.
« Bon, vous vous décidez ? »
Je sursaute, la voix a claqué comme un fouet. Je l'entraine jusqu'à un café tout proche, il s'assoit avec grâce sur une chaise en terrasse sans attendre mon assentiment et se laisse un peu aller contre son dossier, savourant la douce chaleur du soleil printanier sur sa peau (3). Je m'assois à côté de lui, cherchant à toute vitesse une façon d'amener mon propos. Je m'apprête à me lancer quand un serveur toussote derrière moi, me faisant sursauter. Je me retourne, et le jeune homme charmant portant un tablier blanc me fait un sourire un peu moqueur – décidément, il faut que j'arrête de me rendre ridicule – et attend visiblement notre commande. J'ouvre la bouche, mais mon bel inconnu me devance d'une voix autoritaire, sans même jeter un regard au serveur.
« Je prendrais un Perrier, avec une rondelle de citron. »
Le serveur perd son sourire, et après un regard amer à la nuque de mon voisin, il me regarde à nouveau. Je lui souris : à mon tour d'être amusé.
« Un thé glacé s'il vous plait. Merci »
Il repart, la mine sombre. A côté de moi, le prince de glace se redresse, croise ses longues jambes et me regarde, l'air passablement ennuyé. J'avale ma salive avec difficulté, puis me lance.
« Bonjour.
‒ Vous l'avez déjà dis ça.
‒ Si vous ne me laissez pas parler, on n'y arrivera jamais ! »
Il est surpris par ma brusque exaspération, puis un sourire amusé joue sur ses lèvres. Il semble me trouver distrayant, et j'ai du mal à décider si je dois être vexé ou flatté. J'élude la question et reprend, en tentant d'être aussi calme que possible malgré son regard fixé sur moi derrière les verres miroir.
« Je m'appelle Harry. Je suis un étudiant en troisième année aux Beaux-arts. Et cela fait un certain temps que je vous ais remarqué. »
Il a l'air franchement surpris, ses sourcils se soulevant, et je rougis, me demandant si je ne passe pas pour un fou. Je tente de me justifier.
« Nous prenons le même métro chaque matin. »
Il hausse vaguement les épaules avec indifférence. J'ai l'impression de prendre une claque – ce qui est stupide car je sais déjà qu'il ne m'a pas regardé une seule fois, puisque moi-même je passe mon temps à le fixer – mais je refuse de me laisser désarçonner et je poursuis.
« Pour obtenir ma licence, je dois réaliser une œuvre d'art. Et… et j'aimerais que vous soyez mon modèle. »
Voila, c'est dit. Impassible, il me fixe. Je tuerais pour pouvoir voir ses yeux, mais je ne vois que le reflet de mon pauvre visage tordu par l'angoisse. Il sourit enfin :
« Pourquoi je ferais ça ? »
J'ouvre la bouche, mais rien ne vient. Pourquoi ? Mais… Parce que ! Ca DOIT se passer comme ça, vous devez accepter ! C'est le destin qui vous a placé sur ma route. L'image de votre visage m'empêche de dormir depuis des semaines, je me relève la nuit pour dessiner une énième fois vos mains délicates, le godet de gris de ma palette d'aquarelle est quasiment épuisée parce que j'ai passé trop d'heures à tenter de retrouver les milles nuances envoutantes de vos yeux…
Bien sur, ça, je ne peux pas le dire. D'une part, parce que ca n'aurait sans doute pas constitué une raison valable à ses yeux, et d'autre part parce que je risque surtout de l'effrayer.
Le serveur arrive précisément à cet instant, alors que je suis toujours là, la bouche ouverte dans une grimace de surprise grotesque, figé. Il dépose avec plus de force que nécessaire le verre de Perrier devant ma muse avant de me donner mon verre. Il pose enfin l'addition, puis s'en va sans un mot.
L'objet de mon obsession se laisse à nouveau aller contre son dossier, regardant le soleil jouer dans le feuillage des arbres pendant que ses doigts délicats tracent des arabesques mystérieuses dans la condensation sur son verre.
« Si vous voulez, je suis prêt à vous payer. »
Je crois que je vis l'expérience la plus incroyable de ma vie en cette seconde : tous mes organes se sont compactés en une minuscule boule de chiffon au moment où son rire cristallin s'est envolé dans l'air. Je rougis, plus parce que ce rire inattendu me trouble et m'électrise que parce que je me sens ridicule. Il se tourne vers moi, un sourire franchement amusé aux lèvres.
« Vous croyez vraiment qu'un jeune étudiant ait grand-chose à m'offrir ?
‒ C'est pas parce que je suis étudiant que je suis fauché !
‒ Je n'ai pas besoin d'argent.
‒ Je ferais ce que vous voulez. Dites moi ce que vous voulez, et vous l'aurez. »
Son sourire change, se faisant calculateur, plus mystérieux. Je frissonne.
« Vous savez que vous êtes amusant ?
‒ Je suis sérieux.
‒ Je le vois bien. C'est ça qui est drôle. »
Le silence s'étire, je ne vois toujours que mon reflet angoissé dans ses Ray Ban. Il ne dit rien, et me regarde, un mince sourire aux lèvres.
« Ecoutez, je ne sais pas ce que je pourrais faire pour vous convaincre, mais il faut que ce soit vous. Vous êtes juste… parfait pour mon projet. Je ne vois personne d'autre que vous. Peut-être que vous allez me prendre pour un malade, mais il faut que ce soit vous, et personne d'autre. »
Je rougis un peu, je me sens pitoyable, avec ma voix suppliante. Et ces foutues lunettes qui me renvoie cette image de moi en train de mendier son aide à cet inconnu au visage soudain plus grave. Il prend une grande inspiration, et bascule sa tête en arrière, son sourire étrange étirant ses lèvres. Mes yeux errent sur son profil familier, et je vois qu'il a les yeux fermés sous ses lunettes, comme pour savourer la chaleur du soleil sur son visage. Puis il se redresse sur sa chaise, les quelques mèches de cheveux qui ont échappé à la prison de gel volètent délicatement. Il me regarde à nouveau.
« Et dans la pratique, comment ça se passerait ? »
Je suis ébahi, quelques secondes, mais en voyant mon air de crapaud figé dans ses verres teintés, je me reprends et me racle la gorge.
« Je ne sais pas encore… disons que j'ai différents projets. En fait, nous avons un thème imposé, et j'ai différentes pistes d'exploitations de ce thème. J'emploierais différents médias, photographie et également peinture. Je pense que vous êtes un homme très occupé, par conséquent je ne vous imposerais pas de poser pour les tableaux, je travaillerais sans doute à partir de pas mal de photos et de croquis, pour essayer de minimiser le temps que vous aurez à m'accorder. Il faudrait que vous veniez à mon atelier, et vous poserez pour moi… »
Je me racle à nouveau la gorge, et me tortille sur ma chaise. La partie sensible arrive. Pourvu qu'il ne se sauve pas en me traitant de pervers.
« Il faudrait que vous posiez nu. Vous déterminerez la durée des séances, ainsi que les horaires. Mais il faudra que vous vous pliiez à mes demandes dans la mesure du possible pendant ces séances. Rassurez-vous, je ne vous demanderais pas de choses trop… bizarres. Rien de plus que ce qu'on demande à un modèle standard. »
Il me scrute, un léger sourire aux lèvres, et je ne sais pas quoi faire. Il ne semble pas offusqué. C'est bon signe, ou pas ?
Je tente de me donner contenance en buvant une gorgée de mon verre, mais je manque de m'étouffer, et abandonne. Son sourire s'agrandit, je sais déjà qu'il adore me voir si déstabilisé par lui. Le silence me semble durer infiniment.
« Une fois encore, Monsieur, c'est impossible à expliquer mais vous n'imaginez pas à quel point cela est important pour moi. »
Il me tend la main.
« Épargnez-moi les « monsieur », par pitié. Je ne suis pas beaucoup plus vieux que vous, appelez moi Drago. »
Un peu hésitant, je lui sers la main. Même son prénom est irréel. Et que signifie cette poignée de main ? Est-ce sa façon de sceller notre accord ? En tout cas, sa main semble aussi délicate et fragile que de la porcelaine, je suis même surpris qu'elle soit tiède et non aussi glaciale que son comportement.
Je regarde nos mains réunies un instant, et ca semble presque ridicule. Il y a encore des traces de peinture verte et rouge sous mes ongles à moitié rongés, mes larges mains aux doigts un peu noueux sont sèches contre la main soyeuse de Drago. Mais plus que tout, ce qui me choque, c'est le contraste, la soie lactée de sa peau rencontrant ma paume caramel. Un peu à contre cœur, je laisse ses doigts m'échapper alors qu'il met fin à la poignée de main. Je tente de reprendre pied.
« Est-ce que ça signifie que vous acceptez ?
‒ On peut dire ça je crois.
‒ Et… quelle est votre condition ?
‒ Je ne sais pas encore. On verra le moment voulu, d'accord ? »
Son sourire est à nouveau mystérieux, je ne sais pas jusqu'à quel point je dois être inquiet. Il se redresse, et vide d'une traite le fond de son verre d'eau pétillante avant de sortir de sa poche un téléphone dernier cri.
« Bon, vous êtes libre disons… dans deux jours, à… 21h ? »
Je m'apprête à acquiescer quand je m'interromps, frappé par une évidence.
« Voila, je sais que ça va sans doute vous déranger… mais… je préfèrerais qu'on se voie avant la nuit.
‒ Vous êtes un loup-garou ?
‒ Quoi ? Non ! »
Je suis dérouté, le prince de glace fait de l'humour tout à coup. Je pouffe avant de reprendre, rougissant à nouveau :
« C'est juste… Votre peau accroche la lumière d'une façon… admirable, et je préfèrerais profiter de vous en lumière naturelle. Enfin je veux dire, pas profiter dans le sens… vous savez, vous prendre en photo. »
Je balbutie et me liquéfie face à son sourire amusé qui grandit au fur et à mesure que je m'enfonce dans mon siège. Il pose son téléphone sur la table devant moi.
« Inscrivez l'adresse de votre atelier et votre numéro de téléphone, je vous contacterai quand je connaitrais mes disponibilités. »
Je tente de maitriser les tremblements de ma main et tape les informations demandées sur le téléphone, luttant contre l'écran tactile récalcitrant. Je le sens amusé par mes difficultés, et une douce chaleur se répand en moi, sans que je sache définir ce que c'est. Je lui tends son téléphone qu'il reprend d'un geste rapide. Nos doigts se frôlent à nouveau, m'électrisant pendant qu'il glisse le téléphone à sa place. Il se lève, ramasse sa mallette et saisit ses lunettes à deux doigts, les descendant un peu sur son nez pour me regarder par-dessus ses verres :
« Vu que vous étiez prêt à me payer, vous ne vous offusquerez pas si je vous laisse l'addition ? »
Je reste muet, fasciné par la manière dont ses yeux accrochent les rayons rasants de cette fin d'après-midi. Il est incroyablement beau quand il sourit et mon cerveau reste bloqué sur cette constatation alors qu'il remonte ses lunettes et tourne les talons, disparaissant rapidement dans une rue transversale.
Je reste figé stupidement à regarder l'angle où il a disparu pendant de longues minutes, puis soudain, une foule d'idées nouvelles m'assaillent : cette courte entrevue m'a totalement électrisé, et des dizaines de nouveaux projets jaillissent dans mon esprit. Je coince un billet de 10 euros sous mon verre, avant de me lever et de partir en courant : le métro prendra trop de temps, il faut que je regagne mon atelier, maintenant ! Je n'ai pas la patience d'attendre. Une certitude domine en moi : cet homme mystérieux dont je ne connais que le prénom a bel et bien transcendé mon existence de petit étudiant en art sans talent, et je pressens déjà que ce n'est que le début...
NOTES:
(0) L'Homme qui marche est un bronze de Rodin. Exposé au musée Rodin, à Paris. Ca représente un homme (sans bras ni tête) qui marche. On se demande d'ailleurs où ce cher vieil Auguste va chercher les noms de ses œuvres ! Quelle créativité ! Chapeau l'artiste…
(1) ENSBA pour les intimes. Je n'y connais absolument rien, il me fallait une école d'art, j'ai pris celle là au pif, pour plus d'infos, Google it ! Je raconterais pas mal de conneries sur cette école, et en bons lecteurs magnanimes, vous me pardonnerez.
(2) Et oui, c'est lui ! Devinez qui est l'inconnu du métro =P
(3) Pour un peu, je le ferais scintiller, façon Twilight =P *tiling tiling tiling*. Non. Résiste. C'est le mal…
Voila le premier chapitre ! Vous savez à quoi vous avez à faire maintenant =) Et ce que vous avez à faire aussi *clin d'œil entendu tout en montrant du doigt la ligne « review this chapter »*
Ah, un truc ! Ouais j'ai dit que je freinais sur le tapage de vie mais j'ai eu envie de partager un truc avec vous (et peut-être que les concernés passeront par là XD). Ma coupine Gwen (rebaptisée récemment Syulang) m'a signalé qu'elle avait fait une recherche sur « Netellafim » dans Google (ia des gens qui s'ennuient, que voulez vous !). Outre la pléiade de liens sur le manwha Priest, d'où vient mon pseudo, il y avait, selon ces mots « des trucs qui pourraient éventuellement te plaire, très élogieux ! ». Vous me connaissez, je passe jamais à côté d'une occas' de me faire cirer les pompes :P Alors dès que j'ai eu 5 min de libre, j'ai ouvert avec la plus totale désinvolture une page internet (je dis ca pour pas dire « j'ai immédiatement sauté sur Google comme la misère sautant sur le monde, selon l'expression de ma mère » XD), et j'ai été voir ça. J'ai passé cinq minutes, me suis retrouvée entre autre sur des skyblogs parlant de yaoi, et ait surtout été frappé par deux choses ! La première, c'est qu'une fille utilisait une de mes phrases comme signature quand elle laissait des reviews sur DeviantArt (Mlle Tomate, si tu passes par là…). L'hallu totale XD Genre on me cite maintenant, ça y est, je suis un auteur :P \o/ Et l'autre truc qui m'a bien fait marré, c'est une fille du pseudo de Moony sur un forum qui parle de moi en des termes… euh… voyez par vous-même, j'étais partagé entre une envie de rougir et une envie de crier « HEY ! » : « Je suis tombée amoureuse définitivement de l'écriture de Netellafim [ c'est normal mon enfant, je fais souvent cet effet-là (h) =P ] . Magnifique. Même quelqu'un qui n'aime pas le YAOI se doit de lire ses lignes ! Ouais bon il est quand même conseillé d'aimer le YAOI... En plus dans les notes qu'elle écrit avant les chapitres elle semble être folle, ce qui renforce terriblement mon amour-propre ) et elle a de bons gouts musicaux. » Vous comprendrez facilement pourquoi j'ai eu envie de crier « HEY ! » XD Bon, et bien je tiens à rassurer mademoiselle Moony et à rétablir la vérité : j'ai pas seulement l'AIR folle, je SUIS folle ! MWAAHAHAHAHAHAHHAA !
* part en courant de traviole, ne portant qu'un pagne tressé à partir d'orties fraiches, un entonnoir sur la tête, sa crinière fauve lâchée flottant derrière elle alors qu'elle hurle comme une démente quelque chose qui ressemble étrangement au mot « zigounette »…*
Voila, ca c'est fait. Sur ce, je vous laisse, j'ai piscine sur gazon là tout de suite !
Tcho =)
Netellallumée
PS: Comme cette ficiton a trooooop la classe, elle a déjà été honorée par un fan-art avant même d'avoir été publiée ! Merci Noweria à ton super super trop beau fan-art qui poutre tout \o/ Il roxx grave, je le surkiffe ^^ Et pour ceux qui voudraient voir, ia un lien sur mon profil :)
