Bonjour ou bonsoir ici ! :)
Ah, ça fait presque bizarre de ne poster que toutes les deux semaines, vous savez. Du coup, oui, je suis assez absente et du coup je tarde à répondre aux PM et reviews et je ne lis pratiquement plus rien ces temps-ci... Désolée. Je tacherai de remédier à ça pendant les prochaines vacances !
Enfin, voici un projet prévu pour le concours/défi PAST STORY de la SPPS, qui consiste à écrire sur le passé d'un ou de plusieurs personnages secondaires. J'ai choisi Ul et Lyon parce que... Bah, déjà parce qu'il y a pratiquement rien qui traite de la relation d'Ul et LYON (et pas Grey, même si j'adore Grey), et puis parce que l'idée qui a donné naissance à cet OS m'est venue en regardant l'épisode du sacrifice d'Ul, lorsque Lyon lui hurle de ne pas la trahir. Je n'avais pas fait attention à ce point la première fois, du coup, j'ai tout simplement eu envie d'écrire quelque chose qu pourrait l'expliquer, et voilà. Et puis quand c'est pour la SPPS, on ne se retient pas :p
Bonne lecture à vous en tout cas, j'espère que ça vous plaira :)
Chronologie : Avant la rencontre de Lyon et Ul. En revanche, pour ceux qui n'ont pas fini l'arc de Tenrou, il y a un léger spoil à propos d'Ultear.
Genre : Angst et euh... Hurt/Comfort ?
Rating : K+
Personnages : Lyon et Ul.
Disclaimer : Les personnages de Fairy Tail ainsi que son univers appartiennent à Hiro Mashima.
— Ice Make : Eagles —
Des murmures.
C'est tout ce qu'elle percevait, alors qu'elle traînait son corps terriblement amaigri et fatigué vers la petite maison qu'elle commençait vaguement à apercevoir, avançant péniblement dans le blizzard glacé d'un éternel hiver. La blancheur immaculée de la neige s'étendait à perte de vue, si bien qu'elle ne savait plus tout à fait depuis quand elle marchait, où elle était ; ses pas la portaient sans qu'elle ne sache réellement où, faisaient d'elle une poupée, une marionnette sans but ni conviction, sans volonté.
Et les murmures la poussaient à continuer.
Certains du village avaient peut-être tenté de l'arrêter, de lui donner à manger ; elle n'avait rien vu, rien entendu. Elle ne comprenait pas, ne voyait pas, n'entendait pas ; ses gestes se résumaient qu'à des automatismes, des habitudes.
Il fallait qu'elle rentre – et c'était tout. Elle avait froid, elle avait faim, elle était épuisée, détruite, ravagée ; mais il fallait qu'elle avance.
Sa peau claire était encore plus pâle que d'habitude, striée de sillons blancs de larmes gelées. Ses yeux ne brillaient plus, perles de néant à jamais silencieuses ; ternes, presque morts, ils n'étaient plus que le reflet de ce qu'elle était. Une pauvre carcasse congelée avançant lentement à travers la neige, comme un automate cassé, une machine tombée qu'on aurait relevée sans prendre la peine d'y insérer la pièce la plus importante, se contentant des services, bien que plus pauvres et moins efficaces, qu'elle nous apportait. Ses os saillaient sous sa peau grise, à peine recouverte d'une tenue de voyage à laquelle elle avait ajouté une simple veste de cuir. Elle avait toujours vécu dans le froid, manipulé le froid. Elle était le froid ; alors le blizzard ne lui avait jamais fait peur, la glace et la neige avaient toujours été ses terrains de jeu, son refuge, un paradis inespéré, fait de silence et de rêves tombant doucement sur un manteau immaculé – et de murmures, d'imperceptibles et diffus murmures.
Pourtant, pour la première fois, Ul avait froid.
Elle ne devait pas s'arrêter – sinon elle ne trouvera pas la force de continuer. Elle ne devait pas tomber – ou elle ne se relèvera jamais. Continuer. Il fallait continuer.
Elle avait froid d'une façon qui ne s'expliquait pas. Son cerveau lui dictait de rentrer chez elle, dans sa maison, loin des autres et du monde, recouverte de neige et bercée par des murmures qui lui énuméraient toujours la même chose. Elle s'appelait Ul Milkovich. Elle était une mage indépendante, probablement la plus puissante que le nord n'ai jamais vu. Elle avait une maison. Elle était puissante, reconnue et respectée – mais elle vivait seule.
Seule ?
Le froid s'accentuait à chacun de ses pas, comme si chaque centimètre qui la rapprochait de chez elle représentait un pas de plus vers le gouffre qu'elle avait tenté d'esquiver, la vérité qu'elle ne pouvait pas accepter ; et pourtant, elle ne pouvait que se résoudre à avancer. C'était comme essayer d'ignorer la douleur d'une blessure qui saignait abondamment – et sans doute n'était-ce même pas si différent. Il fallait absolument qu'elle y aille – et elle ne savait pas pourquoi.
Elle savait juste. C'est tout.
Elle s'appelait Ul Milkovich. Elle était libre, indépendante, oui. Elle était puissante, elle était respectable et respectée. Elle avait des principes, une éducation que lui avaient offert un groupe de mages nomades, de passage dans sa région et qu'elle avait suivi avant de s'installer ici. Le conseil songeait à lui proposer un des illustres titres de mage saint, de ce qu'on lui avait dit ; et déjà à l'époque, elle avait refusé. Elle avait refusé, parce qu'elle avait quelque chose de plus important, quelque chose qui comptait plus qu'un de ces rangs.
Mais quoi ? Pourquoi avoir dit non ?
Ses bras étaient serrés autour de sa poitrine, et elle marchait alors recroquevillée, le regard vide, la tête baissée – comme si elle avait froid. Pourtant, son corps avait été entraîné pour ne pas ressentir le froid, et ce dernier avait été son ami, son allié, celui qui pouvait menacer mais qu'elle avait appris à maîtriser...
Et elle avait froid. Son cœur n'était qu'un grossier morceau de glace fêlé, entaillé, prêt à se briser. Il n'était qu'un morceau de glace – et tout autour, elle avait froid, elle avait mal, de l'intérieur, d'une façon qu'elle ne pouvait pas expliquer, qu'elle ne chercha pas à retrouver.
Parce que ce qui comptait le plus avait sombré dans les méandres profondes et glaciales de l'oubli. Ce pourquoi elle avait tout plaqué, tout sacrifié, tout repoussé n'était plus ; et les épreuves endurées semblaient s'acharner à raviver les vieilles cicatrices qu'elle avait crues à jamais disparues.
Et elle avait tellement mal qu'elle se retrouvait incapable de trouver ce que c'était. Une partie d'elle-même. La prunelle de ses yeux, sa fierté, son cœur, la magie qu'elle avait apporté à ce monde, le cadeau qu'elle lui avait offert. Ce qui comptait le plus – son amour, sa chaleur, sa douceur.
Sa larme.
Sa larme ; cette larme qui n'était plus. Cette larme qui avait gelé, cette larme qui s'était évaporée, cette larme dont l'absence la déchirait, la lacerait, l'étranglait, la noyait de l'intérieur, l'empêchait de réfléchir, de parler, de respirer.
Et autour, se glissant entre deux pas lourds et épuisés à travers l'épaisse couche de neige virevoltaient les murmures, rare chose qu'elle entendait sans vraiment percevoir. Les murmures du passé, les souvenirs qui ne parvenaient pas à s'effacer.
La petite voix de la fille qu'on lui avait enlevé.
Elle avait dû résister, ne pas tomber à chaque fois que cette constatation revenait la frapper de plein fouet, une plainte douloureuse s'échappant de ses lèvres tordues dans une grimace de douleur. Mais elle continuait d'avancer, bercée par les murmures du passé ; pourquoi s'arrêter, après tout ? Ce ne sera qu'une larme de plus qui coulera sur sa joue, une larme qui finira gelée.
Et les murmures continuaient de fuser.
La neige continuait de tomber, sa chute étouffée par les flocons délicats qui s'amoncelaient et s'emboitaient, formant une couche épaisse de neige au manteau poudreux. Le vent gémissait, glacial blizzard déterminé à tout recouvrir, tout ravager. Le ciel n'était plus qu'un amoncellement de nuages sombres, nuit précoce et pourtant perpétuelle dans cette région du nord.
Mais jamais Ul n'eut aussi froid. Jamais le ciel ne lui parut aussi sombre, jamais la neige ne lui parut aussi pénible à traverser.
Et, toujours, silhouettes dansantes faites de flocons dentelés virevoltaient les ombres, murmures des souvenirs qu'elle avait cru oubliés. Les murmures qu'elle ne parvenait pas à brider, les murmures qui la déchiraient, les murmures qui la transperçaient – la faisaient avancer.
« Ul...Tear. »
Les parois de son cœur se fissurèrent encore. Les larmes étaient là, prêtes à couler, à affluer, et elle se sentait au bord du gouffre, sur le point de craquer ; mais il fallait qu'elle avance. Pour mieux pleurer ensuite, pour craquer d'avantage après ? Elle ne savait pas, ne savait plus, ne voulait pas savoir.
Il fallait juste continuer à avancer.
Elle n'avait plus aucun courage, plus aucune volonté. Son cœur se fissura encore un peu à la vue de sa maison, en bas d'une colline enneigée ; cette maison où elle vivra désormais seule, cette maison où plus personne ne l'attendait.
Elle avait mal. Comme pour la blesser encore un peu plus, comme éclater davantage son cœur de glace, les flocons s'assemblèrent sous ses yeux en un regard semblable au sien, une silhouette fragile, en un sourire innocent.
En un murmure, qui disait d'une voix pleine d'espoir et d'amour un faible mais heureux : « Maman ».
« Ul... Tear. »
Et peut-être était-ce sa punition, en fin de compte.
La fissure s'élargit dans un craquement sinistre, en même temps que celui du bois des marches qu'elle escalada difficilement ; la fin du voyage était là, juste là. Bientôt, elle allait pouvoir pleurer, elle allait pouvoir craquer, se fissurer, se briser, éclater.
Sa punition pour ne pas avoir su la protéger ; alors, comme l'épée de Damoclès qui se levait, prête à s'abattre et à tout balayer, des ciseaux de glace tranchèrent brusquement les fils transparents faits d'espoir et de murmures qui la retenaient, dans un claquement aussi sec et net que la craquelure de son cœur à l'entente des mots qui l'avaient brisé.
« Morte. Votre fille est morte. »
Et lorsqu'elle referma la porte derrière elle et que ses genoux rencontrèrent lourdement le sol, la douleur dans sa poitrine fut si forte que tout le reste n'eut plus aucune importance.
« Ul... Ultear... Ul... Tear... »
Tout ce qui lui restait, tout ce à quoi elle pouvait se raccrocher. La preuve qu'elle avait existé, son cadeau au monde. Sa fille, sa larme. Sa Ultear.
Morte.
Les prunelles d'encre d'Ul s'ouvrirent dans la pénombre, l'englobant dans une ambiance sombre et bleutée, froide à tout jamais ; et personne ne vint lui souhaiter bon retour, aucun sourire ne se décida à illuminer la pièce, aucune voix ne brisa le silence pour l'appeler avec tant d'amour et de joie – non, personne ne se décida à faire quoi que ce soit.
Seulement des murmures.
On disait que pleurer pouvait soulager ; Ul savait que c'était faux. Les larmes coulaient de ses yeux désespérés, dévalaient le long de ses joues, intarissables, insatiables ; mais ça ne lui fit aucun bien.
Ça ne lui rendra pas sa Ultear.
Ça faisait mal, ça l'étranglait, l'empêchait de respirer, de parler ; c'était le contrecoup, le prix à payer pour ne pas avoir sût protéger sa fille, pour l'avoir envoyé mourir loin d'elle, toute seule, sans elle. Sans sa mère pour la protéger, sans sa mère pour la rassurer, sans sa mère pour rester simplement à ses côtés.
Elle l'avait laissé toute seule, loin d'elle. Elle l'avait envoyée mourir.
Ses mains cherchèrent quelque chose à se raccrocher ; n'importe quoi, un meuble, un objet.
La mage de glace attrapa le pied d'une chaise ; l'instant d'après, il se gela instantanément et éclata en mille morceaux, qui s'éparpillèrent autour d'elle en mille brisures gelées, comme l'était son cœur détruit dans sa poitrine soulevée de sanglots continus et de cris désespérés.
« Ul... Ultear. Ul... Tear. »
Morte.
Tout n'était que froid et silence ; les hurlements lui déchiraient la gorge, laceraient ses poumons. Les larmes s'échappaient sans discontinuer de ses yeux exorbités, perles de souvenirs s'écoulant de fragments déchirés de néant brillants de douleur.
Et plus rien ne comptait, plus rien n'existait. Pleurer ne lui fera pas du bien ; parce qu'elle était morte. Morte, disparue, seule et loin d'elle à tout jamais. Ça ne la soulagera pas ; parce que quand elle aura fini de pleurer, quand elle décidera de se réveiller, la situation restera la même. Elle ouvrira ses yeux rougis et humides de larmes gelées sur le vide et le silence. Elle ne pleurera plus, ne criera plus, tellement noyée dans la douleur qu'elle se verra incapable de la ressentir.
Mais Ultear ne sera pas là. Ultear ne sera plus là. Ultear ne répondra pas à ses appels désespérés, Ultear ne sourira pas, ne grandira pas, ne l'appellera pas.
Parce qu'Ultear n'était plus ; et, plongée dans la solitude, la douleur et l'obscurité, il ne restait à Ul plus que ça.
Des murmures perdus, chantant les plaintes de sa culpabilité ; les murmures du souvenir de la fille qu'on lui avait enlevé.
Alors, dehors, accompagnés d'un vent mugissant, les murmures continuèrent de danser, virevoltant au rythme des pleurs et des cris désespérés ; et ils dansaient, ils dansaient...
« Eh, t'as entendu ça... Parait que la petite Milkovich sort plus de chez elle. Tu l'as vue ces temps-ci, toi ? »
Ses yeux en amandes se laissèrent glisser vers un gouffre fait de rêves, fixant sans vraiment le voir le contenu du bol qu'on venait de lui servir. L'odeur du l'air chaud lui chatouillait les narines, et ses mains vinrent se poser à proximité du récipient, appréciant les délicats picotements qui se propagèrent dans ses doigts comme des millions de petites aiguilles de glace à la chaleur rassurante.
« Ouais... Parait qu'sa fille est morte. Trop de magie, apparemment. »
Les mots tintèrent à ses oreilles comme un appel, un son auquel il ne parvenait pas à résister. « Magie ».
La chaleur du lait chaud s'infiltra depuis sa gorge pour se glisser avec douceur jusqu'à son estomac vide. Quelques pièces de plus, et il se remplit la panse avec une part de cet espèce de pain gigantesque, dont les pépites de chocolat le firent frémir d'un soulagement certain. « Magie ».
La même magie qui coulait en lui ? Ce pouvoir bien présent mais qu'il ne parvenait pas à maîtriser, à modeler, ces vagues de chaud et de froid qui l'effrayaient autant qu'elles le fascinaient, ce qui lui avait valu de partir de chez lui ?
La curiosité qui avait éveillé son esprit diffusa une douce chaleur dans ses membres encore tremblotants de froid ; alors, attentif, observant silencieusement un nuage de chocolat en poudre disparaissant dans les profondeurs nacrées du breuvage milieux et sucré, il fit tourner la cuillère dans le fond du bol et écouta attentivement, l'absence du poids de son sac de voyage sur ses épaules lui faisant comme pousser des ailes dans le dos.
« Pauvre petite... J'me souviens encore, elle était toute gentille, la gamine.
— Tu l'as dit mon gars, tu l'as dit... En tout cas, elle sort plus de chez elle depuis ça. Ma femme est allée lui apporter de quoi s'nourrir, y'a quelques jours. Elle a même pas dit merci, mais on en a pas fait toute une histoire. Ça fait des années qu'elle voit personne, à ce qu'elle m'a dit...
— Ouais. C'est dommage, quand même. C'était une sacrée mage, celle-là... »
Quelques gouttes vinrent perler à ses lèvres, tandis qu'il observait son reflet déformé par la petite cuillère argentée. La courbe arrondie du dos de l'instrument capta la lumière qui faisait briller ses courts cheveux à la teinte immaculée, encore humides à cause du temps qu'il venait de traverser. Quelques flocons dentelés s'y trouvaient encore, logés entres deux épis clairs ; mais il n'y fit pas attention, avalant machinalement ce qu'on lui avait servi à manger.
Il fallait qu'il écoute. Il fallait qu'il sache.
« Magie ». Ce mot raisonnait dans sa tête, dans son cœur, dans son esprit. Lointain souvenir, conviction brûlante, pouvoir à double tranchant. La dernière fois que la « Magie » s'était manifestée en lui, il avait certes détruit toute une aile du manoir où il avait vu le jour, il avait également failli y rester ; alors on lui avait demandé de partir. On lui avait donné de l'argent et de beaux vêtements, et alors qu'elle caressait pensivement la vie d'une petite sœur ou d'un petit frère à venir, sa mère avait posé un regard froid sur lui et lui avait dit d'y aller. De devenir puissant. De ne revenir qu'une fois que la « Magie » sera maîtrisée – alors il avait obéi, il l'avait fait. Il l'avait regardée une dernière fois, posé un regard aussi aimant qu'étrangement accusateur et méprisant sur cette femme dont il tenait les cheveux blancs, et puis il était parti, sans un mot, sans un geste de plus. Parti ; et à présent, il ne lui restait que ça.
Des murmures.
Rien que des murmures.
Le garçon détacha lentement son bol de ses yeux noirs en amande et laissa glisser son regard jusqu'à deux hommes au loin, penchés au dessus de la table où ils étaient assis pour parler à voix basse, leurs mains gantées et habillées à l'image des couches de fourrure dont ils étaient vêtus tenant fermement leurs chopes de bière. Le liquide ambré fut porté à leurs lèvres et l'écume blanche resta sur la moustache de l'un d'entre eux, qui s'essuya brièvement du dos de la main. Rien que deux hommes de la région qui discutaient des derniers événements. Rien que deux hommes qui s'échangeaient les ressentis qu'il en résultait.
Des murmures ; juste des murmures qu'il écoutait.
« Tu penses qu'un autre mage viendra lui succéder ?
— Hm... Nan mon gars. Elle, c'est la plus puissante de tout l'nord. Y'aura sûrement pas plus fort qu'elle avant un bon petit moment... »
« Puissante ».
Un sourire pensif vint étirer ses lèvres, avant que le reflet de la lumière dans son bol de lait ne soit troublé par le morceau qu'il y laissa tomber. Et alors qu'il regardait le pain se gonfler, absorber tout le liquide qu'il pouvait, il se dit que c'était peut-être la même chose avec le mot « Puissance ». Peut-être qu'on ne reconnaissait les puissants que parce que le mot « Puissance » absorbait les porteurs du mot « Faiblesse ». Peut-être que les faibles ne disparaissaient qu'au profit des plus forts, pour que chacun ait sa place, chacun ait son rôle.
N'était-ce pas ce qu'il s'était dit quelques jours plus tôt, après tout ? N'était-ce pas la pensée qui avait traversé son esprit étrangement serein, lorsqu'un messager lui avait apporté la nouvelle de la mort de sa mère, envolée en donnant la vie à un enfant qui n'avait lui-même pas survécu ? N'était-ce pas comme ça qu'était la vie, après tout ?
Il y avait eut d'autres mots après ça. « Héritage », « Tutelle », « Responsabilités ». Mais lui, il n'en avait retenu qu'un seul, alors que son visage calme souriait, alors qu'il se remettait inconsciemment à marcher, sans se fatiguer, sans discontinuer.
« Trahison »
Sa mère l'avait trahi, sa mère était partie. Sa mère était faible, et elle avait quitté ce monde pour un plus puissant qu'elle. Le petit frère ou la petite sœur qu'il avait autrefois attendu n'était pas moins coupable ; faibles, faibles, faibles. Tous des faibles, des incapables.
Tous des traîtres.
« Où est-elle ? »
La voix brisa le silence, claquant comme le tintement léger de deux lames de ciseaux qui s'entrechoquaient, s'effleuraient, se caressaient, se mouvant avec grâce et précision mortelle de la main du destin lui-même ; et de la même façon, vive et pleine de détermination, elle brisa la bulle formée autour des deux hommes, qui se figèrent tout à fait, sur le coup. Ils posèrent alors un regard étonné vers ce jeune garçon qui venait de prendre la parole, ses propres yeux sombres les détaillant avec autant de curiosité qu'une bien étrange avidité.
Les deux hommes se consultèrent du regard ; un voyageur ? Un gamin de son gabarit qui voulait des informations à propos d'Ul ?
« Pourquoi tu veux savoir ça, petit ? demanda quand même l'un d'entre eux, l'étudiant d'un œil posé mais quelque peu méfiant, prudent.
— Vous avez dit que c'est elle la plus forte. C'est vrai ? »
La curiosité avait laissé place à un sourire rêveur et admiratif sur son visage aux traits arrondis par l'enfance, sans qu'il ne s'en rende lui-même compte. Quelques souvenirs de sa mère passèrent devant ses yeux, tentèrent peut-être de le raisonner ; mais au fond de lui, quelque part dans son cœur, peut-être, le mot qui en résultait sommeillait toujours, menace omniprésente sur sa conscience, crainte qu'il se poussait dorénavant à combler, à surmonter.
« Trahison »
L'un des deux hommes eut un sourire, quelque peu rassuré. Qu'est-ce qu'il pourra bien lui faire à Ul après tout, ce gosse d'à peine sept ou huit ans ? Qu'est-ce qu'il y avait de mal à ce qu'il veuille la rencontrer, puisque de toute manière elle refusera sûrement de le voir, lui et ses yeux rêveurs, lui et sa carrure encore chétive, si peu habituée au froid ? Qu'est-ce que ça pourra bien faire, hein ?
« Oui, petit. Ici, dans le nord, c'est sûrement elle la plus puissante. J'en connais pas un qui lui arrive à la cheville, ma foi... », finit par répondre l'un d'entre eux avec un sourire amusé, qui s'agrandit davantage en voyant le regard du petit, d'autant plus brillant, d'autant plus rêveur, si c'était possible.
Les paroles de l'autochtone raisonnaient dans l'esprit confus de l'enfant, les mots se répercutant indéfiniment comme des grelots d'argent le long de ses parois de rêves, effaçant les craintes et les doutes qui avait un jour pût obscurcir ses horizons de leur son clair et cristallin.
« La plus puissante »
Elle n'a jamais été égalée. Elle n'a jamais trahi personne, elle n'a jamais abandonné qui que ce soit. Les gens comptent sur elle, un poids lourd repose sur ses épaules. Puissance, puissance, puissance.
« Trahison »
Elle ne le trahira pas ; parce qu'elle ne mourra pas. Elle était puissante ; il fallait donc qu'il le devienne. Qu'il soit puissant à son tour, qu'il ne soit pas le prochain faible à mourir et à laisser sa place – il ne voulait pas mourir, mourir et partir, s'envoler vers le ciel avec la grâce de la neige lorsqu'elle tombait, s'envoler comme sa mère l'avait fait.
« Je me demande si elle acceptera de me prendre comme élève... »
Ce n'était que des mots, un souhait ; pour lui, c'était un rêve, un flocon qu'il était déterminé à atteindre, une vie qu'il ne se contentera pas de toucher du bout des doigts – parce qu'il ne voulait pas se contenter de mourir et de tomber, parce qu'il se refusait à trahir, à partir, à s'envoler.
Il contrôlera la « Magie ». Il sera « Puissance ». Il la dépassera pour ne pas mourir et s'envoler. Pour ne pas « Trahir ».
Et depuis ce jour, inconsciemment au début, peut-être, alors qu'il marchait avec deux fois plus d'ardeur dans la neige vers une destination nouvelle, le mot puissance raisonna à ses oreilles comme un gong d'espoir, la voix qui lui disait de ne pas tomber. Le mot trahison ne fut plus qu'une épine dans son cœur, une épine qu'il était sûr de geler et de se débarrasser, une ombre qu'il finira par négliger.
Depuis ce jour, « Ul » s'était allié à « Puissance » et à « But ».
Depuis ce jour, dans ses yeux plein d'espoir et de songes d'enfant qui fut un jour innocent, « Ul » devint « Rêve ».
Et voilà pour cette première partie ! La prochaine sera centrée sur leur rencontre et ce qu'il en découlera. Merci pour votre lecture et à bientôt :)
Bymeha
