"Posez-le là et barrez-vous !" dit une voix pleine d'autorité.
"Là ? Mais c'est plein de merde !"
"Foutez-le là ! Tu crois vraiment qu'on a des lits ? Avec des draps ? Arrête de dire des conneries et retourne au front !"
Le soldat ne savait plus vraiment où il se trouvait. On le portait, ça il le savait. Et il était gravement blessé. Il se sentit jeté à terre. La douleur était insoutenable. Deux hommes se penchèrent au-dessus de lui. Son ventre le brûlait. Celui de droite avait un visage fermé. Celui de gauche grimaçait. Obligé de crier.
"Rah !"
"Va me chercher le maître des herbes," dit celui de droite. C'était la voix de tout à l'heure. Le soldat sentit en lui un besoin de communiquer :
"Je suis en train de crever."
Un large sourire déchira le visage jusqu'alors fermé de l'homme qui se tenait devant le soldat agonisant.
"T'inquiète pas, vieux, le gars que j'ai appelé va te remettre sur pieds en moins de deux. C'est… une sorte de magicien, tu vois. Allez, serre les dents, c'est bientôt fini."
Le soldat rouvrit les yeux. Il s'était peut-être endormi. Ou peut-être était-il tombé dans les pommes. Il avait terriblement mal. Il y avait un homme devant lui, un autre. Il était tout jeune.
"Je me suis pris un coup d'épée dans le bide."
Le jeune homme ne lui répondit pas. La bouche pincée, il effleura la blessure du soldat.
"Aaah !"
"Ne bougez pas. Je suis le maître des herbes. Mon boulot, c'est de vous soigner. Faites-moi confiance."
Le jeune homme fouilla dans une de ses nombreuses sacoches et en sortit quelques feuilles. Il les frotta entre ses mains tout en marmonnant des mots incompréhensibles. Des incantations, sans doute. Puis, en poursuivant ces incantations, il les posa délicatement sur la blessure du soldat.
"Voilà. La blessure n'est pas moche. Dans six heures au plus tard, vous êtes debout." Il sortit une poignée de graines d'une autre sacoche. "Croquez ceci, ça vous fera tenir le choc jusque là."
La magie fonctionnait, le soldat sentait déjà la douleur s'en aller.
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"Duncan, le chef a besoin de toi. Et prends le matériel avec toi."
Duncan attrapa ses six sacoches et suivit l'apprenti guérisseur en trottinant. Il trouva le guérisseur en charge debout devant un corps. Le soldat était éventré. Ignoble.
"Il s'est évanoui sous le coup de la douleur, mais il va se réveiller. Duncan, mon grand, tu fais comme d'habitude, d'accord ?"
Duncan, les mains serrées autour des sangles de ses sacoches, inspira profondément.
"Entendu."
Duncan, immobile, dut bien attendre dix minutes avant que le soldat ne se réveille.
"Je me suis pris un coup d'épée dans le bide."
C'était évident. Tout ressortait, quoi que cela pouvait être. D'ailleurs, sans même être guérisseur, il savait très bien qu'il n'y avait plus rien à faire. Duncan fit mine d'examiner la blessure. La nausée était bien évidemment omniprésente, mais il avait appris à s'en accommoder. C'était son boulot. Il avait oublié cette fois-ci de se laver les mains, mais peu importait, au final.
"Aaah !"
Duncan était sincèrement désolé d'avoir joué avec la douleur du soldat. Mais promis, tout cela sera bientôt terminé.
"Ne bougez pas. Je suis le maître des herbes. Mon boulot, c'est de vous soigner. Faites-moi confiance."
Il sortit quelques feuilles de chêne séchées qu'il avait ramassées à la hâte le matin même pour ensuite les appliquer sur la blessure. C'était triste. Ou ridicule. Pour accentuer l'atmosphère cérémoniale, Duncan avait pris l'habitude de réciter un lai en vieux rohirique qu'il avait appris d'un copain d'enfance.
"Voilà. La blessure n'est pas moche. Dans six heures au plus tard, vous êtes debout."
Là encore, il récitait. C'était son boulot. Il prit machinalement des graines dont le nom lui avait échappé, quatre exactement. Lui les appelait les graines de la mort.
"Croquez ceci, ça vous fera tenir le choc jusque là."
