Ceci est une réécriture de mon OS par Ishtar205, vous trouverez le texte original en chapitre deux. Bonne lecture.


Can I Call You ?

Quand le téléphone sonna, Dean émergea en sursaut d'une nuit de débauche durant laquelle il n'avait presque pas dormi. Mais rien que le bruit du sms le réveilla suffisamment pour qu'il ne puisse plus se rendormir, d'autant que le soleil filtrait par la fenêtre. Cependant, il resta allongé un long moment, sans bouger, s'enveloppant dans la couette chaude. Il avait la bouche pâteuse et se sentait tout courbaturé. Il avait "fêté" ses 24 ans… avec beaucoup trop d'alcool hier soir. Apparemment, c'était le début de la fin de sa folle jeunesse à en juger par ses muscles endoloris. Des courbatures… et puis quoi encore ? Des cheveux blancs ?

Une blonde pulpeuse passa la tête par la porte de la cuisine.

- Tu es réveillé, beau gosse ? Tu veux du café ?

Il émergea de sous la couette, un sourire rêveur aux lèvres, et grogna. La belle blonde sourit et disparut dans un virevoltement de mini-jupe plissée blanche avant de revenir déposer une tasse de café fumant sur la table de chevet en verre, juste à portée de sa main, avec deux doses de sucre et une petite cuillère en argent finement ouvragée. Elle était prête à partir, avec son petit haut rose, ses bijoux en fausses perles et ses boucles blondes parfaitement dessinées, qui caressaient voluptueusement ses épaules. C'étaient les mêmes boucles qui l'avaient attiré la veille au soir quand il avait dû choisir entre blonde et brune… Pour son anniversaire, elles auraient quand même pu lui offrir un plan à trois… Mais bon, il n'allait pas faire son difficile alors qu'une aussi jolie fille lui avait dit oui, dès le premier soir, sans chichis.

- Je dois aller bosser, beau gosse. Il est déjà 11h30, je suis en retard, je vais devoir me passer de pause-déjeuner. Fais comme chez toi. Je reviens ce soir. On remettra ça. J'ai encore des tas de phantasmes en réserve, ajouta-t-elle avec un sourire coquin.

Il lui rendit son sourire. Oui, un beau petit lot et en plus une tigresse au lit. La soirée était un peu floue, mais il se rappelait s'être bien amusé avec elle.

Il s'amusait autant qu'il pouvait depuis que Sam les avaient plaqués, leur père et lui. Enfin, depuis qu'il était parti étudier à la fac 5 mois plus tôt, ce qui a priori n'était pas pareil. Sauf que les deux fortes têtes n'avaient pu s'empêcher de dramatiser, de s'entêter et au final de sceller une vraie rupture. Et il avait assisté, impuissant, à l'éclatement de sa famille. Oh, bien sûr, comme d'habitude, il avait essayé de faire quelque chose, de parlementer, d'arrondir les angles, d'expliquer à chacun la position de l'autre, de trouver un terrain d'entente, de calmer le jeu… comme il le faisait depuis toujours. Mais autant essayer de faire cohabiter deux mâles alphas dans une minuscule cage.

Alors, il se distrayait, n'importe comment, avec n'importe quoi, n'importe qui, pour oublier que sa famille était brisée et que sa raison de vivre avait disparu. Enfin, pas complètement. Il devait toujours chasser les monstres, sauver des gens, la routine quoi. Mais son vrai but, sa vraie mission dans la vie, la seule chose qu'il devait faire, lui tout seul, c'était de protéger Sammy. Et maintenant qu'il n'était plus là, il sentait comme un vide en lui. Il continuait à fonctionner en automatique, sa vie n'était plus que l'ombre de ce qu'elle avait été. Il suivait la routine du chasseur, par habitude, mais le cœur n'y était plus. John ne s'en rendait même pas compte parce que, et Dean ne le comprendrait vraiment que bien plus tard, il était persuadé que tuer Azazel était la clé : il se vengerait et protégerait ses fils. Son père avait toujours sa raison de vivre, lui. Bien sûr, il s'inquiétait pour Sam qu'il ne pouvait plus protéger comme avant, il le voyait bien. Déjà taciturne, il était devenu quasiment muet. Il ne lui parlait plus que pour lui donner des ordres. Ce n'était pas comme s'il lui demandait comment il allait, avant, mais il lui demandait souvent comment allait Sam, ce qui s'était passé en son absence, pour être au courant alors, ils se parlaient un peu, de Sam. Maintenant, il n'avait plus de raison de le faire. Et ça faisait une raison en moins de lui parler.

Il comprenait maintenant aussi pourquoi son père avait un tel penchant pour la bouteille. Saoul, il pouvait oublier quelque temps que son petit frère était loin de lui, qu'il n'avait plus besoin de lui, plus rien à faire de lui… ou au moins se persuader qu'il s'en fichait…. le temps d'une cuite.

La chasse aidait aussi. John l'envoyait de plus en plus souvent en mission seul. Chacun d'eux préférait être seul. Quand ils étaient ensemble, entre eux flottait l'ombre immense de Sam… Son absence était plus difficile à supporter que ses râleries perpétuelles d'ado en colère, qui traîne les pieds et dit non à tout, par principe.

Quand il arrivait à sauver des gens, il se sentait encore un petit peu vivant : il prenait soin de quelqu'un. Certes un quelqu'un très vague, qui ne remplaçait jamais tout à fait Sam, mais il retrouvait au moins l'ombre de cette sensation. La sensation de satisfaction qu'il éprouvait à le faire s'endormir avant que leur père ne rentre pour lui épargner le spectacle d'un John couvert de sang, à trouver du lait frais alors que les finances étaient au plus bas, à se sacrifier pour qu'il aille bien.

Il avait un peu cette sensation quand il luttait contre un monstre, déterrait un corps, chassait un fantôme, tout ça pour protéger des gens qui n'en sauraient jamais rien, ou si peu… Mais cela le maintenait encore un peu en vie.

Et il baisait. Dean avait toujours eu besoin d'affection. Mais Mary n'était plus là depuis longtemps, John n'était pas vraiment le pro du câlin paternel, et Sam avait arrêté de l'embrasser lui aussi, le repoussant au prétexte qu'il n'était plus un bébé, qu'il fallait que Dean cesse de le considérer comme tel. Jamais il ne lui était venu à l'idée que c'était Dean qui avait désespérément besoin de contact, et tant mieux…

Alors, il étreignait des corps étrangers. Pour ressentir un peu de réconfort, pendant quelques instants. C'était fugace… Il se souvenait des câlins de sa mère, de ceux de Sam quand il était petit. C'était comme comparer une bombe et un pétard mouillé. Dans l'idée, ça se ressemblait, en théorie. Alors, il baisait, il flirtait à tout va, ne laissant jamais passer une occasion tant que ça n'empiétait pas sur la chasse. Il compensait la qualité par la quantité… même si ça ne comblait pas le vide en lui… Mais mélangé à l'alcool, ça pouvait faire illusion le temps d'une soirée. Avec la bonne fille, aussi paumée que lui de préférence… Mais dès que ça aurait pu devenir plus qu'un coup d'un soir, il fuyait, le plus élégamment possible car il n'aimait pas faire mal, il ne voulait pas se comporter comme une salaud. Et il ne l'était pas. Il était clair dès le départ, les filles savaient à quoi s'en tenir : une nuit de folie et pas une love story. Si ça avait le potentiel d'être plus, il avait l'impression d'avoir comme une maîtresse, de tromper quelqu'un, quelque chose… ses sentiments. Ceux qu'il avait pour deux personnes et deux personnes seulement, celles à qui il avait tout donné, pour qui il avait tout fait, tout offert, sans jamais rien attendre en retour. Il ne pouvait pas recevoir ce qu'eux ne lui donnaient pas de quelqu'un d'autre, d'une étrangère… Ce n'était pas qu'il ne choisissait de ne vouloir aucune affection, c'était inconscient, lui il pensait juste qu'il n'était pas sentimental. Alors qu'en fait il l'était trop. Il était possessif et exigeant. Il ne voulait qu'une seule personne dans sa vie. En plus de son père, qui n'était déjà presque plus là et ce depuis bien longtemps.

Dean traînassa dans le lit après le départ de la blonde. Il finit par saisir son téléphone.

Il sentit son cœur remonter dans sa gorge.

Sam.

Un simple texto : Je peux t'appeler ?

Dean ne ressentit d'abord rien. Il réfléchit calmement à ses options : qu'est-ce que ça lui ferait de parler avec Sam ? Il se sentait encore un peu… en colère, c'était sûr, mais surtout bouleversé, et pas du tout remis de son départ. Il ne pourrait jamais s'en remettre. Il lui en voudrait toujours. De l'avoir abandonné. De lui avoir prouvé que Sam n'avait pas besoin de lui alors que Dean ne pouvait pas vivre sans Sam. Son petit frère avait rejeté John. Dean pouvait le comprendre, même s'il n'était pas d'accord, mais le quitter lui… Dean avait pris soin de lui, il lui avait consacré sa vie et Sam n'avait pas pensé à lui deux secondes. Bien sûr, lui demander de rester juste pour lui aurait été injuste : Sam avait sa vie à vivre et Dean lui souhaitait de tout cœur cette vie normale à laquelle il aspirait tant, mais il était sa famille. Sans John et sans Sam, que devenait Dean, qui était-il s'il n'était plus le fils de John, le grand frère de Sam ? Il était égoïste. Il ne pouvait pas en vouloir à Sam, c'était lui qui n'était pas normal. Mais ça ne l'empêchait pas de souffrir. Chaque fois qu'il se rappelait que sa famille avait éclaté, il se sentait plus triste que les pierres. Et il ne pouvait pas oublier l'abominable dispute qui avait été le coup de grâce. Il n'avait pas envie de souffrir encore. Il mit longtemps à répondre, mais il finit par taper juste : OK.

Une longue minute s'écoula. Le téléphone sonna. Dean décrocha.

- Hey.

-Hey. Je voulais juste te souhaiter bon anniversaire. Comment va ?

La voix de Sam lui fit l'effet d'un baume dès la première syllabe.

- Bien, s'entendit-il répondre d'une voix neutre. Je me fais vieux. Et toi ?

Sam rit doucement, et le cœur de Dean se serra. A s'en briser.

Et ils parlèrent. En fait, Dean ne répondait pas vraiment et Sam ne savait pas vraiment quoi dire alors il raconta juste sa vie à la fac, d'une banalité à pleurer.

- Bien. Je viens de me lever, là. Je suis pas chez moi, je ne t'ai pas appelé hier soir parce que j'étais à une soirée chez des potes.

- Ok. Pas grave.

- Mec, j'ai super faim, ça te dérange pas si je cherche quelque chose en même temps...

- Non.

- J'ai dormi sur le canapé comme tu t'en doutes, il était trop petit...

Dean sentait dans sa voix la grimace qu'il devait faire. Il le connaissait par cœur, son Sammy, comme s'il l'avait fait.

Il se le représentait, avec ses cheveux propres (et pourquoi l'imaginait-il avec des cheveux propres alors qu'il venait tout juste de se réveiller après avoir fait la fête toute la nuit ?) qui devaient chatoyer dans le soleil qui illuminait son visage. Un visage rayonnant, avec quelques cernes, mais le teint frais malgré tout. S'il était debout, il devait regarder ses pieds. S'il marchait, il se déplaçait dans la maison sans avoir l'air de regarder quoi que ce soit en particulier alors qu'en fait il en traçait pratiquement le plan dans sa tête. Son génie de petit frère... Il en était si fier. John pensait que Sam était borderline. Dean n'était pas d'accord. Certes, Sam avait des sautes d'humeur parfois violents, mais il savait ce qu'il voulait et ce qu'il voulait faire de sa vie. Son côté rebelle était dû à la crise d'ado classique, aggravée par leur style de vie très particulier. Dean n'avait pas fait de crise d'adolescence, mais c'était ça qui était bizarre. Dean n'avait jamais pu ou voulu quitter sa famille, il fallait bien que quelqu'un s'occupe de Sammy…

- Bon, j'ai trouvé la cuisine. C'est le bordel...

Sam continuait à lui parler de trucs sans importance, il ne lui demanda même pas comment allait leur père.

C'était une conversation très étrange.

Il y avait un telle distance entre eux... Dean avait l'impression que ce n'était même pas son frère qui parlait mais en même temps, il reconnaissait l'intonation exacte de sa voix, il pouvait imaginer son sourire, son expression quand il disait une chose ou une autre... il devinait même ce qu'il allait dire, et sur quel ton, savait à l'avance les mots qu'il allait employer. Dean ne savait pas vraiment si lui parler lui avait manqué, mais sa voix était si familière et si étrange à entendre après tous ces mois...

- Je me fais une omelette au jambon et il y a de la salade, bon en sachet seulement, mais tant pis. Il faut que j'aille à la bibliothèque cet après-midi, je ne dois pas prendre de retard sur mes révisions, donc je ne peux pas attendre qu'ils se réveillent.

- Je comprends.

- J'ai eu 15,7 au premier semestre. Je m'épate moi-même.

- C'est bien.

La conversation était forcée. C'était comme s'ils donnaient tous deux vie à un mensonge, mais ils essayaient. C'était Sam qui faisait le plus d'efforts. Parce qu'il avait envoyé le premier sms, parce qu'il avait appelé… Dean ne pouvait même pas vraiment lui répondre quelque chose de gentil, il était trop bouleversé, trop occupé à essayer de savoir ce qu'il ressentait vraiment. Alors, Sam faisait la conversation et Dean opinait aux moments propices d'un "ok", super" "bien" ou "sympa".

- Tu sais la bibliothèque te plairait Dean ! J'ai pensé à toi la première fois que j'y suis entré. C'est dans un très vieux bâtiment, sombre, et il y a ces vieilles lampes carrées sur les tables, et tout est en bois, on se croirait dans un de ces vieux films d'horreur que tu regardes.

- Ah ? Ça a l'air sympa.

Il avait l'impression de voir Sam, il l'imaginait parfaitement, le moindre de ses sourires... ses gestes pendant qu'il cuisinait et mangeait, la façon dont il piquait les aliments. Il l'avait vu faire des milliers de fois, il savait exactement la façon dont il tenait une fourchette. Et son rire... ce petit rire aspiré, très doux. Ce rire qui sonnait tellement juste et vrai...

Pour lui c'était comme se réchauffer au coin du feu après de longues nuits dans le froid, mais sans avoir le droit de s'en approcher vraiment. Comme revoir le soleil après des longs mois plongés dans le noir, mais seulement par quelques rayons à travers les lamelles d'un store... Il fut soudain jaloux des gens qui côtoyaient son petit frère tous les jours. Sûrement il avait une petite amie, ou ne tarderait pas à en trouver une... et ses potes chez qui il avait dormi ! Cette maison inconnue... Ces potes qui dormaient encore. C'en était presque insupportable tellement c'était net. Tellement Sam était net. Comme si Sam était la seule chose tangible au monde. Il ne voyait réellement que lui. Tout le reste était un brouillard flou et gris... Sam était la couleur. La seule chose de vrai dans sa vie. Et ça faisait tellement mal. Il avait hâte que la conversation se termine. Mais il ne pouvait pas se résoudre à y mettre fin lui-même, il n'en avait pas la force.

Si son petit frère n'avait pas l'intention de revenir vivre avec lui, avec eux, il préférait ne plus avoir de ses nouvelles. Il savait que leur père allait vérifier qu'il allait bien, de loin, dès qu'il pouvait, dès qu'il se rapprochait de Standford ou de la Californie, il faisait un détour. Mais lui ne pouvait pas faire ça, maintenir le lien à longue distance, au compte-goutte, avec un coup de fil par semaine. Il préférait de pas le voir du tout, ne pas l'avoir du tout. Il ne pouvait supporter de n'avoir qu'une petite partie de Sam, que, par devoir ou par envie, Sam lui octroyerait. Ça ne ferait qu'entretenir son obsession et il le savait. Ça ne ferait qu'entretenir la souffrance de la séparation.

Il ne pouvait tout simplement pas se contenter de si peu.

Il fut très facile de laisser mourir la conversation, et finalement, 21 minutes 28 secondes, c'était déjà exceptionnellement long pour se parler de tout et de rien, pour écouter Sam parler de tout et de rien. Sam tenait à son frère. Il tenait à garder le contact avec lui. Il lui manquait. Pas aussi atrocement qu'il manquait à Dean, mais Dean savait que ce coup de fil était une ouverture, une tentative de renouer le dialogue. Dean refusa, sciemment, froidement, d'y répondre et Sam comprit le message. Il garda malgré tout son ton enjoué jusqu'au bout. Dean ne le sentit pas désespéré au moment de raccrocher, et heureusement, sinon il aurait peut-être craqué, pour que son silence ne fasse pas de mal à Sam.

- C'était cool de parler avec toi Dean. Mais je dois filer bosser

- Ok. Oui c'était sympa.

- A bientôt.

Sam raccrocha.

Dean entendit les échos de la voix de son frère pendant de longues heures, jusqu'à ce qu'il soit obliger de fuir l'appartement trop silencieux et de noyer le souvenir de cette conversation dans le bruit de la vie.

Ce fut la dernière fois qu'ils se parlèrent avant que Dean ne s'introduise dans l'appartement de Sam par la fenêtre bien des années plus tard.