Heady venom

Chapitre I

Une autre mission de bouclée: enfin Kanda pouvait s'accorder quelques jours de repos. Non pas qu'il soit du genre à se plaindre du travail, qui ne cessait d'ailleurs d'augmenter depuis que les Noé avaient refait leur apparition en grande pompe, mais il fallait bien admettre que cinq missions d'affilé, même pour lui, c'était assez éprouvant, physiquement du moins...

Comme de coutume, les connaissances qu'il croisa dans les couloirs de la congrégation -qu'il ne pouvait malheureusement pas éviter pour rejoindre sa chambre- ne manquèrent pas de tous lui souhaiter la bienvenue, le plus souvent avec l'un de ces grands sourires débiles, qui avaient le don de l'exaspérer, et auxquels il ne manquait évidemment pas de répondre par un "Tch...", toujours aussi agréable, fidèle à lui-même en somme.

Il pressa le pas en espérant éviter plus de rencontres avant d'atteindre son antre, quand soudain il percuta de plein fouet cet abruti de rouquin. Génial: c'était parti pour 20 minutes de questions débiles, le future bookman se laissant difficilement décourager par les réponses froides, voir nulles de son compagnon d'armes...

"Tu peux pas regarder où tu marches?" Dit le jeune japonais en serrant les dents. Puis comme il se préparait à passer rapidement son chemin, il hésita un instant: car finalement, et à sa grande suprise, il n'avait même pas besoin de couper court à la conversation. En effet l'héritier des bookmen ne tenta même pas de la relancer, se contentant d'un "Ah, excuse-moi Yu... ". Des réponses aussi laconiques, c'était tout de même assez rare chez lui, sans parler de cette expression neutre qu'il arborait. Non, en fait il était carrément ailleurs, c'est à peine s'il l'avait regardé en lui répondant. Qu'importe, Kanda se garda bien de chercher la raison de ce comportement, et se hâta de rejoindre sa chambre avant que le Lavi enjoué et bavard ne refasse surface.

Après quelques heures de sieste, Kanda se décida enfin à sortir de sa chambre pour rejoindre le réfectoire. A vrai dire son estomac ne lui laissait pas vraiment le choix, l'appel des sobas de Jerry était juste irrésistible...

Après avoir pris son plateau, il prit place à la table où étaient déjà assis Lenalee, Allen et Krory, ce en gardant tout de même une certaine distance vis-à-vis d'eux. Un détail pour le moins inhabituel le frappa immédiatement: Allen, au lieu d'être enseveli sous des montagnes d'assiettes vides, faisait semblant de gribouiller sur la table avec un bâtonnet de bois, sans doute de mitarashi dango, à en juger par la grande assiette de ces petites gourmandises à côté du jeune exorciste chenu. Habituellement, Allen en aurait déjà englouti une dizaine le temps que Kanda s'installe. Quant à Lenalee et Krory, qui n'étaient certes pas de gros mangeurs, ils n'avaient pris qu'un petit pain chacun, auquel ils avaient à peine touché. Kanda se serait bien passé de leur adresser la parole, mais tout de même, il lui semblait évident que quelque chose clochait...

- C'est quoi ces têtes d'enterrement? Tu digères plus Moyashi?

A ce mot, Allen leva lentement la tête, comme engourdi par les pensées dans lesquelles il était plongé depuis Dieu sait quand.

- Hein? Tu n'es pas au courant? Répondit Lenalee à sa place.

- Au courant de quoi?

- Pour Lavi...

- Non, pourquoi je devrais?

- Lui et Bookman partent dès demain. Tu sais qu'ils sont des bookmen avant d'être exorcistes...

- Ouais, abrège.

- Selon Bookman, si l'innocence de Lavi venait à muter comme ça s'est produit pour la mienne, son futur de Bookman serait remis en cause...

- Tch. C'est ridicule.

- En tous cas il a pris sa décision: ils partent dès demain...

Ne trouvant rien à répondre, le jeune japonais entama son plat de sobas. Mais malgré ses efforts pour ne pas laisser la nouvelle gâcher ce repas attendu depuis si longtemps, il ne pouvait s'empêcher de repenser à sa rencontre avec Lavi quelques heures plus tôt: Certes, il n'avait pas cherché à savoir ce qui clochait, et après? Lavi savait pertinemment qu'il n'allait pas lui poser la moindre question. Comme s'il en avait quelque chose à faire... Non, c'est lui qui aurait du l'avertir de son départ, c'était d'ailleurs la moindre des politesses.

Voilà, son repas était fichu. Passablement énervé, Kanda se leva brusquement de sa chaise, ne prit même pas la peine de ranger son plateau, et sortit du réfectoire à grandes enjambées. Personne n'osa rien lui dire, soit parce que les gens étaient eux-même passablement affectés par le départ des Lavi et Bookman, ou, hypothèse plus plausible: ils sentaient sans doute que Kanda était dans un de ces jours où il valait mieux s'abstenir de le contrarier, ou même de l'approcher, sous peine de voir tout à coup surgir une lame des plus aiguisées, menaçant de leur trancher le visage en deux.

Pour espérer tomber sur le rouquin, Kanda savait très bien que les deux lieux à vérifier en premier étaient bien sûr sa chambre, puis la bibliothèque. Espérant éviter Bookman, qui risquait de l'empêcher de parler à son apprenti en toute tranquillité de peur qu'il n'influe sur son acceptation -peut-être pas très enthousiaste, mais acceptation tout de même- de quitter les lieux, Kanda choisit de commencer par la bibliothèque. Il fut soulagé d'y trouver Bookman Jr., le nez dans un livre, recroquevillé au creux d'un vieux fauteuil en cuir. En s'approchant, il réalisa que Lavi ne lisait pas, son visage restait fixé sur le titre du premier chapitre qu'il prétendait lire. C'est à peine s'il réalisa sa présence.

- Oh, tu pourrais au moins lever les yeux quand quelqu'un est en face de toi.

- Yu? Excuse-moi je t'ai pas entendu venir... dit Lavi sorti de sa torpeur et l'air quelque peu sonné.

- Au lieu de passer ton temps à t'excuser ça te dirait pas de me prévenir que tu te barres de la congrégation quand on se croise?

- Bah tu le sais déjà à l'évidence...

- Je parles de tout à l'heure, quand tu m'as foncé dedans.

- Ah... Exc... j'aurais du te le dire c'est vrai...

Comme Lavi ne semblait pas décidé à relancer la conversation, le regard perdu dans les lames du plancher, Kanda dut, encore une fois, alors qu'il avait horreur de ça, travailler son équipier en espérant en savoir plus, ce qu'il fit, mais certes pas d'une façon des plus délicates...

- Alors c'est ça, vous partez? Et ça te dérange pas plus que ça de nous laisser quand tout le monde sait qu'on entre dans le coeur de cette guerre?

- Merde Yu, tu crois que ça me fait plaisir? J'ai l'air d'être content là?... répliqua Lavi avec un certain agacement, presque agressif.

- Alors pourquoi tu le dis pas à Bookman ça? T'es pas foutu de t'imposer ou quoi?

- Parce que tu crois que c'est facile pour moi? J'ai prêté serment je te rappelle, mon avenir est tracé maintenant, je ne peux plus faire marche arrière, quoiqu'il m'en coûte, je dois prendre sa suite...

- Ouais... Avoues que ça t'arrange bien au fond, c'est tellement plus facile de partir quand les choses se corsent.[...] Vous avez eu votre dose de sensations fortes, ça a bien dû vous exciter d'être dans le feu de l'action, vous qui passez votre vie à observer... Maintenant que c'est trop risqué vous partez, nous on n'a qu'à se démerder?

- Comment... comment peux-tu dire une chose pareille?

La voix de Lavi était plus grave que de coutume et tremblait d'une colère palpable, que son unique pupille décuplait à cause de cette lueur qui animait l'émeraude menaçante. Il n'avait jamais vu ces fins sourcils à ce point froncés sur ce visage habituellement si doux et jovial. Cette expression qui semblait remonter du plus profond de lui-même parvint à déstabiliser Kanda, généralement imperturbable. Il sentait qu'il était allé trop loin. Mais il avait déjà du mal à parler aux autres, alors pour ce qui était de leur parler en prime avec tact...

Face à ce regard dont il ne put soutenir l'audace, il détourna les yeux un instant, se maudissant pour perdre ainsi son flegme face à un tel idiot. Quand il posa à nouveau son regard sur le jeune rouquin, il fut surpris de constater que ce dernier avait lui aussi détourné le sien, qui du reste semblait plus abattu encore que lorsqu'il était venu le trouver. Le silence se faisant de plus en plus lourd, Kanda tenta de le briser:

- Alors tu vas vraiment partir?

- Apparemment...

Mais ces derniers mots échangés s'avéraient être pires que le plus lourd des silence, et infligèrent à Kanda une douleur dont la nature lui était inconnue, aigue, qui partait de sa gorge jusque dans sa cage thoracique. Préférant mettre un terme à cette situation des plus glaçantes, il ajouta pour dernières paroles « Tâches au moins de me prévenir quand tu pars demain... », puis il quitta la salle comme il était venu: dans le silence le plus total, laissant derrière lui un jeune homme plus atterré encore par la fin si froide de cette entrevue. Un bruit de porte claquée retentit, et Lavi nicha son visage entre ses genoux, laissant tomber son livre à terre.

La nuit, alors que nul ne veillait, hormis peut-être Miranda qui n'avait toujours pas réglé ses fâcheux problèmes d'insomnie, Kanda s'agitait sous ses draps. Il ignorait ce qui l'énervait le plus entre le fait que Lavi partait , la peine qu'il avait du lui causer par des paroles dont il avait sous le coup de la colère bien mal pesé la dureté, et le fait qu'il attachait à tout cela une importance qu'il jugeait excessive. Le peu de patience dont il disposait venait d'atteindre sa limite: il prit donc le parti de se lever pour aller s'aérer l'esprit dans les couloirs de la citadelle. Sans qu'il y prenne particulièrement garde, il atterrit finalement dans la bibliothèque, évidemment vide à une heure pareil... Quoique? Kanda tendit l'oreille un instant: il n'avait pas rêvé, quelqu'un occupait déjà la salle, et cette personne semblait... gémir? Difficile d'en être certain car ces gémissements étaient comme étouffés. Il devaient en tous cas être plus de tristesse que de plaisir d'après les quelques sons semblables à que hoquets qui les coupaient.

"Il y a quelqu'un?" Demanda Kanda, regrettant aussitôt d'avoir manifesté sa présence: Il avait assez d'une personne -lui- à calmer, et par dessous tout, il avait horreur d'écouter les gens se lamenter sur leur sort. Pour se faire consoler, il n'était vraiment pas la personne indiquée, à moins que vous ne considériez une remise en boîte à la Kanda du type "Quand tu auras fini de chouiner tu le diras, moi j'ai autre chose à faire." comme une consolation...

C'était trop tard, car la personne l'avait à l'évidence entendu puisque les hoquets avaient cessé, et qu'une voix masculine au tremblement mal dissimulé émanait du fond du rayon « histoire » (Oui, Kanda fréquentait, et même connaissait la bibliothèque pour y avoir empreinté quelques livres, si si!):

- Euh non y a personne!

Kanda ne voyait toujours pas de qui il s'agissait, bien que la voix lui sembla très familière, mais se demanda qui pouvait bien sortir une connerie pareille... De toutes façons, la personne en question ayant vraisemblablement envie qu'on la laisse tranquille, tout comme lui, il ne chercha donc pas plus loin et s'apprêtait à sortir de la bibliothèque, quand la voix l'arrêta:

- Euh... c'est toi Yu?

Surpris, Kanda ne répondit pas, mais s'avanca vers la source de la voix, et vit enfin une silhouette assise de profil, le dos appuyé sur les rayon de droite: quelqu'un d'assez grand et mince à en juger par la longueur de ses jambes ramassées sous son menton. Même s'il ne pouvait voir son visage, étant donné le contexte et le rayon qu'avait choisi le garçon, il demanda instinctivement:

- Lavi?

- Je pensais que personne n'aurait l'idée de venir ici à cette heure, et encore moins toi...

- Je suis censé le prendre comment?

- On va pas déjà se prendre le chou Yu? Demanda Lavi, d'un ton presque suppliant. Las aussi.

Kanda ne répondit pas et s'assit à côté de lui.

- Tu restes?

- Bah maintenant que je t'ai vu pleurer... est-ce que j'ai le choix?

C'était la phrase la plus gentille qui lui était venue à l'esprit...

- Là tu m'étonnes...

- ça va, arrêtes de parler comme si j'étais le dernier des salauds...

- Hey c'est pas ce que j'ai voulu dire! D'abord, qu'est-ce qui te fait dire que je pleure? Rétorqua Lavi en levant brusquement la tête vers lui.

- Pitié... J'ai peut-être pas l'ouïe de Marie mais je sais reconnaître le son de quelqu'un qui pleure...

- …

- Qu'est-ce que tu lis? Demanda Kanda en prenant le dossier qui trainait à côté du futur Bookman.

- Non! Ne prend pas ç...

- C'est un rapport de mission?

- Ouais... Je sais qu'on a pas le droit de les prendre, mais celui-là trainait sur le bureau de Komui... ça doit être mon côté nostalgique et maso qui ressort... dit Lavi avec un petit sourire triste, du moins Kanda l'imagina sourire ainsi dans le noir...

- Y a pas une lampe ici? J'y vois rien comment tu peux lire dans cette pénombre?

- Si si... Je l'avais éteinte quand j'ai entendu quelqu'un rentrer...

- Lavi alluma en effet une petite lampe à huile, dont l'éclairage n'était certes pas très fort, mais suffisait à lire, et à voir son oeil humide, de larmes à l'évidence.

- Tiens, dit le jeune Japonais en sortant un mouchoir blanc de sa poche.

- Euh, merci... hésita Lavi, surpris par un tel élan de gentillesse de la part du jeune asiatique, qui habituellement ne serait même pas aperçu de ses larmes, ou du moins aurait fait comme si...

- Eh mais... c'est moi qui l'ai écrit ce rapport?

- Ah, oui... dit Lavi, un soupçon d'embarras dans sa voix.

- C'est la mission d'Edo? Le passage où je t'ai sauvé de Tiky?

- Où JE t'ai sauvé de Tiky! S'offusqua le rouquin. Tu portais Lenalee et t'allais te faire trancher! Enfin... « dévorer » serait plus approprié... Saletés de papillons...

- Ouais, si tu l'dis... répondit Kanda, trop fier pour admettre que sans l'aide de Lavi, il ne serait peut-être pas revenu vivant de cette mission.

Ils laissèrent passer quelques minutes de silence, que Lavi finit par briser par des bâillements peu cérémonieux, pour enfin laisser sa tête tomber lourdement sur l'épaule de Kanda.

- Oi!

- Je suis moooort... Et en plus t'es même pas confortable...

- Et tu te plains en plus? Ça va te gêne pas surtout...

- Bah ah, non! Répondit le rouquin qui semblait avoir retrouvé son humeur taquine.

- Tch...

Se disant qu'il risquait de provoquer une scène semblable à celle de l'après-midi, Kanda toléra avec tous les efforts du monde ce petit écart. Ils n'étaient pas vraiment « amis », mais étrangement, il s'était fait au comportement frivole, voir puéril du jeune archiviste. Il arrivait même à prévoir le moment où le rouquin allait lui donner une tape dans le dos, sachant pertinemment qu'il avait horreur de ça, au moment de partir en mission. Il avait même fini par renoncer à sortir mugen pour menacer Lavi, se contentant généralement de lui lancer un de ses regards les plus noirs, qui n'avaient d'ailleurs plus grand effet: cet imbécile, au lieu de trembler de peur comme il l'aurait fait quelques années plus tôt, arborait un sourire encore plus large et crétin... « Ce type est juste désespérant... », se dit-il.

- Bon, t'as pas un lit pour dormir? Et sûrement plus « confortable »?

- …

- Lavi? Oh!

- ...Zzzzzh...

- ...Dîtes moi que je rêve...

Et non, il ne rêvait pas: Lavi était effectivement en train de ronfler sur son épaule, la bouche entrouverte, menaçant de lui baver dessus... Kanda voulait bien faire des efforts pour être agréable, mais là, il y avait tout de même des limites...

- Oh abruti de lapin! Grogna le Japonais en secouant le dit lapin engourdi.

- ...mmmh? Hein quoi? Demanda Lavi l'air quelque peu sonné. Tu m'as réveillé, c'est pas sympa!

- J'ai jamais prétendu l'être.

- Mais je faisais un beau rêve...

- N'importe quoi, t'as à peine dormi 5 minutes...

- Bah pourtant j'ai fait un rêve, j'étais...

- C'est pas mon problème.

- Bah tu veux pas savoir? T'étais dedans!

- Ce sera pas utile, coupa le kendoka en se demandant ce que c'était encore que cette histoire de rêve dont il faisait parti. Sans doute le rouquin bluffait-il dans l'espoir de l'énerver, mais c'était contre ses intentions de rentrer dans son jeux.

- Oh, pardon: je crois que je t'ai bavé dessus... dis Lavi en restant malgré tout sur son épaule.

- Super... Bon cette fois va baver sur ton lit... dit Kanda sur le même ton sec en se levant d'un coup, manquant de faire tomber Lavi, qui semblait apprécier un peu trop son épaule et commençait à s'y accrocher comme une moule sur son rocher...

- Eh attend moi!

- Tch, tu peux pas retrouver ta chambre tout seul?

- Ça y est, tu recommences à être méchant Yu-chan! Lanca le rouquin d'un ton faussement vexé.

Il ne devait pas être si triste que ça de partir pour ainsi jouer avec sa palette de masque, se dit Kanda.

"Ramène ce rapport et va te coucher, on se voit demain de toutes façons", furent les seuls mots que le jeune homme brun accorda à Lavi en guise de bonne nuit avant de claquer la porte derrière lui.

"Oui, on se voit demain..." murmura Lavi dans le vide, son unique oeil fixé sur la porte qui venait de se fermer sur le beau Japonais.

Fin alternative spéciale GGL impatiente:

Lavi fixait la porte l'air ébêté, quand tout à coup Kanda rouvrit la porte avec fracas, une étrange détermination dans ses prunelles bleues (je t'épargne l'image merdique de l'azur XD), pour tout à coup se jeter sur le pauvre Lavi qui n'y comprenait plus rien: "Je t'AIME espèce de CON !", rugit-il avec passion avant de l'embrasser à pleine bouche. Lavi, sous le choc, mais aussi par manque d'oxygène s'écroula par terre, un air d'imbécile heureux sur le visage.