Bon, j'ai tenu une bonne semaine avant de publier quoi que ce soit. C'est déjà pas mal…
Troisième Vendredi du mois.
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Il était sans doute inutile de dire que la destruction de son restaurant l'avait grandement affecté. Il n'y avait eu aucun blessé et ce n'était que des dégâts matériels mais c'était son restaurant et les réparations qu'il avaient dû entreprendre après l'Incident n'avaient pas encore été totalement payés quand on – il ne savait pas vraiment qui – avait détruit son restaurant, devanture comprise. Heureusement pour lui, l'un des vandales qui avait envahi son restaurant cette nuit-là était aussi multimillionnaire. Une chance. En y réfléchissant bien, il aurait dû se douter que cet homme était millionnaire. Entre la carte de crédit, le fait qu'il n'ait guère protesté quand il lui avait demandé de commandé la totalité de la carte et de payer six mois de loyer… Tout ceci sentait l'homme qui avait de l'argent à ne plus savoir qu'en faire…
Et il avait évidemment payé les réparations. Il avait même payé celles qui restaient de l'Incident sans poser la moindre question. Il n'avait pas non plus protesté à propos d'éventuels coûts supplémentaires quand il lui avait parlé des modifications qu'il comptait apporter au restaurant. Il n'avait fait qu'acquiescer tout en alignant la monnaie. Une véritable bénédiction même si le tout semblait trop beau pour être vrai.
Et les réparations avaient été rapides. Ce n'était pas l'équipe qu'il avait engagé après l'Incident mais quelqu'un d'autre et encore une fois, c'était grâce au multimillionnaire qui avait décidé d'envahir son restaurant un soir, il ne savait pour quelle raison, avec trois autres personnes. Ce millionnaire avait d'ailleurs été présent le soir où il avait rouvert son restaurant même s'il n'était pas resté très longtemps. Il l'avait tout de même invité à revenir manger ici, maintenant que le restaurant était en état de recevoir des clients. Le millionnaire avait répondu qu'il le ferait si l'occasion se présentait.
Mais il ne l'avait plus revu après ce soir-là. Enfin. Pas vraiment.
Au cours des jours suivant la réouverture du Royal Dragon, il le vit parfois trainer aux alentours mais sans jamais oser franchir la porte du restaurant. Etrange comportement.
Il finit tout de même par revenir. A son grand plaisir. Il demanda, en chinois, à être installé à une table tout au fond du restaurant. Une table pour quatre. Pas très bien placée qui n'était jamais vraiment occupée. Il y mangea là. Seul.
Un mois plus tard, presque jour pour jour, il était de retour. Il demanda, encore en chinois, à être installé à la même table. Il mangea seul. Encore.
Le mois suivant, le troisième vendredi du mois comme la dernière fois, il était à nouveau là mais il ne dina pas seul cette fois.
Ce n'était pas la première fois qu'il voyait cet homme, comme ce n'était pas la première fois qu'il avait vu le millionnaire avant qu'il ne vienne manger dans son restaurant. Et comme le millionnaire, cet homme avait passé les mois précédents à trainer aux alentours de son restaurant sans oser rentrer à l'intérieur. Il aurait dû être effrayé par la perspective d'un homme noir et baraqué s'intéressant d'un peu trop près à son restaurant mais cela n'avait pas du tout été le cas. Il savait qui il était. Il l'avait déjà vu. Pas seulement le soir où son restaurant avait été envahi. Comme beaucoup, il avait suivi avec soin ce qui s'était passé à Harlem.
Le millionnaire était déjà arrivé quand l'homme d'Harlem était entré et tout naturellement, comme si c'était une chose qui avait été convenue entre eux, il était allé s'asseoir en face du millionnaire.
Ce soir-là, les deux hommes mangèrent ensemble mais ils n'échangèrent que de rares paroles.
Un mois plus tard (Mois 4), toujours le troisième vendredi du mois, ils mangèrent à nouveau ensemble mais ils eurent l'air de parler beaucoup plus cette fois. Ce soir-là, ils étaient d'ailleurs arrivés presque en même temps et à la fin du repas, au moment où il allait leur demander s'ils désiraient autre chose, quelqu'un s'était soudain assis à côté de l'homme d'Harlem.
« Je ne suis venue que pour le saké. » avait-elle dit d'un ton bourru.
Il eut presque envie de lui rappeler qu'elle était dans un restaurant chinois et pas japonais mais il préféra sourire.
Comme les deux autres, il l'avait vue trainer aux alentours de son restaurant sans y rentrer depuis un moment. Et étrangement, il avait eu plus peur de ses allers et venues que de celles du noir d'Harlem. Sans doute parce qu'il l'avait vu soulever une commode comme si ce n'était qu'un fétu de paille cette nuit-là…
Le mois suivant (Mois 5), elle arriva plus tôt mais toujours après les deux hommes.
Elle parlait peu et ne mangeait pas. Elle buvait en revanche. Beaucoup.
Elle continua de boire le mois d'après (Mois 6) sans rien commander à manger mais elle commanda une entrée un mois plus tard (Mois 7). Elle buvait toujours autant et sa participation aux conversations qui avaient lieu devant elle tenait majoritairement en des remarques sarcastiques. Les deux hommes qui dinaient avec elle n'avaient pas l'air d'en prendre ombrage.
Un mois passa (Mois 8) puis un autre (Mois 9). Ils continuaient de venir manger dans son restaurant. Toujours le troisième vendredi du mois. Ils n'arrivaient pratiquement jamais en même temps mais ils dinaient toujours ensemble. La table était même devenue la leur. Chaque troisième vendredi du mois, il la gardait pour eux.
Un siège restait cependant obstinément vide.
Il n'aimait pas ça.
Ils étaient quatre cette nuit-là – cinq avec l'homme à la main coupée qui était arrivé plus tard – et c'était sans aucun doute stupide mais il était inquiet alors qu'il ne connaissait rien ou presque de ses gens. Il lui avait d'ailleurs bien fallu trois mois après l'arrivée de la femme pour oser leur parler un peu plus longuement, et pas seulement pour leur demander ce qu'ils désiraient manger. Il lui avait encore fallu un mois supplémentaire avant d'apprendre leur prénom et de savoir ce qu'ils faisaient dans la vie.
Danny était millionnaire, ce qu'il savait déjà, et était en train de monter une fondation qui porterait le nom de ses parents pour aider les plus défavorisés.
Luke vivait toujours à Harlem et était, s'il avait bien compris, une espèce d'éducateur pour les jeunes du quartier.
Jessica était détective et c'était tout ce qu'il avait besoin de savoir sur elle, avait-elle dit.
Bien sûr, il savait parfaitement qu'ils étaient aussi bien plus que ça. Il avait même eu un restaurant détruit en guise de preuve.
Mais un siège de leur table pour quatre était toujours vide un mois plus tard (Mois 10). Ce fut encore le cas le mois suivant (Mois 11).
Un mois plus tard (Mois 12), il dut laisser l'ouverture du restaurant à sa femme et quand il y arriva pour prendre son service, son regard se dirigea aussitôt vers la table pour quatre qui se trouvait au fond de la salle. On était le troisième vendredi du mois après tout et il était encore sans doute un peu tôt bien sûr mais…
Le siège vide était occupé. Les sièges habituellement occupés étaient vides.
Il pensait pourtant avoir dit à sa femme que cette table était toujours réservée le troisième vendredi de chaque mois. Il s'approcha donc lentement de la table en question pour parler à l'homme qui y était assis, un homme qui portait des lunettes noires…
« Putain, c'est pas vrai ! »
Il se retourna. Pour une fois, ils semblaient être arrivés ensemble tous les trois. Et tôt. C'était rarissime.
Danny fut le premier à bouger tandis que l'homme assis à la table se levait. Il le serra dans ses bras. L'autre homme se raidit mais accepta tout de même l'étreinte.
« Foggy a tout raconté à Claire et elle nous l'a dit bien sûr mais… » dit Danny en faisant un pas en arrière.
Jessica fut la seconde à réagir.
« Ouais, heureusement que Claire est là parce que s'il fallait compter sur toi… »
Il fut surpris d'entendre l'homme à lunette émettre un petit rire après ce jugement assené d'un ton rude.
« Je suis de retour, Jessica. » dit-il simplement.
Une pause.
« Enfoiré. »
Mais il aurait juré qu'elle souriait malgré l'insulte qu'elle venait de proférer. Elle s'approcha ensuite de l'homme aux lunettes noires et elle l'examina attentivement. Elle ne le serra pas dans ses bras. Il n'était pas surpris. Il savait que ce n'était pas son genre.
« Ne nous refais jamais un coup pareil. »
Elle s'assit à sa place habituelle tandis que le nouvel arrivant inclinait la tête.
« C'est noté. »
Puis ce fut le tour de Luke qui comme Danny serra le nouveau venu dans ses bras.
« Je croyais que…
-Juste pour cette fois. »
Luke alla ensuite s'asseoir. Danny était toujours debout. Il ouvrit la bouche.
« Plus tard… » dit l'autre homme.
Il aurait presque juré qu'il avait regardé dans sa direction avant de s'asseoir sur la chaise qui était toujours restée vide jusqu'à maintenant.
Danny rejoignit enfin sa place et l'appela pour passer leur commande, en chinois comme d'habitude, après avoir consulté ses trois compagnons.
Ils furent les derniers à quitter le restaurant ce soir-là et il eut du mal à cacher sa surprise en voyant l'homme aux lunettes noires déplier une canne blanche quand il se levèrent pour partir. Peut-être était-ce pour cette raison qu'il lui fallut un mois supplémentaire (Mois 13) pour comprendre, en les voyant de retour tous les quatre, que la table était maintenant au complet.
Ce fut un soulagement.
Et c'est avec un sourire immense qu'il les servit ce soir-là.
Ils furent de retour le mois suivant (Mois 14) et encore celui d'après (Mois 15).
Il cessa alors de compter. Il savait maintenant qu'ils seraient là. Tous les quatre. Toujours le troisième vendredi du mois.
Il connaissait aussi maintenant le prénom et le métier du dernier membre de ce groupe pour le moins hétéroclite.
Matt… Avocat à Hell's Kitchen qui avait toujours vécu dans le quartier.
Mais comme les trois autres, il était aussi plus que ça. Ce n'était cependant pas une chose à laquelle il aimait penser et puis, quelque part, ça ne le regardait pas…
De toute façon, son restaurant avait toujours eu son lot de clients réguliers et c'était ce qu'était Danny, Luke, Jessica et Matt. Juste des clients réguliers qui venaient manger ici le troisième vendredi de chaque mois.
Et si jamais, ils disparaissaient soudain du restaurant tous les quatre, parfois même sans prendre la peine de payer, il faisait comme si de rien n'était.
…
Bon, j'avoue qu'il y a une petite partie de moi qui adorerait continuer sur cette idée en prenant le point de vue de chacun des personnages et par chacun des personnages, je veux dire pas seulement le point de vue des quatre clampins qui ont tourné autour du restaurant avant d'oser y entrer mais aussi celui des personnes de leur entourage quand ils découvrent qu'ils dinent ensemble le troisième vendredi de chaque mois.
Idée à creuser donc. Même si je ne sais pas encore par qui commencer. Si quelqu'un a des suggestions, je suis preneuse.
En attendant, j'espère que ce premier petit OS vous aura plu.
