Prologue

J'avais rencontré Rose pour la première fois chez moi. J'aimerais bien dire qu'on s'est rencontrées mais je suis de plus en plus certaine que c'est elle qui m'a trouvée. La première fois que l'on s'est vues chez moi n'aurait pas pu n'être qu'une coïncidence même si j'ai réussi à m'en persuader pendant un temps. J'habitais une grande maison en périférie de Seattle, la maison familialle en vérité, dont j'avais hérité à la mort de mes grand-parents, cherchant un logement mais n'ayant pas assez pour louer un studio. Elle était assez éloignée des autres, mes grands parents étaient des allemands s'étant éxilés aux Etats-Unis lors de la deuxième guerre mondiale. Ils avaient donc préféré une maison isolée pour pouvoir se remettre tranquillement des horreurs vécues avant leur départ et sûrement aussi par paranoïa, bien qu'ils l'aient nié. Ils n'étaient pas juifs mais des aristocrates allemands fermement opposés au pouvoir totalitaire de l'époque et ils ont continué à militer de leur côté aux Etats-Unis du mieux qu'ils le pouvaient.

La perfection n'existe pas parce qu'il est trop évident de trouver l'imperfection sur un tableau épuré, qui se veut parfait parce que l'homme est subjectif, relativiste, naturellement jaloux, et que l'erreur est trop facile à être commise, trop difficile à être réparée et oubliée. La vie est éphémère, tout peut être détruit avec une facilité parfois déconcertante. Chez Rose, l'imperfection qui ombrageait la perfection affichée dans ses traits était cette impression latente du « trop » : trop belle, trop gracieuse, trop immobile, trop charismatique, trop éblouissante, trop intense, trop, juste trop. On ne sait pas vraiment pourquoi mais on reste sur cette impression que non, définitivement, cette fille, elle était pas normale quelque part, hors du commun, mais pas dans le sens qu'on apprécie. On sent que quelque chose cloche, la paranoïa selon certains, la jalousie selon d'autre. C'est pourquoi bien que physiquement parfaite, Rose était seule au milieu d'une foule, elle semblait la contourner, glisser autour d'elle sans jamais l'intégrer vraiment. L'accord tacite entre chacun d'entre nous semblait l'exclure, comme si elle était une étrangère, tellement différente qu'elle était privée de l'anonymat que conférait la masse. Elle était remarquablement et terriblement seule. Du moins, c'est ce qu'il me semblait. Et dans un certains sens du moins ce dernier, on se ressemblait.