Hautement inspiré de Project Zéro 2 : Crimson Butterfly.

5-6 chapitres max, c'est du akaoi, c'est angst, et je déteste l'exposition, à plus !


Ils étaient trois à attendre dans le grand salon.

Akaashi ne connaissait pas les deux autres. Pas vraiment, en tout cas. Il avait bien aperçu la fille, à l'occasion, sans doute lors d'un regroupement ou d'un autre, jamais très loin des longues robes de sa mère, le port droit de quelqu'un qui n'avait rien à prouver. Elle arborait déjà cette expression distante, timide peut-être, anxieuse sans en avoir l'air. Sa mère n'était pas là, aujourd'hui, mais c'était toujours la tête haute qu'elle attendait la décision du grand maître.

L'autre garçon, lui, ne se fatiguait pas à afficher une expression aussi solennelle. Akaashi le vit bâiller discrètement par deux fois. Il regardait souvent le plafond, l'air impatient, comme si la réponse était prête à tomber directement du ciel.

Sans surprise, il fut le premier à briser le silence.

— Je croyais qu'ils n'en avaient que pour une minute ou deux, marmonna-t-il moins pour eux que pour lui-même.

La fille — comment s'appelait-elle, encore ? — lui jeta un regard désapprobateur. Quant à Akaashi, il ne réagit pas. À vrai dire, il n'était même pas sûr de pouvoir parler ; la boule qui s'était formée dans sa gorge s'était faite plus solide avec les minutes, et il commençait à avoir la nausée.

L'autre garçon tapotait le sol du pied sur un rythme inconstant. Akaashi songea à le faire taire, mais il n'en eut pas le courage. Il porta son regard sur les portes du salon, celles qui menaient au reste de la maison (au lieu de délibération, songea-t-il, puis il ravala douloureusement sa salive en espérant ne plus y penser), et les fixa sans rien dire. Elles s'ouvriraient d'une minute à l'autre. Il fallait qu'elles s'ouvrent.

— Comment vous vous appelez ?

Akaashi se tourna vers l'autre garçon en pinçant les lèvres.

— Quoi ? fit l'autre. Ils n'ont pas l'air de vouloir revenir tout de suite, et on ne nous a pas interdit de parler, si ?

Comme ils ne réagissaient pas, il prit la fille à témoin.

— Ils nous l'ont interdit ?

Elle hésita, puis regarda ailleurs.

— Je ne crois pas, souffla-t-elle tout de même.

— Vous voyez ? On va passer pas mal de temps ensemble, alors autant faire connaissance. Pas que je ne vous connaisse pas du tout, évidemment. Vous êtes clairement de la vieille école, et il n'y a que quatre familles à l'ancienne suffisamment versées dans le sujet pour être appelées ici.

Akaashi ne put s'empêcher de tiquer.

— Quatre ? répéta-t-il.

— Les Ukai, les Shimizu, les Akaashi, les Ushijima. Ukai Keishin a 22 ans, ce qui raye la famille de la liste. C'est ça, non ? À moins qu'ils aient été pécher chez les jeunes pousses ? Ça n'a pas l'air d'être leur style, note. Ça manquerait un peu de professionnalisme.

— Ils t'ont pris toi, répliqua Akaashi. Ils ne font pas si attention que ça.

Le garçon porta une main à sa poitrine, l'air blessé.

— Dur, fit-il.

— Les Ushijima ne sont plus dans la course, l'informa la fille.

Elle observait une nature morte d'assez mauvais goût posée sur le mur de la cheminée. Une gerbe de fleurs de toutes les tailles s'étalait en cent couleurs passées.

— Ah bon ? s'étonna Kuroo. Je croyais que c'était une très vieille famille. Ils ont au moins un garçon de notre âge, ajouta-t-il en jetant un coup d'œil à Akaashi.

— Ce n'est pas lui, le reprit-elle. Wakatoshi ne voit pas.

— Il est aveugle ?

Akaashi leva les yeux au ciel. La fille afficha un timide sourire.

— Il n'a manifesté aucun don.

— Ah. La vieille école.

Il y eut comme un instant de flottement, puis le garçon lâcha :

— Je suis Kuroo Tetsurō, au passage. Si ça vous intéresse.

Akaashi n'avait jamais entendu ce nom-là. À en juger par l'expression de la fille, il n'était pas le seul.

— Je viens de Tokyo, ajouta-t-il pour répondre à leur question muette. Mes parents ont décidé de déménager dans le coin. Plus d'opportunités, apparemment. Ce n'est pas le grand maître qui va leur donner tort.

— Shimizu Kiyoko, se présenta la fille.

— Alors je suppose que tu es Akaashi, devina Kuroo en se tournant vers lui. Et ton prénom, c'est quoi ?

La porte choisit cet instant pour s'ouvrir en grinçant. Ils se replacèrent en ligne, bien droits, dans l'attente de leur sentence prochaine. Ukai Keishin entra dans le salon, l'air mal à l'aise.

— Kiyoko, dit-il.

Elle blanchit à vue d'œil.

— Tu as un frère, n'est-ce pas ?

— Un demi-frère, précisa-t-elle. Mais il ne voit pas.

— D'accord. Et vous ? demanda-t-il en se tournant vers les garçons.

Kuroo haussa les épaules.

— Je suis fils unique, aux dernières nouvelles.

— Keiji ?

Ce dernier déglutit. Ukai connaissait déjà la réponse, il en était persuadé. Il dit :

— Un frère et une sœur.

— Plus âgés, c'est ça ?

— Oui. Mon frère travaille avec votre... avec le grand maître, se reprit-il.

L'homme grimaça.

— Je vois. Merci.

Il tourna les talons et disparut dans le couloir. La porte ouverte laissa entrer un courant d'air qui les fit tous trois frissonner.

— J'ai cru que j'allais mourir, lâcha Kuroo à voix basse. Ils sont fous, de faire un truc pareil ? Dites-nous qui vous avez choisi et arrêtez de poser des questions idiotes, qu'on en finisse.

Ils durent encore patienter une dizaine de minutes avant qu'Ukai ne revienne, cette fois accompagné du grand maître en personne, un homme d'une soixantaine d'années à l'air sévère qu'Akaashi n'avait jamais vu que de loin.

— Asseyez-vous, dit-il, et ils s'exécutèrent sans un bruit.

Lui-même prit place sur un canapé richement décoré tandis qu'Ukai, debout à sa droite, s'éclaircissait la gorge.

— Nous avons longuement analysé la situation, déclara-t-il. Nous avions un choix à faire, et il n'a pas été facile. C'est la première fois que nous avons autant de candidats, enfin... (Il secoua la tête et prit une inspiration.) Bref, je suppose qu'on vous a parlé de...

— Ferme-la et dis-leur, l'interrompit sèchement le grand maître.

Un tic agita la lèvre d'Ukai. Il soupira.

— Ce sera toi, Keiji.

Akaashi cilla. Il se mit à triturer la manche de son pull sans y faire attention.

— Et si je n'y arrive pas ? demanda-t-il d'une voix faible.

Ukai ouvrit la bouche pour répondre, mais le grand maître l'arrêta d'un geste de la main.

— Tu dois réussir. Nous n'avons plus le choix, Akaashi-kun. Vos parents sont censés vous l'avoir enseigné.

Il se leva et posa la main sur l'épaule d'Akaashi, l'air las.

— Tu n'es pas seul. Toute la communauté est derrière toi. Quant à vous deux, ajouta-t-il à l'attention de Kuroo et Kiyoko, ne vous croyez pas tirés d'affaire pour autant. Nous aurons besoin de tous les exorcistes disponibles, confirmés ou non, si nous voulons atteindre notre objectif. Toute cette histoire n'a que trop duré. Nous aurions dû y mettre un terme il y a des années déjà.

Il y eut un silence, puis il reprit :

— Nous nous reverrons bientôt.

Akaashi espéra qu'il avait tort.

Le grand maître le salua, puis il quitta la pièce sans ajouter un mot.

xxxxx

Il n'était pas seul.

Il avait rencontré chacun des exorcistes présents dans le grand salon au cours des quatre mois nécessaires à sa préparation. Certains le considéraient avec inquiétude, les mains moites, murmurant de temps à autre un mot d'encouragement quand il se trouvait à portée. D'autres le dévisageaient avec espoir, une lueur dans le regard, et hochaient la tête, confiants.

C'était la tristesse, pourtant, qu'il voyait sur la majorité des visages, parfois la résignation, et Akaashi commençait à croire qu'ils savaient déjà l'entreprise vaine, qu'ils songeaient à ce qui se passerait ensuite, le jour J, quand tout espoir serait à jamais perdu et qu'un autre de leurs enfants serait sacrifié sur l'autel de l'injustice.

— Keiji ?

Il sursauta. Sa mère avait détourné la tête pour ne pas le regarder.

— C'est l'heure, murmura quelqu'un derrière lui. Vas-y.

— Surtout, n'accepte rien de ce qu'il essayera de te donner, rappela quelqu'un d'autre.

— N'aie pas peur.

— Pense à la communauté.

— Je compte sur toi.

— Tu...

Il arrêta d'écouter. Tout le monde se tut à l'instant où il posa la main sur la porte du jardin.

Il se tourna une dernière fois vers eux, mais ce qu'il vit ne lui inspira rien d'autre qu'une cruelle vague d'anxiété. Alors il retint son souffle et, tout en se vidant doucement l'esprit, l'ouvrit.

Le jardin était aussi beau que ce qu'on lui avait décrit.

Des arbres de toutes les formes et de toutes les tailles s'épanouissaient çà et là, entourés de parterres de fleurs colorées et méthodiquement organisées de sorte à faire ressortir leur parure chatoyante. Une plante grimpante s'enroulait autour d'une arche dont les morceaux encore visibles étincelaient sous les rayons du soleil. Akaashi pouvait deviner un étang, un peu plus loin, traversé par de grosses pierres polies par les ans et couvert de plantes aquatiques d'un vert resplendissant. Il se demanda s'il y vivait des poissons, puis se rappela où il se trouvait.

Il fit un pas dans le gravier. La porte se referma derrière lui.

Il n'y avait personne dans le jardin. Akaashi n'entendait rien d'autre que le vent dans les branches et ce qui ressemblait au clapotis de l'eau. Il resta là, immobile, à attendre que quelque chose se produise. Il ne se passa rien.

Alors il avança un peu, curieux, puis un peu plus, son angoisse mêlée à une admiration croissante, espérant que, peut-être, il n'aurait pas à faire tout ce qu'on attendait de lui, qu'on l'avait rejeté avant même de l'avoir rencontré.

Puis quelqu'un se mit à chantonner, quelque part au loin, et son sang se glaça dans ses veines.

Il était là. À genoux devant l'étang, le visage au-dessus de la surface, un bras plongé dedans jusqu'à l'épaule. Sa main libre tenait un bouquet de fleurs du jardin.

Il n'y avait personne une seconde plus tôt. Akaashi l'aurait juré.

Il lui fallut un moment pour relâcher sa respiration ; encore plus pour avoir le courage d'avancer vers lui.

Il avança néanmoins. L'autre ne se retourna pas.

Tu devras initier la conversation, lui conseilla la voix d'Ukai, lointaine mais claire. Il n'y a pas d'autre moyen.

Il n'était pas certain d'en posséder la force. Toutes les leçons qu'il avait apprises au cours des derniers mois se détachaient de lui comme des oiseaux migraient avec l'hiver. Il ne savait plus rien. Plus rien.

Il n'y a pas d'autre moyen.

Ils comptent sur toi.

Notre dernière chance.

Alors il ouvrit la bouche, et dit à voix basse :

— Ma mère me chantait cette chanson.

L'autre ne se retourna pas. Il parut froncer les sourcils, mais Akaashi ne le distinguait pas assez bien pour s'en assurer.

— Pas la mienne, dit-il pourtant. C'est un ami qui me l'a apprise. Il a dit que ça m'aiderait à mieux dormir. Que ça tiendrait les cauchemars à distance.

Il ne s'était pas attendu à recevoir une réponse. Rassemblant son courage, il s'approcha.

— Un ami ? répéta-t-il simplement.

— Ça fait un moment. Tu peux me tenir ça une seconde ?

Sur ces mots, il lui tendit le bouquet. Akaashi ne fit aucun mouvement pour l'attraper.

— Eh bah, merci, soupira l'autre en haussant les épaules.

Il sortit le bras de l'eau et se redressa brusquement, faisant reculer Akaashi d'un pas. Puis il considéra le bouquet d'un œil critique et, sans avertissement, le jeta dans l'étang.

— Pourquoi t'as fait ça ? demanda Akaashi sans y penser.

Il se mordit la joue pour se reprendre. L'autre se tourna vers lui puis haussa les sourcils.

— Pourquoi tu fais cette tête ? Tu peux parler normalement. Tout le monde s'en fout, des règles de bienséance, non ? En parlant de ça, on se connaît ?

Akaashi se raidit.

— Non, répondit-il doucement.

— Tu connais mes parents ? Attends, c'est eux qui t'ont envoyé ici ? Ils détestent que je reste dans le jardin, pour une raison ou une autre...

Akaashi secoua la tête. Discuter avec lui lui donnait le tournis. Quelque chose n'allait pas. Il paraissait tellement...

L'autre lui attrapa le poignet si soudainement qu'il eut tout le mal du monde à réprimer un hurlement.

— Calme-toi, je voulais juste savoir si tu m'écoutais, fit l'autre en levant les yeux au ciel. Donc, tu viens d'où ? « D'où viens-tu », si tu préfères ?

Sa première pensée fut : Il me prend pour un idiot, immédiatement suivie par : Sa main n'est même pas froide, puis : Je n'aurais jamais dû accepter tout ça.

Je n'aurais pas dû me laisser faire.

Il ouvrit la bouche en espérant trouver quelque chose à dire, mais il ne pouvait se concentrer sur rien d'autre que la main agrippée à son bras, le martèlement de son cœur comme un tambour dans ses oreilles bourdonnantes.

— Hé ho ?

L'autre pencha la tête, baissa les yeux vers sa propre main ; puis, comme s'il avait compris, il détacha ses doigts du poignet d'Akaashi, et fit un pas en arrière, l'air mi-embarrassé, mi-méfiant.

— Je ne voulais pas te faire peur, se défendit-il en faisant la moue. Ça aiderait si tu parlais un peu. Tu comprends ce que je dis, au moins ?

— Désolé, dit Akaashi à mi-voix. Je crois que je me suis perdu.

Pour le coup, l'expression de l'autre changea du tout au tout. La surprise prit le pas sur la méfiance, puis Akaashi y distingua ce qui ressemblait vaguement à de la compassion.

— Tu es perdu ? répéta-t-il.

— Je ne connais pas bien le village, expliqua Akaashi. (Il prit une inspiration tremblante, à peine exagérée.) Je... je voulais m'en aller, mais on m'a dit de venir ici...

— Tu as vu mes parents ?

Il fit non de la tête. L'autre pinça les lèvres.

— Bien sûr que non. Ils ne reviendront pas avant à moment. Tu peux attendre ici avec moi, si tu veux. Comment tu t'appelles ?

Lui donner son nom aurait ruiné des années d'éducation minutieuse. Il y songea un instant, puis balaya ses doutes d'un soupir. Son éducation n'aurait pas dû le mener ici, de toute façon. S'il en croyait ce que lui avaient raconté les exorcistes, ceux qui avaient tout vu, tout entendu depuis le premier jour, l'autre ne pouvait pas lui faire grand-chose. Pas tout de suite, en tout cas. Il décida de jouer son rôle jusqu'au bout.

— Akaashi Keiji, déclara-t-il avec un signe de tête en guise de salut. (Après une brève hésitation, il ajouta :) Et toi ?

L'autre cilla. Il resta immobile un instant, l'air ailleurs, puis ferma les yeux.

— Oikawa Tooru, répondit-il après un moment. Tu veux bien m'aider ?

— T'aider à quoi ?

Oikawa lui accorda un sourire embêté.

— Tu as du temps à perdre, non ?

Puis il désigna un parterre de fleurs d'un geste de la tête.

— Les chardons. Je n'arrive pas à m'en débarrasser. Chaque année, c'est la même chose. C'est pire encore.

Akaashi s'approcha du parterre. Oikawa avait raison ; il y en avait un peu partout, pointant leurs têtes entre les fleurs soigneusement organisées avec la rigueur d'une petite armée. Il ne les avait pas remarqués en passant, mais il ne pouvait pas dire qu'il y avait prêté grande attention au départ.

Comme Oikawa s'accroupissait pour déraciner les mauvaises herbes, il s'agenouilla à ses côtés, à une distance raisonnable, toutefois. Il attrapa un chardon, ignora sa piqûre désagréable, puis se mit au travail tout en gardant un œil sur son voisin. Ce dernier s'appliquait à la tâche, l'air concentré, et sifflotait entre ses dents.

Akaashi pouvait encore sentir sa main autour de son poignet.

Tangible. Trop réelle.

Ce n'est pas normal, souffla la voix de la raison. Il faut partir.

Il frissonna. Bien sûr, qu'il voulait s'en aller. Personne n'avait envie de s'occuper de ça, ni lui ni les autres exorcistes, mais c'était son travail, et il s'en acquitterait comme il se devait de le faire. Parce que la communauté comptait sur lui.

Parce que c'était réel, et que c'était exactement la raison pour laquelle il se trouvait là. Rien ne servait d'avoir peur. D'autres s'en étaient sortis avant lui.

Pour les premières étapes, du moins.

— Je déteste ça, marmonna Oikawa pour lui-même en jetant un chardon derrière lui. Ça devrait s'arrêter, au bout d'un moment, non ? Mais c'est chaque année la même chose.

Akaashi s'arrêta. Le soleil était déjà bas sur l'horizon, mais son front perlait de petites gouttes de sueur salée.

— Tu aimes jardiner ? demanda-t-il.

Oikawa rassembla les mauvaises herbes arrachées et lui sourit. L'espace d'une seconde, Akaashi oublia où il se trouvait. Il sourit à son tour, juste un peu, avant de s'asseoir par terre.

— Non, l'informa Oikawa. J'en ai l'air ?

Akaashi acquiesça en silence.

— Je n'ai rien d'autre à faire, confia Oikawa. Cet endroit est d'un ennui mortel. Et puis, de toute façon, si je ne le fais pas, personne ne le fera. Mes parents ne viennent jamais ici. J'y jouais souvent, quand j'étais petit. Avec...

Ses yeux se perdirent dans le vague une seconde, puis revinrent à Akaashi, accompagnés d'un sourire étrange, un peu moqueur, qui ne manqua pas de lui procurer des frissons dans le dos.

— Ça impressionne les invités-surprises. Ce n'est pas si mal. Et toi ? Qu'est-ce que tu en penses ?

Akaashi déglutit. Il parcourut le jardin du regard. Le soleil couchant lui donnait une couleur orangée, étonnamment triste.

— C'est joli, dit-il simplement.

— Joli... peut-être. Je me demande si...

Il s'interrompit, les yeux vers le ciel.

— Akaashi ? murmura-t-il sans le regarder.

— Oui ?

— Mes parents ne reviendront pas tout de suite. Il faut que j'y aille. À demain, Kei-chan.

Puis il disparut, et le jardin avec lui.

xxxxx

Akaashi ne ressortit pas tout de suite. Il resta là, assis au sol, à observer la jungle de ronces et de plantes fanées qui s'enfonçaient dans l'ombre avec la tombée de la nuit. Il pensa : Kei-chan.

Trop réel.

Il se leva après ce qui lui sembla être une éternité.

Comme prévu, une petite foule patientait encore près de la porte, la plupart d'entre eux installés sur des chaises disparates, probablement venues d'autres maisons. Tous étaient silencieux, les yeux rivés sur lui.

Ils attendaient qu'il parle, mais il n'y avait rien à dire.

Alors se mirent à pleuvoir les questions.

— Tu vas bien ?

— À quoi il ressemble ?

— Quel âge a-t-il ?

— Il t'a dit quelque chose ?

— Tu penses qu'il te laissera revenir ?

— De quoi avait-il l'air ?

Akaashi-kun ?

Quelque chose lui compressait douloureusement la poitrine, sans qu'il parvienne à savoir quoi. Il s'appuya sur le mur, la respiration sifflante.

— Laissez-le, gronda Ukai Keishin en dispersant les curieux.

Il ne l'avait même pas vu approcher. L'homme posa les mains sur ses épaules.

— Nous en discuterons plus tard. Cet endroit est maudit. Il faut qu'on s'en aille.

Akaashi hocha la tête et le suivit sans un mot. Il ignora les regards et les murmures. Il n'entendait rien d'autre qu'un bourdonnement constant au creux de ses oreilles, une voix déjà étrangère qui disait : Si je ne le fais pas, personne ne le fera.

Il ne pensait qu'au jardin. À la lumière du soleil sur l'étang. À la façon dont il lui avait tendu les fleurs. Il avait failli les prendre. Il avait failli...

Il ne revint à lui qu'une fois dans le salon privé du grand maître Ukai, si calme, loin de la nervosité des autres exorcistes, de la maison Oikawa et de ses fleurs fanées. Kuroo avait une main sur son épaule ; il la retira au moment où Akaashi s'en aperçut. Kiyoko était là, elle aussi. Elle le dévisageait sans rien dire, mais son expression valait tous les discours du monde.

— Tout va bien ? demanda Kuroo. Tu trembles.

— J'ai la nausée, répondit Akaashi.

Il s'en était rendu compte en le disant. Il ramena ses jambes vers lui, soudain terriblement vulnérable.

— Ukai-sama est parti chercher quelque chose pour toi. Il a dit que c'était normal. Qu'aucun de ceux qui avaient été acceptés à l'intérieur n'en était ressorti en pleine forme. Il a raison, tu sais. C'est maudit. Ça rendrait malade n'importe qui.

Il fit une pause, puis, comme Akaashi ne répondait pas, poursuivit :

— Ça s'est bien passé, hein ? T'es resté là-bas si longtemps, je commençais à avoir les boules. Ils étaient prêts à envoyer quelqu'un, pas vrai, Kiyoko ?

Elle acquiesça.

Le grand maître Ukai entra à cet instant, un petit plateau avec une tasse fumante à la main.

— Bois ça, dit-il à Akaashi.

Ce dernier obéit. Le liquide ne goûtait rien de spécial, si ce n'était une légère note d'amertume qui s'attardait sur sa langue.

— J'ai des questions à te poser, dit le grand maître en s'installant sur un fauteuil au design épuré. Tu vas y répondre, puis tu iras te laver à l'étage. Une purification sera toujours nécessaire après un passage dans la maison principale. Tu comprends ?

— Oui.

— Bien. Kiyoko et Kuroo seront témoins de nos entretiens présents et futurs, puisqu'ils sont désignés pour te remplacer si quelque chose se passe mal. Leur cacher quoi que ce soit ne pourrait que vous faire du tort.

Il hocha la tête. Comme par miracle, la nausée s'apaisait déjà.

— Je sais que tu l'as vu, dit Ukai. S'est-il adressé à toi ?

— Oui, répondit Akaashi.

Il regardait la tasse plus que le grand maître, mais celui-ci ne s'en formalisa pas.

— De quoi avait-il l'air ?

— Je ne sais pas quoi dire.

L'homme fronça les sourcils.

— Quel âge avait-il l'air d'avoir ?

— Le mien.

— Il te l'a dit ?

— Non.

— T'a-t-il paru méfiant ?

Akaashi réfléchit avant de répondre :

— Parfois.

— A-t-il évoqué les autres ? Ceux qui sont venus avant toi ?

— Il a parlé d'un ami, se rappela Akaashi.

Ukai claqua la langue.

— Pas ça. Aucune importance. Autre chose ?

Akaashi s'agita. Il sentit son souffle se coincer quelque part dans sa gorge.

— Il a dit « à demain »...

— Peut-être possède-t-il encore quelques vagues réminiscences, dans ce cas. Il aura tôt fait de les oublier.

— Il a mis du temps à se rappeler son nom.

Cette fois, Ukai marqua un arrêt. Il plissa les yeux, très légèrement, puis demanda :

— Combien de temps ?

— Quelques secondes. Une minute. Je ne sais pas.

Le grand maître expira longuement. Kiyoko et Kuroo échangèrent un regard.

— C'est plus urgent que je ne le pensais. Tant pis. Tu dois persévérer, Akaashi. Nous t'offrons bien plus de temps qu'à quiconque avant toi. Tu sais ce que ça signifie.

On le lui avait répété mille fois.

— Je dois y aller doucement, récita-t-il. Je sais.

— Sa confiance est primordiale pour la suite des événements. Tes parents, comme tous les exorcistes de la région, travaillent d'arrache-pied pour mener notre mission à bien. Tu t'en rends compte, n'est-ce pas ?

— Les autres ont échoué, souligna Akaashi à mi-voix.

Ukai croisa les bras. Ses sourcils froncés lui donnaient un air sévère qui fit regretter à Akaashi d'avoir osé partager son avis.

— Les autres n'avaient qu'une semaine, rappela Ukai d'un ton sec. Tu as plusieurs années. Nous avons perdu le journal, mais j'ai cru comprendre en le lisant que « les autres », comme tu dis, n'ont eu aucun mal à s'en faire un ami. Pour autant qu'il puisse l'être, bien entendu. Solidifie ce lien autant que possible. Fais attention à ne pas te laisser charmer, et tout ira bien. (Il se releva.) Vous pouvez vous en aller. Je parlerai aux exorcistes. Quant à toi (il se tourna vers Akaashi), tu as besoin de repos.

Kuroo se leva, rapidement suivi par Kiyoko. Akaashi ne bougea pas.

— Oui ? fit Ukai.

— Il a essayé de me donner quelque chose.

Les deux adolescents lui jetèrent un regard inquiet.

— Je suppose que tu ne l'as pas accepté, ou tu ne serais pas ici avec nous.

— Il savait ce qu'il faisait.

— Il ne sait rien, répliqua Ukai. Là réside tout le problème. Mais il essayera encore, sois-en sûr. C'est tout ?

Akaashi hésita. Incapable de soutenir le regard inquisiteur du grand maître, il détourna les yeux.

— Comment est-il mort ?

Ukai laissa échapper un soupir.

— Ne pense pas à ça. Savoir comment ne mènera à rien. L'important, c'est de savoir pourquoi tu te trouves face à lui aujourd'hui. Et tu le sais, n'est-ce pas ?

— Oui.

Il n'en était pas certain.

Il ne quitta le bureau qu'une fois Ukai partit, et répondit à peine aux gestes compatissants de ses deux camarades. Non, il ne savait pas. Il avait cru savoir.

Il ne dormit pas bien, cette nuit-là, et ses rêves ne lui apportèrent aucune des réponses qu'il avait espéré y trouver.

xxxxx

Akaashi avait les mains plongées dans une terre riche et humide quand il sentit un poids contre son dos.

— Déjà au travail ? Mes parents devraient t'engager à plein temps.

Akaashi tenta de se retourner, mais Oikawa s'appuyait tant et si bien qu'il ne put que lâcher ses outils pour éviter de se retrouver le nez dans le parterre.

— Kei-chan ? Quelque chose ne va pas ? Un petit souci, peut-être ? Tu veux en parler ?

Il pouvait entendre son sourire dans sa voix. Oikawa n'avait pas mis deux jours à s'adapter à sa présence, et si Akaashi avait d'abord pris ça comme une réussite, il commençait désormais à en éprouver quelque regret.

Prenant appui sur ses mains, il se redressa d'un bond, le faisant chuter sur l'allée de pierre. Oikawa se mit à geindre. Akaashi l'ignora.

— T'es horrible, aujourd'hui, commenta Oikawa en s'asseyant. Personne ne m'a jamais traité comme ça.

— Peut-être que « personne » aurait dû, répliqua Akaashi.

Oikawa se plaqua une main sur le cœur, l'air outré.

— J'ai mal, se plaignit-il. C'est tout ce que ça te fait ?

Akaashi sourcilla. Oikawa laissa échapper un éclat de rire.

— Horrible, répéta-t-il.

Akaashi ne put contenir un sourire. « Ne pas se laisser charmer » avait semblé si facile, quelques jours plus tôt.

Il se remit au travail sous le regard perçant d'Oikawa qui, manifestement, ne se sentait pas l'envie de faire quoi que ce soit d'utile.

— Je me pose des questions, l'entendit-il dire après un long moment.

Akaashi releva la tête vers lui. Oikawa ne souriait plus, mais il ne paraissait pas spécialement contrarié. Il décida de ne pas s'en inquiéter.

— Des questions ? demanda-t-il. Sur quoi ?

— Sur toi.

Peut-être devait-il s'en inquiéter un peu. Il soupira.

— Quelles questions ?

— D'où tu viens, où tu vis, ce que tu fais quand tu n'es pas avec moi. Tu as l'air d'avoir beaucoup de temps à perdre.

— De Tokyo, répondit-il machinalement.

Ce n'était pas exactement un mensonge. Il y était né et, s'il n'en gardait aucun souvenir, y avait néanmoins vécu les premières années de sa vie.

Mentir à un esprit n'était jamais conseillé. Mentir à un esprit comme celui-là pouvait tout réduire à néant.

Oikawa pencha légèrement la tête.

— Tokyo ? Et quoi, tu t'es perdu ?

— Je... reste chez mon oncle, avec ma mère. Cette semaine seulement. Pour changer d'air.

— Ah.

Il afficha une mine un peu déçue, puis haussa les épaules.

— Et qu'est-ce qu'il fait ici, ton oncle ?

Akaashi n'aimait pas trop la tournure que prenait la conversation.

— Il a toujours vécu ici.

— Vraiment ? Où ça ?

— Dans la vallée, inventa-t-il.

— Il travaille ?

Il hésita. Oikawa ne semblait pas près de lâcher l'affaire.

— Oui, dit-il finalement.

— Qu'est-ce qu'il fait ?

Akaashi se mordilla nerveusement l'intérieur de la joue.

— Il est exorciste.

Oikawa cilla. Au cours des quelques secondes de silence qui suivirent, Akaashi regretta d'avoir répondu.

— Exorciste, hein ? déclara lentement Oikawa. Il parait que c'est de famille.

— Ça l'est.

— Tu es un exorciste ?

— J'apprends encore.

Oikawa l'étudia un instant.

— Tu peux voir les morts ?

— Parfois.

— De quoi ils ont l'air ?

De gamins qui posent trop de questions.

— Ça dépend. Certains ont l'air normaux. D'autres pas.

— Ils font peur ?

— En général.

Oikawa croisa les bras.

— Comment tu les reconnais ?

Akaashi haussa les épaules.

— Je les reconnais, c'est tout.

— Je croyais qu'ils avaient l'air normaux.

— Ça ne les empêche pas d'être difficiles à rater.

— Et moi ?

Akaashi déglutit.

— Quoi, toi ?

— Est-ce que je suis mort ?

Il pinça les lèvres.

— Oui, sans doute.

Il y eut un bref silence. Oikawa éclata de rire.

— J'en étais sûr. Tu fais semblant de rien, mais tu ne manques pas d'humour, au fond.

Akaashi essaya de ne pas laisser transparaître son soulagement. Il sourit pour masquer la vague d'angoisse qui l'envahissait aussi sûrement que les chardons s'appropriaient le jardin chaque nuit.

Il se releva en époussetant son pantalon. Quand il se retourna pour parler à Oikawa, il ne trouva personne.

Deux bras s'enroulèrent autour de ses épaules. Il cessa de respirer.

— Je sais quelle est ta fleur favorite, dit-il contre sa nuque.

Son souffle s'était considérablement refroidi. Akaashi resta figé, incertain de l'attitude à adopter.

— Ah bon ? souffla-t-il faiblement.

— Celle-ci, annonça Oikawa en ouvrant la main.

Une pâquerette en mauvais état gisait à l'intérieur. Akaashi secoua lentement la tête.

— Menteur.

Son ton léger le rassura un peu.

— Je ne mens pas, répondit Akaashi.

— Vraiment ?

— Je ne mens jamais.

— C'est exactement ce qu'un menteur dirait.

— Je ne sais pas comment faire.

Oikawa rit.

— Tout le monde sait comment faire. Mais ne t'en fais pas, Kei-chan. Je ferai toujours semblant de te croire.

— Merci.

— De toute façon, je finirai bien par la trouver.

— Trouver quoi ?

— Ta fleur préférée. Et quand je la trouverai, tu l'emporteras avec toi.

— Pour quoi faire ? Je n'aime pas tellement les fleurs.

— Parce que c'est important pour moi. Tu n'acceptes jamais aucun cadeau, aussi insignifiant soit-il. C'est comme si tu me mettais au défi.

— Je n'ai jamais fait ça, objecta Akaashi.

— Mais c'est comme si. De toute façon, tu n'as pas le choix. Si tu refuses, je ne te laisserai plus jamais venir ici. Je demanderai à mes parents de t'empêcher d'entrer. Il leur arrive encore de m'écouter, tu sais ?

Akaashi soupira.

— Fais comme tu veux, céda-t-il.

— Alors tu l'accepteras ?

— Je suppose.

— Promets-le.

Ça sonnait comme un ordre. Akaashi ferma les yeux un instant. Ukai le tuerait sûrement, mais il n'avait pas le choix.

— C'est promis.

Oikawa s'écarta enfin. Akaashi relâcha son souffle, le cœur battant. Lorsqu'il tourna la tête vers Oikawa, il le trouva tout sourire, les yeux pétillants d'une émotion qu'il n'osait pas identifier. La fleur était tombée par terre. Son regard s'attarda sur ses pétales chiffonnés.

— Ce n'est pas tout ça, intervint Oikawa en l'arrachant à sa contemplation, mais on a du travail. Tu as vu le fond du jardin ? J'ai l'impression de vivre dans un terrain vague.

Il se dirigea vers l'autre côté du jardin d'un pas guilleret. Après quelques instants, Akaashi le suivit sans un mot.

Oikawa avait récupéré son caractère habituel lorsqu'ils arrachèrent la dernière mauvaise herbe, une plante urticante qu'Akaashi ne connaissait pas. Il le taquinait encore quand le ciel commença à rougir, apportant avec le crépuscule un soupçon de mélancolie.

— Il est tard, fit Akaashi.

Oikawa tirait gentiment une mèche de ses cheveux.

— Tu ne te coiffes jamais, chez toi ? Ton oncle devrait avoir honte. À sa place, je ne te laisserais même pas sortir.

Akaashi écarta sa main et se releva.

— Il faut que j'y aille.

Oikawa lui lança un regard indéchiffrable.

— Tu reviendras demain ? demanda-t-il.

Sa voix ne transportait aucune émotion particulière, mais c'était exactement ce qui la rendait inquiétante. Il posait la question chaque jour, désormais, et toujours de la même façon.

— Oui, répondit Akaashi.

— D'accord. Tant mieux. Je t'aime bien, Kei-chan. Toi aussi, pas vrai ?

Akaashi hocha la tête.

— C'est bien. Je n'ai jamais trop aimé les exorcistes, tu sais ? Toujours à essayer de me dire quoi faire et où aller. À jurer qu'il n'y a rien d'autre à faire. Des menteurs, tous autant qu'ils sont. Mais tu n'es pas comme eux, Kei-chan. Tu ne mens jamais.

Akaashi s'agita. Au-dessus d'eux, le ciel s'assombrissait à vue d'œil.

— Il faut que j'y aille, répéta-t-il.

— Eh bien, vas-y.

L'idée de lui tourner le dos le mit soudain mal à l'aise. Il recula de quelques pas et se retourna seulement lorsqu'il fut assuré qu'Oikawa s'était remis au travail.

Il était pratiquement arrivé à la porte lorsque sa voix s'éleva derrière lui, aussi claire que s'il lui parlait à l'oreille.

— Si j'étais mort, je t'emporterais avec moi. Je t'aime bien, Akaashi. J'aurai besoin d'un ami, là-bas, tu comprends ?

Akaashi ne commit pas l'erreur de répondre. Il ouvrit la porte, se laissa glisser contre le mur du salon, puis, sans savoir pourquoi, il se mit à pleurer.

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— Pauvre idiot, gronda Ukai. N'as-tu donc rien appris, après toutes ces années ? Ne vous a-t-on pas rappelé toutes les règles avant de vous amener ici ? Tu sais très bien ce qui est en jeu, Akaashi.

— Je sais, marmonna ce dernier sans oser lever la voix.

— Et pourtant, tu continues à te comporter comme un gamin sans cervelle. Ta mère aurait-elle oublié de t'enseigner la plus élémentaire prudence ?

— Il ne m'a pas laissé le choix, se défendit Akaashi. Il...

— Tu aurais pu changer de sujet ! Mieux, tu aurais pu te taire ! Et pourtant te voilà enchaîné à une promesse qui non seulement met ta propre vie en jeu, mais également celle de toute la communauté ! C'est notre dernière chance, Akaashi, combien de fois faudra-t-il te le répéter ?

— Je n'ai pas mis ma vie en jeu, répondit-il d'une voix sèche. Je n'aurai pas à tenir ma promesse.

— Grande nouvelle ! Et comment comptes-tu t'y prendre, jeune homme ? Une promesse est une promesse. Il n'y a aucune échappatoire possible.

— Je n'ai pas de fleur préférée.

Il y eut un silence. Kuroo, qui s'était appuyé contre la porte, émit une toux forcée.

— Alors tu lui as menti, dit lentement Ukai.

— Je lui ai dit que je n'aimais pas ça.

Ukai marmonna quelque chose dans sa barbe, mais Akaashi ne l'entendit pas. Il avala un peu d'eau puis s'éclaircit la gorge.

— Je ne veux plus rien entendre de semblable, déclara-t-il d'un ton abrupt. Tu as encore un jour pour faire tes preuves. Ne me déçois pas.

— Je ferai de mon mieux.

Ukai le fixa un long moment. Enfin, il se leva.

— J'espère bien. Sortez d'ici, tous les trois.

Ils s'exécutèrent sans un mot.

Leurs parents les attendaient sans doute dans le grand salon, mais Akaashi se rendit dans une chambre vide et se laissa tomber sur le lit. Comme il l'avait espéré, Kuroo et Kiyoko l'avaient immédiatement suivi.

— Je ne voulais pas faire ça, dit-il à voix basse. Il ne sait pas de quoi il parle.

— Ukai-sama est un peu dur, mais il a été témoin de plus d'échecs que de réussites, nota Kiyoko. Il est inquiet, c'est tout.

— C'est ridicule. Il ne fait rien d'autre que regarder et attendre.

Et puis, Ukai n'était pas là-bas. Akaashi avait peur, pas lui. Il n'en avait pas le droit.

— Je me demande s'il était présent, ce jour-là, lâcha Kuroo. Il a peut-être tout vu.

— Ça m'étonnerait, répliqua Akaashi.

— Pourquoi ? Il n'est plus tout jeune. Je ne sais pas quand tout ça a commencé, mais...

— Il n'y a pas si longtemps, intervint Kiyoko. Quarante ans maximum. Mais Ukai ne pourrait pas l'avoir vu. Sa famille ne s'est installée ici qu'après l'incident.

— Quelle idée, commenta Kuroo.

Elle haussa les épaules.

— Les exorcistes d'ici n'étaient plus capables d'endiguer le phénomène. Ils ont simplement fait appel à ceux qui avaient une chance de le gérer correctement. C'est Ukai-sama qui a lancé ce système, d'ailleurs. Son propre frère en a fait les frais.

— Il est mort ? s'inquiéta Akaashi.

— Pas tout de suite, non.

— Il a dit qu'il m'emporterait dans la tombe.

Kuroo et Kiyoko échangèrent un regard.

— Oikawa ? demanda Kuroo.

— Je lui ai dit que j'étais exorciste. Il a dit qu'il m'aimait bien.

Il porta les mains à son visage.

— Je ne peux pas y retourner, souffla-t-il. Je ne peux pas...

Kiyoko s'approcha de lui et posa les mains sur ses épaules.

— Tu es arrivé jusqu'ici, dit-elle avec douceur. Tu peux encore tenir un jour.

— Et s'il ne me laisse plus repartir ? S'il comprend que...

— S'il arrivait quelque chose, l'interrompit Kuroo, on viendrait te chercher. C'est aussi simple que ça. Ne t'en fais pas, je suis sûr que tout se passera bien.

— Le jour du sacrifice est encore loin, assura Kiyoko. Tu ne risques rien.

Il en doutait. Il ne répondit rien.

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Oikawa le regardait sans rien dire, assis contre le mur du jardin. La journée s'était écoulée sans heurt, si bien qu'Akaashi en avait presque oublié l'angoisse de la veille. Il nettoyait les briques à l'aide d'une brosse aux poils épais. Elle ne se trouvait pas là avant, il en était certain. L'influence d'Oikawa sur le jardin lui apparaissait chaque jour un peu plus importante, et il commençait à se demander à quel degré celui-ci le contrôlait réellement.

— Kei-chan, dit-il enfin.

Akaashi interrompit son mouvement et se tourna vers lui.

— Tu dois avoir beaucoup d'amis, chez toi.

Akaashi haussa les sourcils.

— Pas tellement, répondit-il.

— Pourquoi ? Les exorcistes sont plutôt populaires, par ici.

— Pas chez moi.

De toute façon, il n'était pas du genre à le crier sur les toits.

— Je n'ai pas d'autre ami que toi, dit Oikawa.

Akaashi conserva le silence. Il se remit au travail.

— J'en avais un, mais il m'a laissé derrière.

— Comment il s'appelait ?

Oikawa se releva, une violette entre les doigts.

— J'ai trouvé ta fleur favorite, dit-il.

Akaashi la considéra un instant, puis il secoua la tête en signe de dénégation. Oikawa soupira.

— Tu reviendras demain ?

— Quoi ? Il n'est pas si tard que...

Il leva les yeux vers le ciel crépusculaire et se tut.

— On a beaucoup travaillé, commenta Oikawa. Tu reviendras demain ?

— Non.

À sa grande surprise, Oikawa ne réagit pas. Il se contenta de se rasseoir, le visage impassible.

— Au revoir, alors, dit-il d'une voix plate.

Akaashi hésita.

— Au revoir, Oikawa-san, répondit-il finalement.

Il abandonna la brosse au sol et se dirigea vers la maison. À peine avait-il posé la main sur la porte, cependant, qu'il sut que quelque chose n'allait pas.

La poignée de s'abaissait pas. Il déglutit.

Autour de lui, l'air se refroidit considérablement.

— Laisse-moi partir, murmura-t-il.

Une voix gutturale et désincarnée s'éleva derrière lui.

— Où vas-tu, exorciste ?

Un frisson glacial lui parcourut l'échine. Akaashi resserra son emprise sur la poignée.

— Je rentre chez moi, répondit-il.

Son ton manquait d'assurance. Il pria pour que l'esprit n'en remarque rien.

— Menteur.

— Je ne mens pas.

Il sentit comme une main contre son dos, et l'air se réchauffa soudain.

— Kei-chan.

Akaashi retint son souffle.

— Ne me laisse pas tout seul.

— Oikawa-san, il faut que j'y aille.

— Il m'a laissé derrière.

— Je reviendrai l'année prochaine.

La main s'appuya un peu plus.

— Promets-le.

Cette fois, il n'hésita pas. Ukai n'était pas ici, de toute façon. Il n'avait rien à dire.

— C'est promis.

Le poids disparut. Les épaules d'Akaashi s'affaissèrent.

— Je t'attendrai, murmura Oikawa.

Puis le jardin s'effaça et, enfin, la porte s'ouvrit.


Plus le temps passe et plus la page de style sur Antidote me donne la nausée mmh

Sur ce merci d'avoir lu, à une prochaine. Next Love C41