Disclaimer : Les personnages de Teen Wolf sont la propriété de Jeff Davis.

Ce Two-shot a été écrit pour l'Évent de Juin (Vive l'été !) de la page FB Scott's Pack.
Prompt imposé : "Une licorne a décidé que Beacon Hills était un bon endroit où s'installer ! Problème, c'est connu, les licornes ne se laissent pas approcher par tout le monde, heureusement, il y a un vierge connu dans la ville ! Sauf que... Notre puceau ne se révèle pas plus capable que les autres d'approcher la sale bête capricieuse ! Quelqu'un va devoir s'expliquer..."

Merci à MlleHeathcliff, qui a prit le temps de corriger ce sacré pavé !

Note auteure : Je vous préviens d'avance, entre le prompt imposé et ce que mon esprit tordu a pondu pour le premier chapitre, il y a un gouffre. Mais, heureusement, je retombe sur mes pattes au deuxième chapitre, enfin... J'AI ESSAYÉ. Même si ce n'est pas un défi réussi dans les règles de l'art, j'espère qu'il vous plaira.


Fraîchement arrivées en bas, des pantoufles fainéantes se glissèrent dans son dos. Il feignit de ne pas les entendre s'approcher, comme si le maniement d'un économe sollicitait l'entièreté de sa concentration, mais déjà, le frottement caractéristique du tissu contre le sol à carreaux le faisait sourire. Il ne pouvait retenir son appréhension, ce petit pincement à la poitrine qui le prenait à chaque fois à l'avance, si délicieux.

Enfin là, l'arrière d'un jogging large, décoloré par d'innombrables sessions de lavage, vint s'appuyer contre le plan de travail. Il tourna la tête, un sourire amusé au bout des lèvres en signe de bonjour. Apparemment, un flâneur avait mis la main sur sa fournée de desserts et s'était poudré jusqu'au nez de sucre glace, celui qui servait initialement à décorer l'Amandine — une recette de sa mère qu'ils réservaient en général pour les anniversaires.

— Qu'est-ce que tu fais, Scott ? demanda la bouche un peu trop curieuse du chapardeur, léchant rapidement les commissures de ses lèvres pour masquer son méfait.

À l'entente de son prénom, son regard chocolat s'enlisa dans celui plus clair de son meilleur ami. Il ne put s'empêcher de contempler le profil et les traits fins et doux qui s'adressaient à lui ; les grains de beauté par centaines sur les bras nus, les hanches marquées par l'élastique du jogging, les mains tout en longueur et souplesse placées de part et d'autre de la planche à découper, le col d'une chemise légèrement plus ouvert que d'habitude et offert à la dévotion, le menton parsemé d'une pellicule de sueur par l'assaut du four et de ses effluves, les joues rosées, d'une bonne humeur contagieuse, les sourcils arqués par la curiosité et un appétit encore somnolent, les cheveux parfumés d'après-shampoing à la noix de coco... Il pensa un bref instant que la gourmandise lui allait bien au teint. Elle rendait sa peau plus laiteuse que jamais, translucide, et durant quelques secondes, son visage tout entier brilla sous la lumière grésillante et chaude de la cuisinière. Semblables à un flou artistique, des particules de cannelle soulevées par l'évaporation rendaient le tableau irréel. Spécial.

Stiles était magnifique.

Le temps sembla perdre de sa consistance. Le crépitement du caramel qui nageait dans une des casseroles s'était tut pour laisser place à un son lourd, erratique. Leurs cœurs battaient à l'unisson, s'accordant parfaitement sur la respiration de l'autre. Auréolés par l'odeur casanière des gâteaux à la rhubarbe, ils sentaient eux. Ils étaient proches. Si proches. Et Scott pensa surtout qu'il rêverait de l'embrasser.

Il ne dit rien cependant. Il détourna la tête et recommença à éplucher une pomme rainette sous l'attention étonnamment silencieuse de l'autre adolescent, qui s'occupait à froisser les coins du rouleau de papier sulfurisé. Cette présence quasi-accoudée au-dessus de son épaule accentuait son début de nervosité. Il s'épongea le front du revers de la main et regretta aussitôt son geste ; le jus du fruit avait commencé à couler entre ses doigts, s'engluant autour de ses phalanges.

Tandis qu'il s'essuyait avec le linge humide accroché à côté de l'évier, son œil quitta la pièce et rencontra les branches tombantes du saule. Fils d'araignée, elles se balançaient au milieu des derniers bourgeons pour frapper contre les carreaux des fenêtres de la maison. Le monde s'activait enfin dehors, éveillé par un souffle divin. Depuis les pelouses du voisinage, des rires d'enfants s'élevaient dans l'air avec le chant des moineaux. Quelqu'un allumait une tondeuse ; certains, le moteur de leur voiture. Au-dessus d'eux, un soleil sur le point d'exploser réchauffait ce premier jour de vacances d'été. Au loin, un clocher sonnait neuf heures. Il concentra son ouïe surnaturelle dessus pour oublier le reste, pour oublier un énième réveil frustrant aux côtés de celui qu'il avait commencé à aimer sans explication. Cela n'avait pas toujours été compliqué et parfois, il aurait souhaité ne jamais avoir à penser en adulte. Il aurait souhaité ne jamais connaître du désir pour la mauvaise personne. Il aurait souhaité mettre Londres en bouteille.

Tous les soirs pendant des années, le temps de toute une vie, ils s'étaient couchés dans son lit comme des meilleurs amis, des compagnons de galères, des frères d'armes, et même parfois à deux doigts de devenir de vrais frères. Ensemble. Puis, un matin, il s'était réveillé avec l'impression de ne plus pouvoir remonter les aiguilles de sa montre, qu'un détail avait scellé son présent, que, maintenant, tout était différent. Il avait senti juste. Il était tombé sous le charme de Stiles, et il n'y avait alors plus eu que lui, lui seul face à son étonnement, lui seul face à ses doutes. Son propre corps et ses envies étaient devenu étrangers à sa raison, plus encore que durant la période où il avait été mordu. Quand il regardait son meilleur ami, les effets de la Lune devenaient dérisoires en comparaison. Il posait ses yeux sur lui et, chaque jour, il voyait un jeune homme grandir, s'épanouir, prêt à être aimé et embrassé. Il voulait aussitôt passer ses mains dans son cou et l'enlacer, retracer de sa langue la moindre parcelle de ses courbes, le renfoncement de ses clavicules, le creux de ses reins, l'arc de sa mâchoire, le contour de son nombril et l'arrière de ses cuisses... Il le voulait. Il voulait entendre une voix faite rauque autrement que par le sommeil et retomber à nouveau amoureux de lui. Il l'aimait et cela l'avait effrayé.

Stiles était humain, têtu, impulsif et sans défense. Il était toute sa vie. Et si, par malheur, il lui arrivait de le perdre à cause d'un combat ou de l'univers monstrueux auquel sa lycanthropie appartenait désormais, Scott ne se le pardonnerait jamais. Il n'avait pas le droit de lui imposer un tel train de vie et bien que cela sonnât inconscient et immature, il se sacrifierait sur-le-champ pour le garder sain et sauf. Cependant, cette façon de penser les mettait tous deux en danger et il avait dû faire un choix en conséquence. Il avait privilégié la carte de la facilité. Il s'était retranché dans ses rêveries, à jamais incomprises. À jamais satisfaites.

Aujourd'hui, malgré le fait d'être de grands enfants, il continuait de se taire, sans répit. Il avouait enfin qu'au-delà de toutes ces excuses se cachait, en fait, une cause beaucoup plus simple ; il avait peur d'être rejeté, peur que ses sentiments ne soient pas réciproques. Il était lâche et tentait en vain de se complaire dans sa lâcheté. Qui pouvait bien lui en vouloir, il était devenu maître dans l'art de brider un secret.

Cependant, ce matin, il n'avait pas tenu bon à la sensation de la jambe droite de celui qu'il désirait clandestinement sur la sienne. Il avait bondi et dévalé les escaliers. Il avait ouvert les placards pour trouver n'importe quoi capable de contenir son besoin impulsif de revenir sous les couvertures et voler un baiser au dormeur. Devant cette urgence, son imagination s'était contenté de meubler le temps et l'espace pour éviter la catastrophe. Depuis, il préparait à manger, soit une cargaison de sucreries pour noyer une faim beaucoup plus féroce. De quoi faire un bonheur éphémère.

Après s'en être pris au réfrigérateur, il avait monté les provisions de secours qui se trouvaient à la cave et était même allé sonner chez la voisine pour piquer des œufs et du lait (Elle s'était plainte de l'heure indécente, mais avait accepté dans un soupir...). Mais cela ne suffisait toujours pas, cela ne suffirait, ô bon Dieu, jamais. Que les tables, les chaises et le sommet des armoires soient tapissés d'assiettes garnies ou pas, il faudrait qu'il se laisse couler dedans pour calmer définitivement sa faim.

Alors que Scott dérivait dans ses pensées métaphoriques, le fils du shérif bailla paresseusement. Il y avait vraiment beaucoup trop de plats à tarte et de moules différents étalés devant lui, c'était à ne plus s'y retrouver. Il examina d'un œil distrait ce qui semblait être de la pâte à pain qui reposait dans un saladier fuchsia et haussa les épaules, y plongeant un index furtif. Autant goûter avant que...

— Stiles, menaça faussement le chef pâtissier en roulant des yeux.

Le sourire de ce dernier le trahissait, garantissant au voleur l'opportunité de piquer en toute impunité un morceau de la préparation. Les représailles étaient bazardées dans un monde parallèle lorsque Scott arborait cette moue, pas pour un sou belliqueuse. C'était comme s'il fondait devant les actions dévergondées de son coéquipier et qu'il y trouvait là une beauté qu'il était seul à priser. Il en avait fait sa nouvelle marque de fabrique et en quelques mois, Stiles n'avait pas arrêté d'user de ce pouvoir inédit pour s'amender du moindre accroc. Un vrai laissez-passer, risible par ailleurs. Plus personne ne rouspétait derrière lui quand il fouinait, « empruntait pour une durée indéterminée », piquait, faisait preuve d'un sarcasme à la limite du manque de respect, ou alors, les reproches tenaient sur un sourire et un maigre sous-entendu de la part de l'esprit guimauve de McCall.

En de pareilles circonstances, il n'excusa pas son geste et porta la mixture à sa langue. À l'inverse de ce qu'il s'était attendu, le goût mielleux qui fondit sur ses papilles le décontenança. Il en demeura les yeux écarquillés, à des kilomètres de l'air serein qu'il affichait d'habitude quand il découvrait le leader de l'équipe de Lacrosse (et du lycée entier) en tablier et front fariné. Qui pouvait se vanter d'être le spectateur d'un portrait aussi incongru et authentique dès le réveil ? Eh bien, répondre à cette question était le quotidien de Stiles :

Que. Lui.

Cette routine s'était installée plusieurs mois en arrière. S'ils étaient les deux côtés d'une pièce la journée, ils partageaient dorénavant leurs nuits régulièrement. Les prétextes de l'épée de Damoclès surnaturelle ou d'un « on s'est encore endormi devant le film, hein ? » n'avaient pas résisté des masses. Une, puis deux, trois fois en une semaine et ils avaient juste cessé de réfléchir. Ils ne paniquaient plus à l'idée d'être secoués par une attaque et dormaient sur leurs deux oreilles chez Mélissa qui paraissait, elle aussi, plus rassurée d'avoir deux gardes du corps rodés en matière de méchantes bébêtes, plutôt qu'un. Pourquoi donc se prendre la tête dans ce cas ? En soi, ils vivaient en colocation à mi-temps, purement et simplement. Il n'y avait aucune suggestion bizarre à cet état de fait...

Couche-tard, l'hyperactif s'étalait sur le lit à l'heure de la grasse matinée et, d'une oreille, il entendait Scott s'éclipser après le passage hebdomadaire des éboueurs dans l'allée — les vrombissements du compacteur avaient tendance à déranger le sommeil du loup-garou, mais il ne s'en plaignait plus, c'était même devenu une raison parfaite pour se lever le samedi. C'était les rares fois où il était debout avant les oiseaux, avant le retour de la garde de nuit de sa mère et avant (ou après, selon le point de vue) les gaffes d'une certaine personne. Plus tard, la lumière du ciel sortait Stiles de son rêve pour le conduire au rez-de-chaussée et un parfum, souvent fruité, embaumait la cuisine à son approche.

Ils adoraient tous deux les fruits cuits au four, en particulier les tartes à la cerise et à la framboise pour lui et les muffins aux pruneaux pour Scott. Mais il y avait un dessert qui était plus qu'une préférence, il était unique. Il était à eux et jusqu'à sa démonstration de gourmandise, l'adolescent l'avait complètement effacé de sa mémoire sans y prêter garde. Comme un numéro de téléphone fantôme, celui dont le nom était perdu ; au début, il tentait désespérément de se souvenir de l'identité et peu à peu, il se décourageait. Il n'en restait alors plus qu'une suite de chiffres sans signification. Et même s'il savait pertinemment que ce numéro avait eu une importance à une époque, à un point nommé, plus rien ne le rattachait à lui à présent, alors il le supprimait. Il l'oubliait, quittait l'écran des yeux et continuait sans.

Un matin, une lumière embrasait votre écran, un appel masqué résonnait, votre doigt remuait dans un saladier fuchsia. Un matin, des nombres animaient votre visage, des murmures frémissants s'élevaient, vos papilles fourmillaient dans un bain de miel. Tout revient, tous les souvenirs, familiers, brûlants. Interdits. Enfouis.

Immédiatement, sa main s'éclipsa le plus loin possible du plan de travail, loin de la pâte dans laquelle elle avait trempé. Son impudence venait de se retourner contre lui. Leur impudence. Ils avaient pendant trop longtemps jouer avec le feu et repousser la discussion fatidique.

Il hoqueta, la gorge serrée par l'émotion :

— Tu fais des madeleines ?

L'Alpha hocha lentement la tête et il se risqua à lever les yeux. Il fut happé par l'expression de Stiles ; elle étincelait, coupable. Sa suite de chiffres avait de nouveau un nom et elle lui grillait le cerveau pour mieux le transcender. Les souvenirs d'une vieille scène, qu'ils s'étaient employé à rayer de leurs mémoires, défilaient derrière ses orbites avec clairvoyance. Une impulsion, la plus marquante parmi diverses autres, qui les avaient mené à commettre une erreur. Ils n'auraient pas dû, ils n'auraient pas cru, ils n'étaient encore que des gosses invisibles ; l'un, un humain impuissant aux idées lamentables et l'autre, un Bêta égaré dans une spirale bestiale...

— Pourquoi tu rigoles ? s'était-il vexé en remarquant les soubresauts hilares de son voisin assis à sa droite.

Scott tirait la tronche, pas du tout d'humeur à plaisanter à l'arrivée de la pleine Lune et de toute l'animalité qu'elle renfermait. Il était dimanche soir et il pleuvait, ce qui allait de pair avec son humeur de chien. D'un commun accord, ils étaient en train de préparer des affiches scolaires et remplir des lettres au stylo-feutre avait la fâcheuse tendance à agacer davantage le sang chaud du loup-garou. Toutefois, ils étaient contraints de finir, car la vente de pâtisseries était demain. Déjà.

Il leva les yeux au ciel. D'accord, il le confessait ; les préparatifs leur monopolisaient vraiment plus de temps que prévu et après avoir passé l'après-midi à battre fastidieusement des œufs en neige, ils étaient en retard. Bien qu'ils rêvassent d'un verre d'eau et d'un bon lit frais, certains n'avaient pas l'air de prendre les choses très au sérieux. Surtout Stiles et son besoin irrépressible de toujours distraire la galerie par des divagations auxquelles tout le monde se passerait volontiers.

— Oh, mon Dieu. Tu... Tu as vu comment tu as écrit « madeleines » ?! s'écria celui-ci avant de se plier en quatre et de taper sur la table encore plus fort.

Dans son élan, il poussa les pieds de sa chaise et ses jambes s'extirpèrent de sous la table pour battre librement du tambour sur le parquet. Sur le coup, Scott aurait apprécié le filmer se vautrer les quatre fers en l'air, mais sa réaction exagérée l'inquiéta soudain. Il daigna enfin lui jeter un regard et tout son corps suivit dans un quart de tour.

— Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'enquit-il d'incompréhension.

Siégeant entièrement de travers, ses genoux butèrent contre les hanches du perturbateur. Par réflexe, il se pencha près du visage gonflé par les gloussements pour lire la pancarte entre eux. Alors seulement, il réalisa son geste. Il s'immobilisa, releva les yeux et, déstabilisé, il retint sa respiration, tandis que le génie de la fratrie continuait à se pisser de rire à quelques centimètres de lui. Entre deux sursauts, le souffle inconscient de Stiles chatouillait son oreille, se répandait sur sa mâchoire... Avec ses sens surdéveloppés, Scott semblait être le seul à percevoir leur proximité. Cette pensée le frustra aussitôt. Ils étaient en permanence l'un sur l'autre, comment ne pas être vexé de l'indifférence qui enveloppait son meilleur ami ?

L'œil voilé d'amertume, il examina finalement l'œuvre étalée autour des bouts de carton, des tubes de colle et des paires de ciseaux. Une seconde, deux, trois, quatre... Il relut à nouveau. Il devait s'éloigner où il allait se liquéfier, mais aussi ridicule fut-il, il était incapable de s'extirper de la chaleur qui émanait du corps à côté de lui. Il priait pour ne pas avoir à le faire. C'était enivrant et pourtant, il avait le sentiment d'être dans l'illégalité, d'abuser de l'ignorance — trompeuse — dans laquelle vivait Stiles.

Ce dernier cessa brusquement de s'agiter et reprit son souffle :

— Il n'y a qu'un « a », andouille ! répondit-il, enfin calmé.

Il pointa son erreur du doigt et son dos s'avachit sur le dossier de sa chaise, écartant les cuisses avec exagération. Cette fois, l'ancien asthmatique se redressa vivement face à la scène, ses joues piquées par la fièvre. C'était trop ! Il était tard et l'heure du coucher avait été largement outrepassée, suffisamment pour que les tenues anodines qu'ils portaient pour dormir tombent de fatigue. En théorie... En pratique, c'était tout l'inverse ; le débardeur et le short en coton fin du garçon aux grains de beauté n'appelaient plus au sommeil et suggéraient des images beaucoup moins prudes. Scott en avait la chair de poule et secoua la tête.

— Sérieux ? T'es sûr ? s'étonna-t-il de façon peu convaincante, feignant le scepticisme pour ne pas éveiller les soupçons sur son éloignement inopiné.

Le fils du shérif parut intrigué, il n'avait pas l'habitude de voir ses affirmations rencontrer un obstacle. Il n'était pas Monsieur Je-sais-tout sans raison. En général, les gens prenaient ses paroles pour argent comptant.

— À moins que tu aies des fantasmes douteux et que tu cherches à faire un mélange entre « madeleine » et « malsaine », oui, j'en suis sûr.

Il opina du chef pour confirmer sa réflexion absurde, quoique l'esprit du jeune loup-garou fut à des kilomètres d'en capter le sens. Il vagabondait au loin, le regard imperceptiblement dirigé vers la vue impudique qu'offrait son ami. Il se mettait à douter de tout, à voir des insinuations partout.

— Hein ? Mais de quoi tu parles, Stiles ? articula-t-il néanmoins.

Le susnommé secoua la tête pour échapper à ses allusions parasites et se réinstalla plus convenablement. La tentative fut vaine et il garda les pupilles braquées sur le visage de Scott. Il n'était pas aveugle, il avait remarqué l'attention gênante que lui consacrait celui-ci depuis quelques jours, voire quelques semaines. Non seulement cela tournait toujours court, dans une sorte d'expectative silencieuse, mais en plus, cela commençait aussi à le rendre nerveux au fur et à mesure que leurs échanges s'appauvrissaient, du moins en apparence. Et quand il était nerveux, il parlait jusqu'à se diluer dans son propre monologue et ne plus être qu'un flot confus d'expressions verbales. C'était un cercle vicieux.

Il ne fut donc pas surpris en sentant son gosier s'encombrer de paroles futiles dans un hoquet. Dans un plissement de front, il abandonna en marmonnant :

— Rien, un truc que Lydia dit quand on change un son dans un mot parce qu'on pense à un autre son au même moment. Ici, c'est une lettre, mais bref, ce n'est pas la question. On appelle ça un laps—

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une bouche s'était emparée avidement de la sienne. Dans un spasme, ses mains vinrent empoigner le dos de l'autre garçon, mais ne purent l'étreindre totalement à cause de leur posture et du bazar qui les gênaient. Ce baiser ne suscita aucune surprise, juste un pur instinct, un magnétisme qu'il redécouvrait à son insu dans l'urgence et les aléas. Aussitôt, un brasier s'empara de son ventre et se propagea dans tout son corps. Scott l'embrassait, et ce n'était pas la première fois, c'était même la cinquième. Il ne comptait pas.

Depuis que la rousse s'était fait une place dans la meute (tout juste un semestre) et qu'Allison s'en était absentée sous la menace de son père, les impulsions du loup-garou étaient devenues de vraies tornades. Il ne pouvait plus se retenir, il était possessif. De plus, il avait besoin d'une ancre et son meilleur ami s'était manifesté à point nommé. Enfin, cette seconde excuse, il la donnait que quand le doute s'insinuait entre eux. S'il cherchait à faire taire la bouche du bavard, c'était en réalité parce que l'aura imposante de Lydia venait perturber la connexion des deux compères et cela l'irritait. Il se le réappropriait pile-poil au moment opportun, voilà tout. Mais le plus bizarre dans l'histoire était qu'il ne rencontrait aucune résistance ; il s'accrochait aux muscles maigres de Stiles, emprisonnait leurs lèvres quelques instants et se détachait un bruissement de cils plus tard. Tout redevenait alors à son point de départ, égal à un train qui suivrait une boucle permanente. Aucun accro, aucune conséquence, une bulle d'intimité qu'ils se permettaient d'entretenir en cachette. La vie s'apaisait et une main rassurante se posait sur son épaule. C'était une promesse silencieuse, celle qu'ils se soutiendraient peu importe la situation, qu'ils épancheraient leurs peines jusqu'à la dernière, iraient au bout du monde pour protéger l'autre...

Au fond de lui, il avait cru qu'ils se retrouveraient toujours ainsi et qu'ils attendaient juste un signe de l'autre. Ce fut pourquoi, sans grande prudence, il se laissa aller dans l'absolu. Échappant au chaste baiser, il ne s'écarta toutefois pas. Au contraire, il agrippa un des pieds en bois de la chaise pour attirer Stiles d'un coup sec. Ses mains fondirent sous les aisselles de ce dernier qui s'exclama de surprise et l'assistèrent d'un mouvement souple. Une silhouette frêle fut brusquement à califourchon sur lui, pieds nus croisés dans son dos. Il l'avait littéralement volé à sa chaise.

Une étincelle de jaune surnaturelle illumina ses iris sous le contact virulent de leurs bassins et ils s'embrassèrent encore. C'était différent des nuits d'hiver où le chauffage peinait à fonctionner et que, semi-conscients, ils se blottissaient tels des louveteaux pour ne pas être mordus par le froid ; là, ils étaient plaqués l'un contre l'autre avec lascivité, langues éprises, et la sensation inédite l'incendiait violemment. Il ne l'avait jamais touché, pas ainsi, pas dans le but de lui procurer ce genre de plaisir, mais là, tout de suite, il ne pourrait pas le lâcher même si quelqu'un venait à les surprendre. Cela résulterait à taquiner un feu aspergé volontairement d'huile.

Réprimant ses griffes, il grogna et ses bras se moulèrent dans le creux des reins de l'autre adolescent, qui se cambra. Des mains vinrent tirer sur la racine de ses cheveux et lui retourner le cerveau. Une bouffée de chaleur se propagea le long de sa colonne vertébrale, tandis qu'il happait à nouveau les lèvres gonflées au-dessus de lui.

— Scott... répétait son meilleur ami comme une litanie.

Son timbre rauque les grisait tous les deux et Stiles resserra ses cuisses autour des hanches qui l'accueillaient. Il rejeta la tête à la sensation de doigts corrosifs s'attardant sous l'élastique de son short, le soulevant guère pour pouvoir lui caresser le début des fesses. La gorge découverte, il ondula machinalement du bassin et la friction du coton séparant leurs entrejambes fut une torture. Il se sentait vibrer de l'intérieur et l'intégralité de son corps frémit sous les mains plus avenantes de Scott. Ils durcissaient déjà, resserrant la pression imposée entre eux par des mouvements de haine. Leur souffle se fit erratique et l'expiration suivante, ils gémissaient. Ils s'entendaient gémir. Rien qu'à l'idée, cela les rendait fous.

Mais l'hyperactif avait envie de plus, besoin de plus. C'était trop fort, trop nouveau, trop enivrant et il supplia encore. Approuvées par son lourd soupir, les lèvres de son amant descendirent sur la chair pâle offerte à la luxure ; la mâchoire, l'oreille, le cou, la clavicule et, arrivées à destination, elles signèrent leur présence d'une marque rouge. Face au suçon, qui prenait des couleurs à vue d'œil, son auteur eut un sourire et empoigna plus fortement le dessous des cuisses de Stiles, son Stiles. Il comprit alors qu'il avait déjà désiré le faire sien, mais sans vraiment en avoir conscience. Dorénavant, la réalité dépassait toute fiction et ses sentiments prenaient tout leur sens.

Ses lèvres laissèrent un dernier baiser sur la peau amoureusement sucée et quittèrent les lieux pour se reposer contre leurs semblables. Puis, tout à coup, plus rien ne fut à sa place. Rien ne sembla juste. Quelqu'un venait de les faire dérailler.

Subitement paniqués, ils se séparèrent d'un même mouvement. Le poids plume de l'humain se retrouva projeté sur la table, le cul meurtri par un taille-crayon, et Scott éjecta sa chaise si vite en arrière qu'il faillit dégringoler avec. Ironiquement, il était celui qui se retrouvait les quatre fers en l'air, mentalement parlant...

— Je... Tu... hasarda-t-il.

Était-ce un minuscule geste de trop qui venait de les faire basculer, un qui espérait plus ? Non, ils avaient largement dépassé cette limite dès le moment où Stiles avait approfondi leur baiser. Leurs entrejambes se souvenaient encore d'avoir oscillé l'une contre l'autre et eux, ils y avaient répondu. Ils avaient fait table rase de tout le reste et s'étaient rendu coupables du même crime.

Par conséquent, les mots moururent dans sa gorge et il baissa les yeux, contemplant ses chaussettes, raclant le parquet. Sa honte se transformait en un nœud asphyxiant autour de son œsophage. Puis, l'étroitesse de son short, ses joues rougies par l'adrénaline et ses cheveux ébouriffés parlaient déjà assez pour qu'il en rajoute une couche.

Dans un état de débauche semblable, son partenaire désormais distant se glissa à terre, une de ses mains arrachant la moitié de ses cheveux. Il le fuyait copieusement du regard, lorsque des crayons vinrent s'écraser au sol à sa suite. Comme des coups de fusil, il ferma les yeux au bruit sourd de leur chute. Son corps était plus tendu que la corde d'un arc et bizarrement, Scott eut l'impression de revoir Allison en position de combat. Il détesta ça.

Quand Stiles rouvrit les yeux après une éternité, il fit une volte-face nerveuse. Il ne pouvait p—Il ne pouvait pas le regarder. Il ne voulait pas contempler le désastre qu'ils venaient de causer. Toutefois, un murmure s'éleva dans son dos et coupa court à ses pensées. Il comprit que son meilleur ami l'appelait, si bas que son prénom ressemblait au sifflement d'un serpent... Bordel, son meilleur ami !

Il revint vers lui encore plus vite.

— Heu, ouais... N'en parlons pas, d'accord ? s'empressa-t-il d'abréger et il haussa les sourcils en attente d'une approbation.

Le meneur de Lacrosse releva aussitôt la tête, une lueur indéchiffrable dissimulée au fond des yeux. Il écoutait le pouls du second, tellement assourdissant qu'il semblait sur le point de rompre.

— Ouais... murmura-t-il dans un souffle abasourdi, son propre cœur battant la chamade.

Soudain conscient de la situation, il répéta plus brutalement :

— Ouais.

Ce souvenir, il était gravé en lui. Aujourd'hui, il était Alpha, il avait sa meute et un entourage aimant. Aujourd'hui, il ressassait encore et encore la dernière fois qu'il avait osé embrasser Stiles et qui était la cause de saisons de sevrage, car tout avait dérapé. Aujourd'hui, il n'était plus apte à résister et à réprimer ses sentiments en guise de traité de paix. Alors, trop peureux pour l'aborder en face, il n'avait eu qu'une seule idée ; faire des « madelaines ».

Et pourquoi pas aller jusqu'à flamber la baraque par la même occasion.