Okay, donc. J'en ai marre. Ça doit faire maintenant 6 mois que je me débats avec ce chapitre, dont j'ai dû faire au moins 4 versions différentes. Je veux qu'il soit parfait et j'en ai marre, parce qu'il le sera jamais, peu importe le nombre de gens auxquels je demande l'avis. Donc je vais le poster maintenant, et je vais arrêter un peu de me prendre la tête. Je reviendrais sans doute dessus, il est même très possible que je le reposte - je vous tiendrai au courant. De toute façon, il doit y avoir tellement peu de français dans le fandom d'Outlast que je n'aurais sans doute aucun retour. Peu importe, cette histoire m'obsède trop et il faut que j'écrive cette fic. Donc, si vous êtes prêts à me supporter jusqu'au bout, bienvenue à bord.

Résumé complet : Waylon est le petit nouveau dans ce lycée dont il n'a pas entendu beaucoup de bien, mais son best bro ever et vieux castagneur du quartier Miles est là pour décourager tous les cons qui voudraient se détendre les poings sur sa face de premier de la classe. Waylon, dont la confiance en lui rase les -200%, va rapidement se rendre compte que son sex appeal n'est pas une cause complètement perdue lorsque le pire mec du lycée se met à le demander en mariage. A plusieurs reprises.

Ou : Eddie Gluskin a le cœur gros comme ça (jusqu'à ce que), Waylon Park est une pauvre chose abusée et désabusée par la vie, Miles Upshur a un problème avec l'autorité, Silky l'autiste veut dire un secret à quelqu'un qui ne le frappera pas, Chris Walker le géant complexe sur son poids, Frank Manera cherche un moyen de vaincre son anorexie sans toucher à la viande, Pyro n'est pas méchant (juste un peu différent), Jeremy "je m'en branle" Blaire emmerde tout le monde tout le temps, Richard Trager le prof de bio trop flippant a décidé de faire plus de dissections, les basketteurs n'aiment pas le basket, Dennis parle tout seul dans les toilettes, les Jumeaux ne veulent pas se faire d'amis, le conseiller d'orientation est un nazi, le personnel de nettoyage fait la grève, les surveillants cassent la gueule aux fortes têtes en douce dans les couloirs, Andrew le médecin scolaire fait des trucs pas clairs dans son bureau, Martin le prof d'éducation religieuse veut aider tout le monde mais ne peut aider personne, des femmes quelles femmes, Billy Hope laisse faire et traîne avec un type peu recommandable. Mount Massive Highschool est aussi un endroit peu recommandable.

Pairings : Eddie Gluskin/Waylon Park, Eddie Gluskin/OCs, le Walrider/Billy Hope (la liste risque de s'allonger d'ici la fin)

Rating : T pour le langage ? Je sais pas trop, sachez juste que j'ai prévu de faire quelques scènes +18 :')

Disclaimer : je ne possède ni Outlast ni Whistleblower et n'ai en aucun cas l'intention d'utiliser cette fic pour gagner de l'argent

Genre : Highschool AU (je m'excuse platement), (awkward) romance, slow build, angst. Sujets délicats abordés : maladies mentales, bipolarité, syndrome dissociatif de la personnalité, trouble du spectre autistique, anxiété, auto-dépréciation, crises d'angoisse, dépression, tentatives de suicide, automutilation, harcèlement scolaire, abus de mineur, asexualité, violence domestique (je sais, je sais : nice.). J'essayerai de traiter ces sujets avec le plus de délicatesse possible, mais si jamais je fais fausse route quelque part, n'hésitez pas à me le signaler.

Theme songs pour le chap : The Speak It Mountains + Aspen Forest (Gorillaz), Brain Damage (Pink Floyd)


La fois où Waylon ne voulait pas partir dans le Colorado

La première fois que Waylon avait vu Leadville de ses propres yeux, il n'avait pas réussi à s'imaginer vivre là-dedans jusqu'à ce qu'il fût en âge de s'enfuir à toutes jambes, le plus loin possible. Puis il avait eu très envie de pleurer, quand il avait réalisé que personne n'allait lui demander son avis sur la question. Mais il s'était retenu, pour ne pas faire trop de peine à Lisa.

La première fois que Waylon avait vu Leadville n'était en fait pas la première fois. Mais c'était la première fois qu'il regardait la ville, comme, vraiment la regarder. Leadville était ce genre d'endroits qu'on aime bien un peu, pour les vacances, une semaine on est content, deux semaines on cherche là où il y a du réseau, trois semaines on tourne en rond. Et on s'ennuie. Waylon avait dix-sept ans et déjà eu beaucoup trop d'occasions de s'ennuyer à Leadville. La grande majorité de la population américaine devait penser comme lui, car Leadville était un de ces coins où le taux d'arrivants est un nombre négatif, et où la croissance économique est sujet de la part des habitants à de longues soirées arrosées d'alcool, de préférence seul, quelque part où vous étiez tranquille pour réfléchir aux mystères de la vie et de la mort et de la raison qui vous avait poussé à vous installer ici.

Leadville était aussi le principal objet des pensées toutes inquiètes et toutes adolescentes de Waylon Park, dix-sept ans et habitant de la côte sud-ouest, en Californie, l'état le plus cool de tous les Etats-Unis, merci bien.

Waylon avait une vie qu'il aurait qualifiée de "plutôt bien". L'appartement où il habitait avec Lisa était "plutôt bien". Son lycée était "plutôt bien". Il avait deux poissons rouges et des voisins de palier "plutôt biens", les gens avec qui il traînait étaient "plutôt biens", sa mère avait un boulot "plutôt bien". San Francisco était "plutôt bien". Waylon n'avait jamais mis la barre très haut, et si finalement les choses dépassaient ses espérances, et bien c'était tant mieux. C'était là le secret de sa survie. Il prenait les choses petit bout par petit bout, sans risquer de se faire mal, et il rendait autant qu'il prenait – ce qui équivalait finalement à pas grand-chose, et c'était assez commode, pour lui comme pour les autres. Globalement, si on lui avait posé la question, Waylon aurait répondu qu'il était satisfait de la vie qu'il menait alors satisfait du réseau du quartier, des deux poissons rouges, du bulletin à la fin du trimestre, des vingt dollars d'argent de poche mensuels, des pâtes cinq soirs par semaine et des soupirs de Lisa, chaque année un peu plus que la précédente.

Il était satisfait mais Waylon, dix-sept ans et habitant de la côte sud-ouest des Etats-Unis, se disait qu'il aurait peut-être dû profiter un peu plus de tout ça lorsque sa mère lui annonça qu'ils déménageaient. Où ça ? Dans le Colorado. Où ça dans le Colorado ? Dans un coin des Rocky Mountains, à Leadville, du côté de la chaîne des Sawatch. Il ne se souvenait peut-être pas bien, c'était là où habitaient Grand-ma et Grand-pa, ils allaient leur rendre visite quand il était petit. Oui, Waylon se souvenait. Il se souvenait d'un coin en voie d'abandon par la civilisation occidentale, une petite ville sympa de campagne, le genre d'endroit dont à l'époque il avait pensé qu'il était bien content de ne pas y vivre toute l'année.

Il en avait voulu à sa mère, mais sa mère n'y pouvait rien. D'ordinaire, Waylon était un adolescent plutôt accommodant, disons qu'il "faisait avec", mais il avait tout de même des revendications de base, comme la classe ouvrière : une connexion internet décente, un régime alimentaire qui satisfaisait les besoins d'une croissance dont il n'avait plus entendu parler depuis le collège, et, si on avait à en arriver jusque là, l'eau et l'électricité courantes. Au nom de ces revendications, il avait d'abord fait la grève du silence, puis la grève de la faim, mais pas très longtemps, pas après ce poulet aux amandes tout à fait déloyal que lui avait cuisiné Lisa pour se faire pardonner, parce que sa mère savait, depuis le temps, comment attraper un adolescent. Il avait changé de tactique après ça, il s'était montré plus fin. Il avait frappé là où ça faisait mal chez tous les parents qui se veulent responsables. Il avait commencé à imprimer tous les traités de psychologie qui traitaient de l'influence négative des déménagements de toute sorte sur le développement de l'enfant, tous ceux qu'il avait pu trouver en pdf (Waylon était passé maître dans l'art de trouver des fichiers pdf). La pile avait atteint une confortable quinzaine de centimètres et il l'avait déposée sur le lit de sa mère pour qu'elle les trouve en rentrant ce soir-là.

Le lendemain, Lisa s'était assise en face de lui à la table de la cuisine. Ses cernes tombaient dans son assiette. Elle avait dit :

"Waylon, il va falloir que tu comprennes une chose. Je n'ai pas envie de déménager. Si ça ne tenait qu'à moi, ou qu'à toi et moi, on resterait ici, crois-moi. Mais les choses sont telles que– je ne peux pas continuer à payer l'appartement. Je suis sur le point de perdre mon emploi. Moi aussi je vais devoir laisser tous mes amis, et puis je ne connais presque plus personne là-bas, et toi– et si toi aussi tu commences à t'y mettre, je ne sais pas comment je vais–"

Elle s'était arrêtée, avait posé une main sur son front.

Waylon avait répondu d'une voix plus plaintive qu'il ne l'espérait, de la part de cordes vocales qui étaient censées avoir mué. Ils pouvaient toujours arrêter de partir en vacances, ils pouvaient ne plus manger que des pâtes et lui pouvait même vendre quelques jeux vidéo – sacrifice suprême – comme la fois où elle avait cinq mois de retard sur le loyer et qu'elle menaçait aussi de vendre l'appartement, elle se souvenait ?

Lisa avait secoué la tête avec un sourire à l'air misérable, un sourire qui voulait dire : "Eh bien, mon chéri, cette merde-là est tellement plus merdique que la merde de la dernière fois que je ne sais même pas si manger des pâtes pendant une année entière suffira pour que mon compte bancaire repasse dans le positif."

Et Waylon s'était rendu compte que sa mère avait peur. Il avait commencé à avoir peur aussi après ça. Il en voulait un peu plus à Lisa pour ça c'était comme si elle lui avait forcé la main, l'avait obligé à ne plus voir leur déménagement que comme une forme de libération, alors qu'en vrai, ce n'était qu'une conspiration pour l'emmerder lui. Et puis il y avait aussi la culpabilité. Dans les quelques semaines qui avaient précédé leur départ, il avait été incapable d'acheter quoi que ce soit qui ne fût pas complètement indispensable sans ressentir le moindre sentiment de culpabilité envers Lisa, Lisa et son compte bancaire. Dieu merci, il ne fumait pas, on attrapait bien trop de saloperies en fumant mais si ç'avait été le cas, bon comme il était, il se serait sûrement forcé à arrêter.

Il avait réfléchi à tout ça pendant la première partie du voyage, la rancœur, les inquiétudes, la culpabilité, et puis à beaucoup d'autres choses aussi, et puis il avait arrêté, parce que Lisa s'était engagée sur les petites routes de montagne et il avait eu mal au cœur. Ils étaient partis au matin, très tôt, à l'heure où tout le monde dort encore. Il avait eu envie de les réveiller, de donner un bon coup de klaxon, juste pour qu'ils aillent se mettre aux fenêtres et qu'ils puissent les voir une dernière fois. Mais il n'aurait jamais osé faire une chose qui attirât autant l'attention sur lui, et puis, de toute manière, ce n'était pas comme s'ils allaient vraiment lui manquer. Au fond, il n'avait juste pas envie que leur départ devînt une chose qui leur fût égale à tous. Peut-être que c'était déjà le cas. Il allait même y en avoir pour ne rien remarquer. C'était la vraie vie les gens se fichaient qu'il ait pu habiter dans l'appartement en-dessous du leur pendant dix-sept ans, tout ce qu'ils retenaient, c'était les passages d'aspirateur aux heures qui ne leur allaient pas, le gamin qui bouffait tout le réseau de l'immeuble et la voisine qui avait plusieurs mois de retard sur le loyer. On avait à peine le temps de remarquer que l'appart d'à côté avait été mis en vente et puis la vie continuait.

On était début septembre. L'été commençait à s'enfuir là où il s'enfuyait tous les ans à la même période, et on perdait du terrain sur l'automne. La Californie souffrait de bouffées de chaleur qui régulièrement se finissaient en pluies torrentielles – un peu comme sa tante pendant la ménopause. Lisa était fatiguée, mais en même temps, Waylon voyait qu'elle était un peu plus droite sur son siège de voiture, un peu plus souriante quand il fallait l'être. Lui ne voyait pas pourquoi, d'ailleurs, il s'était employé à lui faire ouvertement la gueule depuis qu'il était entré dans cette voiture. Lisa n'avait pas essayé de lui faire la conversation. Lisa comprenait. Lisa comprenait toujours. Ça faisait partie des choses qui mettaient Waylon hors de lui.

Il avait posé ses pieds sur le tableau de bord. Lisa lui avait demandé de les retirer à plusieurs reprises au début, puis avait arrêté, quand il avait fait semblant de s'endormir. Magnanime, ou simplement désespérée, elle ne lui avait même pas proposé de conduire. Elle tenait la route depuis six heures sans faillir, en brave mère de famille. De son côté, il phasait sans but, avec le soutien moral d'AC/DC dans ses écouteurs, un vieux tube au son bien crade, volume monté au maximum pour ne pas trop penser. Lisa lui disait de temps en temps qu'il écoutait tellement fort qu'elle pouvait presque chanter les paroles en même temps. Waylon n'avait pas pu s'empêcher de lui répondre que devenir sourd serait la meilleure chose qui puisse lui arriver, parce que comme ça, elle arrêterait de l'emmerder. Il avait immédiatement regretté ses paroles, mais il était juste trop fier pour s'excuser. Les doigts de Lisa avaient blanchi sur le volant. Elle n'avait rien dit non plus. Ces derniers temps, la loi du silence était plus forte que les regrets.

Waylon avait calé sa tête contre la ceinture de sécurité pour regarder par la fenêtre. Les arbres défilaient trop vite pour qu'il se concentre dessus, et le ciel, d'un blanc qui était à lui tout seul une trahison envers la fin de l'été, l'éblouissait quand il levait les yeux trop haut. Il avait vu la végétation sèche et luxuriante du bord de mer lentement s'effilocher et dériver vers un vert vague, brumeux lorsqu'ils étaient arrivés dans les montagnes. Il faisait froid pour un début de septembre, encore plus là-haut. Le GPS, qui avait toujours eu du mal avec l'humidité, n'arrivait pas à les suivre et Lisa jurait à chaque fois qu'il perdait la route. La petite voiture, une Fiat budget douillet, pleine à exploser de tout ce dont les déménageurs n'avaient pas voulu, attaquait courageusement toutes les pentes à plein régime. Le bruit du moteur faisait se crisper Waylon sur ses accoudoirs, surtout dans les virages, où le véhicule finissait toujours par se déporter un peu vers la fin.

Il avait pris son portable et le tenait depuis qu'ils étaient partis, le plastique devenait tiède contre sa peau. Il ne jouait pas avec, il n'avait même plus de textos à envoyer à qui que ce soit, il avait juste envie de le sentir entre ses mains – la coque épaisse qu'il avait achetée dans cette quincaillerie pas loin de chez lui parce qu'il le faisait tomber tout le temps par terre, le strap qu'il avait gagné à un concours de codage du club d'informatique de son ancien lycée.

Tiens, son ancien lycée. Un truc qu'il avait à la fois eu et pas eu de mal à quitter – il n'arrivait pas encore à se décider sur la question. Ce n'était pas les amis qui posaient problème, à vrai dire, il n'en avait presque pas. C'était surtout les avantages qui allaient lui manquer. Les gens là-bas étaient civilisés ils vous laissaient tranquille si vous faisiez la même chose de votre côté. Et si vous décidiez de passer l'année avec pour seule compagnie la trilogie de Tolkien, quelques bouquins de codage et Flappy Bird, c'était votre problème, pas le leur. Les profs ? Ils étaient accommodants vous gardiez vos notes au-dessus de la moyenne de la classe, éventuellement vous marmonniez que vous étiez timide pendant un conseil de classe et ils ne cherchaient pas les problèmes.

Et, là-bas, Waylon, avec son éternelle appréciation "élève très sérieux, mais devrait s'investir à l'oral", avait une vie délicieuse.

Les temps allaient changer, il en avait peur.

Le seul lycée de la région était un établissement un peu minable appelé Mount Massive. Mount Massive, avait trouvé Waylon après quelques recherches, était en réalité le nom d'un sommet un peu important dans la région. Après réflexion, Waylon avait compris que, en effet, dans un coin pareil, ces gens-là n'avaient que leurs montagnes pour être fiers. Waylon avait essayé d'être indulgent, avait préféré jeter un coup d'œil au site officiel du lycée plutôt que d'écouter sa première impression, surnommée l'Impression Hautement Subjective (il la connaissait bien celle-là).

Les bâtiments en eux-mêmes n'avaient pas l'air trop mal, mis à part le cadre un peu étrange (en plein dans les montagnes ? Pourquoi ?), Waylon s'était efforcé de trouver des aspects sympathiques à la grande bâtisse de briques sombres, mais la seule chose qu'elle lui inspirait était l'image d'une vieille dame un peu guindée, au visage tout froncé et aux lèvres pincées. Waylon se demandait parfois d'où lui venaient ces comparaisons il n'avait jamais été très bon en expressions écrites.

Finalement, il avait remarqué que le site n'avait pas été mis à jour depuis 1997 et avait laissé tomber. Il avait essayé de ne plus penser à ce qui pouvait l'attendre là-bas, et Lisa attendit qu'ils soient enfermés tous les deux dans la voiture pour lâcher la bombe :

Il y allait avoir un internat.

Waylon se raidit, comme à chaque fois que 'ça' commençait. Il ne dit rien il n'avait même plus assez de souffle pour dire quoi que ce soit. Lisa se gara sur le bord de la route et mit sa main sur son dos, tout ce que sa ceinture de sécurité lui permettait.

Depuis tout jeune, Waylon souffrait de graves crises d'angoisse. Déjà, il était né avant terme, et lorsque la sage-femme s'était penchée pour écouter son petit cœur de bébé, elle s'était effrayée de n'entendre qu'un chuchotement faiblissant. Lisa avait couvé son fils jusqu'à l'écœurement, mais il avait bien fallu laisser Waylon aller à l'école lorsqu'il en avait été en âge. Une mère étouffante, un père inexistant, une enfance en ville, un asthme qui repassait faire coucou tous les deux, trois mois – tous les facteurs semblaient réuni pour faire de Waylon un enfant effacé, anxieux et fragile.

Et bien, la vie ne l'avait pas loupé.

Lisa s'excusait à voix basse alors que son fils pressait ses genoux contre sa poitrine, replié sur lui-même comme s'il avait voulu prendre le moins de place possible. Le plus petit Waylon du monde.

Sa mère ralluma le moteur parce qu'il fallait bien repartir et Waylon colla une tempe contre la vitre. Elle commençait à s'embuer. Le petit radiateur vibrait contre sa jambe, tandis que le vent sifflait furieusement contre la voiture, là dehors. Waylon ferma ses yeux qui tremblaient sous ses paupières. Serré entre les cartons et les souvenirs de son ancienne vie, dans la chaleur presque étouffante de l'après-sommeil et le parfum de sa mère, il se sentait comme dans un œuf. Sa poitrine finit par se soulever de moins en moins souvent, et lorsqu'ils atteignirent les limites de la Californie, il s'était endormi.

*******/

Cela faisait quelques semaines qu'il rêvait de Leadville. La plupart du temps, c'étaient des souvenirs, et cette fois aussi. Il était de retour dans la maison de ses grands-parents pour les vacances d'été. Il y avait cette grosse fissure au-dessus de la porte d'entrée qui lui faisait peur à chaque fois qu'il entrait ou sortait, parce qu'il avait l'impression que le mur allait se fendre en deux et que le toit allait lui tomber dessus. Souvent, la nuit, il restait éveillé en fixant le plafond, jusqu'à ce que ses yeux se ferment d'eux-mêmes, pour être sûr d'être conscient lorsqu'ils mourraient tous écrasés par le toit. Son grand-père, un homme très gentil mais silencieux, lui coupait des tranches de pain au petit-déjeuner avec son couteau de chasse, celui avec le manche en corne de vache. Dans son rêve, sa grand-mère était déjà malade et dormait presque tout le temps. Sa chambre sentait la maladie, l'urine et la vieille personne les draps fanés et la peau qui se décrépit. Waylon n'y entrait jamais, sauf quand Lisa lui demandait d'aller dire bonjour ou au revoir. Sa grand-mère n'était pas très bavarde non plus, d'ailleurs. Les bons jours, elle lui demandait comment il s'appelait il y en avait où elle ne se rendait même pas compte qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce. Il s'ennuyait toute la journée parce que ses grands-parents n'avaient pas la télé, alors Miles l'emmenait pêcher dans un des lacs de Twin Lakes, ou dans le lac Turquoise, c'était plus près. Il n'aimait pas trop pêcher, mais avec Miles, ça allait. Il le poussait parfois dans l'eau quand Waylon attrapait plus de poissons que lui, mais l'eau était glacée. Miles avait arrêté après la fois où il avait failli se noyer.

*******/

Il rouvrit les yeux lorsque Lisa, qui avait décidé qu'elle en avait assez du silence, mit un disque des Pink Floyd dans le lecteur de la voiture, ce qui signifiait généralement qu'elle avait abandonné l'idée d'entamer une conversation avec son fils. Au bout d'un moment, il reconnut Dark side of the moon, des flamands roses de service. Ça ne dérangeait pas Waylon autant que ça l'aurait dû pour quelqu'un qui écoutait AC/DC au volume max de ses écouteurs de merde. Waylon devait reconnaître, malgré tout ce que ça lui coûtait, que sa mère avait quand même un plutôt bon goût musical pour quelqu'un qui lui tapait autant sur les nerfs. En fait, Lisa lui avait transmis sa passion des vieux groupes célèbres, et puis des vieux groupes un peu moins célèbres, selon la loi du bon goût maternel. Waylon avait tout écouté, fait le tri, pris ce qu'il aimait, et mêlé ce qui restait à tout ce que sa génération avait de bien à lui apporter, toutes catégories confondues. Ce qui faisait que maintenant, dans la bibliothèque de son mp3, les bons vieux Doors pouvaient très bien côtoyer Ed Sheeran Lorde copinait avec Lou Reed et Led Zep (classique) et les Strokes avec Stevie Wonder. Et, bien souvent, lorsqu'on lui demandait ce qu'il écoutait, il souriait en son for intérieur les genres musicaux, c'était pour les amateurs.

Lisa se mit à chantonner quelque chose qui ressemblait à Breath in the air et Waylon se pencha pour chercher son casque dans la boîte à gants. Les Pink Floyd étaient bien gentils, mais tout ce qui se rapportait à l'autorité maternelle en ce moment lui tapait sur les nerfs. Radiohead correspondait mieux à son humeur actuellement. Il aurait pu se suicider sur No Surprises. Il pourrait sûrement se suicider sur No Surprises. Il allait falloir qu'il se fasse une playlist de chansons sur lesquelles il pourrait éventuellement se suicider, ce serait intéressant et productif.

Il aurait bien aimé dire que, comme dans les livres, il n'avait pas vu passer le temps jusqu'à ce qu'ils franchissent la limite du Lake County, mais ç'aurait été faux. Waylon fut au moins content d'une chose, quand il vit arriver le panneau d'entrée en agglomération de Leadville le long de la route, c'est qu'il était presque à court de bonne musique sur son mp3, et que ça lui épargnait le choix d'un album bien (même si, évidemment, tout ce qui était sur son mp3 était « bien »).

Lisa posa une main sur la jambe de son fils et lui serra le genou en souriant bravement devant elle lorsque la voiture dépassa le panneau d'entrée en ville.

Leadville n'était pas à proprement parler une ville. Enfin, aux yeux de Waylon, ancien habitant de la city by the bay (insérer ici quelques larmes et des sanglots), cette appellation était ridicule, mais il imaginait que, dans la région, trois drugstores et six, sept cent âmes rassemblés au même endroit pouvaient bien exciter les administrations. Ah oui, et Leadville était aussi la dernière "ville" (oups, les guillemets ironiques) minière de tous les Etats-Unis. S'il vous plaît.

Et on lui demandait encore pourquoi il ne voulait pas habiter ici.

Il avait vraiment fallu que sa mère fût désespérée pour revenir ici. Leadville était la ville où elle avait passé toute son enfance et une bonne partie de son adolescence, avant qu'elle ne fût en âge de s'enfuir le plus loin possible – tiens donc, exactement ce qu'il avait prévu de faire. Il fallait croire que Leadville avait cet effet-là sur les gens. Lisa ne tenait pas spécialement la région dans son cœur elle avait arrêté d'emmener son fils voir ses grands-parents pour les vacances à partir du collège, et était largement satisfaite du coup de téléphone mensuel et de la carte postale, accompagnée de son fidèle chèque qui rajoutait du beurres sur les tartines, aux anniversaires et à Noël. Mais voilà, ses parents étaient morts quelques mois auparavant, d'abord sa mère, puis son père, comme ces oiseaux exotiques qui ne supportaient pas d'être seuls, et ils avaient laissé à leur fille une vieille maison dont elle ne savait pas quoi faire. Elle avait été prête à la vendre pendant un moment, mais le prix que lui en offrait les agences était risible et ses problèmes financiers avaient commencé à cette époque. Il se trouva qu'elle passa quelques coups de fil à certains amis leadvilliens et il se trouva également qu'on lui offrit un poste à la mairie, à la mémoire de ses parents, et surtout parce que la ville souffrait d'une sérieuse crise démographique. Elle avait promis de rappeler et réfléchit. Les plans sociaux menaçaient déjà de s'abattre sur la nuque de tous les employés du journal où elle travaillait. Lisa faisait partie de ceux qui n'étaient indispensables à personne. Elle avait déjà rencontré une ou deux personnes qui étaient prêtes à reprendre l'appartement pour un prix très correcte, et sa décision fut prise après tout, il était loin, le temps où elle pouvait se permettre d'oublier le fromage sur ses pâtes et de sauter un repas par jour. Elle avait aussi un peu peur de la réaction de Waylon le jour où elle lui annoncerait qu'elle ne pourrait plus payer la facture de la livebox.

Leadville, donc, qu'ils le voulussent ou non. Et puisqu'il s'était déroulé plusieurs heures depuis qu'ils étaient partis et qu'il était fatigué d'être en colère, Waylon prit la main de Lisa dans la sienne et la serra. Il fit semblant de ne rien voir quand le sourire de sa mère s'élargit encore de quelques pouces.

Lorsque Lisa arrêta la voiture sur le trottoir, devant la maison, il descendit son casque autour de son cou et chercha les contours du bâtiment à travers l'obscurité qui se pressait derrière sa vitre. Il n'y avait presque pas d'éclairage public dans la petite impasse où ils s'étaient garés. Lisa descendit pour ouvrir le portillon puis remonta pour pousser la petite voiture dans l'allée devant la maison. Waylon ouvrit la portière et descendit quand elle eût arrêté le moteur. La soirée était bien avancée, l'air frais. Le crépuscule était saturé d'odeurs prenantes, de sous-bois humides, de fleurs sauvages et d'arbres qui respirent. L'odeur de la montagne. Waylon frissonna sous son pull en sentant remonter de vieilles allergies.

Lisa commençait à décharger la voiture. Elle l'avait laissée allumée pour que les phares éclairent l'allée, et Money était en train de jouer. Waylon trouva que la situation était d'une ironie mordante.

Il se pencha pour attraper son sac de voyage et vérifia que son portable et son mp3 étaient bien dans ses poches avant de se résoudre à sortir de la voiture. La façade éclairée par les phares était plus petite que dans ses souvenirs. Lisa avait déjà ouvert la porte d'entrée. Waylon la suivit à l'intérieur en jetant un coup d'œil à l'ombre de la lézarde au-dessus de la porte. Un voisin l'avait colmatée pour les anciens propriétaires lorsqu'elle avait menacé d'atteindre le toit. C'était à ce moment-là que Waylon s'était rendu compte que ses grands-parents étaient vraiment vieux.

L'intérieur était sombre et sentait un peu la moisissure, et aussi quelque chose d'âcre et de désagréable auquel Waylon n'avait pas envie de penser. Lisa était partie chercher le disjoncteur au sous-sol. Waylon avait préféré attendre à l'intérieur – la salle à manger, si ses souvenirs étaient bons. Suffisamment assuré pour ne pas avoir à accompagner Lisa, pas assez pour rester dehors à surveiller la voiture. Encore moins pour commencer à fouiner dans le reste de la maison, à l'aveuglette. La lumière des phares à l'extérieur éclairait à peine ce qu'il y avait autour de lui et Waylon restait planté au milieu de sa salle-à-manger-mais-il-n'était-pas-sûr, trop certain que s'il bougeait, il allait se prendre quelque chose à un endroit où il n'avait pas envie de se prendre quelque chose à cette heure-là.

Au bout d'un moment, par-dessus la fin de Us and Them, il finit par percevoir de petits grattements, comme une bestiole était en train de ronger dans les murs. La bestiole interrompit son grignotage et il l'entendit grimper jusqu'à plafond derrière lui, et il était tellement fatigué, et tout ça n'était tellement pas comme chez lui qu'il se sentit des envies de rendre le sandwich que Lisa lui avait acheté à la station-service tout à l'heure.

Dans la voiture, Us and Them s'achevait. Le disque rayé sauta Any Colour You Like et le thème à la guitare de Brain Damage commença à jouer doucement dans le jardin.

Ow. Super glauque. Juste ce dont il avait besoin pour terminer en beauté une journée merdique.

"The lunatic is on the grass,

The lunatic is on the grass,

Remembering games and daisy chains and laughs,

Got to keep the loonies on the path"

Incapable d'arrêter de réfléchir, Waylon sentit tout son corps se paralyser petit à petit, d'abord les jambes et les extrémités de ses bras, et puis ça remontait jusqu'au cerveau, comme s'il était mort, que son corps refroidissait avant de durcir. Il entendait toujours la musique par-dessus le bourdonnement du sang dans ses oreilles. Des taches de lumière s'agitaient aux limites de sa vision. Le froid commençait à gagner sa poitrine et, oh, non, ce n'était pas qu'une impression, il avait de plus en plus de mal à respirer.

"Maman..."

C'était comme dans les rêves, ceux dans lesquels vous savez que quelque chose vous poursuit ou vous fera du mal s'il vous rattrape, et vous n'arrivez plus à courir, vous ne savez plus comment il faut faire, et le moindre pas vous coûte beaucoup trop. Ou alors, il y a quelqu'un qu'il faut que vous préveniez, vous le savez, c'est presque une question de vie ou de mort, mais votre voix ne dépasse pas le râle étouffé – c'est à peine une voix, à vrai dire. Votre corps vous trahit, mais votre âme s'agite comme une dingue à l'intérieur.

De très loin, comme s'il était devenu étranger à son propre corps, il entendit sa mère pousser un énorme juron, le genre qu'elle n'osait jamais dire devant lui parce qu'elle s'imaginait qu'il était encore un enfant avec ses chastes oreilles et son ouïe bénie par les dieux des enfants avec des chastes oreilles (Waylon n'osait pas la démentir). Quelque chose tomba bruyamment par terre au sous-sol et elle jura de nouveau, mais la maison s'alluma quelques instants plus tard. Waylon lâcha son sac, qui tomba par terre avec un bruit sourd.

"The lunatic is in the hall,

The lunatics are in my hall,

The paper holds their folded faces to the floor,

And every day, the paper boy brings more"

Lorsque Lisa remonta, elle avait de la poussière sur ses vêtements et un air un peu largué sur son visage. Elle lui sourit quand même, et son sourire avait l'air de remonter de très loin, puis elle s'essuya les mains sur son jean. "Cette maison est dégueulasse."

Certes.

Waylon pouvait concevoir que sa mère n'ait rien de mieux à dire le soir de leur arrivée dans une maison qu'il devait considérer comme la sienne, à une heure où tous les gens décents sont en train de dormir, alors que son fils était en train de faire une crise d'angoisse devant elle.

Lui non plus d'ailleurs.

Éventuellement, elle finit par se rendre compte que quelque chose n'allait pas et s'approcha. "Ça va ? Tu es tout pâle."

"The lunatic is in my head,

The lunatic is in my head,

You raise the blade, you make the change,

You re-arrange me 'til I'm sane,

You lock the door,

And throw away the key,

There's someone in my head but it's not me"

"A, Arrête la musique," il hoquetait comme un gamin. Lisa se précipita à la voiture et il l'entendit tourner puis enlever la clé du contact. La radio se tut, les phares s'éteignirent, les ombres disparurent sur le mur. Lisa était déjà à côté de lui, elle passa ses bras autour de son fils et le serra contre elle. Il commençait à s'essouffler. Waylon cala son menton dans le creux de son épaule et ferma les yeux. Il avait les cheveux de sa mère dans la figure, ses larmes étaient en train de couler dans ses boucles qui sentaient son shampoing à la noix de coco. Lisa passait doucement une main à plat dans son dos, de haut en bas, comme si elle voulait lisser son pull.

"Respire," qu'elle disait, "concentre-toi sur ma voix. Détends-toi, mon chéri. Je suis là."

Au bout d'un moment, le poids qui s'était allongé sur sa poitrine s'envola et il arriva à se détendre. Les larmes redoublèrent sur ses joues, mais le gros de l'orage était passé.

"Mon chéri, Waylon, je suis désolée," sa mère parlait tout bas, "je suis désolée. Tout ira bien à partir de maintenant, je te le promets. Je te le jure."

Elle embrassa son fils sur le front.


(Je tiens à préciser que je ne suis jamais allée aux States, et que la vision que je décris de Leadville ou même de la Californie sont purement fictives et ne s'appuient que sur ce que j'ai pu en voir dans des films ou des recherches que j'ai faites. Waylon est un sale gosse, c'est tout /die)

Je suis *hum* passablement nerveuse. Cette fic c'est mon bébé, j'ai passé tellement de temps à la couver bien au chaud sur mon ordi et même là j'ai l'impression que c'est trop tôt. Le chap 2 sera bientôt fini et j'ai déjà tout le scénario de prêt, donc ne vous inquiétez pas, je ne foncerai pas dans un mur.

A vous de me dire ce que vous en avez pensé, je tremble en attendant les premiers commentaires derrière mon ordi éwè