Mots de l'auteure : L'univers de Naruto et ses personnages ne m'appartiennent pas (c'est aussi valable pour Itachi et heureusement pour lui, Dieu sait ce que j'en ferai), on les doit à ce bon vieux Kishimoto sans qui ma vie serait d'un ennui mortel.
NUANCES DE POURPRE ET DE ROSE
PROLOGUE
Pays de l'Herbe – 13 mois plus tôt
"Une coupe de saké", commanda-t-elle tout en se laissant tomber sans aucune grâce sur un des tabourets en bois vieilli faisant face au comptoir du bar. Le gérant du lieu, un homme en surpoids d'une cinquantaine d'années aux cheveux gras et à la barbe aussi proéminente que son ventre, lui lança un regard dédaigneux qui lui aurait valu une belle droite de la part de la kunoichi si son statut de civil ne lui octroyait pas une telle protection. Ca et le fait qu'il soit le seul à des kilomètres à la ronde à pouvoir lui servir ce foutu verre d'alcool qui lui ferait oublier tout le reste.
"Z'êtes sûre que c'est raisonnable, ma belle ?"
Quelques heures plus tôt, Ichiro venait de rendre l'âme. Tout simplement. Pendant un instant, sa tête reposait sainement sur ses épaules. La seconde d'après, elle roulait au sol. Sans transition. Un coup de katana propre. Net. Précis. Aucun compromis. Et dans un ou deux jours à présent, Sakura serait celle qui l'annoncerait à l'Hokage. En même temps que l'échec de cette foutue mission. Sa première mission officielle en tant que Jounin. Et déjà porteuse d'une funeste nouvelle qu'elle ramènerait avec elle à la maison et qu'elle traînerait pendant encore quelques mois tel un boulet en métal rigide et froid. Aussi froid que le corps sans vie et décapité d'Ichiro.
Même si le choix de cet endroit se voulait forcé, Sakura savait qu'elle ne trouverait pas meilleur lieu pour noyer son inquiétude. L'alcool l'aidait grandement à traverser les étapes du deuil. Ou, en tout cas, à oublier l'expression d'horreur qui hantait le regard de son défunt coéquipier alors que son visage roulait sur le sol terreux de la forêt, à quelques mètres d'elle. Une coupe de saké supplémentaire et elle oublierait sans doute ce détail. Elle se plaisait à le croire.
"J'ai commandé une foutue coupe de saké", répéta-t-elle en insistant lourdement avec un regard entendu. Le gérant resta de marbre quelques secondes, considérant sûrement les chances que la jeune kunoichi, bien qu'éméchée, lui décoche ou non un crochet. Par expérience, les clients en état d'ébriété n'étaient pas à prendre à la légère. Encore moins les ninjas. Il attrapa donc la bouteille d'alcool de riz dans un soupir résigné et, au lieu de se contenter de remplir la coupe de la jeune femme, il posa le récipient en argile sur le comptoir.
"Vous d'vriez manger un morceau si vous voulez mon avis", se contenta-t-il d'ajouter sur la défensive.
"Je me fous de votre avis" lança Sakura, congédiant le gérant pour quelques minutes. Elle le regarda s'éloigner pour servir d'autres clients dans le fond de la pièce. S'il avait été présent, Naruto l'aurait sûrement consolée en la prenant dans ses bras. Saï aurait posé une main compatissante sur son épaule – enfin, aussi compatissante qu'il pouvait le feindre – et aurait ajouté que, statistiquement parlant, l'espérance de vie des shinobis n'excédait pas la trentaine. Quant à Kakashi, il n'aurait pas fait d'esclandre et se serait contenté de lui passer une main dans les cheveux, dans geste paternel, en lui disant que tout irait bien. Tsunade lui aurait suggéré avec un ton emprunt d'ironie d'aller chercher ses tripes à l'endroit où elle les avait oubliées. Après tout, elle se laissait difficilement abattre d'ordinaire, ayant hérité du caractère impassible de son maître. Et pourtant, elle se retrouvait là, pathétique, attablée dans un bar miteux, accablée par une tristesse incohérente. Ou la culpabilité. Elle n'arrivait pas à trancher.
Elle se reprendrait au petit matin. Quelques heures supplémentaires se voulaient nécessaires afin qu'elle puisse se re-confectionner une armure solide. Une façade de kunoichi digne de ce nom. Elle ne connaissait pas particulièrement Ichiro. Assigné de manière temporaire à son équipe, les deux autres étant elle ne savait où à faire elle ne savait quoi pour le village, aucun lien d'aucune sorte ne les unissait. Mais si pour elle Ichiro ne représentait qu'un nom et un visage, il avait sans doute une famille ou des proches qui l'attendaient à Konoha. Leur monde s'écroulerait lentement une fois qu'elle passerait les grandes portes du village. Parfois, elle rêvait d'être un homme. Elle aurait fait un bien meilleur shinobi. Les études pompeuses parlaient d'elles-mêmes, après tout. Les kunoichi mourraient prématurément sur les missions classées importantes. Sakura se plaisait toutefois à contredire ce stéréotype mais parfois, la pression quotidienne lors de ce genre de missions la rappelait à l'ordre rapidement. Brutalement. Presque de façon inhumaine.
"C'est tout c'que vous prendrez, jeune homme ?" s'adressa le gérant à la personne assise à gauche de Sakura. Jusqu'à présent, elle se croyait toute seule accoudée au bar.
"Oui."
Tout en sirotant le saké abandonné près d'elle, la jeune femme pivota légèrement sur la gauche afin d'associer un visage à cette voix. Elle manqua de recracher instantanément le contenu de sa coupe lorsqu'elle reconnut l'homme assis à ses côtés. Bien qu'il ne porte pas la cape noire affublée de nuages rouges, signe de son allégeance à l'organisation criminelle la plus célèbre du monde ninja, impossible de se méprendre quant à son identité. Itachi Uchiha. Sans cape reconnaissable. Sans chapeau de paille à clochette. Le meurtrier psychopathe le plus recherché de Konoha – leur village natal – se tenait là, à seulement quelques centimètres d'elle. Et lorsque son regard hypnotisant accrocha celui de Sakura, la jeune femme se figea sur place alors qu'un frisson désagréable remontait le long de sa colonne vertébrale. Des scénarios sanglants inondèrent son esprit alors qu'elle envisageait sérieusement la possibilité de le tuer sur-le-champ. De l'inconscience pure. Mais l'alcool ingurgité n'aidait en rien.
"Je te suggère de rester sagement assise, Sakura", conseilla-t-il d'une voix étrangement calme et bien trop douce pour un ninja de sa trempe. La kunoichi se prépara à quitter sa place, amorçant un mouvement dans la direction de la sortie sans tenir compte de l'avertissement, avant que la voix du nukenin ne vienne une nouvelle fois rompre le silence.
"Je n'ai aucune intention de te faire du mal", ajouta-t-il en fixant de ses yeux onyx un point invisible sur le mur devant lui. Son ton semblait honnête. Après tout, s'il voulait réellement engager un combat contre elle, ne l'aurait-il pas déjà initié ?
"J'ai du mal à le croire" répondit-elle tout de même. Rester tranquillement assise alors que l'adrénaline parcourait toutes les cellules de son corps devenait de plus en plus compliqué. Un semblant de sourire sembla se dessiner à la commissure des lèvres du brun à sa remarque, mais Sakura n'y porta guère plus d'attention. Quand elle se leva lentement de sa chaise, cette fois, il ne fit aucune intervention pour la retenir.
Dans le rapport de mission qu'elle remettrait en mains propres à Tsunade cinq jours plus tard, elle ne mentionnerait Itachi Uchiha nulle part.
Pays du Feu – De nos jours
Des produits de beauté en tout genre parsemaient le sol de sa salle de bains. Des tubes de vernis à ongles, des rouges à lèvres aux couleurs indecentes, et autres accessoires dont elle ignorait l'utilité et l'existence même recouvraient littéralement le sol de la pièce. Elle rentrait de quatorze heures de garde à l'hôpital, épuisée, vidée de toute énergie, pour tomber sur un bordel sans nom dans son propre appartement.
"Ino, ramène tes fesses ici !"
"Tu dépasses largement le niveau humain de décibels, Sakura. Épargne mes tympans, je t'en prie" résonna la voix de l'accusée depuis le salon.
"Ino-"
"C'est bon, j'arrive, une minute..."
"Ino-"
"Quoi à la fin ?! T'as une capacité à mettre les gens en pétard en seulement quelques secondes qui est déconcertante, t'en es consciente au moins ?" lança la blonde depuis la porte de la salle de bains. "Oh la vache, t'as une tête horrible ma pauvre Sakura. T'as perdu un patient ou quoi ?"
"T'as remarqué le bordel que tu as foutu dans ma salle de bains en seulement quelques heures ?"
"NOTRE salle de bains."
"TON bordel", précisa Sakura alors que la blonde entreprit de ramasser ce qui trainait au sol. "Shikamaru vient d'avoir une semaine congés à compté de ce matin. Post-retour de mission. Traduction : si tu allais lui rendre une petite visite ? Disons, d'une semaine... Vous pourriez enfin discuter et remettre les choses à plat."
"Aucune chance que je lui rende visite" renchérit la blonde. "Il s'est mis lui-même dans cette situation. Il peut s'en sortir sans mon aide."
S'accroupissant aux côtés de sa meilleure amie, Sakura attrapa un tube de gloss pailleté entre ses doigts, avant de le ranger dans la trousse de maquillage à présent ouverte au sol. Les deux jeunes femmes terminèrent de ranger la pièce en silence, ainsi que le reste de l'appartement. Leurs plannings respectifs à l'hôpital laissaient peu de place pour des futilités de ce genre. Faire le ménage et tenir les quelques pièces propres ne faisaient pas partie de leurs priorités. Elles se salissaient quotidiennement les mains lors des missions d'assassinat. Pas en récurant les toilettes.
"Tu l'as trompé deux jours avant qu'il te trompe" relança Sakura. "Vous avez tous les deux déconné sur ce coup. Admets-le et réconciliez-vous. J'en ai marre de devoir me cacher derrière des stands de ramen dès que je le croise dans le village."
"Je ne t'ai jamais demandé de faire ça."
"Pas à voix haute", précisa la médic en attrapant le linge propre étendu depuis déjà quelques jours. Une odeur de lavande lui chatouilla les narines alors qu'elle pliait une serviette de toilette bleue marine. Le même bleu qui ornait les coussins du canapé du salon. La coordination des couleurs étant le symptôme majeur de l'obsession compulsive dont souffrait Ino lorsqu'il s'agissait de décoration. Elle se souvenait encore de la scène que la blonde avait faite lorsqu'elle avait ramené un rideau beige pour couvrir la porte-fenêtre du balcon.
"Tu tiens à cette serviette ou est-ce que je peux te l'enfoncer dans la gorge jusqu'à ce que mort s'en suive ?" demanda Ino.
"J'y tiens. Et au risque de t'énerver davantage, je ne me souviens pas que Shikamaru et toi étiez dans une relation exclusive. Aux dernières nouvelles, vous en étiez à la phase parties-de-jambes-en-l'air-incognito dans les vestiaires de l'hôpital. Est-ce qu'on peut réellement parler de tromperie alors que vous n'êtes même pas dans une relation officielle ?"
"La phase quoi ?"
"Demande à ton petit-copain."
"Petit-copain... Tu rends les choses tellement sérieuses. On a couché ensemble quelques fois, c'est tout."
"Raison de plus. Pourquoi faire tant d'histoires si c'est juste du sexe ?" lui rappela Sakura. "Maintenant sors de là que je puisse prendre une douche."
Deux jours de repos. Le décompte commençait à peine qu'Ino lui tapait déjà sur les nerfs.
"A la base, ils fabriquaient les préservatifs avec des intestins d'animaux. Tu savais ?"
En ce premier jour de repos depuis des semaines, Sakura en arriva à la conclusion que Dieu n'existait pas. Car si une force invisible régissait le monde depuis là-haut, elle ne l'obligerait pas à écouter ce genre d'idioties. Pour évacuer son désarroi, elle leva les yeux au ciel et accrocha son regard à un aigle qui volait en cercles concentriques autour du terrain d'entraînement où elle s'était installée quelques minutes plus tôt avec Naruto. Jounin, tout comme elle, il supervisait à présent sa propre équipe d'élèves : Konohamaru et ses deux autres compères, en vue du futur examen Chunnin. Saï, également de repos, leurs faisait l'honneur de sa présence et d'interventions littéraires incongrues dont elle se serait bien passée.
"Dans quel genre de livre peut-on sainement lire ça ?" lui demanda-t-elle.
"Santé et sexualité : une symbiose naturelle."
"Sérieusement... Comment une librairie digne de ce nom peut vendre ce genre de torchon ?"
"C'est écrit dedans que les hommes qui lisent du porno produisent beaucoup plus de sperme" ajouta Naruto.
"Passionnant...", ironisa Sakura.
"Je ne suis pas encore arrivé à ce passage", répondit Saï.
"Bon, ça suffit vous deux. Je ne suis pas venue ici sur un jour de congés pour débattre sur ce genre de conneries", les coupa la jeune femme, "même si je suis consciente que Kakashi tient une part de responsabilité importante dans tout ça..." ajouta-t-elle en arrachant le livre des mains de Saï. Elle feuilleta quelques pages distraitement, avant de s'arrêter sur un passage et d'en lire le contenu.
"Alors ?", taquina Naruto, "Ça t'intéresse, avoue."
"Tu savais que dans les cas de rupture de frein, la femme est souvent placé au-dessus ?" demanda Sakura.
Naruto lui adressa un regard confus. "Rupture de quoi ?"
"Ton pénis se coupe en deux", expliqua-t-elle, réfrénant un sourire en voyant la tête du blond se décomposer.
"T'es pas sérieuse ?!" demanda-t-il.
"Bien sûr que non, triple idiot. Mais je suis convaincue que tu seras le premier à rendre ça possible si vous continuez tous les deux à parler de ce genre de choses en public", les menaça-t-elle avant de se laisser distraire quelques secondes par un échange de coups bruyant entre Konohamaru et sa coéquipière rousse.
La petite Moegi heurta le sol de plein fouet en étouffant un cri de douleur. Naruto lança un regard approbateur à son élève, lui signifiant que l'entraînement portait ses fruits. Sakura pouvait se projeter sans mal quelques années auparavant, lorsqu'elle-même se trouvait à la place de Moegi. Échangeant des coups avec ses coéquipiers, et cherchant désespérément la reconnaissance dans le regard protecteur de Kakashi. En tant que Genin. Puis en tant que Chuunin. A présent, elle se savait reconnue à sa juste valeur en tant que kunoichi et ne cherchait plus à faire ses preuves. Encore moins à impressionner son ex-sensei. Ne plus rien attendre de personne se voulait décevant dans un sens. Il fallait chercher une motivation ailleurs. Se montrer responsable. Adulte. Assumer ses choix de vie. Et Sasuke, le prodige Uchiha, en était l'exemple parfait.
"Ne fais pas ça, Sakura-chan", l'interrompit Naruto dans le fil de ses pensées.
"Ne pas faire quoi ?" demanda-t-elle.
"Naruto-kun", intervint Saï, "tes élèves te font signe. On dirait que la faim commence à se faire ressentir."
Konohamaru poussa un cri depuis le milieu du terrain d'entraînement, et Naruto s'engagea dans la direction du petit groupe, remettant à plus tard la réponse de Sakura restée en suspens. L'attention de la jeune femme se reporta sur Saï. Même si son intégration dans l'Équipe 7 fut brève, le temps passé ensemble s'était montré formateur sur bien des points. Malgré sa sociabilité largement discutable, le brun savait reconnaître les signes de tension entre ses deux coéquipiers, et tirer profit de ce genre de situation.
"Tu as cette absence dans le regard quand tu penses à lui", expliqua-t-il. "Naruto l'a aussi. Vous pensez souvent à lui tous les deux même si vous n'en parlez jamais."
"Merci, Saï", se contenta d'ajouter Sakura.
"Que ferais-tu différemment si tu pouvais revenir en arrière ?" demanda-t-il.
"Demande-moi ça une autre fois", répondit-elle en baillant. "Pas à neuf heures du matin."
"Quelle différence ça fait ?"
"Qu'est-ce que tu dessines ?" répondit-elle en espérant changer de sujet.
"J'essaye d'appliquer un nouveau concept que j'ai lu dans un livre d'art la semaine dernière."
"Quel concept ?"
"Les jeux d'ombre et lumière."
Sakura ne connaissait pas grand chose à l'art. Encore moins au dessin. Mais elle fit mine de s'intéresser à ce que Saï lui montra au fil des pages. Son regard s'arrêta sur le croquis d'un arbre noir et sinistre, siégeant au centre d'une clairière colorée et teintée de rose. L'air sembla changer autour d'eux alors que des feuilles mortes s'élevèrent à quelques centimètres du sol dans un tourbillon harmonieux qui laissa place à Neji. Quand quelqu'un apparaissait de nulle part devant vous, ce n'était jamais annonciateur de bonne nouvelle.
"Neji", le salua-t-elle.
"Hokage-sama requiert ta présence et celle de Naruto", annonça-t-il en scrutant le terrain d'entraînement du regard. Le blond croisa son regard au même moment, et congédia son équipe de Genin avant de les rejoindre. Lorsqu'il s'approcha et sentit qu'une tension quasiment palpable se dégageait dans l'air, le génie Hyuuga reprit la parole. "Itachi Uchiha est de retour au village."
Sakura sentit son corps se tendre et son visage devenir livide, au fur et à mesure que son propre sang se glaçait dans ses veines. Aussi sûrement que celui de Naruto qui apparaissait d'une immobilité suspecte à ses côtés. Non, Dieu n'existait pas.
