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Maman

Je me souviendrai toujours de ma mère comme de quelqu'un d'extraordinaire. Enfin, c'était ma maman.

Quand elle avait quinze ans, un directeur de casting l'a repérée dans la rue et lui a proposé un rôle dans une série-télé. Elle a répondu non sans hésiter : le métier d'actrice ne lui disait rien. Ce qu'elle voulait, c'était devenir vétérinaire, gérante d'un refuge pour chevaux ou responsable d'une association écologiste. Il a pris son numéro quand même et l'a rappelée, encore et encore. Pour tout dire, il l'a harcelée pendant des semaines.

Ma mère a fini par accepter son offre, pas pour devenir célèbre mais pour assurer son avenir. En effet, ses parents étaient loin d'être riches et les études à la fac coûtaient vachement cher. C'est comme ça qu'elle a joué dans une série pour ados pendant un an pour financer ses études et ses projets. Ensuite, elle a étudié la biologie animale à la fac. D'après elle, le pire, c'était certains étudiants qui la croisaient dans les couloirs et lui demandaient des autographes ou la regardaient en se frappant la tête et en s'écriant « mais oui, suis-je bête ! » Elle avait un peu honte de cette partie de sa vie, je crois. C'est pour ça qu'un jour, elle est partie s'installer au Qurac en laissant tout derrière elle.

Je suis né là-bas. Je n'ai jamais connu mon père biologique mais ça ne me manquait pas : qui a besoin d'un papa quand on a déjà des singes, des oiseaux, des chiens, des gnous et des tas, des tas d'animaux ? J'avais l'impression d'être l'enfant le plus heureux de la terre parce qu'au lieu d'aller à l'école, je suivais des cours par correspondance et j'aidais ma maman à s'occuper des animaux. J'avais une vie de rêve et pour rien au monde, je n'aurais échangé ma place contre celle d'un autre.

A huit ans, j'entendais parfois parler de « géopolitique » mais je n'y comprenais strictement rien. En fait, mes souvenirs de l'époque sont carrément flous parce que j'étais petit et que je ne m'intéressais qu'à ce qu'il y avait autour de moi. Un de mes souvenirs les plus nets, c'est celui où ma sœur M'Gann a débarqué dans ma vie, même si à l'époque, c'était pas encore ma sœur. Je l'ai aimée tout de suite parce qu'elle ressemblait exactement à ma maman à l'époque de « mais oui, suis-je bête ! ». Par contre, ma mère a mis du temps avant de l'aimer.

C'était la faute de cette série-télé. Pour ma mère, c'était du passé. Elle disait que chacun devrait mener sa vie à sa façon, qu'elle ne voulait être un modèle pour personne et que si il fallait vraiment qu'elle serve de modèle à quelqu'un, elle aimerait bien que ce soit pour quelque chose qui compte vraiment pour elle, comme ce qu'elle faisait avec les animaux. En lui rappelant cette série qu'elle n'aimait pas trop, M'Gann l'a plus énervée qu'autre chose. Seulement, la journée a été vachement mouvementée, j'ai été blessé et il m'a fallu une transfusion. Le seul sang disponible, c'était celui de Megan, parce qu'elle pouvait le modifier à volonté, enfin presque. C'est comme ça qu'elle devenue ma sœur de sang martienne.

On a gardé le contact quand elle est repartie aux States. Tous les weekends, on discutait avec nos webcams (enfin, quand elle n'était pas en mission). Elle nous a rendu visite une fois et Maman a dit que c'était sa fille aînée qui faisait des études à l'étranger. Avec la ressemblance, personne n'a trouvé ça surprenant. J'étais content, content : pour la première fois, j'avais une sœur ! Pendant un moment, j'ai même cru que mon bonheur ne s'arrêterait jamais.

Seulement, un jour, ma mère est partie en voiture en me disant de ranger ma chambre. Plus tard, le téléphone a sonné et j'ai entendu la voix de Queen Bee à l'autre bout. Elle me disait de me rendre près d'un étang, pas loin, avec une falaise juste au-dessus. J'y suis allé sans hésiter tellement j'étais inquiet pour ma mère. Je sais ce que vous allez me dire : oui, se jeter dans ce genre de piège, c'est vraiment pas malin… Ouais, ça ne l'était pas mais je me sentais en sécurité : les pouvoirs de Queen Bee marchent sur la plupart des hommes et sur certaines femmes mais ils n'ont aucun effet sur les enfants. Je pensais vraiment que je n'avais rien à craindre.

J'ai reconnu la voiture au premier coup d'œil. Je me souviens, au début j'ai pensé que c'était une blague, que ma maman ne pouvait pas se trouver dedans… Ensuite, je ne sais pas comment j'ai réussi à appeler une ambulance. J'ai pleuré toute la nuit, j'ai passé la nuit aux urgences et le lendemain, un type m'a annoncé qu'il n'y avait plus rien à faire…


Les gens des services sociaux m'ont ramené à la maison. Je les entendais parler de choses que je ne comprenais pas : accident de la route, perte de contrôle du véhicule… Moi, je n'arrêtais pas de me demander comment cela avait pu se produire : ma mère était très forte, elle avait pratiqué les arts martiaux à une époque. Elle était parfaitement capable de foutre une raclée à Queen Bee si elle le voulait ! Et puis, je me suis souvenu de plusieurs trucs qui m'avaient échappé : ma maman n'avait jamais eu de mari ou de petit copain, elle m'a conçu par insémination artificielle et il y avait cette bonne copine, Susan Latika, qui passait souvent nous voir à une époque et qui dormait dans la même chambre qu'elle. Ma mère aimait les femmes…

Je me souviens, je me suis senti en colère en comprenant ça. C'était pas du dégoût, ça non : je n'ai absolument rien contre les homos. En fait, je préfère de beaucoup qu'elle ait été heureuse avec sa copine Susan que malheureuse avec un bonhomme. Simplement, j'aurais aimé qu'elle vienne me voir et me dise : « Garfield, ta maman est homo ». Je l'aurais accepté et au moins, elle ne m'aurait jamais menti ! Pourquoi m'avait-elle caché ça ? Peut-être pour que je ne sache pas qu'elle était une proie facile pour Queen Bee, après tout. Je ne saurai jamais.

La dame des services sociaux m'a demandé si j'avais de la famille pour s'occuper de moi. J'ai répondu non : les parents de ma mère sont morts et mon donneur de sperme a sa vie à lui, quelque part dans le Kentucky (ou le Kansas, je ne sais plus), avec sa femme et ses gosses. A moins qu'il ne soit gay, je ne sais plus non plus.

J'aurais pu mentionner Susan mais je ne l'ai pas fait. Elle était peut-être une bonne copine pour moi et sûrement plus qu'une copine pour ma mère mais ça s'arrêtait là. En plus de ça, le Qurac n'est pas vraiment ce qu'on appelle un pays sympa pour les homos et je ne voulais pas que Sue ait des ennuis à cause de ça. J'ai dit que je n'avais personne pour s'occuper de moi.

C'est là que la Ligue a débarqué. Enfin, quand je dis la Ligue, je veux parler de ma sœur et de son petit copain Conner. Megan m'a entraîné dans un coin et m'a fait une proposition : elle allait m'emmener aux USA et s'occuper de moi. La Ligue prendrait des dispositions pour que la réserve soit gérée en mon absence jusqu'à ce que j'aie 18 ans mais en attendant, j'irais à l'école et j'habiterais avec l'équipe des coéquipiers. Evidemment, j'ai accepté.

Ça a été un énorme changement. Tout le monde était sympa avec moi et je m'entendais bien avec Loup mais j'avais du mal à me faire à tout ça : prendre le bus pour aller à l'école, marcher sur du macadam, loin des arbres, manger de la bouffe industrielle à la cantine… Le soir, quand je rentrais au Mount Justice, je trouvais parfois un mot sur le frigo : « On est en mission en Europe, fais-toi réchauffer quelque chose et couche-toi avant 9h30 ». Alors je me faisais mon propre dîner, je le mangeais devant la télé et j'attendais que ma nouvelle famille rentre de mission. Le pire, c'était de me demander s'ils n'allaient pas leur arriver quelque chose à eux aussi. Je ne voulais pas perdre mes nouveaux amis.


Les animaux me manquaient, aussi. Un jour, j'ai trouvé un chat perdu et je l'ai ramené au Mont Justice en promettant de m'en occuper. J'ai beaucoup discuté avec Megan et les autres, et ils ont fini par me laisser le garder. J'adorais ce chat, il était roux et blanc, tout mignon. Il s'appelait Arthur.

La semaine suivante, j'ai trouvé un oiseau blessé et je l'ai ramené dans ma chambre pour le soigner, comme je le faisais au Qurac. Je l'ai appelé Joe. Ça me rendait heureux de m'occuper de lui (ou d'elle, je n'ai jamais su si c'était un garçon ou une fille). Le problème, c'est qu'Arthur n'arrêtait pas d'essayer de bouffer Joe. Je devais en permanence les séparer.

Ensuite, j'ai trouvé une chatte, adorable, noire avec les yeux verts. Je l'ai appelée Sarah et emmenée en cachette au Mont Justice. Je l'avais à peine fait entrer qu'Arthur s'est jeté sur elle et qu'ils se sont battus. Ça a fait un bazar pas possible ! On a dû se mettre à sept pour les séparer et Robin, Wally et Artémis se sont retrouvés avec les bras tout griffés.

On a fini par enfermer les chats dans deux pièces différentes, Robin a demandé si tout le monde était bien vacciné contre le tétanos et Artémis a répondu non parce que son père était nul pour se rappeler des vaccins. Là, Wally est devenu fou furieux. Il m'a traité de petit crétin et m'a dit que ce serait de ma faute si Artémis tombait malade ! Ensuite, il est parti comme un fou pour l'emmener chez le médecin. Moi, je pleurais parce que je n'avais jamais voulu qu'Artémis attrape le tétanos. Tout ce que je voulais, c'était des amis chats.

Megan m'a pris dans ses bras et m'a consolé. Ensuite, je suis allé cueillir des fleurs que j'ai offertes à Artémis quand elle est rentrée de chez le médecin. Elle m'a dit en rigolant que c'était pas grave et qu'elle avait juste un peu de mal avec les chats, à cause de sa sœur (j'ai pas tout compris). Même Wally s'est excusé de m'avoir traité de petit crétin. Seulement, les grands m'ont aussi dit de ne plus amener d'animaux au Mont Justice. J'ai beaucoup pleuré mais ils n'ont pas cédé. Maintenant, quand je trouve un animal blessé, je vais directement le porter chez le vétérinaire et je lui dis au revoir en espérant qu'il trouve une famille sympa.

C'est un peu triste, je pense...

A suivre...