Pirates : la légende d'Alpha – Prologue.

Les nuages volaient bas en cette soirée d'automne. Ils volaient si bas qu'on eut dit que l'océan les soutenait. Ils étaient si épais que les rayons tamisés du soleil couchant n'étaient que de minces faisceaux blafards. La visibilité était nulle. Les couleurs du paysage parcouraient les variantes du gris. C'était un temps exécrable pour naviguer.

Pourtant, sur les eaux troubles de la mer du Cachalot, flottait le Brasier. Un immense trois mats, quarante-cinq pieds de long, vingt-et-un de large, il surclassait de loin les frégates que le Roi Lumière envoyait sur les océans. Sa peinture sombre et craquelée laissait deviner l'âge du navire et les immenses voiles pourpres annonçaient l'arrivée des pirates. Sur le pont usé, s'affairaient les corsaires aux diverses tâches que nécessitait la situation présente.

Car cette tranquillité n'allait pas durer. C'était le calme avant la tempête. Dès que les nuages se soulèveraient, la bataille débuterait. Dès que la visibilité ressurgirait, les canons s'allumeraient. Dès que l'équipage ennemi serait en ligne de mire, le Brasier lui offrirait un aller simple pour le royaume de Poséidon.

Parcourant la brume d'un regard impassible, le capitaine Uchiwa patientait. Cela l'irritait fortement de ne pas pouvoir couler ce vieux rafiot une bois fois pour toute. L'Abandon. Le navire du capitaine Haruno. Cet abruti de mollusque qui se croyait maître des océans.

Un sourire méprisant étira les lèvres du capitaine Uchiwa. Cet être insignifiant qui croyait déjouer la fatalité se trompait lourdement. Lui qui croyait pouvoir agir sans subir allait descendre de son piédestal. Et ne s'arrêterait pas au sol. Bientôt, le capitaine du seul bateau à avoir échappé au Brasier sombrerait dans les profondeurs de la mer du Cachalot.

Tout le monde connaissait le Brasier. Tous connaissaient l'impitoyable cruauté du capitaine Uchiwa. Tous savaient que dès l'approche de la voile pourpre, il fallait courir, s'en aller, fuir, loin, très loin de ce bâtiment maudit. Car lors de chaque assaut, la monstruosité et la sauvagerie de l'héritier Uchiwa ressortaient et rares étaient ceux qui survivaient pour alimenter les rumeurs. Ceux-ci, s'ils regagnaient terre, étaient bien incapables de décrire la terreur qu'ils avaient éprouvée en se retrouvant face au plus terrible de tous les pirates.

Soudain, le pont supérieur s'éclaira. Les nuages s'élevèrent. Dans peu de temps, l'Abandon nourrirait les poissons abyssaux de ses débris. Bientôt, le capitaine Haruno serait mort et ne pourrait plus prétendre au titre de terreur des océans.

Lorsque la luminosité fut complète, Uchiwa leva sa longue-vue. Rien. Il n'y avait pas la moindre voile à l'horizon. Pas le moindre rafiot. Il s'était enfui. Il avait profité de la pénombre pour se dérober. Le capitaine Uchiwa émit un grognement exaspéré. Ce serait encore pour une autre fois. Encore… et toujours.


Aiko sourit. Les deux enfants venaient de s'endormir, bercés par l'histoire de pirates qu'elle avait coutume de leur raconter. Ces petits garnements, tous les soirs, venaient la chercher dans sa chambre, au mépris du règlement, afin qu'elle poursuivît ses contes. Et elle ne se résolvait jamais à refuser.

Tout avait commencé il y a deux ans, quand madame Nakamura, sa supérieure, avait acheté un livre sur les pirates qu'Aiko avait du lire aux pensionnaires. Ces deux enfants avaient immédiatement été conquis. Le lendemain de la première lecture, ils étaient venus quérir la suite. Et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui.

Naruto et Minato. Minato et Naruto. Deux jumeaux si semblables et pourtant si différents. Autant Minato faisait preuve de douceur et de calme, autant son ainé était brusque et excité. Si le cadet était patient et renfermé, son frère démontrait des trésors d'ingéniosité et une énergie insondables. Et malgré leurs différences, rien ne comptait davantage pour eux que leur jumeau. Aiko adorait ces petits.

Elle se releva doucement et traversa la chambre à pas feutrés. Elle ouvrit précautionneusement la porte et pria pour qu'elle ne grinçât pas. Elle grinça. Mais les deux frères étaient trop profondément endormis, ils étaient plongés à tel point dans leurs rêves de pirates, qu'ils ne s'éveillèrent pas. Aiko referma derrière elle, sans un bruit.

Elle traversa le long couloir sombre et parvint à sa propre chambre, près de l'escalier. Elle entra silencieusement puis posa le libre sur l'étagère. Elle savait que le lendemain encore, elle leur conterait la suite des épopées du capitaine Uchiwa, à la poursuite du mystérieux Haruno, et se réjouit à l'avance. Cela faisait longtemps que le livre ne recelait plus de mystères pour les jumeaux et chaque soir, elle imaginait de nouvelles aventures fantastiques que vivait le célèbre pirate. Elle sourit en songeant à sa prochaine histoire.

Sa supérieure l'avait déjà prévenue, elle passait beaucoup trop de temps avec les jumeaux. Elle en négligeait les autres orphelins. Elle risquait de perdre son poste à l'internat. Pourtant, elle ne pouvait se résoudre à mettre un terme à ces moments de plaisir qu'elle partageait avec les garçons. Telle était la magie des jumeaux…