Chapitre 1
La perte et le manque
George ronflait. Il n'était pas loin de onze heures du matin, mais il n'était pourtant pas près de se réveiller. Ses draps étaient entièrement défaits et ses cheveux en bataille pointaient dans tous les sens. Dans l'autre lit, Fred était réveillé depuis un moment maintenant. Les ronflements de son double l'avaient empêché de se rendormir.
Leur mère s'activait dans la cuisine. En fait, Molly boudait. Elle refusait de parler à ses fils parce qu'ils n'avaient aucunement l'intention de passer leurs ASPIC et qu'ils avaient bravé toutes les règles de l'école en même temps. Et à cela s'ajoutait le départ en catastrophe d'Arthur au Ministère à quatre heures du matin pour « affaires urgentes », évidemment non justifiées. Mais cela importait peu à Fred, il savait que sa mère allait faire la tête un temps, mais qu'elle finirait par se faire une raison et adhérer au projet un peu farfelus de ses deux fils. Ce qui le tracassait, c'était que Liliane ne les avait pas rejoints. Ils n'avaient pas eu une seule nouvelle d'elle, pas un seul signe de vie, rien. Le calme absolu. Fred savait que quelque-chose n'avait pas fonctionné correctement, il s'était passé quelque-chose qui avait empêché Liliane de venir. Mais seulement, quoi ? Ne tenant plus aux ronflements de son frère, Fred se leva, enjamba maladroitement les cartons et sortit de la chambre tout en enfilant un vieux pull troué. Il traîna les pieds jusqu'à la salle de bain, puis se passa de l'eau sur la figure. Mais pourquoi Liliane n'était-elle pas venue ?
Il descendit ensuite dans la cuisine et adressa un bonjour à sa mère qu'elle ignora royalement. Fred n'insista pas ; il s'assit à table et se servit un bol de céréales, la mine sombre. Sa mère termina d'essuyer une casserole, puis partit dans le salon sans une seule parole à son fils. Il haussa les sourcils, blasé, puis enfourna une cuillère de cornflakes dans sa bouche. Quelque-chose de grave lui était-il arrivé ? Pourquoi donc n'était-elle pas venue ?
Arthur entra alors dans la cuisine : il revenait tout juste du Ministère. Sans un mot, il se débarrassa de son chapeau et de son manteau.
« Salut 'pa, dit Fred à son père. »
Pas de réponse. Il alla directement dans le salon. Intrigué, Fred tendit l'oreille. Quel idiot, il aurait dû descendre les oreilles à rallonge. Il entendait ses parents chuchoter. Fred se leva discrètement et marcha sur la pointe des pieds et se cacha derrière l'horloge.
« Ron et Ginny vont bien ? Demanda Molly, la voix plus aiguë qu'à la normal. »
« Tous vont bien, ils se sont pris quelques coups, mais ils sont en bonne santé, répondit Arthur sur un ton rassurant. »
« Et Sirius ... ? »
Un bref silence. Arthur ne répondit pas immédiatement.
« Il est introuvable, Bellatrix l'a tué, puis il est passé de l'autre côté du voile. »
Sirius. Sirius Black était mort.
« Mais il y a autre chose Molly … »
Fred redoubla son attention.
« Une des cellules d'Azkaban vient tout juste d'accueillir un nouveau prisonnier. »
Fred retint sa respiration. Il y avait un seul prénom qu'il ne voulait pas que son père prononce.
« Qui est-ce ? Demanda Molly. »
« La petite Liliane Durose … »
Durant quelques minutes, le cerveau de Fred fit une pause. Il ne réagissait plus aux signes extérieurs. C'était comme s'il avait décidé de se mette en veille, pour l'empêcher de craquer. Pour le protéger. Il sentit une main sur son épaule : c'était son père. Sur le visage de Fred se lisait le désarroi, l'incompréhension. Il n'avait pas encore de peine, pas encore de chagrin, mais il y avait déjà de la colère.
« Pourquoi ? Articula-t-il. »
Arthur invita son fils à aller s'assoir à la table de la cuisine. Sans un mot, il s'exécuta. Molly les rejoignit.
« Une embuscade a été tendue à Harry cette nuit au Ministère, commença Arthur, par les mangemorts plus particulièrement. Parmi ces mangemorts, il y avait Liliane, Fred. »
« Lili n'est pas un mangemort … »
« J'ai vu la Marque des Ténèbres sur son bras, expliqua calmement Arthur. »
Fred secoua la tête : il n'y croyait pas.
« Mais enfin ! S'exclama-t-il, tu sais très bien ce qui lui ait arrivé ! Tu sais très bien que Liliane n'est pas un mangemort ! »
Arthur soupira.
« Persy était un des premiers sur les lieux, reprit-il, et il l'a vue lui aussi. Il a vu les aurores emmener Liliane. »
« C'est son père, c'est ça ? C'est son père qui l'a dénoncée ? »
« Comment le sais-tu ? Demanda alors Molly. »
« Parce que le vrai mangemort dans l'histoire, le vrai salaud, c'est Édouard Durose, pas se fille ! Je sais pas ce qu'elle est allée fabriquer au Ministère, mais elle devait sûrement pas avoir l'intention de tuer qui que ce soit ! Elle s'est faite piégée, comme tous les autres ! »
Son ton commençait à grimper.
« Vous me ferez jamais croire que Liliane est un mangemort ! Elle les hait, et elle déteste autant son père ! Il l'a mise à Azkaban pour pouvoir la tuer quand il en aura le temps ! Il n'aime pas sa fille parce qu'elle a refusé de prendre le même chemin que lui ! Enfin, vous devriez le savoir ! N'allez pas me dire que vous êtes persuadés qu'elle est coupable ! »
Arthur lui indiqua de se calmer.
« Je n'ai pas dit que je la croyais coupable, dit-il posément, mais ses antécédents de l'aideront jamais à être déclarée innocente … »
« Donc on peut rien faire, c'est ça ?! On doit la laisser crever à Azkaban jusqu'à ce que les détraqueurs l'achèvent ?! »
« Fred ! Gronda Arthur, si on avait le pouvoir de l'aider, on l'aurait fait ! Je ne mets aucunement ta parole en doute, mais le souci, ce que l'on est impuissants ! Son père est trop haut placé et trop influant, personne ne peut contester sa décision, d'autant plus que la Marque des Ténèbres, beaucoup l'ont vue. Liliane est coupable aux yeux de tous. »
« C'est injuste ! S'emporta Fred en se levant d'un bond, c'est la pire de toutes les injustices ! C'est dégueulasse ! «
« Je n'ai jamais dit le contraire, Fred … »
« Mais tu es déjà résigné, papa ! Tu acceptes la chose comme normale ! Mais bordel, elle est là-bas à la place de son père, elle a rien fait ! »
« Rien ne nous prouve qu'elle n'a rien fait, temporisa Molly, surprise par la colère si peu habituelle de son fils. »
« Et rien nous prouve qu'elle ait fait quoi que ce soit ! Cingla Fred. »
« C'est inutile de s'énerver, dit Arthur. »
« J'ai toutes les raisons de m'énerver ! Et il est hors de question que je reste assis à rien faire comme vous ! »
« Mais nous ne pouvons rien faire ! S'énerva Arthur, nous sommes impuissants ! Pourquoi ? Qu'as-tu l'intention de faire ? Débarquer à Azkaban et la tirer de là ? Tu crois que c'est si simple ? Si ça l'avait été, nous l'aurions déjà fait ! »
Fred serra les dents et donna un coup de pied dans sa chaise avant de quitter la cuisine en trombe. Il remonta dans sa chambre et claqua la porte derrière lui, sans se préoccuper de son double qu'il venait de tirer de ses songes. Il frappa de nouveau dans un carton puis s'avachit sur son lit. George émergeait tout juste, mais la mine de son frère l'interpela.
« Freddy, ça va pas ? Tu t'es pris le chou avec maman ? »
« Lili est en taule, répondit-il, grinçant. »
« Pardon ?! S'étrangla George en se redressant. »
Fred raconta à son frère ce qu'il venait d'apprendre, la voix chargée de colère. Incrédule, George l'écoutait.
« On peut pas la laisser là-bas ! Termina Fred, faut qu'on fasse quelque-chose. »
Son frère était ébahi, sous le choc. Durose à Azkaban, à la place de son père. C'était révoltant.
« Et tu comptes faire quoi ? Interrogea George, très peu convaincu. »
Fred ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son n'en sortit. Il ne savait absolument pas comment s'y prendre.
« Freddy, débuta doucement George, je crois que là, on est dans une impasse … On peut rien faire pour aider Durose … »
Fred contracta la mâchoire et détourna les yeux.
« Alors ça veut dire qu'on l'abandonne … ? »
George eut un pincement au cœur : son double était dépité, c'était la première fois qu'il le voyait comme ça. Jamais il n'avait vu son frère aussi révolté et aussi triste. Une vague de culpabilité s'empara de lui : oui, en quelques sortes, ils l'abandonnaient.
« Freddy, souffla George, y a aucun moyen pour l'aider : Azkaban est hyper sécurisée et c'est presque impossible de franchir la barrière de détraqueurs, à moins que notre venue soit prévue. Je pense que si on veut sauver Liliane, c'est pas par la prison qu'on devrait commencer … »
Fred soupira, mais ne répondit pas à son frère. C'était vrai : après tout, que pouvaient-ils faire face au Ministère lui-même ? Ils n'avaient aucune influence nulle part, cette fois-ci, la voie semblait sans issue. Il n'y avait qu'à croiser les doigts pour qu'un miracle se produise, pour que Liliane réussisse à s'échapper. Il ne fallait pas qu'elle se laisse mourir, il fallait qu'elle se batte. Elle devait se battre.
