1 – Piano
Il pleuvait ce soir là.
La pluie battait son visage comme un fouet. Il resserra les pans de son manteau mais rien n'y fit. Il était glacé jusqu'aux os. Et son humeur ne l'aidait pas à aller mieux. L'Amiral l'avait de nouveau forcé à mettre sur papier des plans d'une arme qu'il venait de créer. L'homme avait également menacé de tuer tous ses proches et cela le remplissait d'horreur et de fureur. La colère monta de nouveau en lui, la frustration était trop forte. De rage, il frappa dans une poubelle qui traînait sur le trottoir propret du quartier dans lequel il avait atterrit par hasard. Il leva brièvement les yeux sur les
bâtiments et fronça les sourcils. Il n'était plus sûr d'avoir erré sans but, au final. Il se trouvait devant la résidence où logeaient les cadets de StarFleet. Ses pas l'avaient conduits ici. Il fut soudain persuadé que tout ceci avait un sens.
Et alors que cette pensée traversait son esprit, il l'entendit.
Sublime et puissante, une mélodie capta son attention et l'attira devant la bâtisse d'où elle provenait. Vive puis mélancolique, lente, presque suave puis effrénée, la musique correspondait si bien à son humeur que John ne put résister.
Il s'approcha de la fenêtre ouverte, au rez-de-chaussé et plongea son regard à l'intérieur, presque sûr de ce qu'il allait y trouver.
Il ne fut pas déçu.
De dos, assise sur le tabouret en bois emprunté à une table proche, sa chevelure blonde cascadant librement sur ses épaules, elle était là.
Il pouvait sentir sa concentration alors qu'il captait toute l'habileté de ses doigts qu'il imagina un instant se promenant sur sa peau. Il frissonna.
Cela faisait longtemps qu'il n'avait eu une réaction cutanée si forte.
John se laissa prendre au jeu, au son envoûtant qu'elle faisait naître sous sa peau douce et il entra par la fenêtre, sans cérémonie mais aussi sans bruits. Il ne voulait pas rompre l'enchantement.
Mais sitôt qu'il fut dans la pièce, le piano cessa.
De nouveau, une rancœur s'empara de lui. Serait-il donc privé de toutes les belles choses de ce monde?
Alors qu'il se décidait à repartir, elle toussota.
« Restez. »
Il se retourna, hésitant. Mais sans lui demander confirmation, sans crier gare, elle s'attaqua à un autre morceau. Et lui, trempé, frissonnant, ne pût s'enfuir. Il resta là, démuni face à la beauté de la musique. Le nouvel air était plus mélancolique. Ses oreilles captaient la technicité des notes, des accords, du rythme et il était émerveillé.
Par le récital, bien sûr mais aussi par la crinière dorée qui s'étalait devant lui. Il admira les contours de la silhouette qui lui montrait sa confiance en lui permettant de rester hors de vue. Les épaules étaient larges mais féminines. La taille fine était idéale et il supposait les jambes repliées sous l'assise assez longues. Il redécouvrait la jeune femme d'une autre manière. Elle lui offrait son talent et se donnait à voir dans un moment qui devait être intime.
Il n'osa s'approcher qu'au bout de dix minutes d'immobilité totale. Il contourna le magnifique objet ancien, décalé dans la pièce, parmi les synthétiseurs de nourriture et les nombreux appareils modernes et contempla alors dans son intégralité la musicienne.
Elle jouait avec passion, sa lèvre inférieure prise dans l'étau de ses dents blanches. Son visage était détendu malgré le pli que formait ses sourcils, trahissant l'application qu'elle déployait.
Il remarqua avec surprise que ses yeux étaient clos.
Il resta là, à la dévorer des yeux jusqu'à ce qu'elle termine le morceau en un long diminuendo lancinant qui lui pinça le cœur.
Elle dévoila alors ses iris pâles et lui sourit.
Il plongea ses yeux en elle et n'osa plus respirer.
Elle se leva, délaissant l'instrument magique et s'approcha de lui.
Il sentit son odeur, sa chaleur.
« Je vous remercie d'avoir participé à ce récital. » Plaisanta la jeune femme.
Il resta muet.
Elle toucha sa joue un instant, sondant son regard. Puis elle sourit mystérieusement.
John vibra sous le contact imprévu. Une onde violente qu'il n'avait pas ressenti depuis longtemps monta en lui, grondant dangereusement.
Elle prit sa main glacée.
Ses rétines trahirent un instant son inquiétude. Elle le débarrassa de son vêtement trempé et l'installa sous le séchoir automatique qui se mit à ronronner aussitôt.
Pourquoi était-il incapable de se défendre ? Pourquoi son instinct le poussait vers cette fille ?
Il croisa de nouveau ses pupilles. Incapable de résister, il se laissa simplement aller.
Il l'embrassa brutalement contre l'instrument qui les avait réunis, sans prévenir. Ses pensées se libérèrent, il sentit ses membres se réchauffer au contact de la jeune femme. Comme son cœur s'était enflammé au son du piano.
John Harrisson se sentait enfin vivant.
