L'univers et les personnages d'Aventures ne m'appartiennent évidemment pas. Je les emprunte, et les rendrai presque intacts. Toute copie de ce texte est interdite.

Sur ce, je souhaite à tous les curieux qui s'égareront par ici, une agréable lecture.


Chapitre 1

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Eden semble être redevenue un louveteau, à folâtrer ainsi dans la poudreuse. La neige tombe en pluie fine des sapins, et parsème son dos, l'incitant à s'ébrouer joyeusement. Le silence ouaté qui règne dans le sous-bois, mure les aventuriers dans une contemplation pensive. Une rêverie uniquement troublée par les bougonnements impies de Balthazar. Le mage est en lutte avec un ennemi pernicieux, à savoir le verglas, et possède pour toute arme la disgracieuse paire de bottes fourrées à crampons, qu'il a consentie à enfiler. Empoigner la capuche du semi-démon, et le soulever pour le remettre sur ses pieds, est devenu un geste parfaitement machinal pour Théo.

Après plusieurs glissades embarrassantes, où Balthazar a embrassé la croupe de Lumière, au grand déplaisir de l'étalon ombrageux, le mage a fini par accepter de marcher devant le paladin, qui tient son palefroi par la bride. Le soleil, bien présent en cette journée d'hiver, a fait fondre superficiellement la couche de neige, qui recouvre le sentier. Et lorsque les ombres du soir se sont étendues, et que la fraîcheur est revenue, cette mince pellicule d'eau a givré, transformant le chemin en patinoire. Mais cela vaut toujours mieux que contraindre Lumière à faire du hors-piste, et se cogner le chanfrein contre les basse-branches des sapins.

Eden, partie à la chasse au renard ailé, une chimère qui hante les loups, revient avec une trouvaille bien plus concrète. Un paquet emballé dans un torchon, qu'elle porte fièrement dans sa gueule, même s'il la gêne en cognant contre son poitrail. Un casse-croute qu'elle a dû voler à un charbonnier, c'est ce que se dit Grunlek, avant que le paquet ne se mette à pousser un vagissement aigrelet. De surprise, la louve bondit comiquement dans les airs, avant de lâcher le torchon, et de détaler. Elle revient quelques secondes plus tard, la queue entre les jarrets, les oreilles pointées en avant, méfiante mais guidée par la curiosité. Le nain repousse gentiment son museau alors qu'elle l'approchait du paquet, un geste qu'il y a quelques semaines encore, l'animal sauvage n'aurait pas accepté, même de la part de son ami.

Grunlek s'accroupit sur ses talons, pour ne pas tremper le bas de ses chausses dans la neige, et dépiaute délicatement le colis. Théo, qui même dans les pleurs hachés d'un bébé, croit reconnaître une mélopée satanique, s'agenouille à son tour devant la petite chose, une main sur le pommeau de son épée.

« C'est à peine vivant… et ce n'est pas complètement humain. » Balthazar s'est approché dans leur dos. Il a pris appui sur les épaules respectives du nain et du paladin, pour pouvoir se pencher confortablement sur le nourrisson emmailloté.

Théo grogne dans son écharpe, seule touche dans son harnachement, qui rappelle que l'on est bien en hiver. « Merci de prendre le temps de nous énoncer l'évidence, Bob… »

Le mage se contente d'un sourire tranquille, alors que le bébé louche sur le doigt qu'il a pointé vers lui. Grunlek pince très légèrement la peau bleutée du nourrisson, et constate avec tristesse que l'empreinte de son pouce demeure, signe que l'enfant est déshydraté à un point critique.

Le nain s'apprête à dire quelque chose, lorsque les rayons rasants du soleil, qui leur parviennent depuis la colline d'en face, sont obturés par la mince silhouette de Shin. L'archer récupère délicatement le bébé, glissant une main sous ses fesses pour le stabiliser, comme s'il avait fait ça toute sa vie.

« Tu sais Shin, à moins que tu ne prévois de te faire pousser un troisième téton gorgé de lait dans la nuit, il serait plus judicieux de profiter du peu de lumière diurne qu'il nous reste, pour rebrousser chemin et demander de l'aide au premier hameau venu… Shin, tu m'écoutes mon grand… ?! »

Difficile à dire sous tout ce tissu, mais les épaules de l'archer semblent se raidir davantage, alors qu'il accélère ses enjambées, pas du tout dans la direction suggérée par le mage, comme s'il voulait gagner la course contre le soleil couchant.

Il laisse derrière lui des aventuriers plantés dans la neige, médusés par l'austérité soudaine de leur compagnon. Lumière se met de lui-même en branle, habitué comme il l'est à ce que le signal du départ vienne de Shin. Théo n'a pas d'autre choix que de trébucher à la suite de son cheval, et c'est ensuite tout le groupe qui descend vers le petit lac artificiel, le but premier de leur voyage du jour.

Théo est en train de marmonner qu'en pleine nature, un bébé sera un poids mort encore pire que Bob à se trimballer, lorsque même le sévère paladin perd sa voix, saisi par le spectacle mortifère qui les attend sous le petit pont. L'ouvrage branlant enjambe l'un des ruisseaux qui alimente la retenue d'eau. Ce qu'ils avaient pris de loin pour des grumes, oubliées par les bûcherons durant une précédente saison de coupe, se révèle être des cadavres. Des corps d'élémentaires, qui flottent entre deux eaux, bécotés par de gros poissons blancs, immangeables d'après Grunlek, même lorsqu'ils n'ont pas auparavant festoyé de chair morte.

Prenant mille précautions pour ne pas mouiller l'acier de son bras, le nain propulse son poing mécanique, et alpague l'une des femelles, par son abondante chevelure. Il la tracte ensuite vers le rivage, gêné de traiter ainsi une dépouille, mais il fait trop froid pour patauger dans l'eau au milieu des cadavres.

Dans la mort, la peau de l'élémentaire de l'eau a pris une teinte sinistre, rappelant la noirceur des abysses. Son corps est parsemé de plaies minuscules, particulièrement nombreuses au niveau des aisselles et de l'aine. Victime d'une malchance incroyable, elle pourrait avoir trébuché sur un nid de vipères. Il n'y a pourtant aucun gonflement, ni signe de nécrose autour des morsures. À croire que la pauvre a subi les assauts d'un vampire ivre, incapable de localiser précisément une veine.

Par acquis de conscience, Balthazar choisit d'aller prélever un échantillon d'eau, même s'il parait peu probable que tout un village d'élémentaires se soient empoisonnés au cours d'une même baignade, pataugeant nus au milieu des roseaux.

Le mage émet un juron, alors qu'un corps, qui a dérivé dans sa direction, s'anime soudain, et le saisit au poignet, au moment où il s'apprêtait à immerger son flacon.

Théo rapplique aussitôt, l'épée au clair, avant même de savoir si l'élémentaire ressuscité, cherche à attirer Bob dans les profondeurs, ou l'utilise simplement comme ancrage pour se soustraire à l'eau glacée. Les intentions de la créature resteront obscures. Saisir le bras de Balthazar semble avoir consumé tout ce qui lui restait de force. Le mage sent les doigts mouillés glisser sur son poignet, avant que l'être ne sombre pour de bon, une nouvelle tombe sans nom à ajouter à ce cimetière aquatique.

Les lèvres du mage se réduisent à une ligne sévère, alors qu'il glisse avec prudence, presque révérence, l'échantillon d'eau dans son sac, comme s'il s'agissait des dernières volontés des morts dont il fallait prendre soin. Théo renifle devant tant d'absurdité, mais se garde de tout commentaire. Shin vient en effet de rendre le bébé au lac, où il va pouvoir reposer parmi les siens. Le nourrisson est mort dans ses bras, au cours des dernières minutes. Inutile de s'embêter à lui creuser une tombe. Sous la couche de neige, le sol est dur comme de la pierre. Ses compagnons attendent vainement quelques paroles pieuses, avant de se rappeler que les bondieuseries ne sont pas l'apanage de l'archer.

Les aventuriers n'ayant pas vocation à enquêter sur tous les cadavres qui croisent leur chemin, le groupe s'apprête à rependre brièvement la route, jusqu'à leur prochain campement, si possible suffisamment éloigné de cette bulle de malheur.

Lorsque des gloussements, totalement inadaptés à la torpeur qui a saisi le lac, alors que la brume du soir monte lentement et offre un élégant linceul aux dépouilles, retentissent dans un épicéa, pas très loin du sentier.

Balthazar décide de décrocher ces pies bavardes de leur perchoir, avec une boule de feu bien placée, qui crame leur support, et les expédie séance tenante aux pieds d'un paladin de mauvaise humeur…

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